L'amour de Thornton ne tient-il qu'à la beauté de Margaret?

il faudrait que je revois la scène avec Mrs Latimer
je suis d'accord avec toi sur le fait que le travail est une priorité pour lui, j'ai en tête la scène dans la cour de l'usine quand il dit avoir "urgents business" à Margareth alors que sa mère les regarde ou plutôt les surveille à la fenêtre.
Sa mère l'influence-t-elle dans sa vie sentimentale? je ne pense pas; il semble être son propre chef et avoir son libre arbitre même si elle est très présente à ses côtés. En fait, ils se serrent tous les 2 les coudes. Super, je fais les questions réponses maintenant

La façon qu'a Gaskell de décrire l'attirance physique est remarquable. Dans une société codifiée aux contacts comptés, le moindre geste devient terriblement significatif (et les bras que Margaret a jetés autour de son cou hantent Thornton avec obstination). Je ne pense pas que ça tienne vraiment à la beauté de Margaret, mais plutôt à une façon d'être qui la rend extraordinaire et désirable aux yeux de Thornton.

Pour moi, il est très clair que ce pauvre garçon est complètement fichu dès l'instant où il a posé les yeux sur Margaret. La scène est très bien écrite : il est d'abord surpris car il ne s'attendait pas à voir entrer une jeune fille (vu qu'il pensait que Miss Hale serait une petite fille) et il est complètement sidéré par l'attitude de Margaret.

Normalement, ses airs d'impératrice en exil devraient exaspérer Thornton, comme ils exaspèrent Mrs Thornton et la bonne société de Milton (pour qui se prend-elle, cette fille d'un pauvre clergyman renégat ?). À Milton, ce qui compte, c'est la réussite sociale. Thornton lui-même a tendance à mépriser les pauvres, considérant qu'il suffit de volonté pour s'en sortir (comme il l'a fait). Au contraire, Margaret place au sommet de la hiérarchie les gentlemen, une classe à laquelle on appartient par naissance et par noblesse de cœur, sans que l'argent ou la réussite rentrent en compte. Et elle se place donc au-dessus de tous ces industriels nouveaux riches sans goût. Thornton est vraiment estomaqué, stupéfié, fasciné : il admire chez Margaret cette assurance absolue, cette conviction intime de sa propre valeur et de sa supériorité, alors que rien ne justifie ce sentiment (elle n'a ni argent, ni statut social, ni même une beauté classique susceptible d'être reconnue par tout le monde).

Alors, que fait-il ? Dès qu'il quitte les Hale, il s'empresse d'aller demander à leur propriétaire de changer l'affreux papier peint et quand il s'apprête à aller les voir pour prendre le thé, il prend le temps de se changer (et sa mère comprend beaucoup mieux que lui ce que cela veut dire).

Au premier regard, Margaret l'a captivé, ce qu'aucune femme n'avait jamais réussi à faire jusque-là. Pourtant, ce que dit Mrs Thornton est certainement vrai : son fils est un bon parti pour n'importe quelle fille ou sœur d'industriels. Seulement, il n'a jamais posé les yeux sur aucune de ces greluches trop semblables à sa propre sœur.

Donc, pourquoi aime-t-il Margaret ? Sans doute parce que Margaret est une sorte d'extra-terrestre dans son univers et qu'elle l'assume avec une fierté jamais démentie. Mais pour le caractère, Margaret lui rappelle sa propre mère : imperturbable face à la tempête, calme dans la détresse, solide. Peut-être sa fascination provient-elle de cette rencontre étonnante entre des valeurs opposées aux siennes et un caractère très proche de celui de Mrs Thornton et de lui-même ?

Du côté de Margaret, les choses vont plus lentement, parce qu'elle doit apprendre à connaître Thornton pour cesser de voir en lui un affreux tradesman. Assumer ses sentiments pour un homme qu'elle considère comme un inférieur lui est difficile et elle doit d'abord comprendre comment fonctionne le nouveau monde qu'est Milton pour y arriver. D'ailleurs, la façon dont elle parvient à lui déclarer son amour, en lui parlant d'affaires et pas de sentiments, est très "miltonienne". Mais même au moment où elle le rejette, elle réagit très fortement ; elle est beaucoup plus troublée qu'elle ne veut bien le reconnaître (beaucoup plus que par la déclaration d'Henry Lennox)...

Quelle analyse passionnante EmmaD!!!!
Je suis relativement d'accord avec toi. J'ajouterai juste que pour moi, si l'amour de John pour Margaret n'est pas dû qu'à sa seule beauté comme tu l'as bien montré, celui de Margaret pour John est aussi aveuglé par la succession de malheurs qui s'abat sur la jeune fille et qui l'empêche de comprendre clairement ses sentiments pour lui et de lire dans son propre cœur.

