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Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Jeu 10 Sep 2015 - 14:02
Merci pour cette belle échappée avec Fairuz
J'ai apprécié particulièrement le dernier poème que tu as cité, celui Ibn-al-Khatib, qui me touche beaucoup
Du coup, tu m'as donné envie de ressortir mon "chant d'Al-Andalus" de ma bibliothèque, c'est celui-ci, en édition bilingue ; c'est là que je regrette profondément de ne pas savoir lire l'arabe
Spoiler:
Ysabelle Stardust Reveries
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Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Jeu 10 Sep 2015 - 18:06
Ce n'est jamais trop tard . Ce livre, je l'ai vu chez Gibert Jeune. Il y a je crois plusieurs parties. Je regrette aussi de ne pas l'avoir pris. Il y a aussi les études de Henri Perès consacrés à la poésie andalouse en arabe classique.
Juliette2a Tenant of Hamley Hall
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Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Jeu 10 Sep 2015 - 18:22
Merci beaucoup pour ces jolis poèmes andalous, Ysa J'aime particulièrement les trois derniers
Petit Faucon Confiance en soie
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Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Ven 11 Sep 2015 - 11:50
Aujourd'hui c'est à mon tour de vous présenter trois poètes que j'aime particulièrement.
Tout d'abord, une poètesse rrom née aux confins de la Pologne et de l'Ukraine : Bronislawa Wajs dite Papùsa (1908-1987) que j'ai découvert par le roman Zoli de Colum MacCann inspiré de sa vie. Ses poèmes que je préfère parlent de la forêt, et de la nature, mais elle a aussi écrit sur les persécutions nazies et communistes.
Quelques éléments biographiques :
Spoiler:
La fiche France Culture a écrit:
Papusza (la poupée), enfant tzigane aux yeux et cheveux noirs nait en 1908 dans un tabor (un campement nomade) à l’Est de la Pologne situé aujourd’hui en Ukraine. Sa famille appartient au groupe les « polska roma », des itinérants des plaines. Gamine et en cachette, elle apprend à lire et écrire grâce à des enfants éduqués qu’elle alimente en butins divers. Très jeune, elle dit la bonne aventure, chante, danse, improvise des épopées... et joue de la harpe comme sa famille musicienne. Papusza devient poétesse mais n’en fait pas cas. Elle suit sa bonne étoile malgré les deux mariages successifs qu’on lui impose. Rescapée des rafles et grands massacres nazis de la seconde guerre mondiale, Papusza échappe aussi aux vengeances ukrainiennes nationalistes et anti-polonaises de cette période. Dans beaucoup de ses poèmes, elle raconte le chaos quotidien de la guerre et elle sublime la forêt qui constitue le refuge instinctif de son peuple. Son bonheur s’appelle Tarzan, le fils adoptif qu’elle élève avec son deuxième mari. Arrivent les années 50. Papusza est brutalement sédentarisée, comme tous les tziganes du pays, par les autorités communistes, afin qu’ils deviennent ouvriers des grandes usines socialistes. A cette époque, un poète polonais rebelle, Jerzy Ficowski, fait publier les nombreux textes de Papusza, découverte et rencontrée en 1949. Papusza est alors bannie par les siens qui la considèrent comme traîtresse. Sa correspondance avec le poète juif polonais Tuwin et son admission chez les gens de lettres du pays ne la sauvent pas d’une vie de pauvreté et d’isolement. Elle meurt le 8 février 1987 d’une façon misérable dans un taudis. Elle a près de 80 ans.
Aujourd’hui, Papusza et ses poèmes sont complètement réappropriés par les tziganes polonais. La réédition de ses textes aiguise les esprits curieux. Parallèlement, le film « Papusza », récompensé en Pologne et plébiscité à travers l’Europe et le monde entier, témoigne aussi de l’intérêt d’un public international pour cette poétesse atypique.
Pour la connaître mieux, on peut aller sur ce lien.
Chant de la forêt
Ah mes forêts ! Pour rien au monde je vous échangerais dans ce grand monde blanc pour rien qui soit, pas même pour l’or ou les pierres de prix ; les pierres de prix font de jolis feux et de bien des gens comblent les yeux. Mais mes montagnes de pierre et au bord de l’eau les rochers sont bien plus chers que ces joyaux qui font des feux. Dans ma forêt c’est toute la nuit que près de la lune brillent les feux qu’ils luisent comme ces pierres de prix que les riches portent aux doigts. Ah ! mes forêts bien aimées arbres et odeur de santé, Combien combien d’enfants rroms avez-vous fait grandir comme s’ils étaient vos propres petits ! Et le vent émeut l’âme comme la feuille l’âme ne craint rien de rien. Les enfants rroms chantent qu’ils aient soif, qu’ils aient faim ils se lèvent et dansent car c’est bien cela que la forêt leur a enseigné.
Dérinoé Ready for a strike!
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Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Ven 11 Sep 2015 - 13:07
@ Ysabelle:
Merci beaucoup pour cette sélection de poèmes andalous, Ysabelle.
Je ne connaissais pas du tout cette tradition et j'ai beaucoup, beaucoup aimé les poèmes de Ibn Khafâdja et de Ibn Zaydûn.
Je trouve la chute du premier texte (sur les beautés de l'Andalousie) aussi mystérieuse qu'inattendue: ce qui étonne, c'est l'idée peu conventionnelle selon laquelle le paradis ne saurait s'évanouir devant les braises. Dans la tradition judéo-chrétienne court l'idée - aujourd'hui frappée au coeur même de notre culture laïque - que le feu incarnerait la passion des sentiments humains et, par extension, la folie et l'enfer, le paradis revêtant quant à lui l'apparence d'un jardin blanc, mousseux et éthéré tout à fait incompatible avec les soubresauts de nos palpitants. Mais au fond, sans savoir ce exactement ce que signifient ces deux derniers vers, je trouve qu'ils se passent de commentaire. (C'est ça, la poésie.)
Le second petit poème (sur les retrouvailles nocturnes des amants) est absolument magnifique. Comment peut-on dire tant de choses, comme peut-on descendre si profondément dans le coeur humain, tout en demeurant suspendu la surface de quelques simples mots?
Petite question. J'ai cru comprendre que tu lis toi-même ces poèmes dans la langue originale et, le cas échéant, je voulais te demander si la métrique ressemble à celle des Français - avec pieds, césures et rimes - ou plutôt à celle des Grecs anciens - avec l'alternance des positions longues et des positions brèves?
En tous les cas, un grand merci pour le poème de Walt Whitman et cette belle découverte de la tradition andalouse arabophone, trop peu connue dans nos contrées.
***
@ Petit Faucon:
Merci beaucoup pour ce poème de Bronislawa Wajs, Petit Faucon: je t'avoue que je n'avais même jamais entendu parler de cette poétesse. Connaissant l'inclination des gens du voyage pour la traditions orale - ce qui, en un sens, les rapproche des aèdes grecs et des griots africains -, je ne savais même pas qu'il existait des auteurs roms ayant fixé leurs textes par écrit. Et c'est une chance pour nous qui, sans le support du livre et des traductions, n'aurions quasiment aucun accès à ces auteurs-là.
Le parallèle entre la richesse qui luit aux doigts des nantis et les splendeurs de la nature est à la fois très simple, très éloquent et très beau.
As-tu vu le film biographique dont parle la fiche France Culture et, si oui, qu'en as-tu pensé?
