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Sujet: The Brontë Myth de Lucasta Miller Mar 20 Aoû - 13:24
THE BRONTË MYTH
de Lucasta Miller
Nous allons enfin toucher quelques mots aujourd'hui de l'essai qui a compté beaucoup dans mon étude des sœurs Brontë dont l’œuvre autant que les personnes ont suscité les passions depuis le milieu du 19ème siècle. Or, qui dit passion dit péril d'égarement et, hélas, Lucasta Miller a eu de quoi en 2001 composer une histoire de plusieurs centaines de pages sur toutes les images fausses que l'on s'est formé des sœurs Brontë, sous l'effet du sentimentalisme, du sensationnalisme, des évolutions des mœurs et des goûts, etc. Dans le cas d'Emily, il convient en fait de reconnaître que Charlotte elle-même trompa le public comme nous le verrons un plus loin.
LES MÉTAMORPHOSES DE CHARLOTTE BRONTË
Dans son essai, Lucasta Miller s'attache plus particulièrement aux images de Charlotte et Emily. Elle montre, pour débuter, comment la biographie qu'Elizabeth Gaskell consacra à Charlotte en 1857, deux ans après la mort de celle-ci, joua un rôle éminent dans la façon dont le public, pendant longtemps, connut de façon problématique les deux sœurs - ainsi que le reste de leur famille.
Nous avons déjà traité au début de ce carnet de cette biographie à travers laquelle Elizabeth Gaskell entendait défendre Charlotte Brontë des reproches que certains, au sein d'une société victorienne pudibonde, faisait à ses romans bouillonnant de passion. C'est pourquoi Elizabeth Gaskell crut bon de s'appliquer à mettre au premier plan toutes les qualités domestiques et féminines de son amie – quitte à laisser en coulisses certains points dérangeants de son existence, comme les sentiments qu'elle éprouva pour un homme marié, Constantin Heger, son professeur de français lors de son séjour en pension à Bruxelles. Menant quelque peu sa biographie à la façon d'un roman à faire pleurer dans les chaumières (“folk-tale”), Elizabeth Gaskell érigea même Charlotte en modèle accompli du devoir et du sacrifice. Elle réussit si bien son entreprise de glorification auprès du public que c'est avant tout pour cela que Charlotte devint alors renommée.
Même si certains auteurs contestèrent par la suite cette vision, Charlotte demeurera une icône morale chez nos voisins jusqu'à la parution en une (pas moins) du Times en 1913 de ses lettres adressées à Constantin Heger, dévoilement qui embarrassa fort tous ceux qui célébraient la pureté de l'auteur de Jane Eyre.
Pour sa part, Lucasta Miller est circonspecte au sujet des sentiments réels exprimées dans ces lettres, mais je trouve difficile de ne pas voir en eux l'amour, surtout en considérant des romans comme Le Professeur et Villette.
Quoiqu'il en soit, après cette première affaire, Charlotte Brontë fera partie des cibles des critiques de la société victorienne au cours des années 20. Elle finira même par être présenté comme un cas typique de névropathie par certains auteurs inspirés par la psychanalyse – de façon caricaturale aux yeux de Lucasta Miller.
Toutefois, ce discrédit ne se propagera guère que dans les milieux cultivé. Au-delà, le “folk-tale” dans la lignée d'Elizabeth Gaskell prospéra toujours pour Charlotte et ses sœurs.
Avec cela, ce n'est pas la dernière péripétie que connaîtra l'image de Charlotte Brontë. Dans les années 60, la critique féministe trouvera en effet de quoi faire de celle-ci une véritable « martyre du patriarcat » - de façon tout aussi abusive, pour Lucasta Miller, que du temps où elle était brandit comme un exemple achevé du devoir féminin...
Heureusement, comme Lucasta Miller s'en félicite, cette manière de célébrer ou de vilipender Charlotte Brontë selon les enjeux du moment prendra quand même fin dans les années 80 où l'objectivité l'emportera de plus en plus, y compris dans les ouvrages destinés au grand public...
UN MYTHE FAIT MAISON : EMILY BRONTË
Emily Brontë a aussi traversé le temps avec des masques variés quoique différents de ceux de Charlotte.
