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 CAPSTICK (Peter Hathaway)

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HussarBlue
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MessageSujet: CAPSTICK (Peter Hathaway)   CAPSTICK (Peter Hathaway) Icon_minitimeLun 3 Déc 2012 - 19:44


Bon, je vais faire maintenant dans le pas du tout politiquement correct... mais j'ai des excuses, attention!... George Orwell l'était, Teddy Roosevelt, et même Trotski... alors, n'est-ce pas ?... et puis, hein, à la fin de Persuasion... Anne peut se retrouver enfin seule avec le capitaine Wentworth, parce que son beau-frère veut aller voir "a capital gun", un Manton, je crois bien, comme dans Colomba....

Et puis, flûte, dans l'Angleterre de Jane, tout le monde chassait (enfin, le "monde" qui comptait socialement)... Donc, j'avoue : je suis chasseur, moi également...

Et j'ai été fasciné par les aventures d'un Américain, contemporain (1941-1996) qui était guide de chasse en Afrique, et également fonctionnaire des Garderies... En France, comme la chasse est quasiment anathème chez nos amis de l'Intelligence, autant dire que ses bouquins n'ont pas été traduits et, moins encore, publiés...

Alors ?... alors, pour des amis non anglophones, j'ai traduit quelques histoires... en voici une, pour tester si je me fais huer juste après mon arrivée à l'Auberge...




Je pense que vous auriez aimé Charlie Denton-Smythe. Plus connu sous son surnom africain de Nyosi, c’était le fils d’un – selon des points de vue variés – fameux, infâme, ou simplement truculent, trafiquant d’ivoire.

Né en Rhodésie du Nord, il avait choisi la citoyenneté zambienne lors de l’indépendance dans les années soixante, et, avec davantage d’Afrique dans le sang que simplement diverses sortes de malaria, en était venu de façon naturelle à s’engager dans le Game Control Department.

Pendant une période, il avait travaillé avec moi pour éliminer les surpopulations d’éléphants de la Réserve de Luangwa, et c’était à cette époque qu’il avait gagné ce surnom original. Cela signifie « abeille », et en conformité du vrai talent africain pour détecter le trait caractéristique d’un individu, ils avaient touché juste avec Charlie.

Il n’était pas très grand, mais il suffisait de le voir tirer avec méthode ses blindées en calibre 416 Rigby contre une charge groupée d’éléphants, pour comprendre qu’il n’y avait pas d’erreur au sujet de sa piqûre...

Bien qu’il s’occupât de la zone de Nsefu, pas trop loin de ma propre zone, nous ne nous voyions pas très souvent, mais quand l’un d’entre nous avait une chance de passer au camp de l’autre, c’était généralement une soirée qui laissait quelques souvenirs. Sa dernière visite, je ne l’oublierai certainement jamais...

J’étais vanné, rentrant au camp à la nuit tombée d’une expédition à la recherche de braconniers ayant tué un buffle avec un de leurs antiques fusils à piston, mais bien que nous ayons suivi la piste sur des kilomètres, leur avance était trop grande, et à la nuit, nous avions perdu leurs traces. J’avais toutefois mon idée sur leur identité et me proposais de leur rendre une petite visite au matin. J’ai un nez qui, s’il se vendait au poids, me permettrait de payer les études des jumeaux et d’avoir de l’argent de reste pour une voiture de sport rouge. Bien qu’il ait subi des contacts divers avec des objets solides, et qu’il apparaisse comme ne sachant pas trop sa direction, il fonctionne assez bien pour me permettre de retrouver facilement l’odeur de la viande en décomposition : quelqu’un allait passer quelque temps dans les geôles du Roy Georgie....

Coupant le moteur, je descendis en craquant des articulations par le coté sans porte, raide comme un bâton de biltong. J’aperçus alors seulement la voiture de Charlie garée contre le bungalow. Diable, me dis-je, un peu d’animation mondaine ? Mais il n’était nulle part en vue, et pas de réponse à mon appel...

Je commençais alors de ressentir ce pincement au creux de l’estomac, comme si j’avais avalé un hamster ... Je ne savais pas pourquoi, mais je sentais que quelque chose allait de travers. Un de ses hommes, grand bonhomme efflanqué du nom de Chindiri, qui avait été de mon équipe dans le passé, approcha alors en traînant les pieds, dans la demi-clarté du feu de camp.

« Yinindaba ? Ipi lo bwana Nyosi », demandai-je

Sans lever la tête, il se tourna vers la voiture dans la pénombre et finalement murmura : « Lapa Baas. Na lo ndoda Crackers. Yenababile file. Njovu... »

Mon estomac fit un looping : Charlie et son porteur de fusil Crackers, morts tous les deux, tués par des éléphants. Ce qui signifie très, très morts.... Abasourdi, je me rendis à la voiture de service de Denton-Smythe, une vieille Land, et effleurai de ma torche les deux toiles de tente ensanglantées, ficelées de fibres d’écorce. Je pouvais, avec un effort d’imagination, me convaincre qu’elles contenaient chacune le corps d’un homme courageux, mais leurs formes bizarres, écrasées et déformées, ne le permettaient guère.

