Isabela Figueiredo est une journaliste, enseignante et écrivaine portugaise née en 1963 à Maputo au Mozambique.
Elle a écrit deux romans :
-
Carnet de mémoires coloniales, publié en 2009 au Portugal et traduit en 2021 en français
-
A gorda, en 2016
J’ai eu l’occasion de lire récemment
Carnet de mémoires coloniales que j’ai beaucoup aimé !
Il s’agit d’un récit autobiographique. Elle reprend son regard de petite fille pour décrire son enfance au Mozambique, le rapport difficile entre colons et autochtones, le chamboulement de la fin de la dictature en métropole (au Portugal donc) et la décolonisation.
Le ton est juste. Elle a attendu le décès de son père pour écrire ce témoignage, mais on croit entendre la voix de la fillette qui assiste à et rapporte chacun des événements avec la maitrise de la langue de l’adulte, ce qui est un beau tour de force.
A un niveau personnel, elle réussit aussi à décrire l’ambivalence de ses sentiments pour son père entre amour filial très fort pour cet homme qui l’a forgée et entourée d’attentions et rejet de son racisme envers les Africains mozambicains.
Au début, le langage est cru et violent, mais parfaitement percutant pour décrire l’idée de race qui a présidée à placer les colons blancs (bien que venus pauvres du Portugal) au dessus des locaux noirs. Et on a la voix de cette fillette qui sent confusément qu’il y a un rapport de force qui cloche.
Cependant, personne n’est idéalisé dans ce récit. La révolution des œillets, du 25 avril 1974, au Portugal, qui a vu le renversement de la dictature au Portugal, laisse rêver les colons à une indépendance blanche du Mozambique, à la façon du voisin sud-africain… Mais la désillusion sera leur lot et l’autrice nous relate la revanche des indépendantistes d’origine africaine qui s’attaquent, parfois à la machette, aux Blancs restés au Mozambique.
Ses parents l’envoient alors au Portugal pour sa sécurité et témoigner des exactions dont les Portugais sont victimes depuis l’indépendance.
Mais le Portugal n’est pas la terre natale de l’autrice qui se sent plus Mozambicaine que Portugaise… Et les Portugais métropolitains voient d’un mauvais œil l’arrivée des
retornados, ces Portugais qui ont fui la dictature et la pauvreté pour vivre dans l’opulence et "sans travailler" au Mozambique, ayant leurs "boys" noirs pour les servir. L’adolescente découvre la métropole pauvre, sale et arriérée et le racisme envers les
retornados comme elle…
A travers sa "petite" histoire, l’autrice nous apprend un aspect de la grande Histoire sans facilité, mais plutôt par la complexité de l’innocence et la culpabilité de chacun. C’est ce récit en gris clair et gris foncé, sans jugement ou raccourci simpliste, mais assez complexe que j’ai apprécié !
J’ai lu ensuite la préface, très intéressante, car pointant le fait que le colonialisme n’était pas seulement le fait de l’élite politique, mais aussi présente à toutes les strates, tel le père électricien de l’héroïne (elle qui se croit riche, par comparaison au niveau de vie des serviteurs noirs, mais apprend qu’elle ne fait partie que de la classe modeste portugaise, ce qu’elle comprendra plus fortement au retour au Portugal).
A noter aussi cet article qui présente succinctement et bien mieux que moi ce roman :
- Citation :
- Dans une interview accordée l´année dernière à André de Oliveira pour le quotidien en ligne El País Brasil, lors du colloque «Frontières de la Pensée», Isabela Figueiredo a affirmé que les «retornados» au bout du compte ont été fort importants pour le développement du Portugal après l´avènement de la démocratie en 1974 : « À vrai dire, l´arrivée des «revenants » a été importante pour le pays dans la mesure où nous avions un niveau de vie très élevé et plus de liberté. Les Blancs en Afrique étaient plus scolarisés que ceux qui vivaient au Portugal. Un jour, si vous voulez, faites ce constat : où sont nés la plupart des gens haut placés aujourd'hui au Portugal ? En Angola et au Mozambique. Tout est contradictoire. Ils ne m´aiment pas à cause de mon livre, mais toujours est-il qu´il a quand même fini par les bénéficier ».
Ce roman et son autrice ont été à l’honneur d’une table ronde du festival VO-VF (dédié à la traduction) en 2021. On peut retrouver ici l’enregistrement de ce moment
Je ne l’ai pas encore écouté mais prévois de le faire sous peu, ayant beaucoup aimé cette lecture !
En résumé, un récit coup de poing, sur le fond et la forme, sur cette partie de l’histoire coloniale portugaise, mais que je recommande fortement pour la qualité littéraire, le témoignage personnel et historique !
Les premiers chapitres sont crus, mais ils valent la peine de s'accrocher pour la qualité de l'ensemble du récit.