Petit Faucon Confiance en soie
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Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Ven 11 Sep 2015 - 13:25
Merci Dérinoé, le but de cette quinzaine est aussi de nous faire découvrir d'autres horizons Et je n'ai pas vu le film sur la vie de Papusa, j'ai découvert son existence en lisant la fiche
Né en 1941 près de Saint-Jean-d'Acre, Mahmoud Darwich était poète. Il était aussi palestinien. Arraché à sa terre à l'âge de 6 ans, il fut ballotté dans la tourmente politique et la guerre de libération. Porte-parole malgré lui de tout un peuple, ses premiers textes furent associés à la cause palestinienne, sans toujours y avoir été destinés. Sa poésie, adulée dans le monde arabe, chante l'exil, la guerre, la prison, l'amour. Mahmoud Darwich n'a jamais voulu être ni héros ni victime, seulement un homme, apatride, avec ses souffrances et ses joies simples. C'est sûrement cette volonté farouche de se démarquer de toute forme de militantisme qui donne une telle force à sa poésie. http://www.franceculture.fr/personne-mahmoud-darwich.html
Il a beaucoup écrit sur la guerre, et la douleur du déracinement. j'ai préféré cependant un poème qui parle de poésie, il est tiré du recueil « Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? / Limâdhâ tarakta al-hisân wahîdan», traduit de l'arabe (Palestine) par Elias Sanbar – paru chez Actes Sud en 1996.
DISPOSITIONS POÉTIQUES
Les étoiles n’avaient qu’un rôle : M’apprendre à lire J’ai une langue dans le ciel Et sur terre, j’ai une langue Qui suis-je ? Qui suis-je ?
Je ne veux pas répondre ici Une étoile pourrait tomber sur son image La forêt des châtaigniers, me porter de nuit Vers la voie lactée, et dire Tu vas demeurer là
Le poème est en haut, et il peut M’enseigner ce qu’il désire Ouvrir la fenêtre par exemple Gérer ma maison entre les légendes Et il peut m’épouser. Un temps
Et mon père est en bas Il porte un olivier vieux de mille ans Qui n’est ni d’Orient, ni d’Occident Il se reposer peut-être des conquérants Se penche légèrement sur moi Et me cueille des iris
Le poème s’éloigne Il pénètre un port de marins qui aiment le vin Ils ne reviennent jamais à une femme Et ne gardent regrets, ni nostalgie Pour quoi que ce soit
Je ne suis pas encore mort d’amour Mais une mère qui voit le regard de son fils Dans les œillets, craint qu’il ne blessent le vase Puis elle pleure pour conjurer l’accident Et me soustraire aux périls Que je vive, ici là
Le poème est dans l’entre-deux Et il peut, des seins d’une jeune fille, éclairer les nuits D’une pomme, éclairer deux corps Et par le cri d’un gardénia Restituer une patrie
Le poème est entre mes mains, et il peut Gérer les légendes par le travail manuel Mais j’ai égaré mon âme Lorsque j’ai trouvé le poème Et je lui ai demandé Qui suis-je ? Qui suis-je ?
Juliette2a Tenant of Hamley Hall
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Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Ven 11 Sep 2015 - 17:48
Merci pour ces très belles découvertes, Petit Faucon ! J'ai une préférence pour Le Chant de la forêt, même si Dispositions Poétiques est splendide
Petit Faucon Confiance en soie
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Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Ven 11 Sep 2015 - 17:52
Merci Juliette !
Voici enfin un poète français :
Saint-John Perse (1887-1975)
Prix Nobel de littérature en 1960
Wiki nous apprend ceci : né le 31 mai 1887 à Pointe-à-Pitre et mort le 20 septembre 1975 à Hyères, est un poète, écrivain et diplomate français. Il a toujours écrit de la poésie. Il est connu pour être difficile d’accès, et je l’ai abordé par le biais de la chanson (une nouvelle fois), par un chanteur très peu connu dont j’avais acheté le disque en ma jeunesse … Page wiki
L’extrait que je vous propose est tiré du très long poème intitulé Anabase :
Aux pays fréquentés sont les plus grands silences, aux pays fréquentés de criquets à midi. Je marche, vous marchez dans un pays de hautes pentes à mélisses, où l'on met à sécher la lessive des Grands. Nous enjambons la robe de la Reine, toute en dentelle avec deux bandes de couleur bise (ah ! que l'acide corps de femme sait tacher une robe à l'endroit de l'aisselle !) Nous enjambons la robe de Sa fille, toute en dentelle avec deux bandes de couleur vive (ah ! que la langue du lézard sait cueillir les fourmis à l'endroit de l'aisselle !) Et peut-être le jour ne s'écoule-t-il point qu'un même homme n'ait brûlé pour une femme et pour sa fille. Rire savant des morts, qu'on nous pèle ces fruits !… Eh quoi ! n'est-il plus grâce au monde sous la robe sauvage ? Il vient, de ce côté du monde, un grand mal violet sur les eaux. Le vent se lève. Vent de mer. Et la lessive repart ! comme un prêtre mis en pièces…
Il en existe une version chantée par un chanteur breton inconnu Mélaine Favennec, c'est comme ça que j'en suis venue à aimer ce poème te à lire SJ Perse, qui est parfois difficile ; vous pouvez l'écouter en entier si vous avez un accès sur Deezer
Juliette2a Tenant of Hamley Hall
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Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Ven 11 Sep 2015 - 18:20
Ah, Saint-John Perse ! Lui, je le connais de nom ! Merci pour ce très bel extrait ! Ça se voit que ce qu'il écrit est assez complexe, mais j'apprécie son style !
Merci Petit Faucon
Selenh Méchante Femme Savante
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Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Ven 11 Sep 2015 - 22:39
Merci, merci, chères fournisseuses de poésie !
Dérinoé Ready for a strike!
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Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Sam 12 Sep 2015 - 11:02
@ Petit Faucon:
Merci beaucoup pour ces deux nouveaux poèmes, Petit Faucon.
Citation :
Merci Dérinoé, le but de cette quinzaine est aussi de nous faire découvrir d'autres horizons I love you
Absolument, oui! Et pour ma part, grâce à vous, je vais de découverte en redécouverte depuis bientôt deux semaines.
Je commence à me répéter mais je dois avouer encore une fois que je n'avais jamais entendu parler de Mahmoud Darwich. Merci infiniment pour cette nouvelle plongée en poésie inconnue. Le titre du recueil que tu présentes, Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?, vaut le détour à lui tout seul.
Ce que je trouve saisissant, c'est qu'à l'instar du Chant de la Forêt de Bronislawa Wajs, ces Dispositions politiques entremêlent, aux images bucoliques de la nature, de l'enfance, de la poésie et de la langue, un sens politique aussi subtil que puissant. Dans le premier poème, les thèmes de la beauté et de la liberté portent tout naturellement, grâce à un glissement de sens sur le mot "pierre", vers l'opposition entre richesse et pauvreté, faim et satiété. Dans le second, ce sont quelques vers qui, aux innombrables vertus de la poésie, ajoutent encore la capacité de "restituer une patrie" ou d'interroger l'identité de l'auteur balloté.
J'aime l'idée de cette continuité entre intérieur et extérieur, privé et public, personnel et politiques. C'est un peu comme si chaque Homme, en son for caché, était un modèle réduit de tout ce qu'enceint le monde dans son entier, argent, patrie et guerres compris.
Et merci également pour l'extrait de Saint-John Perse, que j'ai étudié il y a quelques années déjà - notamment La Récitation à l'Eloge d'une Reine (in La Gloire des Rois, 1911) - et dont je n'ai jamais bien compris de quoi il parlait. Ce qui, à mes yeux du reste, n'est pas le moindre de ses charme.
Ysabelle Stardust Reveries
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Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Sam 12 Sep 2015 - 13:52
Dérinoé a écrit:
@ Ysabelle:
Merci beaucoup pour cette sélection de poèmes andalous, Ysabelle.
Je ne connaissais pas du tout cette tradition et j'ai beaucoup, beaucoup aimé les poèmes de Ibn Khafâdja et de Ibn Zaydûn.