Chindiri et un autre guide étaient partis à leur recherche la veille, lorsqu’ils n’avaient pas vu revenir Charlie et Crackers l’avant-veille. Ils avaient trouvé la Land et pris leur piste jusqu’à ce qu’ils aient trouvé les corps... prenant les toiles dans la voiture, ils avaient gratté sur le sol tout ce qu’ils pouvaient des cadavres, et s’étaient débrouillés pour revenir avec la voiture, bien qu’ils n’eussent jamais, l’un ou l’autre, conduit jusqu’à ce jour.
Ce n’est pas bon pour l’image du Grand Chasseur Blanc de se mettre à pleurer comme un enfant, aussi dirai-je seulement que j’eus beaucoup de peine.

J’ai pris une bouteille de Haig, et en ai servi un grand verre à Chindiri et son équipier, sur la petite table à coté du feu. Ils avaient eu deux dures journées, et fait leur travail, sans reproches. Maintenant, il fallait ramener les corps au Centre, puis revenir sur place pour découvrir ce qui s’était passé.
C’était l’aube quand j’arrivais, après un pénible voyage, expliquant à mon supérieur ce que je savais de l’affaire, bien peu en somme. Malgré la fatigue, je n’avais pas sommeil, aussi, après avoir refait le plein, je décidais de partir pour Nsefu.

Il faudrait quelques semaines pour trouver un remplaçant assez fou - ou simplet - pour reprendre le poste de Charlie, et en attendant, j’assurerais l’intérim, en essayant de régler le compte des éléphants qui avaient tué le pauvre Charlie. Le chef me dit alors que, lors de la dernière session radio, Charlie avait mentionné un troupeau d’éléphants assez kali pour donner la chasse aux indigènes, sans aucune provocation, et qu’il avait lui même été chargé en voiture, n’échappant que de très peu aux animaux furieux.

Je finis mon thé, écrivis une lettre à la mère de Charlie que j’avais rencontrée dans le passé, et repris la route.
En arrivant au camp de Charlie, un poignant sentiment de solitude me prit. Tout était en place dans sa tente, le 416, fatigué mais parfaitement propre, dans son étui, des vêtements de rechange pliés et propres, même de l’argent dans le plateau sur sa malle...

Les quatre membres de l’équipe m’attendaient, avec Chindiri. Silent apporta les effet de Crackers et son fusil de service, un calibre 404 qui avait été tordu et cassé lors de la charge, alors que le Rigby avait été, lui, épargné par pur hasard. Comme c’était seulement le début de l’après-midi, je décidai d’aller sur place immédiatement.

Chindiri me guidant, il fallut une petite heure pour arriver. Ce qui s’était produit n’était que trop clair : les carcasses de trois éléphants en état de putréfaction étaient encore en place, leur ivoire intact. Ils portaient chacun un petit trou au front. Vingt mètres plus loin, la végétation arbustive du bush était piétinée et arrachée, comme après un bombardement. Il y avait des taches sombres sur les herbes, des caillots de sang séché, et une basket pendait à 3 mètres de haut sur un buisson, oubliée par Chindiri.
Je n’avais pas eu le courage de regarder les corps de Charlie et de Crackers, mais ce qui leur était arrivé était évident... Chindiri me montra les taches où la plus grosse partie du corps de Crackers avait été retrouvée, à près de 10 mètres de l’endroit où il avait été tué... d’après les traces, il y avait une douzaine d’éléphants, sans compter les trois qui avaient été tués.

« Kali stelek, bwana » dit Silent, comme pour lui-même : en effet, « féroce » était bien le mot, pas assez fort, peut-être....

Kali est le terme que l’on emploie pour un troupeau d’éléphants qui, pour une raison ou une autre, a définitivement adopté une attitude agressive envers l’homme. Bien que Swahili, il a été assimilé dans les langues bantoues.
Un éléphant, normalement, va s’enfuir dès qu’il sentira l’homme, ne se livrant à une charge – véritable ou simulée – que dans des circonstances particulières telles que blessures, surprise à très courte distance, ou s’il s’agit d’une femelle avec des petits.
Mais pas les Kali.... à la première molécule de sentiment humain, ils attaquent tous ensemble, et pas question de bluff...

Cette réaction, heureusement rare, peut être la conséquence d’un harcèlement par les bracos, causant des blessures non mortelles mais douloureuses pour de nombreuses bêtes du troupeau. Cela peut être aussi une forme de défense de leur territoire, face à une réduction rapide de leur habitat.
Quoi qu’il en soit, il y a eu de tristement célèbres troupeaux kali, dans tout le cône sud du Continent, dont celui d’Addo fut fameux, ayant tué des dizaines d’indigènes, et plusieurs des chasseurs blancs envoyés pour l’exterminer. Un homme de fer comme FC Selous considérait que la tâche était impossible, jusqu’à ce que le grand PJ Pretorius parvienne enfin à l’annihiler en quasi totalité.

En revenant en fin d’après-midi au camp de Nsefu, Silent s’assit avec moi et Chindiri pour un conseil de guerre africain, appelé ici indaba. Les hommes de Charlie me confirmèrent que de nombreuses plaintes avaient été reçues de chefs locaux, qui évoquaient le danger, et même la mort de deux personnes imputable à ces animaux.
Silent voulut savoir s’il était possible d’identifier le troupeau en cause : il y a beaucoup d’éléphants dans cette région, et la piste depuis l’endroit du drame était trop ancienne pour être suivie. Nous ne pouvions quand même pas commencer à tirer sur tous les éléphants rencontrés, sans discrimination, aussi était-il important d’identifier les responsables.

