Dans le cadre de ma présentation datée d'hier 1er décembre, je citais le livre Butt and Ben écrit vers 1960 par Donald Sutherland.
Il semble y avoir eu un malentendu, du fait de l'homonymie avec l'acteur canadien de ce nom, célèbre pour Mash, Klute et autres films.
"Mon" Sutherland à moi n'a rien à voir, et comme j'ai commencé à traduire le bouquin - pour mon plaisir uniquement - j'aurais aimé avoir des renseignements sur cet auteur, inconnu de Google. Le livre se trouve encore parfois sur Amazon, en édition d'époque, et je vous garantis le plaisir de lecture.
Petit exemple, pour vous en donner le goût :
"Mais il y avait un autre facteur dans cette société de l’Argyllshire, introuvable ailleurs. J'ai déjà dit que l'Argyllshire, c'était autre chose. Ce facteur était vertical et traversait toutes les couches sociales avec des racines qui s'étendaient profondément dans un passé lointain et sanglant.
Vous étiez un Campbell ou apparenté aux Campbell…. Ou bien vous ne l'étiez pas.
"Bien sûr, le grand homme du Comté était le Duc d’Argyll. La chose était incontestable, même pour ceux qui n'étaient pas des Campbell. Pratiquement tous les chefs Campbell étaient ses vassaux. Et sa prééminence avait été consacrée par son mariage avec la princesse Louise. Et comme si cela n'était pas suffisant, le suivant dans l'ordre de la hiérarchie nobiliaire était un autre Campbell, le marquis de Breadalbane.
"Ces deux hauts personnages étaient Chevaliers de la Jarretière, possédaient immenses châteaux et gigantesques landes, recevaient royalement les rois et les reines… Mais pour ceux qui n'étaient pas Campbell, bien sûr… c'étaient de grands personnages, bien sûr… mais, est-ce que l'on pouvait vraiment faire confiance à des Campbell ?
"Il y avait eu cette affaire de Glencoe, et d'autres, tout aussi déplaisantes.
"On frayait avec les Campbell, bien sûr. Le moyen de faire autrement ? On était poli avec les Campbell, on pouvait même danser avec une jeune fille Campbell, et il y en avait d'adorables. On pouvait même boire un verre avec un Campbell…. Et sur ce dernier point, Lord Breadalbane sera toujours chéri dans ma mémoire pour avoir été le premier homme à m'offrir un whisky soda : je n'avais que 15 ans à l'époque et j'étais accompagné par mon père. L'offre avait dû être déclinée, mais mon moral d'adolescent avait été enthousiasmé comme d'avoir été considéré suffisamment adulte pour mériter la proposition d'un alcool.
"Néanmoins, on invitait rarement les Campbell chez soi, et on ne leur demandait pas de séjourner, davantage que l'on allait chez eux. La mémoire est toujours fort longue chez nous, dans l'Ouest.
Quand le frère du duc, Lord Archibald, partit un jour chasser à l'approche dans une forêt qui faisait partie du domaine de Glencoe, ce fut le chef des gardes, Ian Mac Donald, qui fut chargé de l'accompagner.
"Les deux hommes partageaient leurs sandwiches à midi, avec une flasque, quand Lord Archibald, homme des plus courtois et aimables, dit en manière de plaisanterie :
« et alors, Mac Donald, cela doit te changer quelque peu de sortir avec un Campbell ! il ne doit pas y en avoir beaucoup dans ces parages, n’est-ce pas ? »
« Oh, Votre Seigneurerie se trompe ! il y en a beaucoup, au contraire… oui, beaucoup, vraiment… »
« Sérieusement ? » Lord Archibald s’était redressé, étonné « Je ne m’en serais jamais douté ! »
« Si vous passez la montagne par là-bas » dit Mac Donald « vous êtes à Inverlochy, et vous y trouverez six cents Campbell… dans le cimetière… ».
A Inverlochy, Montrose avait infligé au Clan Campbell la plus écrasante défaite de leur histoire, en l’année 1644. Les morts avaient été enterrés sur place, à côté de l’église…
Cela est révélateur de la qualité de Lord Archibald, qui nous avait lui-même raconté cette histoire, où il n’avait pourtant pas le beau rôle… Oui, la mémoire est longue, dans l’Ouest…
ou encore :
"Cette rupture avec la hiérarchie ecclésiastique ne signifia pas pour autant la fin de notre fréquentation religieuse. Nous allions à la messe chaque dimanche comme auparavant, et à pied à l’aller comme au retour, car le dimanche était aussi le jour de repos de nos chevaux.
On se devait de revêtir les vêtements « du dimanche » qui étaient pour moi une parodie élaborée de mon costume de tous les jours, lequel en été se composait d'une chemise de flanelle ouverte au col, d'un vieux kilt, d'un Sporran de cuir, d’un sgian dubh aiguisé que l'on portait dans les grandes chaussettes, et de grosses chaussures usagées.
Quand il faisait très chaud, on ne portait pas de chaussettes et des mocassins remplaçaient les brodequins. Les garçons des Highlands ne portent rien sous le kilt. Mais les vêtements « du dimanche » signifiaient que je devais porter un kilt neuf empesé, une veste de drap vert assortie au kilt avec des boutons d'argent en losange portant les armoiries, un Sporran en peau de loutre, un col Eton avec cravate, des chaussettes Jacquard à la couleur du tartan, un sgian dubh spécial, émoussé, avec une pierre de Cairngorm montée en argent en bout de pommeau, des chaussures vernies avec boucle, et des gants. Oui, des gants… Et, pour rendre les choses plus intolérables encore, un bonnet Balmoral …
Après la messe, on se promenait sur l'esplanade : et comme toutes les églises se vidaient à la même heure, on rencontrait alors tous les gens de notre connaissance. Le Balmoral devait alors être soulevé, à chaque rencontre et, naturellement, on ne pouvait soulever cette chose sans se décoiffer complètement. Mais porter le bonnet sous le bras était tout simplement prohibé, car il fallait le soulever pour « montrer son respect ».
En une de ces occasions, que je détestais, on me poussa en direction de deux vieilles dames assises l'une à côté de l'autre sur un banc public, face de la mer. L'une d'entre elles portait les voiles noirs du veuvage. Mère me prit à part :
« Je vais te présenter à cette vieille dame. Si elle te tend sa main, tu dois t'incliner et la baiser. »
« Quoiiiii ? »
« Il n'y a pas à discuter, nous n'en avons pas le temps. Tu dois faire ce que l'on te dit de faire. »
Je jetais un oeil vers Papa : mais, manifestement, je n'avais aucun secours à en espérer. Nous avançâmes, Père ôta son chapeau et se redressa, le tenant à la main. Lui et maman se mirent à parler en une langue que je reconnus pour être du français. Soudain, de magnifiques yeux verts se dirigèrent vers moi, un sourire éclata et une main couverte de bijoux fut tendue dans ma direction. Je fis une gauche courbette, et réalisai cette horrible chose, le baise-main, et devant tout le monde en plus…
Ma mère fit une petite révérence, mon père s'inclina de nouveau, puis remis son chapeau, et nous prîmes congé. Quand nous fûmes à une distance suffisante pour que l'on ne puisse plus nous entendre, mère me dit :
« Tu pourras dire à tes amis que tu a été présenté à l'impératrice française »
« Mais… »
« eh bien, quoi ? »
« Papa me disait que les Français ont un président ! »
« C'est exact, maintenant. Mais cette dame était l'impératrice Eugénie : ne l'oublie pas. »
Et c'est vrai, on n’oublie jamais sa première Majesté Impériale !"
Délicieux, n'est-ce pas ?