Je trouve la chute du premier texte (sur les beautés de l'Andalousie) aussi mystérieuse qu'inattendue: ce qui étonne, c'est l'idée peu conventionnelle selon laquelle le paradis ne saurait s'évanouir devant les braises. Dans la tradition judéo-chrétienne court l'idée - aujourd'hui frappée au coeur même de notre culture laïque - que le feu incarnerait la passion des sentiments humains et, par extension, la folie et l'enfer, le paradis revêtant quant à lui l'apparence d'un jardin blanc, mousseux et éthéré tout à fait incompatible avec les soubresauts de nos palpitants. Mais au fond, sans savoir ce exactement ce que signifient ces deux derniers vers, je trouve qu'ils se passent de commentaire. (C'est ça, la poésie.)
Le second petit poème (sur les retrouvailles nocturnes des amants) est absolument magnifique. Comment peut-on dire tant de choses, comme peut-on descendre si profondément dans le coeur humain, tout en demeurant suspendu la surface de quelques simples mots?
Petite question. J'ai cru comprendre que tu lis toi-même ces poèmes dans la langue originale et, le cas échéant, je voulais te demander si la métrique ressemble à celle des Français - avec pieds, césures et rimes - ou plutôt à celle des Grecs anciens - avec l'alternance des positions longues et des positions brèves?
En tous les cas, un grand merci pour le poème de Walt Whitman et cette belle découverte de la tradition andalouse arabophone, trop peu connue dans nos contrées.
Contente d'avoir contribué à cette aventure et je te remercie beaucoup pour cette initiative. Ça m'a fait un énorme plaisir. Je découvre et dégusté de la belle poésie grâce à vos riches et diverses propositions. Concernant ta question sur la métrique dans la poésie arabe. Oui il en existe et elle est assez complexe et variée. Elle tire ses racines de la période d'El Djahilia (paganisme). Une période connue pour les célèbres mouallaquats, attribuées souvent à un groupe de bandits. En réalité des marginaux. Elle s' est enrichie des métriques grecque et latine. On en compte 16 modèles. Al Khalil est le premier à avoir fait une étude complète et ses écrits restent la source pour de nombreux chercheurs. Elle se compose de séquences de syllabes brèves et longues, adjointe à chaque vers. ______________ Petit Faucon. Je suis vraiment enchantée par ta sélection de poèmes. Pour Mahmoud Darwich il ne m'est pas inconnu, au contraire, j'en suis une grande admiratrice. Je l'ai écouté déclamer sa poésie et j'ai pu également l'apprécier mise en musique et chantée par de grands chanteurs arabes. Je suis ravie que tu partages cette admiration. Le poème que tu as choisi et magnifique! Bronislawa Wajs est totalement inconnu pour moi. Le chant de la forêt à trouvé un grand écho dans mon coeur. Je l'adore. Ça me donne envie donc de mieux connaître ce poète. Pour Saint Jean Perse et son éloge. Tout comme Dérinoé, je connais mais j'ai complètement perdu de vue. Merci de l'avoir fait remonter à la surface de mes souvenirs. Il est complexe et ne manque pas de charme,à l'instar de ces poèmes qu'on peut lire de différentes manières, sans être jamais sûrs, d'en avoir saisi le vrai sens. La chanson, en revanche, je ne la connais pas. Je m'en vais chercher si un extrait existe.
Rosalind Ice and Fire Wanderer
Nombre de messages : 17039 Age : 74 Localisation : entre Rohan et Ruatha ... Date d'inscription : 17/04/2008
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Dim 13 Sep 2015 - 14:04
Bonjour à toutes Absente depuis début septembre je découvre aujourd’hui tous les poèmes que vous nous faites partager. J’aime beaucoup celui de Kiki Demoulà.
Dérinoé a écrit:
Pour ce troisième jour, j'aimerais vous présenter un texte de la poétesse grecque Kikí Dimoulá
Spoiler:
La Pierre périphrase
Dis quelque chose, n'importe quoi. Mais ne reste pas là comme une absence en acier. Choisis ne serait-ce qu'un mot, qui te liera plus étroitement à l'indéfini. Dis: "en vain", "arbre", "nu". Dis: "on verra", "impondérable", "poids". Il y a tant de mots qui rêvent d'une vie brève, sans liens, avec ta voix.
Parle. Nous avons tant de mer devant nous. Là où nous finissons la mer commence. Dis quelque chose. Dis "vague", qui ne tient pas debout. Dis "barque" qui coule quand trop chargée d'intentions. Dis "instant", qui crie à l'aide car il se noie, ne le sauve pas, dis "rien entendu".
Parle. Les mots se détestent les uns les autres, ils se font concurrence: quand l'un d'entre eux t'enferme, un autre te libère. Tire un mort hors de la nuit au hasard. Une nuit entière au hasard. Ne dis pas "entière", dis "infime", qui te laisse fuir. Infime sensation tristesse entière qui m'appartient. Nuit entière.
Parle. Dis "étoile", qui s'éteint. Un mot ne réduit pas le silence. Dis "pierre", mot incassable. Comme ça, simplement pour mettre un titre à cette balade en bord de mer.[/color]
Kikí Dimoulá, La Pierre périphrase in Le Peu du monde, traduit du grec par Michel Volkovitch, Gallimard, 2010.
Je suis touchée par la structure informelle, moi qui ai abordé la poésie avec les alexandrins, par cette invitation à parler et surtout par son amour évident des mots que l’on savoure comme une friandise. La traduction doit être excellente pour nous faire ressentir aussi bien ces émotions.
Je retourne quelques pages en arrière pour continuer mes découvertes.
Rosalind Ice and Fire Wanderer
Nombre de messages : 17039 Age : 74 Localisation : entre Rohan et Ruatha ... Date d'inscription : 17/04/2008
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Dim 13 Sep 2015 - 17:13
Je viens de lire les poèmes proposés par Léti. J’ai toujours aimé Prévert et l’ai souvent proposé à mes petits élèves, les enfants adorent c’est frais, tendre et poétique à la fois.
Léti a écrit:
Et on va commencer par un connu depuis l'enfance, un de ceux qu'on apprend souvent à l'école : il s'agit de M. Prévert. Pourquoi est-ce que j’ai aimé et aime lire Prévert ? C’est assez simple: il est accessible à tous âges, drôle la plupart du temps, cynique parfois, émouvant souvent. Et moi, j’aime les génies accessibles et qui ont une grande palette d’émotions.
Et en plus de tout le reste, il a fait Le Roi et l'Oiseau, avec (entre autres) ce petit passage :
Au mois de mai, La vie est une cerise La mort est un noyau L’amour, un cerisier
Le Roi et l’oiseau est une réussite, et offre en prime un beau message d’espoir. Je ne me rappelais pas de ce passage, c’est la berceuse que l’oiseau chante à ses petits ?
Dans un tout autre genre, Barbara est bouleversant, et la musique de Kosma ajoute encore à l’émotion. J’en ai le cœur serré à chaque fois.
Dérinoé a écrit:
L'idée est née de ce que, pour ma part, je tends à poster sur ce fil en ne proposant que très peu de commentaires propres, livrant bien souvent le poème de manière brute et nue. Or, je me suis souvent demandée si les passants comprenaient le texte comme moi-même je l'avais compris ou si, au contraire, leur interprétation était toute autre. J'avais envie d'échanger autour de la poésie, d'apprendre à connaître les goûts (et les dégoûts), la sensibilité, l'univers tout musical d'autres Lambtoniens.
Aujourd'hui, je suis ravie d'une part de découvrir toutes vos réactions aux textes proposés et, d'autre part, de me plonger dans des poèmes inconnus - ou presque - et très différents de ceux que je lis habituellement par moi-même.
Tu as eu une riche idée C’est vrai que chacun postait son petit (ou souvent trrrrès long) poème et qu’il n’y avait pas d’échanges. Or c’est quand même ce qui est le plus intéressant
Léti Cat in a Magic Wood
Nombre de messages : 2015 Age : 42 Localisation : Sous le camphrier Date d'inscription : 09/10/2014
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Dim 13 Sep 2015 - 18:25
Absente ce week-end, je découvre d'un coup tes trois poèmes, Petit Faucon. J'aime énormément le chant des forêts, je le trouve magnifique. Merci du partage
Rosalind : j'avoue que tu me poses un peu une colle, là Faudrait que je le revoie. En attendant, voici la chanson en question au complet :
Spoiler:
Rosalind Ice and Fire Wanderer
Nombre de messages : 17039 Age : 74 Localisation : entre Rohan et Ruatha ... Date d'inscription : 17/04/2008
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Dim 13 Sep 2015 - 19:03
Merci Nat2A pour les poèmes que tu as postés, encore de belles découvertes.
