Annie Ernaux (1940)

J'ouvre un topic à cette écrivaine française dont je viens de lire le court récit autobiographique "La Place", publié en 1983 (prix Renaudot 1984)

Citation :

«Enfant, quand je m'efforçais de m'exprimer dans un langage châtié, j'avais l'impression de me jeter dans le vide.
Une de mes frayeurs imaginaires, avoir un père instituteur qui m'aurait obligée à bien parler sans arrêt en détachant les mots. On parlait avec toute la bouche.
Puisque la maîtresse me "reprenait", plus tard j'ai voulu reprendre mon père, lui annoncer que "se parterrer" ou "quart moins d'onze heures" n'existaient pas. Il est entré dans une violente colère. Une autre fois : "Comment voulez-vous que je ne me fasse pas reprendre, si vous parlez mal tout le temps !" Je pleurais. Il était malheureux. Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancœur et de chicanes douloureuses, bien plus que l'argent.»

Je ne sais pas si j'ai aimé ce récit qui retrace les relations de l'auteur avec son père, issu d'un milieu modeste (ouvrier agricole puis petit commerçant), le style très neutre, très détaché, me perturbe un peu

En tout cas, je pense lire d'autres livres d'Annie Ernaux, à commencer par "La Honte" :

«J'ai toujours eu envie d'écrire des livres dont il me soit ensuite impossible de parler, qui rendent le regard d'autrui insoutenable. Mais quelle honte pourrait m'apporter l'écriture d'un livre qui soit à la hauteur de ce que j'ai éprouvé dans ma douzième année.»

ou "Mémoires de Fille" :

Citation :

Annie Ernaux replonge dans l’été 1958, celui de sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans l’Orne. Nuit dont l’onde de choc s’est propagée violemment dans son corps et sur son existence durant deux années. S’appuyant sur des images indélébiles de sa mémoire, des photos et des lettres écrites à ses amies, elle interroge cette fille qu’elle a été dans un va-et-vient entre hier et aujourd’hui.

Avez-vous lu des livres de cette écrivaine ? quels ont été vos préférés ?

Excellente idée de topic Serendipity.

J'ai lu comme toi La Place, que j'ai trouvé intéressant sans adhérer plus que cela. Le récit est un peu trop froid à mon goût aussi.
Mais, avant de lire ce texte, j'avais eu un gros coup de coeur pour Les Années.

Citation :

«La photo en noir et blanc d'une petite fille en maillot de bain foncé, sur une plage de galets. En fond, des falaises. Elle est assise sur un rocher plat, ses jambes robustes étendues bien droites devant elle, les bras en appui sur le rocher, les yeux fermés, la tête légèrement penchée, souriant. Une épaisse natte brune ramenée par-devant, l'autre laissée dans le dos. Tout révèle le désir de poser comme les stars dans Cinémonde ou la publicité d'Ambre Solaire, d'échapper à son corps humiliant et sans importance de petite fille. Les cuisses, plus claires, ainsi que le haut des bras, dessinent la forme d'une robe et indiquent le caractère exceptionnel, pour cette enfant, d'un séjour ou d'une sortie à la mer. La plage est déserte. Au dos : août 1949, Sotteville-sur-Mer.»
Au travers de photos et de souvenirs laissés par les événements, les mots et les choses, Annie Ernaux donne à ressentir le passage des années, de l'après-guerre à aujourd'hui. En même temps, elle inscrit l'existence dans une forme nouvelle d'autobiographie, impersonnelle et collective.

Dans ce livre, la narratrice se penche sur des moments clés de sa vie, au travers de photos. Mais chacune des photos n'est qu'un prétexte pour évoquer l'époque qu'elle lui rappelle, dans une forme étonnante d'autobiographie à la première personne du pluriel, qui en fait plus l'autobiographie d'un peuple ou d'un pays que celle d'une personne.
J'avais trouvé ce livre magistral, juste et émouvant. Annie Ernaux y retrace l'évolution de la société française de l'après-guerre au début des années 2000. J'ai compris en lisant ce livre pourquoi elle était considérée comme une auteure majeure.

Elle est d'ailleurs également considérée comme une des pionnières de l'autofiction. Dommage que ce genre ait donné un peu tout et n'importe quoi depuis...

esperluette a écrit:

J'ai lu comme toi La Place, que j'ai trouvé intéressant sans adhérer plus que cela. Le récit est un peu trop froid à mon goût aussi.
Mais, avant de lire ce texte, j'avais eu un gros coup de coeur pour Les Années (...)