J'ai adoré ton analyse des personnages EmmaD !!!

Ta phrase "Pour moi, il est très clair que ce pauvre garçon est complètement fichu dès l'instant où il a posé les yeux sur Margaret" résume très bien la situation.

J'ai presque fini le lire le livre, mais j'ai eu la même réaction que toi en ce qui concerne l'amour de John pour Margaret.

Je plussoie totalement LadyClare, ton analyse est vraiment passionnante EmmaD! Je suis d'accord avec toi en ce qui concerne les sentiments de Thornton envers Margaret, dès le début il est attiré par elle et son comportement après sa rencontre le montre bien, seulement il ne s'en rend pas compte.
Est-ce que ce n'est pas d'ailleurs pour ça que Mrs Thornton déteste Margaret dès le début? Elle qui devine le moindre sentiment de son fils a du se rendre compte dès le départ de l'effet que Margaret produit sur lui( bien avant lui) et par conséquent en est venu à détester cette jeune fille qui l'éloignera d'elle.

Belle analyse EmmaD
Comme vous écrivez bien, c'est un régal de vous lire.
Je n'ai pas encore eu l'occasion de lire le livre mais je sens que je ne vais pas tarder à le faire.
J'ai découvert cette histoire lundi dernier et je l'ai visionnée au moins 3 fois de suite depuis ! J'ai du m'arrêter sous peine de passer aux yeux de ma petite famille pour une addict !
J'avoue qu'EmmaD a raison. Je suis persuadée que c'est la force de caractère de Margareth qui a pris une grande part dans l'attrait qu'elle a exercé sur John T. Elle a le courage de ses opinions : elle ne recule pas devant ses convictions. Lorsqu'on voit John T réuni avec ses confrères manufacturiers, on sent une société masculine assez conservatrice et jalouse de ses prérogatives. Il n'est pas question de remettre en cause le pouvoir patronal, ils sont leurs propres maîtres, les ouvriers n'ont qu'à bien se tenir. Quant à Margareth, elle ignore tout de ces codes et en faisant irruption dans ce monde comme elle l'a fait (altercation avec JT à propos de Stephens), elle surprend. En effet, sa fraîcheur, sa générosité, son esprit de justice, sa force de caractère vont remettre en question ces codes. Sans le savoir, elle joue le rôle d'un médiateur social. Son souhait, au fond, est de parvenir à réunir tout ce petit monde autour d'une table de négociations. Lorsqu'elle évoque la faim éprouvée par les ouvriers, elle est juste : il est impossible de travailler le ventre creux. Elle ne ménage pas ses efforts pour leur faire comprendre (cf. dîner annuel chez les Thornton). Elle est déterminée : c'est ce qui a plu à John T même si cela le dérange. Il a trouvé en elle son alter ego. Et je suis, en effet, persuadée, que toutes les potiches de Milton réunies n'auraient pas fait le poids face à Margareth.

Pour ma part, je conçois une grande admiration pour ces personnages féminins qui engagent des combats et n'hésitent pas, comme ici, à empiéter dans un domaine masculin, il y a là une sorte de défi que j'apprécie beaucoup et qui préfigure la force du personnage.

Merci de vos compliments

EDIT : tout ce qui concerne Margaret et que j'avais mis ici est parti dans le topic approprié (celui sur les relations entre les personnages).

emmaD a écrit:

Mais là, j'aimerais m'intéresser aux sentiments de Margaret. Il me semble difficile de déterminer le moment exact où elle tombe amoureuse de Thornton.

C'est une question que l'on a déjà abordée dans le topic consacré aux relations entre les personnages, si çà t'intéresse . De plus ici, c'est un peu hs ...

Bonjour EmmaD

Vos explications sont tout à fait convaincantes. Au fil des pages et des messages que vous avez toutes postés, il y a en effet, une progression dans les sentiments de Margareth pour JT.