J’ai été très touchée par La berceuse de l’oignonNana de la cebolla, à cause du thème et du contexte bien sûr, et c’est très intéressant d’avoir le texte original à côté.
Merci aussi Leti pour la chanson. Ce ne serait donc pas la berceuse chantée par l’oiseau à ses petits (d’ailleurs de mémoire il chante très mal !) mais celle de la boîte à musique.
Léti Cat in a Magic Wood
Nombre de messages : 2015 Age : 42 Localisation : Sous le camphrier Date d'inscription : 09/10/2014
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Dim 13 Sep 2015 - 20:27
Non, Rosalind, la berceuse chantée par l'oiseau n'a pas d'intérêt littéraire particulier (me semble-t-il) :
Merci à vous toutes, je suis très contente d'avoir apporté ma petite contribution à cette quinzaine
@ Ysabelle : je savais que tu connaissais Mahmoud Drawich, je suis certaine aussi que sa poésie perd à la traduction ... je pensais que tu allais le proposer, alors j'avais prévu une "roue de secours" que je n'ai finalement pas utilisée
Pour Prévert et SJ Perse, que j'ai rencontré aussi à l'école, je les apprécie différemment avec les années. Il faut toujours relire les auteurs lus jeune (trop jeune ?) car souvent on revient sur sa mauvaise impression ...
@ Léti merci pour Le roi et l'oiseau vu et revu il y a des années : je l'avais en K7 video pour les enfants, mais je n'ai plus de lecteur de puis longtemps ...
Dérinoé Ready for a strike!
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Contente d'avoir contribué à cette aventure et je te remercie beaucoup pour cette initiative. Ça m'a fait un énorme plaisir. Je découvre et dégusté de la belle poésie grâce à vos riches et diverses propositions.
Encore une fois, c'est à vous que revient tout le mérite d'avoir nourri et animé les échanges avec une telle diversité de goûts, de sensibilités et de sentiments. Merci à tous, encore une fois, pour ces très beaux poèmes et ces discussions passionnantes.
Citation :
Concernant ta question sur la métrique dans la poésie arabe. Oui il en existe et elle est assez complexe et variée. Elle tire ses racines de la période d'El Djahilia (paganisme). Une période connue pour les célèbres mouallaquats, attribuées souvent à un groupe de bandits. En réalité des marginaux. Elle s' est enrichie des métriques grecque et latine. On en compte 16 modèles. Al Khalil est le premier à avoir fait une étude complète et ses écrits restent la source pour de nombreux chercheurs. Elle se compose de séquences de syllabes brèves et longues, adjointe à chaque vers.
Merci infiniment pour ton explication. Seize modèles de métrique? C'est extraordinaire. Il me semble, en te lisant, que la base commune à ces différents modèle ressemble plus à celle des Grecs - notamment eu égard aux positions longues et aux positions brèves - qu'à celle des Français. Lus à haute voix, en langue originale, les poèmes andalous que tu as proposés doivent être absolument magnifiques, même pour qui ne comprend pas un mot d'arabe.
@ Rosalind:
Citation :
Absente depuis début septembre je découvre aujourd’hui tous les poèmes que vous nous faites partager.
Bon retour parmi nous, Rosalind, et merci d'avoir pris le temps de remonter le fil pour nous faire part de ton avis sur les poèmes déjà présentés.
Citation :
J’aime beaucoup celui de Kiki Demoulà.
Je m'en réjouis d'autant plus qu'elle n'est pas encore très connue en Francophonie. Il semble, en tous cas, qu'elle ait remporté un beau succès auprès des participants de la Quinzaine.
Je suis touchée par la structure informelle, moi qui ai abordé la poésie avec les alexandrins, par cette invitation à parler et surtout par son amour évident des mots que l’on savoure comme une friandise.
Oui, je crois que Petit Faucon avait fait part d'un sentiment très semblable au tien, notamment sur le plaisir du vers libre.
Citation :
La traduction doit être excellente pour nous faire ressentir aussi bien ces émotions.
Très certainement! Michel Volkovitch, son traducteur attitré en France, est paradoxalement Professeur d'anglais depuis une quarantaine d'années et a publié à ce jour des dizaines de prosateurs et de poètes grecs, notamment pour la Collection Gallimard.
Entre autres distinctions, il a obtenu en 2009 la Bourse de Traduction du Prix Européen de Littérature. En cliquant ici, vous pourrez lire le très beau discours de réception qu'il a prononcé à Strasbourg lors de la remise du Prix et où il parle, avec humour, poésie et humilité, de son rapport à la langue grecque en général, et à la versification en particulier. Ses réflexions constituent elles-mêmes une forme de manifeste poétique.
Je me permets de reproduire ici un passage où il décrit son rapport aux textes de Kiki Dumoula:
Michel Volkovitch a écrit:
La traduction de la poésie ? C’est le sommet de la montagne ; c’est là que la langue est le plus concentrée, et les problèmes aussi. Traduire la poésie, c’est difficile en effet. La parole poétique nous illumine de ses images, mais en même temps, bien souvent, nous livre des messages bien obscurs. Même si la poésie grecque n’est pas terriblement hermétique, il m’arrive souvent de ne pas comprendre ce que je traduis. Le poète n’est pas toujours vivant, et quand il l’est ses gloses parfois sont plus obscures encore que le texte. Mais pas de panique ! Ne pas comprendre, c’est une habitude à prendre. Et je ne suis pas seul ! Pour traduire le grand Dimìtris Papadìtsas, mort au moment où je m’apprêtais à m’occuper de lui, j’ai interrogé les deux personnes qui connaissaient le mieux son œuvre : elles étaient presque aussi perdues que moi. C’est alors que j’ai compris : le traducteur de poésie joue d’une certaine impunité, il peut faire à peu près n’importe quoi sans qu’on ose le reprendre. C’est un réconfort certain.
Sur l’échelle de Richter de la difficulté, je place Dimoula très haut, avec sa pensée subtile, ses formulations elliptiques, sa syntaxe acrobatique, les variations du niveau de langue et ses jeux avec les mots.
J’avais fait une première tentative en 1995. Ma relecture, quinze ans plus tard, a été un moment pénible. Verdict : peut mieux faire. J’avais été timide, académique. Il a fallu tout reprendre avec plus d’audace.
Ai-je vraiment progressé ? Je pense plutôt qu’entretemps la langue française s’est encore assouplie, enrichie, grâce au brassage des langues. On ne peut naturellement pas faire n’importe quoi, mais je crois que les langues ont intérêt à accueillir davantage l’étranger — à piquer aux langues voisines, avec modération et discernement, ce qu’elles ont de meilleur.
Tout dépend évidemment du texte à traduire. Mon auteur écrit sagement ? Ma traduction doit rester sage. Mon auteur brusque sa langue ? Je me dois de brusquer la mienne.
Mon corps-à-corps de traducteur avec les poèmes de Dimoula, je le raconte dans un texte qui suit les poèmes de Mon dernier corps.
Michel Volkovitch, Discours de réception de la Bourse de Traduction du Prix européen de la Littérature 2009, prononcé le 13 mars 2010 au Palais du Rhin, à Strasbourg, consultable dans son intégralité ici.