Comme nous l'avons déjà mentionné, c'est Charlotte que l'on doit tenir pour première responsable des visions erronées que l'on a eu de sa sœur cadette.
Lucasta Miller pointe d'abord la maladresse que témoigna Charlotte en voulant défendre la mémoire d'Emily comme celle d'Anne face aux critiques leur reprochant une brutalité de style déplacée pour des femmes. Afin d'excuser ses deux sœurs, Charlotte les dépeignit en effet comme de jeunes filles ingénues et rustres de la campagne au contraire de la vérité.
À cet égard, Lucasta Miller pense que Charlotte ne comprenait pas bien elle-même Emily – elle n'est pas convaincue par le portrait, idéalisé, que celle-ci en offrit dans son Shirley. Mais ce que Lucasta Miller déplore surtout est la manière avec laquelle Charlotte leurra la critique et le public vis-à-vis d'Emily en n'hésitant pas à adultérer son œuvre poétique. En vue de la publication d'un recueil de celle-ci, Charlotte, retoucha non seulement certaines compositions d'Emily, mais en imagina une toute entière, The Visionary, en son nom tout en faisant passer No coward soul is mine pour son testament spirituel (cf. The Last Thing de Janet Gezari).
Si Charlotte présenta d'Emily comme un être rustique, Elizabeth Gaskell en rajouta par la suite une couche, pour ainsi dire, en la faisant apparaître comme une personne violente, voire bestiale sur la base d'anecdotes de seconde main – notamment celle où Emily aurait puni un jour son chien en le battant jusqu'au sang.
Ces anecdotes des plus douteuses auront une influence durable sur la manière d'appréhender Emily. Ainsi, quand dans les années 1880, son œuvre commencera à être célébrée sous l'influence d'A.G. Swinburne, la jeune Mary Robinson (qui sera connu plus tard sous le nom de Mme Duclaux) lui consacrera sa première biographie personnelle en la « canonisant », pour reprendre Lucasta Miller, comme une poétesse mystique au génie pur et barbare.
Plus flatteuse, cette nouvelle image restera longtemps attachée à Emily même si elle fut contestée dès la fin du 19ème siècle, notamment par Humphry Ward, auteur de premier plan en son temps, qui voulut montrer toutes les influences littéraires que l'on retrouvait chez l'auteur des Hauts de Hurlevent : Lord Byron, les poètes des lacs, les romantiques allemands, etc.
Il n'empêche, de voir en Emily une barde païenne inculte (et vierge) en communion secrète avec la nature charmait davantage. Dans la lignée de Mary Robinson, May Sinclair, une autre authoress importante du début du siècle dernier, fit ainsi d'elle une prophétesse de l'idéalisme transcendantal dans The Three Brontës en 1912. D'autres, moins intellectuels, en feront une personne capable de voir les fantômes ou de parler avec Dieu...
À partir de la même époque commenceront aussi à fleurir les théories extravagantes sur ses amours, que cela soit pour un homme (tel le professeur Heger...) ou pour une femme (Virginia Moore).
À cela, si l'on ajoute les thèses, apparues dès les années 1880, selon lesquelles Emily Brontë ne devait pas être considéré comme le véritable auteur des Hauts de Hurlevent, mais plutôt son frère Branwell, vous comprendrez que certains aient pu croire qu'elle ait rejeté l’Église anglicane pour embrasser le catholicisme romain !
Enfin, n'en jetons plus car, s'il fallait faire le compte de toutes les bêtises dites sur Emily Brontë au fil du temps avant que les choses n'évoluent, il y aurait de quoi faire sombrer l'Angleterre sous les eaux.
*
L'ouvrage de Lucasta Miller est brillant et se recommande à un public plus large que les amateurs des sœurs Brontë. Cependant, si je veux bien admettre que le sérieux accompagne l'étude de ses dernières depuis les années 80 au point que Lucasta Miller parle d'« âge d'or », je n'ai pas le sentiment qu'il ait gagné véritablement les productions populaires, au contraire même dans un pays privilégiant toujours le spectacle sur le grand art – ou plutôt, confondant le spectacle avec le grand art.
