Miles FRANKLIN (1879-1954)

Ma brillante carrière

J’ai rarement des sentiments aussi partagés sur un livre. J’ai à la fois envie de le conseiller pour son originalité et sa vigueur (oui, selon moi ce livre est vigoureux, un peu comme le caractère de son héroïne) mais en même temps je ne peux pas oublier que son style n’est pas franchement élégant et que cette fameuse héroïne m’horripile plus souvent qu’elle ne me charme.

Les Melvyn, une famille propriétaires terriens aisés, changent progressivement de statut lorsque le père décide de vendre ses terres et de se lancer dans le commerce de bétail mais échoue lamentablement et ne parvient finalement qu’à faire survivre chichement sa famille sur les maigres revenus d’une exploitation laitière. Dures journées de labeurs, pauvreté et personne à qui parler de littérature ou de musique, c’est plus qu’il n’en faut pour frustrer Sybylla, adolescente de 16 ans qui rêve d’un avenir différent. Un père qui sombre peu à peu dans l’alcoolisme et une mère qui l’abreuve trop souvent de reproches, rien ne la retient à Possum Gully, ce lieu « inerte » où elle a l’impression de s’engluer. C’est donc le coeur léger qu’elle rejoint sa grand-mère et sa tante à Caddagat, la propriété des Boissier, la famille de sa mère. Des livres, des tableaux, un piano, des discussions qui ne font pas que tourner autour des prix du lait, de quoi combler le vide qui la minait auparavant. La fantasque jeune fille y passe une période charnière de sa vie, y fait plusieurs rencontres intéressante et doit trouver son chemin face à des aspirations contradictoires qui la conduisent parfois à des comportements surprenants.

Une héroïne rebelle, qui a de la peine à accepter les lois de la société assignant à la femme le mariage comme unique avenir, une jeune femme pleine de vie, qui aime la lecture (en particulier les poètes australiens mais aussi Dickens et Thackeray) et la musique (admiratrice de Nellie Melba, la fameuse cantatrice australienne), qui monte à cheval avec fougue, voilà de quoi séduire chez Sybylla. Mais je l’ai trouvée cependant très égocentrique et j’ai eu de la peine avec ses lamentations sur sa laideur et sa petite taille alors que son physique ne l’empêche pas d’attirer l’intérêt de divers admirateurs. Je dois dire que ses continuelles plaintes sur le sujet m’ont un peu lassée et c’est mon principal reproche au roman. Intéressante certes, mais pas vraiment attachante. Dans l’entourage masculin de la jeune fille se détachent par contre la silhouette imposante et le calme olympien d’Harold Beecham, personnage qui lui n’a eu aucune peine à faire ma conquête. Difficile de comprendre la valse-hésitation de Sybylla face à lui, mais après tout, c’est ce qui fait l’originalité du livre.

Le cadre australien donne une touche particulière à ce roman. Même s‘il est essentiellement intimiste, la nature y est assez présente et bien décrite, et grâce au vocabulaire local, le dépaysement est assuré.

Dans l’ensemble un livre qui se lit très facilement et que j’ai tout de même apprécié malgré mes réserves.

Quelques infos sur l’auteur, dont la jeunesse a largement inspiré Ma brillante carrière :

http://en.wikipedia.org/wiki/Miles_Franklin

Je viens d'acheter ce livre, et de faire remonter ce topic. Le résumé me plait bien, toutes les filles, même les plus jolies, passent leur temps à se trouver moche, non ?

Dès que je répare la tranche qui s'est déchirée quand le livre est tombé de mon sac ( à ma décharge, il était rempli à raz-bord, il était un peu petit pour 47 livres!) je m'y met.

Merci pour ton avis Cat.

Je me réjouis de lire ton avis, Camille. Tu as raison, les plaintes de Sybylla (je me demande si c'est la bonne orthographe, maintenant ) sont sûrement assez courantes. Je ne me souviens plus vraiment des détails mais j'avais trouvé le livre agréable à lire, malgré mes petits problèmes avec son héroïne.