Par chance, Chindiri avait été dans la Land de Charlie lorsqu’ ils avaient été chargés par surprise, n’échappant à la charge que de très peu, et Chindiri avait remarqué que la femelle meneuse était de grande taille et, surtout, porteuse de défenses longues et fines, se touchant à leurs extrémités. Configuration rare dans cette région de Zambie, si elle ne l’est pas au Kenya. Si on la trouvait avec un troupeau d’une douzaine d’individus, on pourrait être à peu près sûr de l’identification positive.

Il avait été impossible de déterminer absolument exactement les circonstances de la mort de Charlie et de Crackers, mais il était vraisemblable qu’ils avaient été trahis par une saute de vent alors qu’ils approchaient du troupeau, avec, en conséquence, la charge groupée et instantanée des animaux. Quand on joue de gros enjeux, il faut s’attendre à perdre, un jour ou l’autre...

Le lendemain à l’aube, j’envoyais toute l’équipe, séparément, afin de d’explorer le territoire, à la recherche de ce troupeau, en identifiant la femelle aux défenses croisées : le premier à la découvrir allumerait un feu pour me permettre de le rejoindre. Je me postais donc sur un kopje de granite d’une vingtaine de mètres de haut, et attendis patiemment, dans la chaleur montante de la matinée, et le mirage au travers de mes jumelles. J’avais mal aux fesses d’être assis à la dure, j’avais soif, et j’enviais Silent, assis à l’ombre, appuyé sur sa lance, me regardant avec espoir.

Et soudain, elle fut là, une mince fumée qui s’épaissit peu à peu, à une quinzaine de km à l’est. Je pris un azimut rapide avec ma boussole de poche, et nous partîmes dans la Land, avec Silent, pour rejoindre Invisible, sans doute, qui avait trouvé le troupeau.

Nous ne perdîmes pas de temps, fonçant sans pitié pour la carrosserie déjà bien rayée par les épineux, zigzagant entre les arbres. Le 470Evans nitro-express et la carabine 375 HH étaient solidement fixés sur leurs supports avec des lanières de chambre à air. A plus d’un km de l’arrivée, j’aperçus de nouveau la fumée et je ralentis pour rejoindre sans bruit Invisible, qui avait déjà été rejoint par Chindiri.

« Yenazonke kona lapa, Bwana » dit il, montrant la direction où se trouvait le troupeau. « Twelof na lo mfazi ga mazinyo welaile » continua-t-il en Fanagalo. En plein dessus, douze compte rond, la femelle meneuse incluse, celle avec les défenses croisées. Peu de doute possible.

Avec Invisible en tête, nous nous hâtâmes vers l’endroit. Je souhaitais rattraper le troupeau pendant sa pause de midi, tandis qu’ils somnoleraient à l’ombre. S’attaquer à douze éléphants tueurs, même avec l’assistance de Chindiri, cela ne se fait pas simplement en arrivant et en tirant au hasard de l’évènement.
Pendant mes années de Régulateur, j’avais eu l’habitude de me faire des troupeaux d’une vingtaine d’animaux, avec des gens comme Charlie ou Bob Langeveldt. Mais ce n’étaient pas des Kali... Toutefois, après avoir éliminé la vieille meneuse, détruire les survivants désorientés ne devrait pas être impossible, selon mon expérience, bien que l’affaire n’ait toutefois pas grand rapport avec une chasse à la bécasse....

Je portais le 470, tandis que Silent avait la 375 avec des munitions complémentaires. Je savais que je pourrais descendre les quatre premiers et même deux autres encore, avant que quelqu’un de gris, grand et ridé, ne commence à essayer de me mordre. Les six derniers ? on verrait...
Ils étaient encore à l’endroit où Invisible les avait trouvés, dans d’épaisses broussailles de miombo, mais seuls cinq étaient en vue.
J’étudiais le patchwork d’ombres et de zones ensoleillées avec mes petites jumelles, jusqu’à être convaincu que ces cinq étaient bien les plus proches de nous. Faire une approche, arriver à mi-distance, pour se rendre compte qu’il vous arrive une surprise de 6 tonnes dans le dos est une expérience énervante, quelque chose de presque religieux, car les chances sont excellentes que vous soyez sur le point de rencontrer votre Créateur...

Le vent était léger, régulier et de face : idéal ! Cela m’ennuyait de n’avoir pu apercevoir la meneuse, mais à cinquante mètres, je tombais sur une termitière de 2 mètres de haut, aussi solide qu’un bunker. Quand on chasse l’éléphant depuis un certain temps, on apprend vite à chercher davantage les itinéraires de fuite que les voies d’accès.... Je renvoyai Invisible qui n’avait que sa lance, et chuchotai à Chindiri de se tenir en arrière de moi à cinq pas, et de ne tirer que s’il avait la certitude que j’allais être éléphantisé...
Pas nécessaire de donner des instructions à Silent, nos longues années de chasse en commun me garantissant que si j’avais besoin du fusil de secours, il serait là où je tendrais la main, et non pas déjà en route vers l’arbre le plus proche.

Passant la termitière, j’avançais jusqu’à 15 mètres de l’animal le plus proche, qui se balançait en dormant, d’une patte sur l’autre. Immobile, j’attendis d’apercevoir la meneuse, que j’identifiai enfin dans une profonde poche d’ombre : pas de doute, les défenses étaient longues, fines et croisées.

Je visais l’éléphant le plus proche, mentalement destinant le second canon à la femelle à coté de lui. Le nez plein de l’odeur des animaux, je lâchais le premier coup et pivotais sur la femelle, tandis que le premier commençait à s’effondrer d’une balle au cerveau : la femelle avait déjà réagi et je dus changer ma visée pour néanmoins la rattraper de trois quart d’une autre balle au cerveau qui l’écrasa comme atteinte par la Grosse Bertha.