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Leibgeber Coléoptère d'Afrique
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Sujet: Re: The Brontë Myth de Lucasta Miller Dim 25 Aoû - 11:11
Pour poursuivre son chemin dans cette sorte de labyrinthe kleistien que constitue le Brontë Myth, voici le lien vers un article (en anglais) publié dans une revue canadienne et qui traite du caractère décevant des Hauts de Hurlevent pour un public attendant de la romance et des happy ends. Son auteur pointe comment les multiples adaptations du roman d’Emily Brontë ont édulcoré son ton rugueux et pessimiste sur l’humanité : http://www2.macleans.ca/2011/08/26/why-emily-bronte-will-never-be-as-popular-as-jane-austen
Dernière édition par Leibgeber le Sam 12 Mar - 8:54, édité 5 fois
Miss Trotwood Extensive reading
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Sujet: Re: The Brontë Myth de Lucasta Miller Sam 31 Aoû - 11:06
Merci Leibgeber, c'est très intéressant.
Effectivement, il y a souvent toutes sortes de choses qui viennent parasiter la lecture des grands auteurs, et qui forment comme une loupe déformante entre le lecteur et la pensée de l'auteur : adaptations hollywoodiennes, biographies discutables, produits dérivés commercialisés par des éditeurs peu scrupuleux...
J'ai l'impression que ce phénomène atteint un point extrême en ce qui concerne les soeurs Brontë, parce que c'étaient des femmes, qu'elles ont écrit des oeuvres audacieuses, et que finalement on ne sait pas grand-chose de leur vie.
Emily et Anne en particulier n'ont pas eu de chance : elles sont décédées prématurément, et il me semble que leur grande soeur n'a pas vraiment rendu justice à leurs oeuvres après leur mort.
Comme je suis d'accord avec toi quand tu t'agaces des efforts faits par certains biographes qui veulent à tout prix trouver de quel homme Emily était amoureuse ! Parce qu'évidemment elle devait forcément être amoureuse de quelqu'un !
Je n'aime pas non plus ceux qui veulent à tout prix tout savoir sur la vie sentimentale de Jane Austen ou de Charles Dickens : qui Jane Austen a-t-elle aimé ? Quelle était la nature de la relation entre Dickens et la jeune actrice Ellen Ternan ?
La réponse à toutes ces questions, à mon avis, c'est :
- on n'en sait rien, - ça ne nous regarde pas, - tout ce que ces auteurs avaient d'intéressant à dire sur l'amour, le mariage, etc, ils l'ont dit dans leurs livres.
Put the writings first, c'est vraiment ce qu'on devrait faire pour tous les auteurs.
Comme le dit Doris Lessing :
"It seems to me that novelists need biographies less than any other kind of person. An ounce of nous can tell from a novel, let alone two or several, most things about a writer. Not what date he or she went there or did that, but the essence of the matter. I have just reread "Villette" (...) and I maintain that anyone over the age of twenty can understand anything of importance about Charlotte Brontë from that book."
Petit Faucon Confiance en soie
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Sujet: Re: The Brontë Myth de Lucasta Miller Mar 3 Sep - 12:33
Merci Leibgeber pour ton compte-rendu très étoffé du livre de L Miller The Brontë Myth.
C'est vrai que l'histoire de la famille Brontë offre un sujet en or à toutes sortes d'écrivains et de pseudos-biographes, d'autant que leurs morts prématurées de permettent pas de contredire quelque récit romancé de leurs vies ... On comprend pourquoi toutes sortes d'inepties ont été écrites sur cette famille , les morts ne peuvent pas contredire les vivants ...
Cela dit, il est normal de s'intéresser à la vie d'un écrivain, cette partie de lui ou d'elle qui nous ressemble. Ce que dit Miss Trotwood est très sage, et je me retrouve tout à fait dans sa citation de Doris Lessing à propos de Villette de Charlotte : un écrivain donne ses romans, c'est la partie de lui-même qu'il donne à son public, et ce qu'il fait dans sa vie personnelle ne regarde que lui ...