Elle est d'ailleurs également considérée comme une des pionnières de l'autofiction. Dommage que ce genre ait donné un peu tout et n'importe quoi depuis...

L'autofiction n'est pas un genre qui m'attire en général, mais les thèmes abordés dans l'oeuvre d'Annie Ernaux m'intéressent.

Je signale aussi "L'Autre Fille", un de ses livres qui m'intéresse également :

Citation :

Yvetot, un dimanche d'août 1950. Annie a dix ans, elle joue dehors, au soleil, sur le chemin caillouteux de la rue de l’École. Sa mère sort de l'épicerie pour discuter avec une cliente, à quelques mètres d'elle. La conversation des deux femmes est parfaitement audible et les bribes d'une confidence inouïe se gravent à jamais dans la mémoire d'Annie. Avant sa naissance, ses parents avaient eu une autre fille. Elle est morte à l'âge de six ans de la diphtérie. Plus jamais Annie n'entendra un mot de la bouche de ses parents sur cette sœur inconnue. Elle ne leur posera jamais non plus une seule question. Mais même le silence contribue à forger un récit qui donne des contours à cette petite fille morte. Car forcément, elle joue un rôle dans l'identité de l'auteur. Les quelques mots, terribles, prononcés par la mère ; des photographies, une tombe, des objets, des murmures, un livret de famille: ainsi se construit, dans le réel et dans l'imaginaire, la fiction de cette "aînée" pour celle à qui l'on ne dit rien. Reste à savoir si la seconde fille, Annie, est autorisée à devenir ce qu'elle devient par la mort de la première. Le premier trio familial n'a disparu que pour se reformer à l'identique, l'histoire et les enfances se répètent de manière saisissante, mais une distance infranchissable sépare ces deux filles. C'est en évaluant très exactement cette distance que l'auteur trouve le sens du mystère qui lui a été confié un dimanche de ses dix ans.

Et en effet, j'ai également eu de très bons échos du livre "Les Années"

L'avantage c'est que ses livres sont très brefs et qu'ils s'intercalent facilement entre deux lectures. Pour l'anecdote, j'ai trouvé amusant de lire ce livre après "L'Assommoir" de Zola et qu'Annie Ernaux évoque justement "L'Assommoir" dans un passage

Merci pour cette ouverture de topic. J'aime beaucoup Annie Ernaux. Elle arrive à faire de l'autofiction dans laquelle on se reconnaît tous. Bien que La Place soit son plus connu, ce n'est vraiment pas mon préféré. J'ai beaucoup aimé Les Années, un condensé de tous ses autres livres. Mon préféré est L'Autre Fille, sur sa soeur décédée avant sa naissance. Passion simple m'a plu, tout comme Mémoire de Fille. J'ai eu un peu plus de mal avec Je ne suis pas sortie de ma nuit (sur la mort et la maladie de sa mère).

Merci pour ces avis Miss . Je n'ai manifestement pas commencé par le meilleur... j'ai emprunté "La Honte" à la médiathèque et j'attends de récupérer "L'autre fille"

J'en ai écouté la version audio, lue par l'auteur, c'était magnifique. Malgré le style très simple de l'auteur, j'avais été très émue.

J'ai donc lu "La Honte" qui est complémentaire de "La Place" et présente à mes yeux des similitudes (format, style, contexte etc.)

Ici il est question d'un événement traumatique qui s'est produit en 1952, l'année des 12 ans de l'auteur, que je peux révéler sans spoiler quiconque vu qu'il est exposé d'emblée : un dimanche, le père de l'auteur a tenté de tuer sa mère dans un excès de colère. Annie Ernaux part de ce traumatisme personnel et restitue un portrait d'Yvetot en 1952 avec le pensionnat privé, les chansons de Luis Mariano, le voyage qu'elle a effectué jusqu'à Lourdes avec son père...

Là encore, je ne sais pas si j'ai aimé ce court récit, même si le style m'est apparu peut-être moins distancié que dans "La Place". Ce récit fait s'interroger sur sa propre famille, son adolescence, bref des dossiers qu'on préfèrerait parfois laisser fermés

Je pense malgré tout lire "L'Autre fille" quand je pourrai mettre la main dessus, surtout que ton avis m'y incite grandement MissHoneychurch

Merci pour l'ouverture de ce topic Serendipity. Même si je ne suis pas très amatrice d'autofiction, Les Années me tente bien .

Merci pour cet avis Serendipity, voilà qui me donne envie de continuer à creuser l'oeuvre d'Ernaux.