Quelques uns des vieux chasseurs d’ivoire n’avaient que mépris pour les éjecteurs : pas moi, j’ai en eux une foi très, très fervente. Tandis que les deux étuis vides passaient pardessus mon épaule en laissant un sillage de fumée, je glissais déjà deux autres panatellas de laiton dans les chambre du 470, et pas trop vite, car si j’avais déjà attaqué des troupeaux, jamais je n’avais vu de pareilles réactions : en une seconde, la brousse était une pure vibration de barrissements suraigus, un pandémonium de stridences. Tous nous chargeaient à pleine vitesse, sans la moindre hésitation ! J’effondrais les deux plus proches, et réussis à remettre deux cartouches dans les canons.

« Foutons le camp » Baleka, criai-je à Silent et Chindiri.

A cinq mètres, j’abattis un beau mâle qui s’effondra sur le corps d’un autre déjà tué, et le finis de l’autre canon. Avec un fusil vide et un plein d’éléphants alentour, je tournai les talons et filai vers la termitière : j’en étais encore à 10 mètres quand je vis Chindiri lever son 404 Jeffery et tirer, ce qui m’aurait fait sauter hors de mes chaussettes si j’en avais portés, car il me sembla qu’il visait ma tête. J’entendis heureusement un gros « whock » et en me retournant, je vis une grosse femelle en train de s’affaisser. Une seconde plus tard, j’étais derrière la termitière...

Rechargeant, je tirais mes deux coups sur un mâle, et pris la 375 des mains de Silent. Encore quatre : conduisant la charge des survivants, venait la meneuse aux défenses croisées, levant haut la tête en barrissant : la vieille règle « imagine une ligne joignant les deux orifices auditifs et tire pour atteindre le milieu de la ligne ». Quel que soit l’angle, on doit toucher le cerveau. Ma balle blindée de 300 grains, tirée à la base de la trompe, fit son office, et la femelle recula sous l’impact avant de s’effondrer sur les genoux, restant bloquée dans cette position, les énormes muscles soutenant la tête lui laissant l’apparence de la vie.

Avec sa mort, les trois jeunes femelles survivantes parurent visiblement désemparées : espérant les épargner, je demandais à Chindiri de tirer au dessus de leurs têtes, tandis que je me tenais prêt à toute éventualité. Nous nous mîmes également à hurler des insultes calomnieuses sur leur parentèle : les animaux hésitèrent, se détournèrent, tout en continuant de barrir sauvagement, puis s’éloignèrent enfin.

Je sortis les cigarettes traditionnelles, et surveillai Chindiri qui tirait la balle de sécurité à chacun des animaux abattus. Avec la radio de la Land, nous appelâmes le Service de Régulation qui viendrait très vite récupérer les carcasses avec ses camions plateaux : tous les sous-produits sont utilisés, que ce soit la viande, l’ivoire, la peau et même les soies pour faire des bracelets. L’argent sert à entretenir l’habitat naturel, dont la réduction est le plus grand danger menaçant l’espèce.

C’était bien le troupeau qui avait eu la peau de Charlie et de Crackers : sur la tête de la femelle que j’avais tuée en second, je découvris le sillon frais laissé par une autre balle. Je pensais à ces deux hommes, en jouissant de ma cigarette : quelle horrible fin... mais, si on y réfléchit, en Afrique, il n’y a guère d’alternatives vraiment souriantes....

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MessageSujet: une autre ?   CAPSTICK (Peter Hathaway) Icon_minitimeMer 5 Déc 2012 - 17:32

Quand ils arrivèrent à mon camp, sur les bord de la Munyamadzi, il était encore vivant, bien que j’aie été incapable de comprendre pourquoi.
Il était midi, en cette saison sèche de la Zambie, où tout être raisonnable est à l’ombre, même moi, sous le frais feuillage d’un arbre à saucisses, tenant dans ma main douteuse une bouteille de Lion Lager qui transpirait sa condensation.

Les affaires étaient calmes à la rubrique « désastres », et, pour la partie « destruction d’animaux dangereux et repression du braconnage », je n’étais pas surmené. Mais il y avait, hélas, la paperasserie en cinq exemplaires, et je venais de passer trois jours à préparer les rapports d’abattage et dresser l’inventaire de l’ivoire et des trophées confisqués, qui n’attendaient plus que le passage du véhicule du Commissaire pour être acheminés à qui de droit.
Mes trois assistants étaient en train de faire leur tournée à bicyclette, et je ne les attendais pas avant après-demain, ce qui ne laissait plus au camp, outre moi-même, que le vieux Silent et un boy de cuisine, chargé de l’eau et du bois.