Quant aux adaptations TV ou cinéma, il est plus facile de trahir l'oeuvre que de lui donner une nouvelle dimension ; il ne faut pas quand même sous-estimer l'audience beaucoup plus large qu'une adaptation TV ou ciné donne à une oeuvre, et que de très nombreux lecteurs de Jane Eyre ou des Hauts de Hurlevent ne sont venus au livre qu'après avoir visionné une adaptation, même imparfaite
Juliette2a Tenant of Hamley Hall
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Sujet: Re: The Brontë Myth de Lucasta Miller Mar 3 Sep - 13:04
C'est un article très intéressant sur lequel je vais me pencher en détails
Je suis entièrement d'accord avec tout ce qui a été dit
Leibgeber Coléoptère d'Afrique
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Sujet: Devotion Jeu 12 Sep - 12:04
Je suis content de voir d’autres personnes partager mes sentiments de répugnance vis-à-vis de toutes les légendes qui se sont tissées autour des sœurs Brontë.
En qui concerne les adaptations de façon générale, j'en ai peu vu qui soient réussies même si je veux bien croire avec P... qu'elles incitent à la lecture des œuvres originales. Qui sait combien de nouveaux lecteurs a trouvé ainsi le Michael Kohlhaas de Kleist pour prendre un exemple récent ?
À propos, l'amateur des Hauts de Hurlevent pourrait être troublé devant la figure de ce marchand de chevaux qui, à la suite de la confiscation de ces bêtes à un poste d'octroi, entre dans une furie implacable contre les autorités. Pour ma part, il m'a davantage effrayé que Heathcliff, c'est dire !
Mais aujourd'hui j'entendais évoquer une production épouvantable dans un autre genre : La Vie passionnée des sœurs Brontë (Devotion en anglais).
Dans la ligne des adaptation des Hauts de Hurlevent en 1939, au succès phénoménal (220 millions de spectateurs) et de Jane Eyre en 1942, Devotion offrit en 1946 une représentation toute hollywoodienne des sœurs Brontë.
Autrement dit, sous l'effet dira-t-on de la tornade du Magicien d'Oz, on les retrouve projeter dans un univers évoquant moins l'Angleterre crasseuse de la révolution industrielle que l'Amérique ensoleillé des westerns, de leur attifement façon Scarlett O'Hara à leur lande de carton-pâte ressemblant à une garrigue californienne où ne manquent, en guise d'indiens autochtones, que des écossais vivant dans des tipis à motifs de tartan.
Dans un tel cadre, on ne s'étonnera pas alors de la fantaisie avec laquelle la vie des sœurs Brontë est retracée autour d'une intrigue sentimentale voyant Charlotte et Emily se disputer le cœur d'Arthur Bell Nicholls, vicaire de leur père pasteur. S'offrant à l'écran à la façon d'un cow-boy galant, et non comme l'homme quelque peu sévère qu'il fut dans la réalité, Arthur Bell Nicholls épousera certes conformément à cette dernière Charlotte, mais après avoir fait beaucoup de mal imaginaire à Emily.
En la matière, une scène qui m'a fait particulièrement rire prend place lorsque le séjour en pension des deux sœurs à Ottawa, enfin, à Bruxelles est évoqué. Si dans les faits Charlotte tomba amoureuse sans retour de leur professeur Constantin Heger, dans le film, ce dernier, représenté comme une caricature de séducteur gominé français, se révèle moins indifférent à la jeune femme. Ainsi le verra-t-on profiter d'un tour à la fête foraine pour entraîner celle-ci vers une attraction au nom suggestif, le « Tunnel des Mystères », où il l'embrassera goulûment par surprise avant de s'en lisser la moustache avec un sourire égrillard...
Au vrai, j'ai ri autant que j'ai été consterné devant cette scène insultant la mémoire de Charlotte Brontë et de Constantin Heger.
Mais suffit, voici la bande-annonce éloquente de cette biographie saugrenue :
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Petit Faucon Confiance en soie
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Sujet: Re: The Brontë Myth de Lucasta Miller Jeu 12 Sep - 15:49
Merci Leibgeber pour ce Devotion, traduit en français en : La vie passionnée des soeurs Brontë J'ai beaucoup aimé la bande-annonce que tu as mise, avec les "exciting story" / "exciting life", etc ... Je joins ICI le lien vers imdb par curiosité, pour voir l'affiche de l'époque.