Pour celles que cela intéresse, voici un lien vers l'article d'Annie Ernaux publié hier dans Libération (son analyse sur l'actualité du moment)

"Ca peut pas faire de mal" de Guillaume Gallienne est consacré aujourd'hui à Annie Ernaux

Oui, je l'écoute, c'est très intéressant ! ça donne envie de la lire !

Je confirme c'était très intéressant J'ai apprécié les extraits d'interviews qui venaient compléter les extraits de "La Honte" lus par Guillaume Gallienne

Je viens partager mon retour après ma lecture de Mémoire de fille !
Si je suis très contente d'avoir enfin découvert la plume de ce monument de la littérature française, Mémoire de fille ne restera pas dans mes meilleurs souvenirs de lecture !
Non pas que je n'ai pas aimé le texte, mais j'ai eu la sensation de rester "étrangère" à l'ensemble du récit, n'étant jamais réellement embarquée aux côtés de son héroïne
En effet, si la narration à la troisième personne est un choix délibéré de la part d'Annie Ernaux, j'ai trouvé pour ma part qu'elle créait une barrière entre l'héroïne et son lecteur malgré les évènements marquants relatés durant les deux années du récit. De plus, je n'ai jamais réussi à éprouver de la sympathie pour la jeune Annie que j'ai trouvée passive et immature dans sa vie (à l'exception du domaine scolaire où elle a d'excellents résultats)...D'ailleurs, je suis surprise de trouver autant de contraste entre la jeune femme de 1958 de Mémoire de fille et celle de 1963 de L'Evènement où elle parait plus forte, plus déterminée, ayant des opinions fixées sur tous les sujets.
Néanmoins, Mémoire de fille reste un passionnant témoignage de la condition des femmes des années 1950 / 1960. La comparaison entre la situation d'une jeune femme de 1958 et celle d'une jeune femme d'aujourd'hui est judicieuse puisqu'elle permet de montrer les progrès effectués depuis plus de 60 ans, ne serait-ce que par l'exemple suivant :

Spoiler:

Enfin, si la qualité de l'écriture d'Annie Ernaux est indéniable (j'ai ainsi découvert de nouveaux mots de la langue française dont j'ignorais l'existence, comme "propédeutique" ), je ne suis pas forcément séduite par ce récit très "brouillon", hétérogène, comportant des digressions, même si cela est sans doute la "marque" de l'écriture d'Annie Ernaux !
Pour conclure, je ressors de ma lecture avec des impressions mitigées, tant sur la forme que sur le fond, mais je suis contente d'avoir lu un roman d'Annie Ernaux dont j'entends parler depuis longtemps !
Hâte de lire vos retours, Serendipity et Tsundoku

Merci pour ton retour Juliette. J'en suis environ à mi-lecture et mon avis rejoint complètement le tien.

Je suis contente de faire cette lecture car ce livre est souvent cité comme une référence, mais je ne l'apprécie pas vraiment. J'ai lu 3 livres d'Annie Ernaux jusqu'à présent et celui-ci est celui qui me plait le moins, probablement en raison des digressions que tu évoques, mais aussi par manque d'empathie avec la jeune Annie décrite dans ce récit.

Tu me rassures !
Hâte de lire ton avis complet !

Juliette2a a écrit:

je ressors de ma lecture avec des impressions mitigées, tant sur la forme que sur le fond, mais je suis contente d'avoir lu un roman d'Annie Ernaux dont j'entends parler depuis longtemps !

Également mitigée, même si la dernière partie du livre m'a un peu plus intéressée que la parte "colonie et attente stérile des retours d'un moniteur qui s'en fiche d'elle". Comme toi Juliette, je n'ai ressenti aucune empathie pour cette jeune Annie, ses marivaudages juvéniles en colonie m'ont ennuyée. Heureusement que la langue est belle et qu'il y a des analyses que j'ai trouvées très fines et percutantes sur la sortie de l'adolescence, la difficulté à trouver sa voie etc.

C'est un livre très autocentré, ce qui a pu déplaire à certains lecteurs, mais c'est le socle de l'oeuvre littéraire d'Annie Ernaux (je suis fascinée par sa capacité à avoir documenté sa vie et à pouvoir ainsi replonger dans son passé en mettant en parallèle son histoire personnelle et l'histoire au sens plus large). Ce qui m'a interpellée dans ce livre c'est également le fait qu'elle cite des personnes probablement encore en vie (dans La place ou La honte, elle évoque ses parents décédés), qui même anonymisés pourront se reconnaître. Je me suis demandée si cela a pu soulever des réactions des intéressés.