Allez c'est parti pour un up!

J'ai terminé Ma brillante carrière hier, ce qui me donne l'occasion de relire l'excellente présentation que Cat en avait faite. Je rebondis d'ailleurs sur son avis mitigé de l'époque pour défendre un peu ce roman qui pour ma part m'a beaucoup plu , même si je comprends tout à fait les arguments en sa défaveur.
Ma brillante carrière a été publié en 1901, alors que l'auteur était âgée de 22 ans. Il s'agit de son premier roman, qu'elle a écrit au cours de son adolescence. ça a été dit dans la présentation, le livre relate l'histoire de Sybylla entre ses 16 ans et ses 19 ans...l'auteur s'étant fortement inspirée de son propre quotidien durant ces 3 années, qu'elle raconte avec beaucoup de verve, une énergie renversante et parfois une langue de vipère . Alors c'est vrai, elle répète souvent qu'elle ne se trouve pas jolie, mais quand on sait que c'est une ado qui écrit ces lignes, on a envie de se montrer plus indulgent avec elle. Certes elle fait preuve par certains côtés d'immaturité, mais elle ne peut que forcer l'admiration par son intelligence, son sens de l'autodérision (il ne faut pas prendre le titre du roman au pied de la lettre...il est ironique) son caractère inébranlable et malgré son impulsivité, sa droiture. Car quoiqu'elle dise, elle a finalement "bon coeur" et elle aime sa famille et ses amis.

Sybylla / Miles Franklin est en effet plus ou moins une femme extra-terrestre qui aurait mieux fait de naître au XXIe siècle car elle a 100 ans d'avance sur son époque. On comprend pourquoi elle est considérée comme une pionière du féminisme en Australie, elle a en effet déjà tout d'une femme libérée, même si elle ne l'exprime que du haut de ses 17 ans. D'où sort-elle ses idées saugrenues pour l'époque, elle qui a été élevée dans le bush australien au sein d'une famille, certes cultivées, mais tout ce qu'il y a de plus traditionnel???
Elle décide qu'elle ne se mariera pas, parce qu'elle ne veut pas se contenter du statut de femme mariée (enfin c'est plus ou moins ce que j'en conclue), et fidèle à elle-même, elle fera tout pour s'y tenir. Pourtant, quand arrive Harold Beecham on la sent sur le point de flancher.

Spoiler:

Une fin différente aurait complètement changé le statut de ce livre. N'oubliez pas que Miles Franklin est une rebelle qui ne rentrera jamais dans le rang. Il ne pouvait en être autrement. Et quand on lit l'histoire de sa vie, on se dit qu'elle a décidemment été au bout des choses.

Le livre a été adapté en 1979 dans un film australien avec Judy Davis dans le rôle de Sybylla et Sam Neil dans celui d'Harry, je serais vraiment curieuse de le voir . En voici l'affiche :


Pour finir, Miles Franklin a écrit une suite à Ma Brillante carrière. Intitulée My career goes bung (Ma carrière est "bloquée") , elle l'a rédigé juste après la publication de Ma brillante carrière, alors qu'elle commençait à évoluer dans le milieu littéraire de Sydney. Mais, censuré pour son féminisme latent et son anticonformisme, il n'a été publié qu'en 1946. Il n'a malheureusement jamais été traduit en français, mais je compte bien le lire quand même et viens de le commander.
Une petite présentation trouvée sur le web :

Citation :

The real Sybylla emerges in My Career Goes Bung - with the same spirit, sensitivity and forthrightness. Her experiences at home and in town, with her patrons, her critics and her innumerable suitors, will delight every reader, but will be especially intriguing and revealing to those already acquainted with this most exceptional heroine.

Bref, quelle femme

Une héroïne dotée d'un fort caractère, une histoire qui se passe en Australie , il n'en faut pas plus pour aiguiser ma curiosité. Je prends note de ce livre.

Petite question, comme je ne connais pas du tout l'auteur, ce roman est-il difficile à se procurer (en Anglais) ?