Je trouve ça assez macho de penser que deux soeurs qualifiées de "géniales" ne peuvent se réaliser que dans la rivalité amoureuse, avec écrasement final de l'une par l'autre , c'est assez affligeant et vraiment réducteur. Ces pauvres Brontë ne méritent pas un tel traitement.
Mais bon, comme tu le dis, il vaut mieux en rire qu'en pleurer
Leibgeber Coléoptère d'Afrique
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Sujet: Connaissez-vous Lydia Brontë? Dim 15 Sep - 9:20
Pour rire peut-être encore un peu, voici un sketch récent qui témoigne de la popularité exceptionnelle des sœurs Brontë. Intitulé The Other Brontë Sister, il n’aurait été diffusé que sur le net. Je ne le trouve pas tout à fait réussi pour ma part, la fin surtout, longuette. Toutefois, la figure de Lydia Brontë – inspirée sans doute par Branwell – m’a beaucoup plu.
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Petit Faucon Confiance en soie
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Sujet: Re: The Brontë Myth de Lucasta Miller Lun 16 Sep - 13:22
Assez décalé ce petit film
Le début du sketch est assez caricatural, mais rigolo, et la fin fait carrément jeu vidéo, avec les explosions partout
Mais c'est vrai que ça montre clairement que les soeurs Brontë font définitivement partie de la culture populaire
Miss Trotwood Extensive reading
Nombre de messages : 223 Age : 55 Localisation : Ile de France Date d'inscription : 03/08/2013
Sujet: Re: The Brontë Myth de Lucasta Miller Mer 18 Sep - 19:40
Leibgeber, je réponds avec un peu de retard à ta question sur la citation de Doris Lessing : elle est extraite de "Biography", un article publié dans le Spectator en 2000, et qui fait partie des textes de Doris Lessing rassemblés dans Time Bites (traduit en français sous le titre "Le temps mord").
Je ne saurais trop recommander la lecture de Time Bites, mais, Leibgeber, ne te précipite pas pour l'ajouter à ta collection de livres sur tes écrivains préférés : la phrase que j'ai citée est la seule où l'auteur parle des soeurs Brontë
Petit Faucon Confiance en soie
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Sujet: Re: The Brontë Myth de Lucasta Miller Jeu 19 Sep - 8:03
Merci pour ta réponse, Miss Trotwood !
J'aime beaucoup Doris Lessing, ses histoires, sa plume caustique, et le recueil dont tu parles m'intéresse, même si tu en as extrait l'unique phrase qui fait référence aux soeurs Brontë .
(hors sujet) J'ai vu que tu as commencé Martha Quest, j'aimerais bien que tu laisses ton avis sur ce livre (dans le sujet "littérature sud-africaine" ici)
Leibgeber Coléoptère d'Afrique
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Sujet: Re: The Brontë Myth de Lucasta Miller Jeu 19 Sep - 16:59
Merci aussi à Miss Trotwood. En fait, je serais intéressé de connaître l’article de Doris Lessing par rapport aux sœurs Brontë dont les fantômes auraient vu s’accumuler nombre de travaux douteux. Dans The Brontë Myth, Lucasta Miller évoque les vues de Virginia Woolf sur les biographies et leur défaut en général de se présenter à la manière de roman en donnant du liant là où on ne le peut pas forcément faute de documents. Il y en a très peu au sujet d’Emily et Anne Brontë. Pour Charlotte, c’est différent, il existe des centaines de lettres de sa main notamment, mais cela n’a pas empêché non plus qu’elle ait été l’objet de n’importe quoi.
Beaucoup ont voulu repriser des trous en se fiant à leur perspicacité, mais à la fin les tricots produits sont peut-être allés aussi bien aux sœurs Brontë que celui que se voit offrir Thierry Lhermitte par Anémone dans Le Père Noël est une ordure...
