Pour faire pendant au topic sur Deborah Kerr, j'ouvre celui sur
Jean Simmons (1929-2010), également l'une des actrices que j'admire le plus. J'ai l'impression qu'elle est relativement méconnue et pourtant elle est souvent considérée comme l'une des meilleures de son époque dans le 'milieu cinéphile' (et je suis d'accord).
Je dis pendant car Simmons a de nombreux points communs avec Kerr. Pour commencer elle aussi est anglaise. Elle était de sept ans plus jeune mais a suivi un parcours similaire en de nombreux points. De plus, elles ont tourné ensemble à trois reprises sur plusieurs décennies et ont souvent joué avec les mêmes acteurs masculins. Elle commence de même sa carrière en Angleterre, encore adolescente (vers 15 ans) en 1944 et 45 dans une série de petits rôles (que je n'ai pas vus).
Le film le plus ancien où je la connais date de 1946, c'est l'adaptation des
Grandes espérances de Dickens, signée par David Lean, où elle joue la jeune Estella. Son rôle est assez bref mais on ne peut que la remarquer avec son côté chipie, sûre d'elle, sa voix si particulière.
Elle a de même un rôle court mais plutôt inoubliable dans
Le narcisse noir, où elle incarne une jeune Indienne muette, immature et passionnée.
Je sais qu'elle a joué Ophelia dans l'adaptation de
Hamlet réalisée par Laurence Olivier mais ne l'ai pas vue.
De sa période anglaise, deux films plutôt bizarres que j'avais bien aimés, tous deux de 1950 :
Cage of gold, une sorte de film à suspense avec une histoire de disparition, le tout assez rocambolesque.
The clouded yellow/La fille aux papillons peut-être encore plus étrange, un "thriller" avec échappée dans la campagne anglaise. Il y a Trevor Howard dedans. Simmons y interprète une jeune fille traumatisée par un meurtre.
L'actrice part ensuite à Hollywood.
Elle y tourne en 1952
Angel face/Un si doux visage d'Otto Preminger avec Robert Mitchum, un de ses films les plus connus et rôle parmi les plus marquants. Je crois que c'est le premier où je l'ai vue et j'ai immédiatement accroché.
Comme Deborah Kerr, elle tourne dans plusieurs péplums (que je ne connais pas non plus donc).
Elle retrouve Kerr en 1953 dans un film historique :
Young Bess / La reine vierge où elle interprète Elizabeth I. Je ne me rappelle honnêtement pas de ce film mais je sais qu'il m'avait relativement plu alors que ce n'est pas le genre de période historique que j'aime.
Elle tourne de nouveau avec Mitchum dans
She couldn't say no/Belle mais dangereuse (1954). Bon, c'est une comédie franchement mauvaise mais si on est dans un bon jour, pour les complétistes...
Un peu du même genre, y a le médiocre
Affair with a stranger/Commérages (1953), cette fois avec Victor Mature. C'est très (très) légèrement mieux.
On retrouve ensuite des films de meilleure qualité :
Footsteps in the fog/Des pas dans le brouillard (1955) : un film où elle a l'occasion de repartir tourner en Angleterre. C'est un drame à suspense qui se passe à l'époque victorienne. Elle y joue une domestique un peu perverse en compagnie de Stewart Granger (son mari à l'époque). Le film est bien réalisé, avec ce grain de couleurs si caractéristique de l'époque. Très bon récit et interprétations à l'avenant.
Guys and dolls/Blanches colombes et vilains messieurs (1955) de Joseph Mankiewicz, la comédie musicale adaptée du spectacle de Broadway. Avec aussi Marlon Brando et Frank Sinatra. Le film n'est souvent pas bien considéré, il est trop long, mais vaut quand même le coup d'oeil pour ses bonnes chansons et ses numéros musicaux fantaisistes et dynamiques. Simmons chante elle-même et incarne une sorte de réformatrice religieuse un peu collet monté mais qui va apprendre à se laisser aller au contact de Brando.
Quelque peu similaire,
This could be the night/Cette nuit ou jamais (1957), un film méconnu mais qui a été une très bonne surprise. Ce n'est pas une comédie musicale à proprement parler mais comme ça se déroule dans un nightclub de New York, y a quelques numéros chantés et dansés que j'ai beaucoup aimé (pas par Simmons). Elle y joue une maîtresse d'école qui prend un second emploi de secrétaire dans ce club et découvre le monde de la nuit. Enfin rien de sulfureux ici, c'est un film très cosy, romantique, chaleureux, une ambiance dans laquelle on se sent bien.
On arrive à la fin des années 1950 et en 58, elle tourne dans
Home before dark/Retour avant la nuit, là aussi un film peu connu, là aussi un de ses meilleurs, un drame psychosocial. Celui d'une femme épouse d'un professeur d'université dans une petite ville de Nouvelle-Angleterre, enfermée dans son foyer, sa famille, instable mentalement et qui va tenter de renaître à la vie, à elle-même. Simmons y est excellente. Le film possède une atmosphère froide, hivernale, qui s'accorde parfaitement au propos.
Les années 1960 donc, une décennie particulièrement intéressante pour elle.
Y a évidemment le célèbre
Spartacus dont je ne parle pas plus
The grass is greener déjà évoqué dans les topics Kerr et Mitchum
Elmer Gantry (1960) de Richard Brooks (son second mari) : c'est un film avec Burt Lancaster, adapté d'un roman de l'écrivain américain plutôt célèbre Sinclair Lewis. Cela évoque le milieu "revivaliste" aux Etats-Unis dans les années 30. Simmons y interprète une "soeur" en mission. Le film est assez puissant, assurément à découvrir.
En 1965,
Life at the top, de nouveau un film anglais. Jean Simmons y a un rôle assez secondaire quoique important, l'épouse du héros lui-même en proie au doute existentiel dans une crise de milieu de vie. Je ne m'en souviens pas bien mais j'aime ces films au ton sérieux montrant les affres psychologiques de gens socialement aisés qui "s'inventent des problèmes".
Justement dans la même veine et quelques années plus tard, en 1969 :
The happy ending, là aussi de Richard Brooks. Ca raconte le délitement d'un mariage, les questionnements et doutes à l'approche de la quarantaine, les prémisses d'une existence possiblement plus libre pour les femmes, mais aussi la stupidité ou du moins vanité d'un certain mode de vie. Enfin je n'en dis pas plus. Plutôt acide.
Pour finir, j'évoquerai qu'elle a tourné dans un épisode de la
série Miss Marple, celle des années 1980/90 avec Joan Hickson. C'est
They do it with mirrors/Jeux de glaces où elle interprète le personnage de Carrie-Louise, l'amie d'adolescence de la détective.
Tout comme Deborah Kerr, Jean Simmons était une actrice talentueuse et multiple. Elle me parait plus à son aise dans les rôles dramatiques mais est quand même convainquante dans ceux plus légers.
Je dirais que Kerr est souvent d'une délicatesse posée, affirmée, paisible, même si elle sait être bouleversante émotionnellement. Simmons est pareille mais elle peut également et paradoxalement faire preuve de plus de dureté mais aussi de fragilité. Elle a un jeu plus instable, plus nerveux.
C'est une actrice rarement évoquée lorsqu'on parle du cinéma des années 1940 à 60 alors qu'elle a tourné dans de nombreux excellents ou très bons films, qu'on la sent très investie dans ses personnages, avec une intelligence de jeu perceptible, donc n'hésitez pas à la (re)découvrir.
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Une photo de Kerr et Simmons
Mar 10 Déc 2019, 12:15
