Ellery Queen

Je profite de ce que je suis absolument écoeuré d'être de retour au travail - et particulièrement démotivé - pour rebondir sur une petite digression survenue dans un autre topic à propos d'Ellery Queen, dont je vais vous parler avec d'autant plus de plaisir qu'il a été un de mes auteurs de chevet à une certaine époque (c'est à dire, le temps que je liquide son oeuvre ! Ah, le bon temps du lycée où on avait tout loisir de bouquiner).

Ellery Queen, un auteur bicéphale
Ellery Queen est un auteur de romans policiers américain, dont il est compliqué de donner la date de naissance et de décès, car derrière ce pseudonyme se cachent deux cousins New Yorkais : Frédéric Dannay (de son vrai nom, Daniel Nathan, 1905-1982) et Manfred B. Lee (1905-1971).
On a coutume de dire que Dannay concevait les intrigues, tandis que Lee s'occupait de la seule rédaction. La réalité est sans doute un peu plus complexe parfois, mais il n'est pas faux de dire que Dannay était le cerveau des deux. D'ailleurs, certains ouvrages signés Ellery Queen, on l'a appris plus tard, avaient été rédigés par un autre auteur que Lee (Theodore Sturgeon ou encore Avram Davidson), d'après une intrigue très détaillée de Dannay.
Si certains d'entre vous aiment Columbo, le premier épisode officiel (c'est à dire, après le pilote), appelé "Le Livre témoin" et réalisé par Steven Spielberg, nous montre un duo d'écrivains de romans policiers très inspiré par le "couple" Dannay/Lee.

Un personnage aussi !
Là où tout se complique, c'est qu'Ellery Queen est aussi le nom du héros des romans policiers signés Ellery Queen. Quand la série commence, Ellery est un jeune garçon un peu coincé, d'origine irlandaise (Ellery doit signifier quelque chose comme "l'île aux saules") tout juste sorti de l'université, un rien pédant par moment, qui mène des enquêtes avec son père, inspecteur de police. Le personnage évoluera par la suite, je vais y venir. Tout a été fait, dans un premier temps, pour maintenir la confusion entre l'auteur et le personnage. D'autant que le Ellery-personnage écrit lui aussi des romans policiers, supposés relater ses propres enquêtes. Il a donc été admis au bout d'un petit moment qu'il y avait deux types de romans d'Ellery Queen : ceux qui relatent des aventures vraiment advenues à leur auteur, et ceux qui sont de pures inventions. En pratique, évidemment, tous sont de la pure fiction. Mais au début des années 30, le doute était encore permis !

Les différents âges d'Ellery Queen
Les romans d'Ellery Queen ont été écrits sur plusieurs décennies, les premiers datant de la fin des années 20. De fait, il y a eu une évolution assez importante dans le style, la narration, et même les enjeux des livres.
La première "phase", c'est celle du mystère pur. De l'enquête à la Agatha Christie, avec des énigmes extrêmement complexes, rondement menées, et des déductions que ne renierait pas notre ami Sherlock Holmes, l'inspiration majeure d'Ellery Queen. Cette phase se caractérise par une unité de titres, qui comportent en VO le mot "mystère" et un nom de nationalité. "Le mystère du théatre romain", "le mystère de la cape espagnole", etc. Avec quelques petites astuces comme "le mystère des frères siamois".
Immédiatement après suit une phase qu'on a appelé "comédie américaine", qui n'en a que le nom. Cette phase, beaucoup plus courte, met davantage l'accent sur le personnage d'Ellery lui-même. Les intrigues sont toujours aussi soignées, davantage encore, peut-être, mais une plus grande importance est donnée au contexte, aux relations entre les protagonistes.
La phase suivante est beaucoup plus grave. On cesse d'être dans le roman d'énigme pur, pour aborder des thématiques plus complexes. Les ouvrages sont alors davantage que de la littérature policière de divertissement : ce sont de véritables petits drames humains, à l'intensité parfois bouleversante. La "trilogie de Wrightsville", comme on l'appelle souvent, et qui est la pierre angulaire de cette époque, comporte l'extraordinaire "La décade prodigieuse", adapté (mal) par Claude Chabrol avec Orson Welles et Anthony Perkins (et Michel Piccoli dans le rôle d'Ellery, ce qui fout un choc).
Par la suite, les romans d'Ellery Queen ont été beaucoup plus disparates : retour à des choses plus légères, expérimentations... On doit à Ellery une variation intéressante sur le principe de "novelisation". Frederic Dannay avait adoré le film "Sherlock Holmes contre Jack l'éventreur" alias "A Study in Terror", mais n'était pas d'accord avec son dénouement. Il a donc écrit une nouvelle où Ellery Queen retrouve un manuscrit inédit de Watson, le lit (ce qui constitue le gros du livre)... et le finit en doutant fortement de l'honnêteté de Watson, qui aurait "masqué" la réalité. La dernière partie du livre consiste donc pour Ellery à démasquer le coupable que Watson avait épargné dans son compte-rendu !