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Leibgeber Coléoptère d'Afrique
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Sujet: Four Dreamers and Emily Mer 12 Mar - 13:02
Publié en 1996 par Stevie Davies, brontëologue réputée, Four Dreamers and Emily entendait s'attaquer aux affres de la passion pour l'auteur des Hauts de Hurlevent sous une forme romanesque - « peut-être dans l’idée qu’il s’agissait d’une façon plus appropriée de traiter de manière sensible de ce phénomène », pour citer Lucasta Miller dans son Brontë Myth.
En effet, « le fait qu’Emily soit insaisissable en a fait un sujet de nombreuses inventions, un écran blanc sur lequel l’imagination peut se donner libre-cours ».
Lucasta Miller eut pu ajouter, non seulement en Angleterre, mais aussi du côté sérieux de la Manche que la fièvre brontëique n'a certes pas épargné. Pour prendre un seul exemple d’accès national virulent, voici ce que Teodor de Wyzewa relata dans sa préface à sa traduction en français (la première en date) des Hauts de Hurlevent en 1892 - sous le titre Un amant :
« Le corps de cette chère jeune fille repose maintenant dans un caveau de l'église de Haworth, tout au sommet de cette colline qu'elle a si passionnément aimée. Son âme aussi, j'imagine, doit avoir obtenu la permission d'y demeurer à jamais, puisque tout autre séjour lui était impossible. Je crois bien même l'y avoir vue, dans la visite que j'ai faite à la petite église du village : c'était une âme pâle et douce, tout odorante du parfum des bruyères. Elle flottait devant moi ; mais quand je voulus l'approcher, je ne vis plus rien. »
Dans un pays cartésien comme le nôtre, le récit d'une telle expérience ne manqua pas du reste de laisser perplexe certains. Ainsi Paul Ginisty dans les pages du quotidien Gil Blas au mois d'août de la même année 1892 :
« À la vérité, on dirait que c'est moins encore de l'oeuvre, toute bizarre soit-elle, que de son auteur, que s'est épris M. de Wyzewa. Il y a de ces idéales amours littéraires, de ces amours posthumes, de ces mystérieuses tendresses pour des figures évanouies. M. de Wyzewa est hanté par la vision de cette pâle jeune fille, de cette Emily Brontë, à qui une mort prématurée épargna l'horreur de la décrépitude, dont la destinée fut mélancolique et qui, n'ayant guère quitté un coin solitaire du Yorkshire devina, sans y avoir été mêlée, les orages de la vie. »
*
Mais venons-en à notre roman vaccin anglais contre de tels égarements (ou bien, allez savoir en fait...).
“Who’s the real Emily ?”, telle est la question posée par un des protagonistes de Four Dreamers and Emily.
Est-elle cette vague silhouette sur une photo achetée à Bruxelles (Emily Brontë y étudia une huitaine de mois avec sa sœur Charlotte) comme veut le croire Eileen, vieille fille solitaire qui prétend aussi descendre de la famille Nussey ? (Ellen Nussey fut une amie proche de Charlotte Brontë).
De son côté, Timothy, un vieil homme malade et esseulé aussi depuis la mort de sa femme, fait-il vraiment face à des apparitions du fantôme de l'auteur des Hauts de Hurlevent comme il s'en ouvre au professeur Pendlebury avec lequel il entretient une correspondance qui constitue son unique réconfort ?
Le professeur Pendlebury est loin de se gausser de ce qui ne constitue sans doute que des illusions. Au vrai pour elle aussi, cette correspondance représente un peu d'air alors que la dépression nerveuse la menace, coincée qu'elle est entre une famille prenante et un institut où elle a du mal à supporter aussi bien le management commercial récemment établi que ses collègues prétentieux.
Ces derniers éprouvent tant de mépris à l'endroit de la “lower class” qu'ils n'ont même pas la politesse de saluer à la cafeteria une serveuse comme Sharon. Il ne se trouve que le professeur Pendlebury pour témoigner de la bienveillance envers cette jeune femme complexée par son obésité et pleine de ressentiment pour la « grande culture » et ceux qui la représentent autour d'elle.