Lorsque j'aurai lu le livre que je viens de commander à la Fnac, je pourrai me faire une idée plus précise de cette progression. Je n'ai en tête que les images et dialogues de l'adaptation (pour laquelle, je me suis encore fait une petite projection hier, oups !) . Il est vrai que la vision que j'en ai est parcellaire. Ce qui m'a le plus gêné dans l'adaptation c'est cette sorte d'impassibilité (je ne sais si le mot est juste) voire cette réserve que Margareth a tendance à adopter. On a du mal à imaginer quel combat intérieur l'anime. La narration de l'histoire, sorte de fil conducteur s'effectue au travers de la correspondance qu'elle entretient avec sa cousine londonienne. Parfois, même, je trouve qu'elle ne dit pas la vérité à sa cousine : Milton n'est pas à proprement parler un paradis par rapport à Helstone mais afin de donner le change, elle tente de positiver les choses. Elle tente peut-être de se convaincre qu'après tout, son père avait pris la bonne décision et que le sujet est clos.
Néanmoins, je ne sais pas quel degré de confiance elle accorde à cette cousine mais à aucun moment elle ne lui parle de JT et de la confusion dans laquelle sa déclaration a pu la plonger. Peut-être a-t-elle un journal à qui se confier ? J'aurais voulu à ce moment-là, la découvrir sous des traits plus simples réalisant sa non-maîtrise de la situation et admettant qu'elle n'était plus une petite fille mais une femme capable de susciter un véritable sentiment amoureux chez un homme comme JT . Il y a une sorte de raideur dans la façon d'être de Margareth, sans doute une grande timidité mais aussi une certaine pudeur qui entraînent chez elle une certaine maladresse. Elle le dit elle-même : elle ne sait pas comment réagir face à de tels aveux. On a vu précédemment avec Lennox comment cela s'est passé.

J'adore parler dans le vide

Puisque la manière subtile n'a pas marché, j'opte pour la manière forte. Une fois que les personnes concernées auront vu mon message, je déplacerai les derniers messages dans le topic approprié

Sorry mimidd
Je me suis laissée emporter par le sujet.
Je tiendrai compte de ta juste remarque
Have a good day.

juste pour dire combien je suis frappée par ta toute dernière analyse, emmaD, qui s'appliquerait si bien à Elisabeth Bennett.
L'analyse psychologique des personnages qui manquent dans P&P, on peut la trouver dans N&S.

J'aime beaucoup l'histoire de John et Margaret, et vous en parlez toutes très bien, seulement, il me semble, que leur histoire n'aurait pas abouti, sans Nicolas Higgins.

C'est lui qui fait évoluer Margaret et John.

Il apprend à Margaret ce qu'est la conscience ouvrière, les grèves, le dur travail, et c'est grâce à Margaret, qu'il va trouver John T. pour se faire embaucher. Grâce à lui, John a un autre modèle que lui-même et sa volonté de s'en sortir, de patron sans état d'âmes, il prend peu à peu conscience de ce qu'il peut faire et améliorer. J'aime beaucoup le passage de la construction de la cantine, et les repas pris avec les ouvriers. C'est vraiment une nouvelle ère qu'Elisabeth Gaskell nous fait toucher du doigt. Sans cette évolution, j'ai bien l'impression que Margaret et John n'auraient jamais pu se rejoindre, leur histoire d'amour aurait avortée.

John se rend compte grâce à Nicolas, qu'ils ont le même sens de l'honneur, de la bonne ouvage, ils apprennent à se parler, à s'écouter, et en devenant plus humble, il apprend à connaître Margaret par les dires de Nicolas, ce n'est pas seulement la femme belle qui l'a impressionné, mais une femme responsable, intelligente. D'autre part sa force de caractère transparait dans tous ses malheurs, il en devient admiratif. A la fin du livre, ils sont enfin prêt à s'aimer d'une façon "adulte" car ils s'estiment enfin et peuvent s'offrir l'un à l'autre en toute égalité.

Bien sûr, je me suis trompée de topic, alors, il faut déplacer mon message malvenu...


Sinon, concernant le rôle de Higgins, n'oublions pas le passage clef du "it was her brother" ; sans Higgins, jamais Thornton n'aurait su cela ! Et d'ailleurs, il me semble bien que Higgins fait exprès de dire cela...

il faut que je vérifie, mais il me semble aussi que Mr Bell lui apprend qu'elle a un frère. je lis, je reviens

Exact, Monsieur Bell lui apprend qu'elle a un frère, mais qu'il n'était pas en Angleterre à l'enterrement de sa mère. Et Mr Bell ne revient pas sur cette erreur, d'où le quiproquo.

Je sens que Mimidd va avoir du boulot. Pardon.

euh ! pourquoi mimidd va-t-elle avoir du boulot ?

Ben pour moi, John est déjà fichtrement amoureux de Margaret, pour sa beauté ou pas, avant l'intervention de Monsieur Bell...

Dans le livre, Thornton l'apprend dans la rue par Higgins qui lui demande des nouvelles de Margareth, d'ailleurs la réaction de JT est proche de celle qu'il a dans le film.
EG présente un JT stoïque devant Higgins alors qu'il est très secoué intérieurement.

fichtrement amoureux et super jaloux et à cause d'une parole de Dixon, il se fait tout un cinéma, remarque, l'épisode de la gare l'a fortement ébranlé.