C’est Silent qui les aperçut en premier, à cinq cents mètres, traversant une zone dénudée : deux Awiza, portant sur leurs épaules une perche qui soutenait une forme prise dans une vieille couverture. Pas besoin de se demander ce que contenait la couverture. Mes petites vacances étaient bien finies…

Quand ils déposèrent leur fardeau et ouvrirent la couverture, même votre serviteur, qui peut joyeusement manger son sandwich sur la carcasse avancée d’un éléphant mort, eut un haut-le cœur. Le pauvre type avait dû passer son week-end dans un hachoir à viande, mode « rapide »…. S’il n’y avait eu les yeux, brûlants, qui me considéraient sans ciller, j’aurais dit que le meilleur médicament pour lui, c’était une pelle…. Il n’était pas seulement vivant, il parlait aussi…

L’Africain de la brousse est une sorte de défi à la médecine : convainquez-le qu’on lui a jeté un sort, et il mourra dans vos bras en 3 ou 4 jours. Mais j’en ai connus qui avaient été ouverts de l’aine à l’épaule par la corne d’un rhino, ou qui avaient eu les intestins transpercés par les défenses d’un éléphant, et qui, au bout de quelques semaines, se retrouvaient sur pied, sans traces autres que les cicatrices, malgré des blessures qui auraient fait tourner de l’œil à un Inquisiteur espagnol de la grande époque.

Dans le cas d’espèce, et si la moitié de son visage semblait avoir largué ses amarres pour pendre de façon désordonnée, il me paraissait familier, et je le reconnus finalement pour un habitant du village voisin, dont le nom était Chisi.

Silent m’apporta le gros sac médical et, avec l’aide du garçon de cuisine qui avait déjà fait bouillir de l’eau, nous entreprîmes de commencer les soins, tandis qu’il nous racontait son histoire.

Une heure après l’aube, il était parti avec son fils de six ans, Ntani, pour faire la tournée de ses collets à perdrix. Bien que je sois chargé de réprimer le braconnage, je ne disais rien pour ces petites infractions lorsqu’elles n’ont pour but que la casserole familiale, et pour autant que le fil ne soit pas métallique.
Abordant une zone herbue, un vlei, desséché par l’hiver, ils y entrèrent, Chisi en tête, portant sa sagaie, tandis que le gamin suivait.

Pendant que je versais un désinfectant dans un trou de son bras, pour voir le liquide fuir par un autre trou, Chisi continuait son récit, sa voix parfaitement calme bien que la douleur ait dû être intense, l’effet de choc ayant disparu. Au troisième collet, une grosse pintade s’enfuit en les voyant arriver, le collet et son piquet encore accrochés au cou. L’enfant se précipita à sa poursuite, dans les herbes hautes, sous l’œil amusé de son père.

Il y eut un cri stoppé net, quelques mouvements des herbes, puis silence : Chisi s’élança, la sagaie haute, pour tomber sur un léopard qui tenait son fils les crocs plantés dans le cou. Le léopard lâcha l’enfant et se précipita sur l’homme, qui réussit à lui enfoncer sa sagaie dans le flanc mais trop en arrière.

L’animal planta ses crocs dans le bras de Chisi et ses pattes arrière et leurs terribles griffes se mirent à mouliner le ventre et les cuisses de la victime. Une patte avant se planta dans le visage et tira vers le bas, lacérant la moitié de la face…

Il finit son histoire, juste comme j’achevais de remettre quelques mètres d’intestins dans la cavité abdominale, saupoudrés d’antiseptique, en priant pour que cela suffise…

Il était resté étendu, sonné et effondré à coté du corps de son fils, les mouches commençant à grouiller sur son corps. C’étaient les deux Awiza qui les avaient trouvés, en observant le vol concentrique des vautours et en venant aux nouvelles.

Vers le milieu de l’après-midi, les secours de ma science étaient épuisés, après une injection de pénicilline et une autre de morphine, il ne restait plus qu’à attendre l’ambulance de l’Administration des Chasses qui le conduirait au dispensaire à une cinquantaine de km de là, où un vrai docteur, un Hindou, s’occuperait de lui. J’aurais pu l’emmener moi-même, s’il n’y avait pas eu un travail à terminer…

Des trois choses les plus déplaisantes que je connaisse, sortir un léopard blessé dans la savane haute, vient incontestablement au premier rang. De fait, c’est ma conviction personnelle, basée sur des expériences dont je me serais bien passé, qu’il n’y a pas plus dangereux voire mortel, dans la catégorie des Big Five, que de finir un léopard, blessé sans être incapacité.

Les Grands Garçons – Eléphant, Buffle, Rhino – peuvent, de par leur taille, être repérés à temps pour être mis hors d’état de nuire, en général. Même le Lion, qui peut vous tuer facilement s’il arrive à portée, trahira sa charge par un grognement, vous donnant une idée de l’endroit d’où il arrive.

Mais pas le léopard… il ne vous concède pas le moindre avantage, se réservant de vous assaillir de si près qu’il est sûr de son coup, ou alors, il ne se lance pas. Ayant le plus parfait des camouflages naturels, il est invisible avant de devenir un éclair doré de pure malfaisance, mordant et griffant avec une telle rapidité que des cas sont authentifiés tel celui où un léopard a attaqué et grièvement blessé 7 hommes armés puis s’est fondu dans la savane, avant que quiconque ait pu faire autre chose que saigner….

Une fois, au Botswana, j’ai essayé de provoquer la sortie d’un léopard d’une petite touffe de savane, en la criblant de plombs de 6 avec un fusil : j’y ai passé une boite de 25, sans aucun effet, alors que j’étais certain que nombre de plombs devaient le toucher.
A la fin, j’ai décidé qu’il devait être mort de sa blessure de panse. Mais, comme j’avais appris à mes dépens qu’il ne fallait pas faire ce genre de déduction aventureuse avec les léopards, je rentrai dans la savane avec la prudence du type qui veut désamorcer une bombe A. Et bien ai-je fait…

Je l’ai tué, avec beaucoup de chance, d’une décharge de chevrotines tirée de la hanche à moins de 2 mètres. Nous avons retrouvé, en le dépouillant, pas moins de 70 grains de plomb de 6 sous la peau…. Mon client s’étant plaint de ce que j’avais gâché son trophée en le touchant à la tête, je ne vous répéterai pas ce que j’ai répondu….