Le personnage d'Ellery Queen
Il est acquis que les héros de fiction ne vieillissent pas comme nous. En l'occurrence, à l'instar de Poirot ou Holmes, Ellery a vieilli bien moins vite que ses contemporains, mais le personnage a quand même subi des petites variations au cours du temps. Détective coincé, un peu trop sûr de lui, "pur cerveau" à ses débuts, Ellery va changer pour plusieurs raisons. La première, c'est qu'il n'est pas infaillible. Il arrive souvent à Ellery de se "planter" pour dire les choses comme elles sont. Et Les conséquences de ses échecs, à quelques occasions, peuvent être dramatiques. Ses échecs sont motivés par une bonne raison : Ellery se repose un peu trop, dans un premier temps, sur sa seule faculté de raisonnement, sans tenir compte des motivations et de la psychologie des uns et des autres. Un reproche qu'on pourrait quelque part aussi faire à son modèle Sherlock Holmes, mais certainement pas au génial Poirot qui lit dans la psyché des gens à livre ouvert.
Et puis, Ellery va avoir des peines de coeur. En abandonnent son célèbre pince-nez des débuts, qui le vieillissait à dessein, Ellery va se découvrir un physique plutôt agréable, qui plaît aux jeunes filles. Mais ça ne se passera pas aussi facilement que ça (comme dans la vraie vie, quoi).

Ellery Queen comme influence
Assez peu populaire chez nous, Ellery Queen est une des références du roman policier dans le monde anglo-saxon. En particulier parce que la revue créée sous son nom, "Ellery Queen's Mystery Magazine", a vu émerger de nombreux talents du polar au XXeme siècle. EQMM était "the place to be" pour les auteurs de romans policiers de toutes les générations. Il n'est pas usurpé d'affirmer que les romans d'Ellery Queen occupent, dans le panthéon du roman de mystère, le même rang que ceux d'Agatha Christie ou Conan Doyle. Le genre même du roman d'énigme est sans doute un peu passé de mode depuis quelques années, où l'on en revient à des choses plus "hard boiled", dans la lignée des auteurs américains tels que Hammett ou encore Chandler.

Les adaptations
Ellery Queen n'a pas eu la chance de rencontrer son Jeremy Brett ou son David Suchet (j'omets volontairement Peter Ustinov que je trouve imbouffable ). S'il y a bien eu une série Ellery Queen dans les années 70 avec l'acteur Jim Hutton, l'adaptation était de très piètre qualité (et en plus, il s'agissait d'intrigues originales, très médiocres). Le même massacre, en fait, qu'avec L'Homme à l'orchidée (Nero Wolfe) de Rex Stout transformé en sous-produit TV-formaté dans les années 80... ou même Perry Mason, dont les romans sont de magnifiques mécaniques judiciaires !
Côté longs-métrages, c'est aussi le désert. IL y a donc le film de Chabrol, qui échoue vraiment à restituer la tension du livre et son côté drame humain. Tout tombe à plat, c'est bien dommage. Il y a eu quelques films avec Ralph Bellamy dans les années 40, mais là encore, on était loin de la qualité des ouvrages.
Dans les bizarreries, ont notera qu'il y a eu une très courte adaptation TV dans les années 50 dont une partie des scénarios a été écrite par... Helene Hanff, l'auteur de 84, Charing Cross Road !
Bref, même si les adaptations existent, aucune n'a vraiment réussi à capturer l'essence des livres d'Ellery Queen de manière satisfaisante. Il n'est jamais trop tard ! Je verrais bien l'ami Jude Law dans le rôle, personnellement

Voilà pour cette petite entrée en matière. Si certains d'entre vous sont intéressés, je peux accentuer davantage un aspect ou un autre, voire conseiller quelques titres pour débuter

Merci pour ce brillant post florizel, tu me donnes envie d'essayer cet auteur...
Pour Helen Hanff, elle en parle effectivement dans son livre et c'est même évoqué dans le film...

Florizel, merci d'avoir ouvert ce topic !

A mon prochain passage à la bouquinerie, c'est promis, je repars avec Ellery Queen !

L'oeuvre d'Ellery Quenne, ou plutôt celle de ses auteurs, comporte-elle un nombre important de volumes ?

Oui, un petit paquet tout de même, mais moins que chez dame Agatha, par exemple. Je dirais qu'il y a à peu près 35 romans, et quelques nouvelles. Ceux de la fin sont plus dispensables (c'est à dire, après 1965). Mais tout le reste, c'est du bon ! Même si je recommanderais plutôt de commencer par un ou deux livres de la première période (Le Mystère des frères siamois est une excellente entrée en matière, avec un huis-clos très stressant !).