Toutefois, comme elle l'apprend au professeur Pendlebury, Sharon a lu et aimé Jane Eyre au point de s'y identifier, ce qui donne l'idée à la première l'idée de l'inviter à la conférence qu'elle prépare tant bien que mal au sujet d'Emily Brontë.
À cet événement qui doit se tenir à Haworth, le village où Emily vécut la plus grande part de sa vie et mourut, le professeur Pendlebury invite également Timothy qui fantasme volontiers sur elle. Par contre, elle ne voudrait pas que “Mrs. Passion”, alias Eileen, s’y impose et provoque des esclandres avec sa manière de croire savoir “who the real Emily is”...
Tel est le début d'un roman que j'ai trouvé réussi pour ma part avec ses portraits touchants de personnes dont les croyances farfelues suscitent habituellement la dérision. Malheureusement, la suite, qui voit le roman devenir une satire du petit monde brontëen, m'a beaucoup moins plu.
Que si Pise offre une tour penchée, Haworth offre une rue en pente raide que jalonne une même quantité de boutiques de souvenirs, soit. Que les visiteurs passent davantage de temps à faire le tour de ces boutiques que du Parsonage Museum, certes. Que tout compte fait, le sentimentalisme, pour ne pas dire la niaiserie, préside au culte populaire des sœurs Brontë, sans doute. Et de même encore quant au fait que de nombreux universitaires seraient moins émus de pouvoir discuter avec le fantôme d'Emily que de disposer de son cadavre frais pour le disséquer selon les dernières théories sociologiques ou philosophiques à la mode, quel cynisme...
Ce que je reproche cependant à Stevie Davis, c'est de procéder à une satire facile, voire grossière de tout cela comme quand elle dévore entre ses dents les universitaires et leurs vues hermétiques au sujet d'Emily Brontë sans prendre la peine d'exprimer ses propres vues - ou disons plutôt celles du Professeur Pendlebury - au risque de jeter un discrédit complet sur les études littéraires de façon injuste.
De même, c'est de façon convenue que Stevie Davies multiplie les évènements loufoques arrivant à ses personnages lors de leur week-end à Haworth au prix de les réduire à des marionnettes désincarnées et de faire perdre toute empathie pour eux.
Le roman prend ainsi la tournure d'une farce manquant d'inspiration d'une façon d'autant plus regrettable que le fond du propos sur la solitude et l'incommunication de Stevie Davies reste hélas lucide : sa conférence ne réunit pas ses participants, ou bien de façon indirecte.
D'un côté, Eileen et Timothy, dans leur solitude, aimeraient chacun entretenir un rapport privilégié avec Emily Brontë de façon désespérée. De l'autre, les universitaires se révèlent avant tout préoccupés de s'affirmer eux-mêmes sans esprit véritable d'échange.
Dans le roman, le mot bond (lien) revient à plusieurs reprises, inscrit en italique. Sans doute le désir Timothy, et Eileen d'en avoir un avec Emily Brontë est-il vain. En définitive, c'est peut-être pour cela que ce qui anime le professeur Pendlebury envers elle demeurera un mystère.
Qui peut prétendre en effet dire « qui est la vraie Emily » ?
À cet égard, Stevie Davies se contente de placer des extraits de poèmes en ouverture de chaque chapitre comme pour faire entendre un peu la voix d’Emily Brontë dans sa pureté . Là, sur des pages de papier, cette voix vibre toujours. Elle ne peut pas en dire davantage non plus : à chacun de s’y recueillir dans ses bornes ?
Pour ma part, je trouve cette attitude un peu courte comme si, disons-le franchement, l'auteur avait-lui été lui-même fort déprimé et avait voulu faire de son roman un exutoire où régler quelque peu des comptes personnels.
Quoi qu'il en soit, le roman m'a paru être trop formaté lui-même selon les goûts du public britannique pour la fantaisie et les résolutions heureuses – à moins que les deux ne soient liés...
