L'histoire est connue. En Angleterre à la fin du XVIIIe siècle, Lady Susan Vernon, une veuve de trente-cinq ans, belle et intelligente, semble prête à tout pour conserver son train de vie mondain. Séjournant dans la famille de son mari, elle s'intéresse à Reginald, le jeune frère de sa belle-soeur. Celui-ci tombe sous le charme de cette femme fascinante, en dépit de sa réputation d'intrigante.
Aidée par sa meilleure amie Alicia, une Américaine en exil, Lady Susan veut également trouver un bon parti pour sa fille, Frederica, et s'efforce de la pousser dans les bras de Sir James Martin, un aristocrate riche mais pas très futé...
Après la mort de Lady Susan, son neveu, Rufus Martin-Colonna de Cesari-Rocca, décide de blanchir sa tante des calomnies dont elle a été victime. Sa cible : le récit épistolaire de Jane Austen, la « vieille demoiselle auteure » - dont les quarante et une lettres, « fausses et malveillantes », sont ici reproduites en annexe comme autant de pièces à conviction.
Au terme de cet exercice d'admiration, aussi étonnant que divertissant, l'héroïne de Jane Austen - réinventée par Whit Stillman - nous apparaît désormais comme une femme décidée à s'affranchir des conventions sociales.
La découverte d'un journal fragmentaire écrit de la main de Lady Susan, inconnu des diffamateurs, a facilité mon effort ; celui-ci permettra de réfuter, très largement, leurs odieuses insinuations. Que ses persécuteurs et détracteurs tremblent devant les Conséquences !
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J'avais repéré ce livre il y a un bon moment déjà, et j'avais hâte de voir comment l'auteur s'était débrouillé, comment il comptait trouver des trous dans le texte original pour les interpréter à sa guise, avec des hypothèses satisfaisantes. Je ne cache pas que j'ai été très déçue
.
On ne suit pas l'intrigue originale ici, mais le script de l'adaptation (qui a été réalisée par l'auteur
). Il y a donc plusieurs infidélités au roman au niveau de la chronologie des événements, de certains dialogues qui n'auraient dû avoir lieu que par lettre, et même un personnage inventé de toutes pièces (Mrs. Cross, amie de Lady Susan). L'auteur fait justifier cette modification par le narrateur du fait que Jane Austen aurait transformé le récit initial en échange épistolaire, et qu'ici il ne s'agit que d'un retour à la source initiale. Je trouve l'argument un peu faible et facile, mais surtout il est très mal expliqué ! J'étais assez avancée dans le récit que je n'avais toujours pas compris la justification de l'auteur, et me demandais encore pourquoi le narrateur s'appuyait sur le script d'un film qui n'existait pas dans sa réalité
(vous pouvez imaginer ma confusion).
Pour en venir à la tentative de réhabilitation de Lady Susan, je n'ai rien trouvé à sauver. L'auteur pouvait ici décider entre deux possibilités : tenter réellement de défendre Lady Susan, ou choisir de tourner la chose en dérision, pour arriver à un résultat drôle.
Pour ce qui est de la tentative sérieuse c'est raté. Je pensais déjà ne pas pouvoir être réellement convaincue, mais je m'attendais tout de même à lire des arguments piquants même si incohérents et qui offrent une perspective intéressante, une alternative qui fasse un peu sens. Cette alternative aurait pu ne pas résister à des comparaisons ou des raisonnements un peu minutieux, mais ça ne l'aurait pas empêchée de titiller l'intérêt du lecteur.
Hors, rien de tout cela. Le narrateur ne nous donne aucune argument véritable de tout le roman, et lorsqu'il est en présence d'une preuve de la perfidie de Lady Susan, il refuse de voir l'évidente réalité et se contente de geindre que sa tante n'avait pas été comprise et qu'elle aimait seulement plaisanter... Sa "critique" n'en est pas une, elle n'apporte strictement rien au récit initial, qui est ici le script de l'adaptation, je le répète
.