Citation :

"Miss Hale supporte cette épreuve mieux qu'on eût pu s'y attendre.

Mr Thornton aurait préféré s'entendre dire qu'elle éprouvait le chagrin naturel en pareilles circonstances. D'abord, il était assez égoïste pour ressentir un certain plaisir à l'idée que le grand amour qu'il lui portait pourrait contribuer à la réconforter et à adoucir sa peine ; un plaisir assez proche de ce seniment passionné et poignant qui étreint une mère à sentir son enfant se blottir contre elle, dans un état de dépendance complète. Mais cette vision délicieuse de ce qui eût pu être, cette vision qu'il se fût autorisée encore deux jours plus tôt, malgré le refus de Margaret était malencontreusement troublée par le souvenir de ce qu'il avait vu près de la gare de Outwood. "Malencontreusement troublée" Les mots étaient faibles ! il était hanté par le souvenir du beau jeune homme.......

Dans le livre, Mr Bell dit à Thornton que Margaret a un frère mais déclare que ce frère n'a jamais mis les pieds en Angleterre depuis la mutinerie, et certainement pas au moment de la mort de Mrs Hale. Faux espoir pour ce pauvre Thornton (et pour le lecteur) !

C'est Higgins qui lui révèle que Frederick était là au moment où Mrs Hale est morte et donc que c'est lui l'homme de la gare.

Les pages du début du chapitre "Promises fulfilled" où Thornton réfléchit sur la rencontre la gare et le mensonge de Margaret sont particulièrement belles, je trouve. Il ne remet jamais en cause la vertu intrinsèque de Margaret et en veut à cet étranger qui a su se faire aimer d'elle au point qu'elle est prête à mentir pour lui. Il est terriblement jaloux du regard aimant que Margaret a posé sur cet homme et qu'il croit impossible à son égard. D'ailleurs, au dîner de Londres où ils se revoient plus d'un an après le départ de Margaret de Milton, on peut supposer qu'il reconnaît le regard aimant de Margaret (speaking eyes dit Mrs Gaskell) et il en est tout tourneboulé. He gazed back at her for a minute , as if he did not know exactly what he was about ("Il lui rendit fixement son regard pendant une minute, comme s'il ne savait plus exactement ce qu'il faisait là").

j'aime bien le mot tourneboulé..... moi aussi ça me tourneboule

Une remarque en passant : l'amour de Thornton pour Margaret est en quelque sorte programmé dans le nom qu'il porte. Thorn, c'est l'épine et Margaret peut être assimilée à une rose (vu l'importance symbolique accordée aux roses d'Helstone). Or, il n'y a pas de rose sans épine, n'est-ce pas ? Et une épine sans rose, c'est tristoune !

Dans un tout autre ordre d'idée, Thornton est aussi le nom de la commune où sont nées les sœurs Brontë (et Thornfield Hall est le domaine de Rochester), et c'est peut-être de là que ce nom est venu à l'esprit de Mrs Gaskell.

Thornton remarque Margaret grâce à sa beauté, mais il l'aime en raison de ses qualités (et défauts) et la trouve encore plus belle après çà.

Je pense que l'amour de John Thornton est bien sûr intellectuel (admiration pour la force de caractère de Margaret) mais aussi très sensuel.

D'abord le roman est parsemé de remarques sur la beauté des paysages et des femmes. L'écriture d'Elisabeth Gaskell insiste beaucoup sur les sensations des personnages provoquées par la nature, la lumière et par les sentiments.

En outre la demande en mariage est provoquée explicitement par ce que ressent Thornton (dont elle nous dit qu'il n'a jamais été amoureux) lorsque Margaret jette les bras autour de son cou pour le défendre contre les émeutiers. A la fin, E. Gaskell écrit : "la douceur de la joue de Margaret contre la sienne lui sembla si délicieuse qu'il ne chercha pas à regarder ses tendres yeux ni ses joues empourprées . Il la serra contre lui". Puis à l'extrême fin, il est fait allusion à un moment de "délicieux silence" qui correspond en fait à celui du premier baiser.

Je pense qu'il y a là une vision riche de l'amour, de la part d'une écrivain mariée et que l'on dit avoir été heureuse avec son mari. Peut-être a-t-elle mis un peu de sa propre expérience dans la description de cette relation amoureuse. Jane Austen, à qui on la compare souvent avec raison possède une écriture plus "sèche" et il n'est jamais question de sensualité.