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Juliette2a Tenant of Hamley Hall
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Sujet: Re: The Brontë Myth de Lucasta Miller Ven 21 Mar - 17:50
Merci pour ces photos (et commentaires !) Leibgeber J'ai d'ailleurs reconnu mon acteur préféré du temps hollywoodien sur l'affiche du film La Vie passionnée des Soeurs Brontë, Paul Henreid
Leibgeber Coléoptère d'Afrique
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Sujet: Re: The Brontë Myth de Lucasta Miller Lun 18 Mai - 12:11
Si les sœurs Brontë conservent un lectorat important, Jane Eyre et Les Hauts de Hurlevent figurant même dans les rayonnages de certains hypermarchés, il me semble toutefois que leur popularité est moindre que dans le passé.
D'après mes recherches, il faudrait fixer entre les années 20 et les années 80 une longue période où les sœurs Brontë suscitèrent une véritable passion nationale qui vit s'accumuler à leur sujet de nombreuses productions en tout genre.
Malheureusement, pas plus que nos voisins de l'autre côté de la Manche, les hérauts que nous sommes de la littérature et des arts avons résisté à développer une vision mythique des sœurs Brontë comme en témoigne l'article que je m'offre de faire découvrir aujourd’hui et qui a paru dans Top, une revue destinée aux adolescents, au milieu des années 60.
Peut-être trouvera-t-on amusant et révélateur de savoir que cet article se trouvait dissimulé à ma connaissance dans les quelques dizaines d'exemplaires de la revue que je possède depuis que je les ai acquis au marché aux puces de Marseille il y a plusieurs années sans que je fasse autre chose ensuite qu'en feuilleter quelques pages - à la différence de mes dizaines de France Football des années 70 et 80 ramené péniblement à pied du même marché. Ah ! Qui se souvient de l'épisode des Saintes Chéries où Daniel Gélin rapporte chez lui, au dam de son épouse, une ancienne armure trouvée à Saint-Ouen ?
Mais il y a quelques temps, je me suis rappelé à l'existence de ces revues dans l'idée qu'elles contiendraient peut-être quelque chose sur les sœurs Brontë, ce qui ne m'aurait pas autrement surpris en considérant la popularité qui était la leur alors.
Et certes, je n'ai pas été surpris, non seulement de dénicher parmi tous mes numéros de Top un article commémorant les cent cinquante ans de la disparition de Charlotte Brontë, mais aussi d'avoir de quoi en être mécontent !
IMAGES (À dérouler) :
Il ne s'agit pas de Rintintin et de son maître, mais de Jean-Claude Arnoux, un chanteur à la mode. Peut-être les membres les plus vénérables du forum se souviendront (dans un flash) d'avoir eu son poster affiché dans leur chambre. Le temps des pesetas, des lires et de la règle à calculs pour être sûr de ne pas être escroqué...
Dernière édition par Leibgeber le Sam 12 Mar - 9:05, édité 7 fois
Petit Faucon Confiance en soie
Nombre de messages : 12005 Age : 59 Date d'inscription : 26/12/2011
Sujet: Re: The Brontë Myth de Lucasta Miller Lun 18 Mai - 12:54
J'aime beaucoup tes recherches sur l'histoire des livres et comment les mythes se forment autour des livres, Leibgeber ! Tu pourrais postuler pour un poste d'archiviste en chef à Lambton, je suis certaine que tu serais engagé en tous cas j'appuierai ta candidature, au vu des très nombreux articles et videos vintage que tu as déjà publiés.
Juliette2a Tenant of Hamley Hall
Nombre de messages : 29115 Age : 27 Localisation : Entre l'Angleterre et la Thaïlande ! Date d'inscription : 06/03/2012
Sujet: Re: The Brontë Myth de Lucasta Miller Lun 18 Mai - 16:33
Merci pour cet article !!
Leibgeber Coléoptère d'Afrique
Nombre de messages : 267 Age : 47 Localisation : Loin des Vertes-Collines Date d'inscription : 13/06/2013
Sujet: Re: The Brontë Myth de Lucasta Miller Mar 19 Mai - 7:22
Merci encore à toi et Petit Faucon. Il est vrai que mon portefeuille ressent la perte de mon statut de « riche célibataire ». On ne se nourrit guère avec des « compliments », qu'ils soient « subtils » ou dithyrambiques !