Citation :
Tu as eu une riche idée C’est vrai que chacun postait son petit (ou souvent trrrrès long) poème et qu’il n’y avait pas d’échanges. Or c’est quand même ce qui est le plus intéressant Very Happy
Merci beaucoup! Oui, il est vrai qu'en matière de mots, il n'y a rien de plus intéressant que de connaître l'avis et les sentiments d'autres lecteurs, et ce d'autant plus que la poésie présente souvent un degré d'ambiguïté et de plurivocité beaucoup plus élevé que la prose elle-même. Il est étonnant de découvrir que là où l'on perçoit un plaidoyer pour la résistance politique, un autre trouve, lui, une évocation de l'absurdité de la vie, que là où s'impose à nous une complainte amoureuse, le suivant est happé par une réflexion sur les cycles invariables de la nature. C'est assez troublant, et même temps excessivement commun, de constater que, placés côte à côte devant une même image, nous voyons des motifs totalement différents.
Je me réjouis beaucoup de découvrir le ou les poème(s) que tu auras choisi(s), Rosalind.
À te lire donc.
Petit Faucon Confiance en soie
Nombre de messages : 12005 Age : 59 Date d'inscription : 26/12/2011
Ysabelle merci pour l’extrait de Walt Whitman. Cela fait un bout de temps que j’avais l’intention de lire ce poète, mais je ne l’avais pas encore fait, malgré la sollicitation de Marylin sur la magnifique bannière du forum !
Le poème que tu as proposé "Poets to come" est très beau, mais curieusement il m’a moins touchée que les poèmes andalous. L’échange entre les deux amants est magnifique, et en peu de mots dit l’essentiel.
Petit Faucon le Chant de la forêt de Papusza est une belle découverte. Merci pour le lien, je vais aller lire cet article.
Je fonctionne beaucoup par associations d’idées et d’images, et en lisant ce poème j’ai pensé à un portrait d’enfant. Je ne sais pas pourquoi, car le portrait est d’un peintre anglais (George Clausen 1852-1944) et ne représente sans doute pas une fillette tsigane. Mais je vous le mets quand même sous spoiler.
Spoiler:
C’est à mon tour de continuer cette quinzaine de la poésie, et le choix a été difficile, lesquels partager avec vous ?
Je commence avec un poète qui m’a toujours fascinée Blaise Cendrars, un écrivain-poète-baroudeur à qui je dois ouvrir un topic depuis des années … en attendant voici un petit aperçu, merci wiki
Spoiler:
Blaise Cendrars, de son vrai nom Frédéric Louis Sauser, est un écrivain français d'origine suisse3, né le 1er septembre 1887 à La Chaux-de-Fonds, dans le canton de Neuchâtel (Suisse). Il est mort à Paris le 21 janvier 1961. Dès l'âge de 17 ans, il quitte la Suisse pour un long séjour en Russie puis, en 1911, il se rend à New York où il écrit son premier poème Les Pâques (qui deviendra Les Pâques à New York en 1919). Il le publie à Paris en 1912 sous le pseudonyme de Blaise Cendrars, qui fait allusion aux braises et aux cendres permettant la renaissance cyclique du phénix. En 1913, il fait paraître son poème le plus célèbre, La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France. Dès le début de la guerre de 1914-1918 il s'engage comme volontaire étranger dans l'armée française avant d'être versé dans la Légion étrangère. Parmi ses compagnons d'armes de la Légion figure notamment Eugene Jacques Bullard, premier pilote noir des Forces Alliées à partir de 1917. Gravement blessé le 28 septembre 1915, Cendrars est amputé du bras droit. Il écrit sur cette expérience, de la main gauche, son premier récit en prose : une première version de La Main coupée. Le 16 février 1916, il est naturalisé français. Écrivant désormais de la main gauche, il travaille dans l'édition et délaisse un temps la littérature pour le cinéma, mais sans succès. Lassé des milieux littéraires parisiens, il voyage au Brésil à partir de 1924. En 1925, il s'oriente vers le roman avec L'Or, où il retrace le dramatique destin de Johann August Sutter, millionnaire d'origine suisse ruiné par la découverte de l'or sur ses terres en Californie. Ce succès mondial va faire de lui, durant les années 1920, un romancier de l'aventure, que confirme Moravagine en 1926. Dans les années 1930, il devient grand reporter. Correspondant de guerre dans l'armée anglaise en 1939, il quitte Paris après la débâcle et s'installe à Aix-en-Provence puis, à partir de 1948, à Villefranche-sur-Mer. Après trois années de silence, il commence en 1943 à écrire ses Mémoires : L'Homme foudroyé (1945), La Main coupée (1946), Bourlinguer (1948) et Le Lotissement du ciel (1949). De retour à Paris en 1950, il collabore fréquemment à la Radiodiffusion française. Victime d'une congestion cérébrale le 21 juillet 1956, il est mort des suites d'une seconde attaque le 21 janvier 1961. L'œuvre de Blaise Cendrars, poésie, romans, reportages et mémoires, est placée sous le signe du voyage, de l'aventure, de la découverte et de l'exaltation du monde moderne où l'imaginaire se mêle au réel de façon inextricable. Le fonds d'archives de Blaise Cendrars se trouve aux Archives littéraires suisses à Berne.
Voici un poème qui m'a profondément marquée, et que j’ai écouté en boucle quand j’étais adolescente, sur un 33 tours bien rayé à force d’être passé et repassé sur un vieil électrophone. Il s’agit de La prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, récit sous forme de ballade d'un voyage en train à travers la Russie.
Le leitmotiv lancinant En ce temps-là j'étais en mon adolescence / J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance... et Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre ? fait écho au roulement du train Le train tonne sur les plaques tournantes Le train roule Un gramophone grasseye une marche tzigane Et le monde, comme l'horloge du quartier juif de Prague, tourne éperdument à rebours.
Le poème est très long, je vous préviens ! si vous n'avez pas envie de tout lire, vous pouvez aussi l'écouter, j'ai trouvé sur Youtube la version que j'écoutais en boucle autrefois et qui me remue toujours autant
Spoiler:
En ce temps-là, j'étais en mon adolescence J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance J'étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance J'étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares Et je n'avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours Car mon adolescence était si ardente et si folle Que mon cœur tour à tour brûlait comme le temple d'Ephèse ou comme la Place Rouge de Moscou quand le soleil se couche. Et mes yeux éclairaient des voies anciennes. Et j'étais déjà si mauvais poète Que je ne savais pas aller jusqu'au bout.
Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare croustillé d'or, Avec les grandes amandes des cathédrales, toutes blanches Et l'or mielleux des cloches... Un vieux moine me lisait la légende de Novgorod J'avais soif Et je déchiffrais des caractères cunéiformes Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s'envolaient sur la place Et mes mains s'envolaient aussi avec des bruissements d'albatros Et ceci, c'était les dernières réminiscences Du dernier jour Du tout dernier voyage Et de la mer.
Pourtant, j'étais fort mauvais poète. Je ne savais pas aller jusqu'au bout. J'avais faim Et tous les jours et toutes les femmes dans les cafés et tous les verres J'aurais voulu les boire et les casser Et toutes les vitrines et toutes les rues Et toutes les maisons et toutes les vies Et toutes les roues des fiacres qui tournaient en tourbillon sur les mauvais pavés J'aurais voulu les plonger dans une fournaise de glaive Et j'aurais voulu broyer tous les os Et arracher toutes les langues Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui m'affolent... Je pressentais la venue du grand Christ rouge de la révolution russe... Et le soleil était une mauvaise plaie Qui s'ouvrait comme un brasier En ce temps-là j'étais en mon adolescence J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de ma naissance J'étais à Moscou où je voulais me nourrir de flammes Et je n'avais pas assez des tours et des gares que constellaient mes yeux En Sibérie tonnait le canon, c'était la guerre La faim le froid la peste et le choléra Et les eaux limoneuses de l'Amour charriaient des millions de charognes Dans toutes les gares je voyais partir tous les derniers trains Personne ne pouvait plus partir car on ne délivrait plus de billets Et les soldats qui s'en allaient auraient bien voulu rester... Un vieux moine me chantait la légende de Novgorod.
