Je termine « L’Idiot » et je me demande par quel bout je vais prendre mon commentaire.
L’histoire ? Elle n’est pas d’une grande importance : le prince Mychkine, soigné en Suisse pour « idiotie » (crises d’épilepsie qui le
laissent hébété, « idiot » ; crises dont souffrait aussi l’auteur) revient en Russie. Durant son voyage de retour il fait la connaissance dans le train de Rogogine, qui sera le double noir du Prince et son rival auprès de Nastassia, une femme bafouée à qui son déshonneur donnera un orgueil qui frise la folie. A son arrivée le Prince prend contact avec une vague cousine, Elizabeth Prokofievna, mère de trois jeunes filles,
dont la plus jeune, Aglaé, sera l’autre amour du Prince. Aglaé, une jeune fille gâtée, farouche, intransigeante, fière de sa pureté qui la rendra cruelle.
A travers cette famille, qui l’accueille d’emblée, le Prince va entrer en contact avec tout un tas de personnages plus haut en couleurs les
uns que les autres. Et c’est sciemment que j’emploie le terme de « personnage » et non de « personne » car les personnages de Dostoïevski ont valeur symbolique et les conflits qui les jettent les uns contre les autres sont l’occasion pour l’auteur de nous donner sa sombre vision
de la Russie : christianisme déliquescent, utopies athées, éveil du terrorisme révolutionnaire, primauté de l’argent.
Dostoïevsky nous entraîne à un rythme endiablé et sa narration rebondit de péripétie en péripétie jusqu’au tout dernier moment. J’ai même poussé un cri d’incrédulité vers la fin, stupéfaite devant un ultime rebondissement. Ses personnages ont beau être aussi des symboles, ils n’en
possèdent pas moins une énergie et une rage de faire valoir leur point de vue qui m’a parfois presque épuisée.
L’Idiot, dont on a dit qu’il est une figure christique, pousse la compassion jusqu’à des limites inacceptables pour le monde dans lequel il vit, incapable de le comprendre et qui le traite pour cela d’idiot. Les gens qui l’entourent perçoivent quelque chose de la lumière qui l’habite mais pas jusqu’à se laisser traverser par elle. Ils demeurent dans leurs ténèbres.
Mais l’Idiot reste un homme fragile et il ne pourra pas sauver Nastassia. Comme son pays, la Russie, elle est livrée au plus offrant et elle se débat entre un idéal de pureté stérile et une attirance pour le chaos.
L’argent mène le monde parce qu’il masque le vide et la
mort. Et l’idéal révolutionnaire ne fait pas mieux que la réalité qu’il combat.
J’ai pris beaucoup d’intérêt et de plaisir à ce livre qui se lit sans temps mort malgré sa longueur.
Ce qui m’a le plus séduite, c’est son intemporalité. Maintes fois, surtout dans le premier tome, j’ai retrouvé en le lisant nos préoccupations essentielles, nos questions existentielles, qui n’appartiennent à aucune époque ni à aucun lieu en particulier.
« L’Idiot » est un grand livre parce que nous
pouvons nous lire en le lisant.