Mes écrits

"Fantômes"




Quand elle marchait dans la rue, Marie semblait très raide. On aurait dit qu'elle filait à travers le temps. Elle arrivait à tout oublier du monde extérieur: elle faisait abstraction de la réalité, du temps et de l'espace en sachant à peine où elle allait. Pourtant, elle semblait résolue et marchait d'un pas ferme et décidé. Et puis, elle rêvait aussi.

Elle se faisait des films en piétinant la raison, les mains plantées dans l'absurde. Une fois, elle avait été amoureuse et depuis, elle imagine sans cesse qu'il la regard, elle, qui n'arrive même pas à mémoriser son visage. Marie lui avait confié ses sentiments et l'autre avait oublié qui elle était. Son amour propre a été terriblement blessé et chaque rêve à propos de cette chimère ravive la douleur. Elle ne prononce même pas le nom du type en question: elle l'appelle "machin chose".
Il n'empêche qu'elle n'aime plus l'amour, elle le hait même! Elle se promet: "La prochaine fois que je commence à ressentir cette douleur, je sors du monde en emportant la porte!".
Voilà ce à quoi Marie ce à quoi Marie ne peut s'empêcher de penser. Elle n'a jamais rien vu mais ses voyages l'ont portés au bout de tout. Le monde est trop petit pour ses songes.

On croit que la folie est là où les gens parlent tous seuls: Marie ne conversait qu'avec des êtres imaginaires.
Elle se voyait admirée, adulée: "Elle parle bien et avec intelligence." Murmurent ses chimères dans le creux de ses oreilles sourdes.
Elle entendait un piano dont elle ne distinguait que les touches, des touches maîtresses d'elles-mêmes.
Elle voyait ses ennuis disparaître: même ceux qui lui attrapent la gorge et la meurtrissent le soir, entre ses draps.

Personne n'est en mesure, ni de mesurer, ni de comprendre l'énergie des émotions qui bouillonnaient en elle: des monceaux de sensations, des terres de promesses, des avenirs angéliques…Elle marchait sur la destiné en ne voyant rien d'autre que ses rêves, ses rêves enivrants.

Soudain, une masse la poussa au sol, c'est ainsi qu'elle se rappela que le monde n'est pas qu'à elle. Forcée de lever les yeux, elle aperçu un homme, "un ancien enfant", un adulte. Elle le considéra un instant avant de se dire: "Encore un qui ne sait plus rêver. En voilà un autre qui oubli de vivre."
Elle se releva, chancelante avec sa maladresse habituelle. C'est en cet instant que tout rentra dans l'ordre: Le jeune homme enveloppa son hypocrisie dans des formules de politesse males ficelées car Marie ne disait mot.
"C'est étrange comme les gens ne savent pas lire dans les yeux, ni dans le cœur, de leurs semblables" s'exaspéra t'elle. Lui, comme tous les autres, ne comprenait pas cette froideur de philosophe.
Alors, la vie reprit son cours car plus rien ne nous empêchait de remettre le temps en route, chacun retourne à sa vie…"Et dire que c'est le type d'évènements qui change la vie des héroïnes de roman" pensa t'elle. Elle avait toujours regretté de ne pas être une héroïne: jamais rien ne lui était arrivé. Plusieurs fois, elle avait tenté de solliciter le destin mais personne n'y croyait…Et la destinée a besoin des mentalités pour déclencher ses rouages.

Marie rêvait de ce destin, elle, qui ne marchait que sur l'absurde en piétinant les abrutis. Chacun lui semblait pris dans un tissu de malhonnêteté en faisant semblant d'aimer son prochain tout en lui reprochant chaque respiration. "C'est comme ça" avait elle fini par se dire.

Elle se sentait souvent démantelée par ses fantômes à qui elle prêtait des opinions. Elle tentait, jadis, d'interpréter les mots et les expressions: souvent sans succès. Alors, un jour, cela lui était venu comme cela, elle ne se laissa plus submerger par des suppositions et commença à simuler toutes ses anciennes frayeurs sans plus en ressentir une miette. Depuis, tous ses fantômes la torturaient sans plus avoir le droit de toucher à son cœur fermé à double tour…Pourtant, un jour viendra, elle en était sûre, où son esprit s'ouvrirait d'elle même vers des temps meilleurs.

Pour l'instant, c'était une fenêtre de moins sur la réalité: un cimetière où l'on enterre pas les corps, seulement les âmes. C'est ça, le cœur de ce que l'on nomme communément une adolescente: mille fois plus profond que celui d'une femme, on s'y noie facilement et l'on peut devenir fantôme sans en avoir jamais conscience.

Les fantômes de Marie sont issues du réel et c'est la haine qui les transforme pour les faire descendre. Mais on peut supposer que chaque individu a ses règles: pourtant, le billet n'est pas bon marché…
Jeanne