Merci, Florizel, je note le titre que tu me conseilles !

Moi aussi!!

Merci beaucoup pour cette présentation, Florizel!

Etant grande amatrice de romans policiers, je connaissait Ellery Queen de nom, mais ne le situait pas (comme je le savais américain, je pensais plus à des romans style Chandler,Himes, etc...) mais j'avais bien envie d'en savoir plus.

Eh bien tu m'as donné encore plus envie de m'y mettre!! (il serait tant que j'y passe, à la bibli.... )

Le semaine dernière, j'ai déniché quelques exemplaires d'Ellery Queen dans les étagères de ma bibliothèque municipale.
Je me suis laissée tenter par Lettres sans réponse. Je ne sais pas dans quelle "période Ellery Queen" ce roman se situe. Mais comme il a été publié en 1953, et étant donné l'histoire, je suppose qu'il s'inscrit dans "la phase grave".
Le livre, assez court, nous raconte comment une amie d'enfance de Nikki Porter, la secrétaire d'Ellery (enfin secrétaire...et un peu plus), fait appel au détective car son mari est persuadé qu'elle le trompe et devient fou de jalousie.
Au début, tout comme Ellery, on se dit "mais où est le mystère dans tout ça"? Et puis petit à petit l'atmosphère s'alourdit, on découvre un double jeu chez certains personnages, on sent venir le drame.

Spoiler:

J'ai apprécié cette lecture. D'abord la plume de l'auteur est agréable et la traduction est bien faite. Ensuite les deux personnages principaux sont attachants (Ellery et Nikki). Enfin, c'est un "polar" atypique. Car il ne débute pas par un meurtre, et le développement principal de l'histoire ne s'attache pas à "trouver un coupable". Néanmoins il y a bien un mystère qui nous donne envie de lire jusqu'au bout cette histoire...

Content que ça t'ait plu, Natacha ! Tu en as vu d'autres, dans ta bibli ?

Florizel, d'après le catalogue de "ma" médiathèque, voici les autres Ellery Queen en rayon :
- L'arche de Noé
- La décade prodigieuse
- Le mot de la fin
- Le renard et la digitale.
Le(s) quel(s) me conseillerais-tu?

Tu en as deux absolument géniaux, dans la liste. Le Renard et la digitale, ainsi que la Décade prodigieuse. Je te conseille ces deux là... et dans cet ordre ! Essaie de ne pas lire la Décade avant le Renard, ça te gâcherait un peu, je pense. Bonne lecture !

Je ne connais pas du tout cet auteur, mais je crois que je vais me lancer sous peu. Je vais aller jeter un oeil au CDI et à la bibliothèque pour voir s'ils ont certains roman d'Ellery Queen.

Deuxième incursion dans l'univers d'Ellery Queen avec Le Renard et la digitale. J'ai encore une fois beaucoup aimé la plume de(s) l'auteur(s).
Dans ce volume, le personnage d'Elley est beaucoup plus effacé derrière l'intrigue et ses personnages, on en apprend donc peu sur le célèbre détective.

L'histoire se passe à la fin de la 2e guerre mondiale. 12 ans plus tôt, un homme a été condamné à la prison à perpétuité pour avoir empoisonné sa femme, laissant un fils de 10 ans complément désamparé.
Au début du roman, le fils, qui s'est particulièrement distingué à la guerre, est marié. Il souffre de troubles psychiatriques lié à ce traumatisme d'enfance et tente d'assassiner sa femme. Pourtant il l'aime.
Le jeune couple confie alors à Ellery une mission "impossible" : rouvrir le dossier vieux de 12 ans pour prouver qu'il ne coule pas dans le veines de cette famille le sang d'un assasin.

L'enquête est formidablement bien menée. On suit en détails les déductions du détective, jusqu'à la conclusion finale...à laquelle on ne s'attend vraiment pas.

Content que ça t'ait plu, Natacha ! Tu as vraiment lu l'un des très bons, là. Bon, alors maintenant que tu es familière avec Wrightsville, il te reste à aborder La Décade prodigieuse !

J'adore Ellery Queen! Je les collectionne, d'ailleurs. J'ai tous les volumes des cousins, quelques juniors, les nouvelles, et partie des autres romans ecrits sous le pseudo par d'autres auteurs (mais largement moins bien).

J'adore les premiers ou Ellery est present sur les scenes de facon a donner tous les indices au lecteur et avec l'invitation a trouver le coupable juste avant le dernier chapitre.

J'ai cependant un faible particulier pour l'Arche de Noe (ca me rappelle ma folle jeunesse a la fac de sciences a faire de la systematique en zoologie^^)