L'enquête généalogique en littérature.

J'ai eu l'idée d'ouvrir ce topic sur un genre littéraire que j'affectionne particulièrement, après avoir écouté l'émission De vive voix (RFI) avec l'auteur et traducteur Nicolas Richard, dont le dernier livre "La chanteuse aux trois maris" découle de ce type de démarche.

Citation :

Les destins croisés et les amours contrariées de deux femmes atypiques dans les années 1920, l'une médecin, l'autre chanteuse de cabaret, dont les existences mouvementées et parsemées d'étranges décès emmènent le lecteur de Paris à Alger, de Toulouse à Dakar. Au programme : prestidigitation, morphinomanie, sorcellerie africaine et dancing !

(pour écouter l'émission c'est ici   )

Même chose pour l'écrivain Michel Jean, dont nous sommes nombreuses à avoir aimé "Kukum", consacré à son arrière grand-mère  

Dans le genre, je lis actuellement "La promesse" de Marie de Lattre :

Citation :

La promesse que souhaite tenir ce livre, c'est d'abord celle de raconter le destin d'un enfant qui bascula avec la guerre.
Nous sommes en 1942, Jacques a 8 ans. Ses parents sont des artistes juifs émigrés d'Europe de l'Est. Lorsqu'ils sont arrêtés, avant d'être exterminés en Pologne, le père de Jacques, du camp de Drancy, écrit à une jeune femme pour la supplier de ne pas oublier l'enfant. Et sa mère formule la même prière à un de leurs amis. Cette femme et cet homme, qui ne se connaissaient pas, sauveront Jacques. Mais au nom de quels liens ? Quels chemins prendront leurs vies lorsque la guerre sera finie ?
Nous sommes en 2022. Ce qui compte désormais, c'est de transmettre ce que des Français ont fait, dans le secret et le courage. La promesse dit l'amour filial, l'instinct de survie, la violence née du silence, et la réconciliation entre des générations.

Et j'avais noté de lire cette année le dernier livre de Natacha Appanah, "La mémoire délavée" :

Citation :

Ce poignant récit s'ouvre sur un vol d'étourneaux dont le murmure dans une langue secrète fait écho à toutes les migrations et surtout à celle d'aïeux, partis d'un village d'Inde en 1872 pour rejoindre l'île Maurice. C'est alors le début d'une grande traversée de la mémoire, qui fait apparaître autant l'histoire collective des engagés indiens que l'histoire intime de la famille de Nathacha Appanah.
Ces coolies venaient remplacer les esclaves noirs et étaient affublés d'un numéro en arrivant à Port-Louis, premier signe d'une terrible déshumanisation dont l'autrice décrit avec précision chaque détail. Mais le centre du livre est un magnifique hommage à son grand-père, dont la beauté et le courage éclairent ces pages, lui qui travaillait comme son propre père dans les champs de canne, respectant les traditions hindoues mais se sentant avant tout mauricien.
La grande délicatesse de Nathacha Appanah réside dans sa manière à la fois directe et pudique de raconter ses ancêtres mais aussi ses parents et sa propre enfance comme si la mémoire se délavait de génération en génération et que la responsabilité de l'écrivain était de la sauver, de la protéger. Elle signe ici l'un de ses plus beaux livres, essentiel.

Natacha Appanah était récemment l'invitée de l'émission de France Culture Le cours de l'histoire et c'était à la fois émouvant et passionnant


Ce topic ne se substitue pas aux topics consacrés aux auteurs, bien sûr, j'ai d'ailleurs pour projet de lire le livre de Marsye Condé, consacré à sa grand-mère et j'aurai l'occasion d'en parler là-bas le moment venu (vu le retard de lecture accumulé, cela ne sera malheureusement pas pour tout de suite).

Merci pour le topic serendipity. Je ne connais pas les auteurs que tu mentionnes (merci de les recommander), mais ce genre littéraire où la grande Histoire rejoint celle d'une famille me plaît aussi. J'ai par exemple été intéressée par l'essai de Stéphane Audouin-Rouzeau, éminent spécialiste de la Grande Guerre, sur sa propre famille dans le conflit (Quelle histoire : un récit de filiation (1914-2014).