En ce qui concerne la deuxième possibilité, celle qui était le but de l'auteur à mon avis, bah elle est aussi ratée. N'est pas Jane Austen qui veut, et il ne suffit pas d'inventer un narrateur fat et sot pour le rendre risible. D'ailleurs je trouve que la stupidité du narrateur n'est pas assez évidente au début : ça a été assez long pour moi d'en avoir la certitude, ce qui gâche totalement l'effet recherché et aurait empêché de toute manière de pouvoir vraiment rire de son argumentaire fallacieux. Pas qu'il y ait de quoi en rire de toute façon, j'ai eu l'impression d'un M. Collins sans envergure, ridicule, lourd et vaniteux, d'une incroyable mauvaise foi, qui accable ou loue la société en fonction de son intérêt et qui pinaille sur tout, jusqu'aux expressions populaires pour défendre son point de vue et accabler les De Courcy. Et sans une plume ironique de talent pour nous en faire rire, ce narrateur est une catastrophe.
Je pense ici en particulier à l'affaire des petits pois et à celle des 12 commandements (oui oui, 12, vous avez bien lu), que je ne me sens pas le cœur à détailler, mais la défense de sir James par le narrateur (car il s'agit de son oncle) est non seulement pitoyable, mais elle n'offre même pas l'occasion de s'en moquer avec amusement : c'est plat et fade.
Le but de l'auteur est donc, à mes yeux totalement manqué.
Concernant le style, je reconnais que des efforts ont été faits pour tenter de garder le lecteur en immersion dans le XIXème siècle anglais, mais le résultat final est quand même maladroit, ce n'est qu'une pâle copie de ce qu'il aurait été s'il avait été l'œuvre d'un (bon) écrivain de cette période.
Un peu dans le même thème, la traduction est différente de celle de mon exemplaire de Lady Susan, je me demande s'il s'agit d'une traduction inédite ; c'est dommage car je la trouve un peu moins soutenue et élégante.
Pour finir, au début j'étais assez contente de retrouver les lettres de l'œuvre originale car le narrateur laissait des commentaires à la fin de chacune d'elle, et si les commentaires n'étaient pas forcément satisfaisants en eux-mêmes, du moins les avais-je interprétés comme une preuve de la volonté de l'auteur de ne pas gonfler artificiellement les pages de son roman, et d'ajouter une plus-value plutôt que de se reposer sur un texte libre de droits. Sauf que... Au bout de 4 ou 5 lettres à peine, il a dû se trouver à court d'imagination car il a cessé de faire cet effort, prenant comme prétexte un caprice du narrateur
. Autant dire que ça l'a encore enfoncé à mes yeux.
Pour conclure, j'ai été très déçue. Je m'attendais à voir quelque chose de vraiment sympa et original, contrairement à quantités d'austeneries qui surfent toujours sur les mêmes codes. Bien mené, le roman aurait pu nous offrir une ré-interprétation des faits originaux, ou profiter des "creux" dans la narration pour nous proposer un personnage ou des événements passés sous silence qui auraient justifié certaines décisions de Lady Susan. Hélas au lieu de cela, il faut nous contenter de ce travail bâclé et c'est ce qui me gêne le plus : j'ai la désagréable impression d'un projet marketing fait à la va-vite, qui comptait sur l'image de Jane Austen pour faire du bénéfice. D'ailleurs le narrateur dit s'appuyer sur le journal de Lady Susan pour réfuter les accusations qui pèsent sur elle, mais par un caprice bien pratique du scénario, ce journal est perdu et avec lui l'occasion pour l'auteur de se montrer vraiment créatif et ingénieux
.
Bref, l'idée de départ est intéressante, mais elle est complètement gâchée par cet ersatz d'œuvre originale et pire, j'ai l'impression d'avoir été le pigeon d'une opération promo pour le film
. Vous l'aurez compris, je ne conseille absolument pas ce roman, je n'ai retiré aucun plaisir de ma lecture, même pas un petit plaisir éphémère.
P.S : je viens d'apprendre (sur le blog "Jane Austen is my Wonderland") les déclarations de ce monsieur dans la presse, selon lesquelles son film est, parmi toutes les adaptation de Jane Austen, l'une des seules valables.
non mais ça va le melon ? Je sais, ça n'a rien à voir mais décidément le personnage ne me plaît pas du tout.