Silent et moi, guidés par les deux Awiza, arrivâmes au vlei vers 4 h et demie : il fallait régler cette affaire, avant que quelqu’un ne tombe sur le léopard, ou que celui-ci ne se lance dans les affaires au nom de la libre-entreprise.
Les mangeurs d’hommes spécialisés sont assez rares, et celui-ci ne faisait pas exception, ayant tué l’enfant par surprise, presque par réflexe, alors qu’il devait se rapprocher de la pintade qui l’avait attiré par ses cris. Théorie bien sûr, mais il n’y avait eu aucun cas d’attaques de léopard depuis plus d’un an. De toutes les façons, il fallait régler cette affaire… C’était, entre autres, ce pour quoi je recevais un salaire… curieuse façon de s’enrichir….

J’arrêtai la voiture à 200 mètres du vlei, Silent descendant avec moi, porteur du sac à malices. Afin d’éviter toute ambiguïté, je précise que je suis très, très, très douillet, et que je refuse absolument d’avoir la gorge arrachée, le visage défiguré, et mes intérieurs sortis de leur case normale. En prévision de ces charmantes surprises, je conserve divers trucs et engins dans le sac à malices….

Le premier est un blouson de cuir qui n’a rien de Renoma, et auquel j’ai consacré une journée entière à y river des morceaux de solide formica. Le second, est un antique hausse-col en cuir, très seyant, surplus des US Marines, qui me vaudrait la vice-présidence de n’importe quel gang de New-York. Il était censé protéger des coups de sabre la nuque et le cou, et j’y ai rajouté des plaques d’acier, non pas que je n’aie pas confiance dans les fournisseurs de la Marine, bien sûr… J’avais aussi, dans le temps, mon vieux casque de rugby, mais un indigène me l’a volé une nuit… Bah, l’essentiel est que moi, je sois encore à l’inventaire….

Silent vérifie le matériel dans le sac, tandis que tu enfiles le blouson, puis le hausse-col. Tu ne prends pas la 375 HH, c’est une affaire, disons… intime… alors tu sors le vieux fusil à pompe Winchester modèle 12 de sa gaine. Tu pousses 6 cartouches dans le magasin, tu en montes une dans la chambre, et tu en remets une dans le magasin.
Tu ne penses pas aux marques de dents dans le bois de la pompe, qui te rappelleraient des mauvais souvenirs de ce genre. Comme tu ne trouves pas d’excuses pour lanterner encore un peu, tu te diriges vers le vlei, et l’herbe haute, te sentant un peu comme un gladiateur qui attend que la porte s’ouvre….

Tu n’as pas emmené Silent, qui fait la gueule maintenant, parce que l’herbe est trop épaisse et que tu veux pouvoir en une fraction de seconde tirer dans n’importe quelle direction. Il aurait mauvaise mine après avoir reçu une décharge de chevrotines à bout portant… et les bons porteurs de fusils sont si rares…

Les cinquante premiers mètres te prennent une demi-heure. Tu tiens le fusil bien en arrière de la hanche, afin que le léopard ne puisse se mettre entre le bout du fusil et toi. Le noyer de la crosse est glissant de transpiration. Chaque pas est fait avec une lenteur infinie, sur le bord des semelles. La visibilité est de 2 à 3 mètres, il est donc inutile de chercher à apercevoir le léopard, il faut seulement tâcher de voir le mouvement dans l’herbe quand il chargera.

Oh, pas de doute, il va charger, il est de façon certaine dans les herbes, léchant sa blessure. Tu suis la piste laissée par Chisi lui-même puis ses porteurs, et tu atteins l’endroit de l’attaque : beaucoup de sang artériel, ce qui signifie que le gamin s’est vidé, au lieu de mourir la nuque brisée. A coté, c’est l’endroit où Chisi a été attaqué : les traces de sang du léopard laissent à penser qu’il a été sérieusement touché et que, peut-être, il est déjà mort.

Tu penses qu’au moins, tu as une piste facile à suivre, et que l’animal doit avoir des réactions ralenties… Ouais… attends une minute… tu es plus malin que ça… attends toi au pire, et tu n’auras pas de mauvaises surprises.

Le soleil commence à descendre au moment où tu découvres dans l’herbe, à une trentaine de mètres, l’endroit où l’animal s’est couché… flûte… il s’est encore déplacé, et les ombres ne vont pas te faciliter la tâche, mais il perd un mince filet de sang, et il faut que tu te dépêches un peu avant que la nuit ne tombe…

Un pas… tu te retournes… tu écoutes le moindre bruissement d’herbes… il te faut savoir d’où il vient si tu veux pouvoir faire écran avec tes plombs… Encore 20 mètres…

Et soudain, tu sais… tout a ralenti, sauf ton cœur…. Hypnotisé, tu regardes les herbes à droite… Y a-t-il eu un bruit inconsciemment perçu ? Tu ne vois toujours rien, mais tu sais qu’il est à droite de sa propre piste, te guettant au passage… tu sens ses yeux sur toi… tu fais pivoter lentement le fusil vers ces herbes… la sueur coule sur ton visage… Et maintenant ?