Moi, le mauvais poète, qui ne voulais aller nulle part, je pouvais aller partout Et aussi les marchands avaient encore assez d'argent pour tenter aller faire fortune. Leur train partait tous les vendredis matins. On disait qu'il y avait beaucoup de morts. L'un emportait cent caisses de réveils et de coucous de la forêt noire Un autre, des boites à chapeaux, des cylindres et un assortiment de tire-bouchons de Sheffield Un des autres, des cercueils de Malmoë remplis de boites de conserve et de sardines à l'huile Puis il y avait beaucoup de femmes Des femmes, des entrejambes à louer qui pouvaient aussi servir Des cercueils Elles étaient toutes patentées On disait qu'il y a avait beaucoup de morts là-bas Elles voyageaient à prix réduits Et avaient toutes un compte courant à la banque.
Or, un vendredi matin, ce fut enfin mon tour On était en décembre Et je partis moi aussi pour accompagner le voyageur en bijouterie qui se rendait à Kharbine Nous avions deux coupés dans l'express et 34 coffres de joailleries de Pforzheim De la camelote allemande "Made in Germany" Il m'avait habillé de neuf et en montant dans le train j'avais perdu un bouton - Je m'en souviens, je m'en souviens, j'y ai souvent pensé depuis - Je couchais sur les coffres et j'étais tout heureux de pouvoir jouer avec le browning nickelé qu'il m'avait aussi donné
J'étais très heureux, insouciant Je croyais jouer au brigand Nous avions volé le trésor de Golconde Et nous allions, grâce au Transsibérien, le cacher de l'autre côté du monde Je devais le défendre contre les voleurs de l'Oural qui avaient attaqué les saltimbanques de Jules Verne Contre les khoungouzes, les boxers de la Chine Et les enragés petits mongols du Grand-Lama Ali baba et les quarante voleurs Et les fidèles du terrible Vieux de la montagne Et surtout contre les plus modernes Les rats d'hôtels Et les spécialistes des express internationaux.
Et pourtant, et pourtant J'étais triste comme un enfant Les rythmes du train La "moelle chemin-de-fer" des psychiatres américains Le bruit des portes des voix des essieux grinçant sur les rails congelés Le ferlin d'or de mon avenir Mon browning le piano et les jurons des joueurs de cartes dans le compartiment d'à côté L'épatante présence de Jeanne L'homme aux lunettes bleues qui se promenait nerveusement dans le couloir et me regardait en passant Froissis de femmes Et le sifflement de la vapeur Et le bruit éternel des roues en folie dans les ornières du ciel Les vitres sont givrées Pas de nature ! Et derrière, les plaines sibériennes le ciel bas et les grands ombres des taciturnes qui montent et qui descendent Je suis couché dans un plaid Bariolé Comme ma vie Et ma vie ne me tient pas plus chaud que ce châle écossais Et l'Europe toute entière aperçue au coupe-vent d'un express à toute vapeur N'est pas plus riche que ma vie Ma pauvre vie Ce châle Effiloché sur des coffres remplis d'or Avec lesquels je roule Que je rêve Que je fume Et la seule flamme de l'univers Est une pauvre pensée...
Du fond de mon cœur des larmes me viennent Si je pense, Amour, à ma maîtresse ; Elle n'est qu'une enfant que je trouvai ainsi Pâle, immaculée au fond d'un bordel.
Ce n'est qu'une enfant, blonde rieuse et triste. Elle ne sourit pas et ne pleure jamais ; Mais au fond de ses yeux, quand elle vous y laisse boire Tremble un doux Lys d'argent, la fleur du poète.
Elle est douce et muette, sans aucun reproche, Avec un long tressaillement à votre approche ; Mais quand moi je lui viens, de ci, de là, de fête, Elle fait un pas, puis ferme les yeux - et fait un pas. Car elle est mon amour et les autres femmes N'ont que des robes d'or sur de grands corps de flammes, Ma pauvre amie est si esseulée, Elle est toute nue, n'a pas de corps - elle est trop pauvre.
Elle n'est qu'une fleur candide, fluette, La fleur du poète, un pauvre lys d'argent, Tout froid, tout seul, et déjà si fané‚ Que les larmes me viennent si je pense à son cœur. Et cette nuit est pareille à cent mille autres quand un train file dans la nuit - Les comètes tombent - Et que l'homme et la femme, même jeunes, s'amusent à faire l'amour.
Le ciel est comme la tente déchirée d'un cirque pauvre dans un petit village de pêcheurs En Flandres Le soleil est un fumeux quinquet Et tout au haut d'un trapèze une femme fait la lune. La clarinette le piston une flûte aigre et un mauvais tambour Et voici mon berceau Mon berceau Il était toujours près du piano quand ma mère comme madame Bovary jouait les sonates de Beethoven J'ai passé mon enfance dans les jardins suspendus de Babylone Et l'école buissonnière dans les gares, devant les trains en partance Maintenant, j'ai fait courir tous les trains derrière moi Bâle-Tombouctou J'ai aussi joué aux courses à Auteuil et à Longchamp Paris New York Maintenant j'ai fait courir tous les trains tout le long de ma vie Madrid-Stokholm Et j'ai perdu tous mes paris Il n'y a plus que la Patagonie, la Patagonie qui convienne à mon immense tristesse, la Patagonie, et un voyage dans les mers du Sud Je suis en route J'ai toujours été en route Le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues Le train retombe sur ses roues Le train retombe toujours sur toutes ses roues
"Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre ?"
Nous sommes loin, Jeanne, tu roules depuis sept jours Tu es loin de Montmartre, de la Butte qui t'a nourrie, du Sacré Cœur contre lequel tu t'es blottie Paris a disparu et son énorme flambée Il n'y a plus que les cendres continues La pluie qui tombe La tourbe qui se gonfle La Sibérie qui tourne Les lourdes nappes de neige qui remontent Et le grelot de la folie qui grelotte comme un dernier désir dans l'air bleui Le train palpite au cœur des horizons plombés Et ton chagrin ricane...
"Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?"
Les inquiétudes Oublie les inquiétudes Toutes les gares lézardées obliques sur la route Les files télégraphiques auxquelles elles pendent Les poteaux grimaçant qui gesticulent et les étranglent Le monde s'étire s'allonge et se retire comme un accordéon qu'une main sadique tourmente Dans les déchirures du ciel les locomotives en folie s'enfuient Et dans les trous Les roues vertigineuses les bouches les voies Et les chiens du malheur qui aboient à nos trousses Les démons sont déchaînés Ferrailles Tout est un faux accord Le broun-roun-roun des roues Chocs Rebondissements Nous sommes un orage sous le crâne d'un sourd...
"Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?"
Mais oui, tu m'énerves, tu le sais bien, nous sommes bien loin La folie surchauffée beugle dans la locomotive Le peste le choléra se lèvent comme des braises ardentes sur notre route Nous disparaissons dans la guerre en plein dans un tunnel La faim, la putain, se cramponnent aux nuages en débandade et fiente des batailles en tas puants de morts Fais comme elle, fais ton métier...
"Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?"
Oui, nous le sommes, nous le sommes Tous les boucs émissaires ont crevé dans ce désert Entends les sonnailles de ce troupeau galeux Tomsk Tcheliabinsk Kainsk Obi Taïchet Verkné Oudinsk Kourgane Samara Pensa-Touloune La mort en Mandchourie Est notre débarcadère est notre dernier repaire Ce voyage est terrible Hier matin Ivan Oullitch avait les cheveux blancs Et Kolia Nicolaï Ivanovovich se ronge les doigts depuis quinze jours... Fais comme elles la Mort la Famine fais ton métier Ca coûte cent sous, en transsibérien ça coûte cent roubles En fièvre les banquettes et rougeoie sous la table Le diable est au piano Ses doigts noueux excitent toutes les femmes La Nature Les Gouges Fais ton métier Jusqu'à Kharbine...
"Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?"