Tout récemment, un livre m'a beaucoup marquée : Mon oncle d'Australie de François Garde, qui avait été invité dans LGL en début d'année et dont l'intervention m'avait donné très envie de le lire. Le livre est difficile à définir (bien qu'il soit classé dans la catégorie romans), car il comporte une part de fiction et une autre de non-fiction, comme on dit aujourd'hui. Ayant découvert très tardivement, et avec stupeur, l'existence de son grand-oncle Marcel, parti, selon les rares souvenirs familiaux, en Australie en 1900, l'auteur mène une enquête aussi passionnante qu'émouvante sur un secret de famille.

Merci pour ces recommandations Tatiana, je ne connaissais aucun de ces livres
Les deux m'intéressent ! avec une curiosité toute particulière pour celui d'Audouin-Rouzeau car, à mes heures perdues, et très modestement, j'ai entrepris cette démarche

Merci de l'ouverture de ce sujet très intéressant ! Je ne connais que Michel Jean grâce au challenge Wentworth mais c'est une approche vraiment originale !

Quel sujet passionnant !
Merci pour toutes vos recommandations !
Parmi les enquêtes généalogiques, je pense à La Carte postale, d'Anne Berest, que je n'ai pas lu mais qui a obtenu le Prix Renaudot des lycéens il y a quelques années

Ce livre semble en effet très intéressant Juliette et il n'est pas sans présenter des similitudes avec La Promesse de Marie de Lattre, que je viens de terminer. Un très beau livre, très touchant

Marie de Lattre redonne vie à ses ancêtres, remontant à la génération de ses arrière-grand-parents, juifs venus de Russie et à celle de ses grand-parents. Elle y explore des secrets de famille si longtemps tus. Grâce à de nombreux documents (photos, lettres, témoignages), elle livre un magnifique récit (je ne comprends pas pourquoi ce livre est qualifié de roman en quatrième de couverture).

Il est difficile de rendre compte de tout ce qui fait la force de ce récit.

Elle y découvre par exemple l'explication à la déportation des siens

Spoiler:

C'est aussi un récit passionnant sur la transmission de l'histoire familiale et le besoin, différent pour chacun, de se l'approprier ou non (ou bien à quel moment se l'approprier... j'ai été frappée par l'urgence de l'autrice à révéler cette découverte à son frère qui n'y était pas du tout préparé et qui en a été très choqué).

Par dessus tout, ce livre est aussi un témoignage historique très fort sur les conditions de détention de ses grand-parents à Drancy (j'ignorais que certaines familles y ont sont restées des mois et pouvaient recevoir des colis mais que tout cela était extrêmement encadré, les détenus pouvaient aussi écrire deux lettres par mois à des proches et la censure n'était pas totale). Les courriers des grand-parents de l'autrice révèlent leur détresse, leur angoisse, leurs conditions de vie si difficiles lors de cette terrible attente vers la déportation.

Tout aussi poignant le récit de l'attente de son père après guerre, à la gare de l'Est tout d'abord, puis au Lutétia, espérant revenir les siens. Puis le silence après guerre car on ne parlait pas de tout cela (je pense au message de Cassandre sur le topic de Primo Levi...)

Merci pour ce compte rendu serendipity, tu me donnes envie de me procurer ce livre (en poche, un argument supplémentaire). La Seconde Guerre mondiale n'est pas ma période de prédilection, mais j'aime l'aborder par les récits familiaux.
Il est en effet très étrange qu'il soit catalogué comme un roman . Je m'étais aussi posé la question pour le livre de François Garde, qui comporte néanmoins une partie romancée, imaginée par l'auteur, ce qui n'est donc pas le cas ici.

Je me note également ta recommandation !