C'est toujours un plaisir de voir un topic remonter des profondeurs, merci Natacha de l'avoir exhumé. J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ton avis.

Et j'ai dû relire le mien pour me souvenir des raisons qui m'avaient fait émettre quelques réserves il y a... plus de quatre ans (comme le temps passe vite).

Citation :

N'oubliez pas que Miles Franklin est une rebelle qui ne rentrera jamais dans le rang. Il ne pouvait en être autrement. Et quand on lit l'histoire de sa vie, on se dit qu'elle a décidemment été au bout des choses.

Oui, tout à fait. J'ai peut-être eu le tort de la comparer à une Austen, qui n'a pas eu la chance d'avoir les mêmes choix alors qu'elle vivait dans un milieu bien plus privilégié. Disons qu'un féminisme qui s'exprime par une volonté de ne pas se marier, comme une sorte de combat, par principe, reste un peu incompréhensible pour moi, même si je peux saisir la volonté d'indépendance qui pousse cette héroïne, et l'auteur du roman, à faire son chemin sans l'aide de personne. C'est peut-être parce que je pense qu'en équipe, on est toujours plus fort.

Je me souviens m'être intéressée à l'adaptation lorsque j'avais lu le livre. Le casting me semble tout à fait appréciable. Si tu postes des commentaires à son sujet, je les lirai avec beaucoup d'intérêt, Natacha.

Tatiana, cet auteur est facile à trouver car elle est considérée comme un classique de la littérature australienne. J'ai commandé My career goes bung pour 0,1€ ( ) sur Amazon!

Cat merci pour ton avis . J'ai apprécié cette lecture parce que je m'attendais plus ou moins à un récit non conventionnel, écrit par une toute jeune fille. Pas de surprise ni de déception outre mesure donc, mais plutôt le contraire!

Merci Natacha. Dire que j'ai vécu en Australie et que mes professeurs ne m'ont jamais parlé de cet auteur . Je vais réparer cette erreur .

J'ai terminé hier My career goes Bung. Ce roman a été rédigé juste après la parution de Ma brillante carrière, soit au tout début du XXème siècle. Sauf que la censure ne lui a pas permis de paraître avant 1946 ! Dans sa préface, l’auteur précise ne pas avoir du tout retouché le texte, pour lui laisser « la fraîcheur de ses 20 ans ».
La narratrice est toujours Sybylla, mais ce n’est plus tout à fait la même que dans le premier volet. L’histoire commence alors qu’elle vient d’envoyer le manuscrit de Ma brillante carrière à un auteur australien qu’elle admire et dont elle veut avoir l’avis.
Cette Sybylla là a toujours 17 ans (elle en avait 21 à la fin de Ma brillante carrière) et n’a jamais quitté ses parents ni Possum Gully, son petit village rongé par la sécheresse. Elle est fille unique, n’a pas de grand-mère aisée ni de père alcoolique (son père par contre est un ancien parlementaire). Enfin elle ne se plaint pas à tout bout de champs d’un soi-disant physique disgracieux (elle reconnaît même avoir un certain succès auprès de la gent masculine).
En résumé, dans Ma brillante carrière, Sybylla est un personnage de fiction inventé par la Sybylla de My carrier goes bung, vous me suivez ?
Si les deux personnages divergent un peu, elles ont quand même beaucoup de points communs. Rien d’étonnant : Syb s’est largement inspirée de son quotidien pour écrire son premier roman. Et puis c’est la même verve, ce même esprit frondeur et libéré, précurseur de militantisme féministe de Miles Franklin.