Non mais... fiche-moi la paix... laisse-moi tranquille Tu as les anches angulaires Ton ventre est aigre et tu as la chaude-pisse C'est tout ce que Paris a mis dans ton giron C'est aussi un peu d'âme... car tu es malheureuse J'ai pitié j'ai pitié viens vers moi sur mon cœur Les roues sont les moulins à vent d'un pays de Cocagne Et les moulins à vent sont les béquilles qu'un mendiant fait tournoyer Nous sommes les culs-de-jatte de l'espace Nous roulons sur nos quatre plaies On nous a rogné les ailes Les ailes de nos sept péchés Et tous les trains sont les bilboquets du diable Basse-cour Le monde moderne La vitesse n'y peut mais Le monde moderne Les lointains sont par trop loin Et au bout du voyage c'est terrible d'être un homme avec une femme...
"Blaise, dis, sommes nous bien loin de Montmartre ?"
J'ai pitié, j'ai pitié, viens vers moi je vais te conter une histoire Viens dans mon lit Viens sur mon cœur Je vais te conter une histoire...
Oh viens ! viens !
Au Fidji règne l'éternel printemps La paresse L'amour pâme les couples dans l'herbe haute et la chaude syphilis rôde sous les bananiers Viens dans les îles perdues du Pacifique ! Elles ont nom du Phénix, des Marquises Bornéo et Java Et Célèbes à la forme d'un chat.
Nous ne pouvons pas aller au Japon Viens au Mexique Sur les hauts plateaux les tulipiers fleurissent Les lianes tentaculaires sont la chevelure du soleil On dirait la palette et le pinceau d'un peintre Des couleurs étourdissantes comme des gongs, Rousseau y a été Il y a ébloui sa vie C'est la pays des oiseaux L'oiseau du paradis, l'oiseau-lyre Le toucan, l'oiseau moqueur Et le colibri niche au cœur des lys noirs Viens ! Nous nous aimerons dans les ruines majestueuses d'un temple aztèque Tu seras mon idole Une idole bariolée enfantine un peu laide et bizarrement étrange Oh viens !
Si tu veux, nous irons en aéroplane et nous survolerons le pays des mille lacs, Les nuits y sont démesurément longues L'ancêtre préhistorique aura peur de mon moteur J'atterrirai Et je construirai un hangar pour mon avion avec les os fossiles de mammouth Le feu primitif réchauffera notre pauvre amour Samowar Et nous nous aimerons bien bourgeoisement près du pôle Oh viens !
Elle dort Et de toutes les heures du monde elle n'en pas gobé une seule Tous les visages entrevus dans les gares Toutes les horloges L'heure de Paris l'heure de Berlin l'heure de Saint-Pétersbourg et l'heure de toutes les gares Et à Oufa le visage ensanglanté du canonnier Et le cadrant bêtement lumineux de Grodno Et l'avance perpétuelle du train Tous les matins on met les montres à l'heure Le train avance et le soleil retarde Rien n'y fait, j'entends les cloches sonores Le gros bourdon de Notre-Dame La cloche aigrelette du Louvre qui sonna la Saint-Barthélémy Les carillons rouillés de Bruges-La-Morte Les sonneries électriques de la bibliothèque de New-York Les campagnes de Venise Et les cloches de Moscou, l'horloge de la Porte-Rouge qui me comptait les heures quand j'étais dans un bureau Et mes souvenirs Le train tonne sur les plaques tournantes Le train roule Un gramophone grasseye une marche tzigane Et le monde comme l'horloge du quartier juif de Prague tourne éperdument à rebours.
Effeuille la rose des vents Voici que bruissent les orages déchaînés Les trains roulent en tourbillon sur les réseaux enchevêtrés Bilboquets diaboliques Il y a des trains qui ne se rencontrent jamais D'autres se perdent en route Les chefs-de gare jouent aux échecs Tric-Trac Billard Caramboles Paraboles La voie ferrée est une nouvelle géométrie Syracuse Archimède Et les soldats qui l'égorgèrent Et les galères Et les vaisseaux Et les engins prodigieux qu'il inventa Et toutes les tueries L'histoire antique L'histoire moderne Les tourbillons Les naufrages Même celui du Titanic que j'ai lu dans un journal Autant d'images-associations que je ne peux pas développer dans mes vers Car je suis encore fort mauvais poète Car l'univers me déborde Car j'ai négligé de m'assurer contre les accidents de chemins de fer Car je ne sais pas aller jusqu'au bout Et j'ai peur.
J'ai peur Je ne sais pas aller jusqu'au bout Comme mon ami Chagall je pourrais faire une série de tableaux déments Mais je n'ai pas pris de notes en voyage Pardonnez-moi mon ignorance Pardonnez-moi de ne plus connaître l'ancien jeu des vers comme dit Guillaume Apollinaire Tout ce qui concerne la guerre on peut le lire dans les mémoires de Kouropatkine Ou dans les journaux japonais qui sont aussi cruellement illustrés A quoi bon me documenter Je m'abandonne aux sursauts de ma mémoire...
A partir d'Irkoutsk le voyage devint beaucoup trop lent Beaucoup trop long Nous étions dans le premier train qui contournait le lac Baïkal On avait orné la locomotive de drapeaux et de lampions Et nous avions quitté la gare aux accents tristes de l'hymne au Tzar. Si j'étais peintre, je déverserais beaucoup de rouge, beaucoup de jaune sur la fin de ce voyage Car je crois bien que nous étions tous un peu fous Et qu'un délire immense ensanglantait les faces énervées de mes compagnons de voyage Comme nous approchions de la Mongolie Qui ronflait comme un incendie. Le train avait ralenti son allure Et je percevais dans le grincement perpétuel des roues Les accents fous et les sanglots D'une éternelle liturgie
J'ai vu J'ai vu les train silencieux les trains noirs qui revenaient de l'Extrême-Orient et qui passaient en fantôme Et mon oeil, comme le fanal d'arrière, court encore derrière ses trains A Talga 100 000 blessés agonisaient faute de soins J'ai visité les hôpitaux de Krasnoïarsk Et à Khilok nous avons croisé un long convoi de soldats fous J'ai vu dans les lazarets les plaies béantes les blessures qui saignaient à pleines orgues Et les membres amputés dansaient autour ou s'envolaient dans l'air rauque L'incendie était sur toutes les faces dans tous les cœurs Des doigts idiots tambourinaient sur toutes les vitres Et sous la pression de la peur les regards crevaient comme des abcès Dans toutes les gares on brûlait tous les wagons Et j'ai vu J'ai vu des trains de soixante locomotives qui s'enfuyaient à toute vapeur pourchassés par les horizons en rut et des bandes de corbeaux qui s'envolaient désespérément après Disparaître Dans la direction de Port-Arthur.
A Tchita nous eûmes quelques jours de répit Arrêt de cinq jours vu l'encombrement de la voie Nous les passâmes chez Monsieur Iankéléwitch qui voulait me donner sa fille unique en mariage Puis le train repartit. Maintenant c'était moi qui avais pris place au piano et j'avais mal aux dents Je revois quand je veux cet intérieur si calme le magasin du père et les yeux de la fille qui venait le soir dans mon lit Moussorgsky Et les lieder de Hugo Wolf Et les sables du Gobi Et à Khaïlar une caravane de chameaux blancs Je crois bien que j'étais ivre durant plus de 500 kilomètres Mais j'étais au piano et c'est tout ce que je vis Quand on voyage on devrait fermer les yeux Dormir j'aurais tant voulu dormir Je reconnais tous les pays les yeux fermés à leur odeur Et je reconnais tous les trains au bruit qu'ils font Les trains d'Europe sont à quatre temps tandis que ceux d'Asie sont à cinq ou sept temps D'autres vont en sourdine sont des berceuses Et il y en a qui dans le bruit monotone des roues me rappellent la prose lourde de Maeterlink J'ai déchiffré tous les textes confus des roues et j'ai rassemblé les éléments épars d'une violente beauté Que je possède Et qui me force.