Pas eu de décision à prendre : l’animal a décidé pour toi, et il est déjà en l’air, en route vers ton visage, sa gueule déformée par les crocs à nu, les pattes de devant recourbées sur des griffes énormes. En dépit de sa vitesse, tu as le temps d’admirer sa fourrure et son élégance… mais déjà le Winchester crache et la gerbe désintègre la patte gauche qui se tendait vers ton visage. La pompe amène instantanément une autre cartouche, et un trou de la taille du poing apparaît à la jonction entre le cou et le poitrail, lui faisant effectuer un salto arrière et retomber, désarticulé, sur le dos, à un mètre devant tes pieds…

Sans hésiter, tu lui remets une autre dose de chevrotines dans le poitrail : dommage d’abîmer un aussi beau pelage, mais le trou dans sa peau sera plus facile à réparer que s’il était dans la tienne….

Une cigarette sera merveilleuse, quand tu auras tété l’eau de la gourde souple qui se trouve dans la Land…
Tu siffles pour appeler Silent, et tu enlèves blouson et hausse-col. Tu racontes à Silent, en buvant à la régalade, les évènements sous leur jour le plus flatteur, pour qu’il ait l’honneur d’avoir un Bwana dont on peut encore enjoliver les histoires.

Tu charges le léopard dans la Land, et en montant sur le siège conducteur, tu remarques que ton short est vraiment trempé sur le devant : tu as dû renverser de l’eau dessus en buvant trop vite… ouais, c’est sûrement ça….
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MessageSujet: allez, une dernière...   CAPSTICK (Peter Hathaway) Icon_minitimeVen 7 Déc 2012 - 18:37


Si vous n’êtes pas convaincu(e)s des mérites littéraires de mon ami Peter, so be it ! pour être complet, je précise que ces histoires sont tirées de Last Horizons et Death in the long grass :

Foutrement méritée cette douce soirée ! Une lune de la taille et de la couleur d’une pleine meule de gruyère se mirait dans la rivière au pied de mon campement, tandis qu’une délicieuse fraîcheur nocturne s’insinuait tout au long de mon dos.
La sueur et la crasse s’étaient dissipées sous la douche du sac de toile perforée, pendu à une branche du muSassa qui abritait ma tente. Tandis que l’eau - qui dégoulinait de cheveux qui n’avaient pas vu le coiffeur depuis trop longtemps – passait progressivement du rouge sombre au transparent, les muscles noués de mon dos, eux-mêmes, commençaient à se détendre.

J’avais fait 45 kms aller-retour pour rattraper les deux mâles, un vieux avec une défense cassée, et un page, beaucoup plus jeune. Rien de dramatique, vraiment : deux balles de cerveau, et ces éléphants destructeurs des récoltes locales feraient que les habitants du coin n’auraient pas besoin de braconner avant quelque temps.

La nuit était déjà tombée, quand j’arrivais au camp avec Silent et Invisible, donnant quatre francolins à celui de mon équipe qui pensait, bien à tort, pouvoir se qualifier de cuisinier. La petite 22 Browning était parfaite pour ces tirs de près, et me permettait de ne pas devenir dingue à ne manger que du buffle et de l’antilope. Après la douche, avec une tunique fraîchement repassée et un pull de cachemire en dessous, je me régalais des quatre colins, arrosés d’un blanc du Cap, le tout précédé de deux verres du meilleur ami de l’homme. La radio avait eu la bonne grâce de rester muette, et personne ne s’était pointé en demandant l’aide du gouvernement contre ces vilaines choses qui mangeaient leurs récoltes ou leurs familles.

A la fin du repas, j’allumais ma cigarette à une braise du feu, assis assez loin du foyer pour sentir seulement la douce chaleur des rondins de mopane sur mon visage comme une plaisante fièvre.

Dieu bon, que c’était agréable. La fatigue se répandait maintenant en moi, doucement, tandis que les rugissements lointains de deux lions se répondaient dans le froid de la brousse nocturne. Plus proches, des hyènes échangeaient de mauvaises plaisanteries, et l’aboiement d’un zèbre effrayé retentissait dans la nuit. Oui, une merveilleuse soirée... Ce dont je ne me rendais pas encore compte, c’était que ç’allait être presque ma soirée....

Cela se produisit si vite que maintenant, en y repensant, cela me fait l’effet d’un film sous-exposé à l’accéléré.
J’entendis trois hurlements dans ce que l’on appelait par faiblesse la cuisine, une sorte de hutte de branchages - et une série de grognements sourds - alors que Silent, Invisible et le cuisinier en jaillissaient comme une compagnie de perdrix à l’envol. Les poteaux s’effondrèrent sous une poussée énorme tandis que la hutte tout entière se ruait vers moi de l’autre coté du foyer.

Je basculai en arrière, en me propulsant vers le râtelier improvisé formé d’une branche creusée d’encoches, le foyer explosant derrière moi en milliers d’étincelles et de brandons enflammés. Pardessus mon épaule, j’aperçus un hippo mâle, de la taille d’un mobile home, qui me fonçait droit dessus, comme la balle de service d’un champion de tennis en grande forme...

Cette partie du film est en Vistavision, la gueule ouverte grande comme un réfrigérateur, garnie de dents recourbées et ivoirines. Il était à 10 mètres de moi, et j’avais toute son attention, indiscutablement. Courant à toute vitesse vers mes armes, j’avais malgré tout l’impression cauchemardesque de patauger dans un marécage. J’essayais de ne pas penser aux dents et de me décider, si je parvenais jusqu’au râtelier, à choisir laquelle de mes armes j’allais utiliser.