J'ai trouvé intéressante sa réflexion qu'on existe au travers du regard des autres et que dans son cas, certaines personnes ont occupé une place importante dans sa trajectoire, sans forcément en avoir conscience, et qu'elle a pour sa part pu laisser une empreinte quasi invisible sur ces personnes (il faudra que je retrouve le paragraphe en question, elle le dit bien évidemment bien mieux que moi !!)

Je suis contente d'avoir lu ce livre mais un peu ennuyée de vous avoir embarquées dans cette lecture Juliette et Tsundoku car elle ne soulève pas non plus un grand enthousiasme et ce livre ne me parait pas être la lecture idéale pour entrer dans l'oeuvre d'Annie Ernaux.

Qu'en pensent les connaisseuses de l'oeuvre ? (je pense à MissHoneychurch par exemple)

Merci Juliette et serendipity pour vos retours... Je me suis procurée le livre et j'ai hâte de le lire à mon tour, même si vos critiques me font un peu peur..

serendipity a écrit:

Je suis contente d'avoir lu ce livre mais un peu ennuyée de vous avoir embarquées dans cette lecture Juliette et Tsundoku car elle ne soulève pas non plus un grand enthousiasme et ce livre ne me parait pas être la lecture idéale pour entrer dans l'oeuvre d'Annie Ernaux.

Ne t'inquiète pas serendipity ! Un ami m'a prêté La Place, que je lirai aussi, quoi que je pense de Mémoire de fille.

serendipity a écrit:

J'ai trouvé intéressante sa réflexion qu'on existe au travers du regard des autres et que dans son cas, certaines personnes ont occupé une place importante dans sa trajectoire, sans forcément en avoir conscience, et qu'elle a pour sa part pu laisser une empreinte quasi invisible sur ces personnes (il faudra que je retrouve le paragraphe en question, elle le dit bien évidemment bien mieux que moi !!)

Ce passage m'a également marquée !

Ne t'en fais pas Serendipity, comme je l'ai dit, je souhaitais lire Annie Ernaux depuis longtemps, donc je ne suis pas frustrée ! De plus, je compte lire L'Evènement dont j'ai apprécié l'adaptation ciné

Tsundoku, bonne future lecture ! Hâte de lire ton avis

J'ai lu mon premier Annie Ernaux, La place. M'étant décidée à me plonger dans son oeuvre quand elle a reçu le Nobel (je ne dois pas être la seule   ) c'est le livre qui m'a attirée spontanément dans sa bibliographie. Elle y raconte son père, et les relations complexes qu'elle a entretenues avec lui, depuis ses origines jusqu'à sa disparition alors qu'elle était encore une jeune prof. J'ai bien aimé ce récit, court et percutant, poignant aussi lorsqu'elle décrit le fossé grandissant qui s'est creusé entre eux deux au début de ses études. Il raconte l'existence simple d'un couple, son père et sa mère, à la vie rythmée par le travail et marquée par leur condition sociale modeste. Le style m'a semblé un peu trop sec (à mon goût), et le qualificatif "neutre" que tu emploies serendipity est très juste. Par exemple son fils, encore tout petit dans les scènes qu'elle décrit, est désigné comme "l'enfant", cela m'a frappée. Comme si elle avait voulu créer une distance. Néanmoins je lirai volontiers l'ouvrage qu'elle a consacré à sa mère, pour continuer dans son histoire familiale.

Merci pour ton retour, Tatiana ! Je te rejoins sur la plume "neutre" de l'auteure qui m'a également perturbée

Merci à Tatiana et serendipity pour ce topic. 
J'avoue cette auteure ne m'attire pas du tout, je ne saurai dire pourquoi, un préjugé stupide de ma part, certainement. A corriger au plus vite 

Cela me surprend Petit Faucon, je pensais que la démarche d'Annie Ernaux était susceptible de t'intéresser

Si tu corriges au plus vite, je serai curieuse de savoir ce que tu vas en penser.

@ Tatiana, merci pour ton retour sur ce livre

Oui tu as tout à fait raison sur le papier, mais je ne sais pas pourquoi je ressens une sorte d'aversion quand je la vois en interview 
C'ets pour ça que je pense que c'est tout à fait stupide de ma part 

Petit Faucon a écrit:

Merci à Tatiana et serendipity pour ce topic. 
J'avoue cette auteure ne m'attire pas du tout, je ne saurai dire pourquoi, un préjugé stupide de ma part, certainement. A corriger au plus vite 

Tout pareil, pour le merci et le peu d'attrait que ses livres m'inspirent ! Pourtant il faut que j'en lise au moins un pour me faire une idée plus juste !