Tsitsika et Kharbine Je ne vais pas plus loin C'est la dernière station Je débarquai à Kharbine comme on venait de mettre le feu aux bureaux de la Croix-Rouge.
O Paris Grand foyer chaleureux avec les tisons entrecroisés de tes rues et les vieilles maisons qui se penchent au-dessus et se réchauffent comme des aïeules Et voici, des affiches, du rouge du vert multicolores comme mon passé bref du jaune Jaune la fière couleur des romans de France à l'étranger. J'aime me frotter dans les grandes villes aux autobus en marche Ceux de la ligne Saint-Germain-Montmartre m'emportent à l'assaut de la Butte. Les moteurs beuglent comme les taureaux d'or Les vaches du crépuscule broutent le Sacré-Coeur O Paris Gare centrale débarcadère des volontés, carrefour des inquiétudes Seuls les marchands de journaux ont encore un peu de lumière sur leur porte La Compagnie Internationale des Wagons-Lits et des Grands Express Européens m'a envoyé son prospectus C'est la plus belle église du monde J'ai des amis qui m'entourent comme des garde-fous Ils ont peur quand je m'en vais que je ne revienne plus Toutes les femmes que j'ai rencontrées se dressent aux horizons Avec les gestes piteux et les regards tristes des sémaphores sous la pluie Bella, Agnès, Catherine et la mère de mon fils en Italie Et celle, la mère de mon amour en Amérique Il y a des cris de Sirène qui me déchirent l'âme Là-bas en Mandchourie un ventre tressaille encore comme dans un accouchement Je voudrais Je voudrais n'avoir jamais fait mes voyages Ce soir un grand amour me tourmente Et malgré moi je pense à la petite Jehanne de France. C'est par un soir de tristesse que j'ai écrit ce poème en son honneur Jeanne La petite prostituée Je suis triste je suis triste J'irai au Lapin Agile me ressouvenir de ma jeunesse perdue Et boire des petits verres Puis je rentrerai seul
Paris
Ville de la Tour Unique du grand Gibet et de la Roue.
Texte dit par Vicky Messica
Spoiler:
Petit Faucon Confiance en soie
Nombre de messages : 12005 Age : 59 Date d'inscription : 26/12/2011
Quel beau poème Rosalind ! je n'en connaissais qu'un extrait, je pense. Cendrars aussi fait voyager, et on l'étudie souvent à l'école
Merci pour le beau portrait d'enfant que tu as posté, il va bien avec le poème de Papusa ; moi la poésie m'évoque plus souvent des mélodies que des images, et je "chante" souvent les vers dans ma tête ...
Rosalind Ice and Fire Wanderer
Nombre de messages : 17039 Age : 74 Localisation : entre Rohan et Ruatha ... Date d'inscription : 17/04/2008
Merci pour ton retour Petit Faucon. Je n'avais jamais étudié Cendrars à l'école, sa découverte n'en a été que plus fulgurante
Pour rester dans le thème des poètes-écrivains-voyageurs je voudrais vous présenter Frédéric Jacques Temple, né à Montpellier en 1921.
Cet homme passionné, attaché à sa terre natale et ouvert sur le monde entier, a été l’ami de nombreux écrivains, poètes et peintres.
Voici un poème bien ancré dans sa région du Languedoc
Parages:
PARAGES
Nous sommes de cette terre dans la douce respiration sans relâche de la mer
les embruns nourrissent le thym nous vivons dans le chant solaire de ces lumineux parages lourds de fragrance et de sel
Sa rencontre avec Blaise Cendrars a été décisive dans sa vocation d’écrivain, et il lui a rendu hommage avec le poème Merry go round dont voici un extrait
Merry go round:
Tandis que le train glisse longue chenille spasmodique à travers la Forêt Noire je reviens à mon premier lointain voyage...
J'avais vingt ans avec encore dans mes cheveux le sable du désert en ce matin léger où le canon s'est tu dans les vergers du Würtemberg.
Un train aux lumières aveugles franchit des plaines disparues. Il pleut des escarbilles et l'odeur des mélèzes envahit la nuit.
Dans ma valise il y a : Fenimore Cooper un vieux catalogue de la Manufacture des Armes et Cycles de Saint-Etienne une lettre originale du Capitaine Nemo et la photo de ma mère jouant du violoncelle pour toujours...
Tandis que le train glisse longue chenille spasmodique à travers la Forêt Noire je reviens à mon premier lointain voyage...
Si vous aimez voici un lien pour lire d’autres poèmes
Nombre de messages : 17039 Age : 74 Localisation : entre Rohan et Ruatha ... Date d'inscription : 17/04/2008
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mar 15 Sep 2015 - 1:13
Selenh si tu aimes la poésie occitane sans doute connais-tu Max Rouquette
Spoiler:
à ne pas confondre avec Yves Rouquette, poète occitan également, décédé au début de cette année
Citation :
" Max Rouquette est né en 1908 à Argelliers, près de Montpellier, dans un paysage inoubliable et jamais oublié de bois de chênes verts sombres, de garrigues colorées, de vignes tendrement odorantes et de figuiers bibliques. Ce paysage est la clé de son écriture. Parce que c'est en ce lieu, et en ce lieu seulement, que s'est effectuée la fusion des mots et du monde.
Max Rouquette a écrit en occitan, comme quelques autres poètes singuliers de ce siècle... Cela n'a au bout du compte aucune importance. Sinon peut-être que cette langue souterraine, d'abord goûtée aux lèvres de la première enfance pour dire les choses essentielles de la vie, puis patiemment domptée et métissée aux rencontres successives de l'âge d'homme, s'est érigée, à travers sa difficulté d'être, en matière privilégiée de l'écriture.
Tous les textes de Max Rouquette résonnent de cette origine féconde. Ils en tirent probablement leur sève unique, et cette faculté d'éblouissement, tissée de beautés et d'angoisses, qui nous les rend communicables et si précieux. " (Philippe Gardy)
Voici deux poésies extraites du recueil Lo maucor de l'unicorn (Le tourment de la licorne)
Los mots (les mots):
Los mots son des sòus traucats. Per jogar als osselets ne vòle cafir ma pauma. E ne faire gisclar son cant perdut, ambe d’ulhauç de lusor nòva. An delembrat çò que disián, son tornats vèrges dins l’espandi. Lo sòu traucat es vengut nòu. Ne vòle faire de solelhs e de lunas emai d’estèlas qu’entre eles s’entrelusiràn.
Entre dos sangluts de quitarra s’estira un sègle de dolor.
Les mots sont des sous troués. / Pour jouer aux osselets / je veux en remplir ma paume. / Et leur faire crier leur chant perdu / dans des éclairs de clarté neuve. / Ils ont oublié ce qu’ils disaient, / à nouveau vierges dans l’espace. / Le sou troué redevient neuf. / Je veux en faire des soleils / et des lunes et des étoiles, / qui s’illumineront entre elles. // Entre deux sanglots de guitare / s’étire un siècle de douleur.
Aquò es la nuòch (c'est la nuit):
Aquò es la nuòch que la nuòch nos espia sus l'autra riba de la nuòch. Aquò es la nuòch que lo dedins das causas dins l'escura claror nos ven als uòlhs. La man nusa se pausa sus la pèira e lo freg dau mond tot nos ven au còr. Au fons dau potz fernís a pena lo rebat verd d'un autre mond. La lusor verda au fons dau potz, adejà l'auba.
C'est la nuit que la nuit nous regarde sur l'autre rive de la nuit. / C'est la nuit que le cœur des choses dans l'obscure clarté vient à nos yeux. / Notre main nue se pose sur la pierre et le froid de l'univers nous vient au coeur. / Au fond du puits frissonne à peine le reflet vert d'un autre monde.// La clarté verte au fond du puits, l'aube, déjà.
Si vous voulez en savoir plus, voici un lien vers son site Max Rouquette
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