Le 470 Evans express était le plus proche, mais il était déchargé, deux balles plantées dans l’orifice des canons pour empêcher les insectes d’y entrer. La 22 et le fusil : sans intérêt. Cela me laissait ma Mauser 375 HH custom. Elle aussi avait une balle à l’extrémité du canon, mais aussi, et surtout, quatre balles dans le magasin.
Un coup d’oeil m’apprit que la chose allait être de toutes façons académique, dès lors qu’il paraissait évident que nous allions être, l’hippo et moi, ex-aequo : et en ce qui me concernait, ex- était une assez bonne formule...

Je n’avais pas encore décidé si je continuais vers le râtelier ou si je bifurquais pour essayer de duper l’animal. Ou peut-être encore pourrais-je jouer à John Wayne en attrapant la carabine et en roulant sur le coté en manoeuvrant la culasse. Des idées, inefficaces toutes, me traversaient l’esprit, mais un fait demeurait : dans quatre secondes au plus, j’allais être totalement recyclé...

Vous auriez le droit de penser que la terreur était l’émotion principale dans mon esprit... mais pas moi... trop idiot... En fait, c’était l’irritation qui dominait, la colère à l’encontre de ma négligence. Bon Dieu, comment avais-je fait pour me trouver à 40 mètres de mes armes ? J’étais censé être un professionnel, et ces gens-là ne sont pas supposés faire ce genre d’erreur, et survivre assez longtemps pour perdre autant de cheveux que j’en avais perdus.
Et pourquoi pas un lion, ou un éléphant, enfin quelque chose de respectable, pour me faire mon affaire ? Je voyais déjà les gros titres de la presse à Lusaka : « un Grand White Hunter bouffé par un...hippo ! »

On dit que les anges gardiens passent leur temps à sauver les ivrognes et les imbéciles, mais qu’ils sont assez rares à s’occuper des fonctionnaires des chasses. C’est la raison pour laquelle je conserve précieusement les services de Silent et Invisible. Et leur service, ils s’en occupaient en ce moment...

Comme des grognements furieux le manifestaient assez, l’hippo avait soudainement, comme par magie, vu pousser deux excroissances en forme de manches de sagaies dans le flanc gauche, et mes deux aides sautillaient en hurlant des insultes en direction de l’animal pour détourner son attention de moi. Et cela marcha : le gros mâle changea de direction avec toute la grâce d’une locomotive sur un aiguillage et fonça sur eux.

Croyez bien que je ne perdis pas de temps à prendre la 375, arracher la balle fermant le canon, amener une autre balle dans la chambre et envoyer une Kynoch blindée de 300 grains dans la hanche de la bestiole, en trois quart arrière. La méchante petite ogive fit son travail et l’animal s’effondra comme un avion cargo avec un pneu crevé. Courant à son chevet, je lui expédiai une petite dernière dans l’oreille, puis, finalement encore une, celle pour être-tout-à-fait-sûr....

Tandis que nous rassemblions nos affaires, en éteignant l’incendie qui menaçait de s’en prendre à nos tentes et au reste du camp, nous nous servîmes une bière, et un truc un peu plus fort pour le Bwana qui avait eu une très rude soirée.

Silent et Invisible étaient furieux contre l’hippo qui était tombé du mauvais coté pour leur permettre de facilement récupérer les fers de leurs sagaies, et moi, je considérais les blessures qui marquaient la peau de feu notre regretté ami : des traces de larges dents en cinq ou six endroits différents, suppurantes, séquelles d’une bataille avec un autre mâle. Pas étonnant qu’il ait été de si mauvaise humeur...

On parle souvent du Big Five des chasses africaines : je tiens quant à moi que l’hippo est le plus sous-estimé des gibiers africains, et qu’il tue beaucoup plus de monde que n’importe quel autre animal de ce continent, à l’exception des crocos. Il est vrai qu’il tue peu de chasseurs amateurs.
Cela a failli néanmoins m’arriver à moi à trois reprises différentes : je sais que pour le touriste moyen, l’hippo a une bonne tête marrante, mais considérez bien sa gueule : il possède quatre dents, épaisses comme de gros manches de pioche, longues comme votre avant-bras, et qui s’aiguisent en permanence l’une contre l’autre. Voyez aussi comment, avec ses deux ou trois tonnes, il passe en overdrive avec la même vitesse qu’un buffle.

Sachez aussi – ce que ne vous dit pas Disney, qui le représente volontiers en tutu - qu’il ne se nourrit pas de végétaux aquatiques, mais de tout fourrage lui plaisant, de nuit, et dans la brousse jusqu’à dix kilomètres de sa rivière. Et que s’il vous trouve au jour entre l’eau et lui, il n’hésitera pas à vous charger, ses dents pouvant parfaitement se rencontrer au travers de votre torse : chose que vous êtes susceptible de trouver assez peu souhaitable.

S’il décide de vous charger depuis l’eau alors que vous êtes sur la rive, pour toute raison lui appartenant, vous aurez l’impression d’être attaqué par un piano de concert surdimensionné, avec le couvercle ouvert : certains produisent un bruit de synthétiseur Moog en court-circuit, d’autres sont silencieux, mais avec ou sans bruit, croyez moi, ils retiendront toute votre attention du moment... Rappelez-vous qu’ils ont deux fois la taille d’un buffle du Cap, et qu’il est prouvé que, de temps à autre, ils s’amusent à couper en deux des crocos de 6 mètres de long...


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