Merci pour ce topic, Serendipity Tu t'en doutes peut-être, c'est un sujet qui m'intéresse.
J'ai justement eu récemment l'occasion de croiser l'autrice du livre Jeanne l'Alsacienne , qui est venu faire une recherche dans mon service. Je n'ai pas encore eu le temps de lire le livre -que je ne peux donc pas honnêtement recommander- mais j'ai beaucoup aimé discuter avec Laure Mestre (l'autrice en question, donc), qui m'a parlé d'une partie de son parcours de recherche, et, bien sûr, de ses ancêtres dont elle retrace l'histoire.

Ce livre n'est pas un roman, mais plutôt une sorte de journal de ses recherches et du lien qu'elle tisse et retisse avec la fameuse Jeanne et les autres membres de la famille au fil de celle-ci. Je pense que cela pourrait t'intéresser.

Merci pour ce conseil Léti Ce livre a l'air très intéressant -et je trouve la couverture superbe
Quelle chance d'avoir pu échanger avec l'autrice

Oui merci de recommander ce livre Léti, qui m'intéresse grandement compte tenu de mes origines alsaciennes. Je suis preneuse de tes impressions quant tu l'auras lu .

Merci pour l'ouverture de ce topic serendipity. Il me semble que dans la même veine, tu avais lu Mon ancêtre Poisson, de Christine Montalbetti.

De mon côté, je suis de prime abord moins sensible à ce genre que toi, mais je me suis surprise dernièrement en accrochant à la lecture de Trésor bleu, de Virginie Desvignes. L'autrice est partie des carnets de sa grand-mère pour retracer l'histoire de ses jeunes années et plus particulièrement la vie d'une femme mariée seule à tenir son bar-restaurant et la vie de famille dans un village occupé par les Allemands lors de la seconde guerre mondiale.
J'avais découvert cet ouvrage lors d'une séance de dédicace de l'autrice en librairie. L'autrice m'avait indiqué avoir entremêlé l'Histoire, l'histoire de sa grand-mère et quelques éléments de fiction pour rendre hommage au parcours de son aïeule. Un roman que je recommande, pour le portrait d'une femme entière et forte.

Je viens de lire La Promesse, et souscris entièrement à tes impressions serendipity. Merci beaucoup de l'avoir recommandé, car c'est une de ces lectures qui va m'accompagner pendant un moment, bien que la période 39-45 ne soit pas celle que je préfère.

Le récit est poignant, bouleversant. Elle évoque un passé familial caché, qu'elle a mis du temps à explorer, son grand souci de transmission également pour que ses filles aient le droit de savoir d'où elles viennent. Les chapitres de "reconstitution" (je ne suis pas sûre que le terme convienne, parce qu'elle imagine certaines choses mais on n'est pas du tout dans un roman, comme dans un long chapitre du livre de François Garde sont j'ai parlé plus haut), où elle tente de combler les vides de l'histoire de ses grands-parents et de son père sont à la fois simples et très riches sur le plan historique. J'ai trouvé intéressant aussi le travail d'enquête mené par Marie de Lattre, à partir de lettres qu'elle a mis du temps à vouloir lire, et qu'on a là l'histoire de l'intégration de familles de l'Europe de l'Est qui ont trouvé en France un lieu d'accueil et cru jusqu'au bout qu'elle les protégerait.

Spoiler:

Enfin, ce qui apparaît de ses relations avec son père, faites d'affection mais aussi de non-dits et de conflits, se révèle très fort également.

J'ai regardé l'intervention de l'écrivaine dans LGL en avril 2023. On la sent émue quand elle évoque son livre et son histoire familiale (c'est vrai qu'elle n'est pas banale). Et je ne comprends pas non plus pourquoi Augustin Trapenard le qualifie d'emblée de roman.

Merci pour ton retour sur ce livre Tatiana, je constate que nos avis se rejoignent. Mais je suis surtout ravie que tu aies aimé ce livre !
Comme tu le dis, c'est une lecture qui nous accompagne un certain temps ...

@ Vavyala, je vois que je ne t'avais pas répondu, désolée. Oui, Mon ancêtre Poisson est assurément une de mes lectures préférées dans ce genre

Dans tous les cas, je sais que c'est plus coûteux pour l'éditeur, mais il aurait été appréciable d'avoir des photos dans ces deux livres (à surveiller si éditions ultérieures).