Bref. Il se trouve que l’auteur à qui Syb a envoyé son manuscrit l’a tellement apprécié qu’il a réussi à le faire publier en Angleterre et qu’il connaît un certain succès là-bas. Cette notoriété arrive jusqu’en Australie. Sybylla se retrouve donc malgré elle au centre de l’attention et des cancans. Son entourage réagit mal et croit se reconnaître dans les personnages, et puis une jeune fille qui écrit, ça ne se fait pas !
Les visites s’enchainent donc chez Sybylla et ses parents, pour rencontrer le petit prodige. Un jour arrive « Henri Beauchamp », un ami de ses parents, qui, persuadé d’être le romantique Harry Beecham de Five bob downs de Ma brillante carrière, la poursuit de ses assiduités. Malheureusement, il n’a pas grand-chose à voir avec le personnage de fiction…il n’a jamais lu un livre de sa vie, ne comprend pas du tout Syb et veut la modeler à son image.
Puis Sybylla est invitée à passer un séjour à Sydney dans la bonne société. Les gens se pressent pour la rencontrer, mais ils sont décontenancés par cette toute jeune fille. Au fil de ces rencontres, Syb mûrit, découvre le monde et la vie. Elle rentre à Possum Gully un peu amère, mais elle a acquis ce pour lequel elle aspire plus que tout : de l’EXPERIENCE (un mot qui revient toutes les deux pages en lettres capitales ).

Dans l'ensemble, j'ai lu cet ouvrage avec beaucoup de plaisir, même si je l'ai peut-être un peu moins apprécié que le premier Ceci dit, c'est un très beau témoignage sur la vie en Australie au début du siècle dernier, et surtout sur l'émergence du féminisme!

J'ai lu ce roman ce WE et je n'ai pas grand chose à ajouter aux avis de cat et Natacha, parce que c'est exactement mon ressenti.

J'ai aimé découvrir l'Australie de cette époque sous la férule de l'incorrigible Sybylla, une jeune fille au caractère bien trempé !
Ses 'lamentations' sur son physique ne m'ont pas dérangée. Son sentiment également souvent exprimé d'appartenir à une 'caste intellectuellement supérieure', tout en reconnaissant que 'les paysans et les imbéciles' ont plus de chance parce qu'ils ne se posent pas de questions, m'irrite peut-être davantage.
C'est effectivement dommage qu'elle rejette Harold Beecham, mais comme le dit Natacha, ça va avec son caractère, sa recherche de liberté vu le contexte de la fin du XIXe siècle.

Le roman se lit très facilement. On est emporté par le tourbillon de la narration alors même qu'il ne se passe pas forcément grand chose ; la vivacité de l'héroïne excuse souvent ses maladresses, ses défauts, ou la manière un peu brouillonne qu'a Sybylla de nous conter cette partie de sa vie.

J'ai découvert cet été Miles Franklin non pas grace à ma brillante carrière mais par le pays d'en haut, chronique de la vie de familles de colons dans le sud de l'Australie vers 1850. Miles Franklin s'est inspirée des souvenirs de sa grand mère pour écrire ce récit où se croisent les expatriés anglais et les anciens convicts . C'est un western Australien avec ses qualités et ses défauts. L'auteur fait très bien passer le souffle de l'aventure et quand elle nous décrit la traversée d'un fleuve en furie par une petite embarcation ou quand elle parle de chevaux et de troupeaux, on a vraiment l'impression d'être nous aussi des colons face à une nature hostile. Son ironie quand elle parle du snobisme des "anglais" face aux anciens convicts fait mouche. Par contre il y a tout un épisode "policier" qui traine en longueur et qui m'a beaucoup moins convaincue . Mais dans l'ensemble j'ai bien aimé ce récit authentique avec ce qu'il faut d'émotion et de péripéties.
Il y a eu différentes versions de ce roman publié publié la première fois en 1928 sous un pseudonyme masculin et une dernière fois en 1951. Cette dernière version n'est visiblement pas terrible et il y a eu une réédition en 1984 s'appuyant sur un manuscrit plus ancien et supprimant la fin de 1951. C'est cette version qui a été traduite et publiée par les éditions de l'aube.
Comme vous avez fait allusion au style de Miles Franklin, je cite la note de l'éditeur australien de 1984:
"Le style flamboyant et l'excentricité syntaxique qui sont la marque de Miles Franklin dans ses mauvais jours."