Nombre de messages : 3481 Age : 48 Localisation : Entre Paris, Londres, Hong Kong et Séoul... Date d'inscription : 10/09/2007
Sujet: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Sam 9 Mai 2009 - 18:37
Comment, ce livre n'avait pas de topic?
voilà une présentation rapide du livre(en anglais The Secret History) et de son auteur, Donna Tartt. L'auteur est assimilée à ce phénomène littéraire qu'est The Secret History(1933), et le public de fans qu'il a généré. Le livre a pris plus de 8 ans de sa vie à cette proche de Brett Easton Ellis. Et il a fallu attendre encore plusieurs années avant de pouvoir lire son nouvel opus, The Little Friend (Le petit copain, 2003).
Plus connue en France sous le titre "Le Maitre des illusions", The Secret History est l'objet depuis quelques années d'un succès éditorial énorme. On peut le voir certes comme une histoire policière, mais je le vois personnellement plus comme une fascinante étude de mœurs et de caractères. Les personnages de Henry, Francis, Camilla, Bunny et Charles vivent littéralement à travers les yeux de l'incolore Richard Papen. Au-dessus d'eux, l'ambigu Julian reste dans l'ombre.
Résumé wikipedia: Richard, un étudiant californien de 19 ans en quête de nouveaux horizons, débarque dans un petite université du Vermont avec la ferme intention d'y poursuivre des études de grec. Il parvient à intégrer le petit groupe très sélect d'étudiants de grec et latin, mené par le charismatique Julian, un sage mais étrange professeur. Il se lie rapidement avec les cinq autres étudiants de la classe, Henry, un génie, riche à millions et qui vit dans son monde, le beau Charles et sa sœur Camilla, deux jumeaux, Francis, riche, délirant - et gay, et Bunny, le cancre du groupe, stéréotype du brave américain [i]middle class.
Les semaines passent ainsi comme dans un rêve pour Richard, entre la beauté des paysages du Vermont, les weekends à la campagne, les soirées étudiantes, et les traductions de Platon, le tout baigné d'alcool et autres drogues, sans compter son coup de foudre pour la belle et froide Camilla.
Pourtant, une tension s'installe, et Richard se rend vite compte que ses cinq nouveaux amis lui cachent quelque chose. La dévotion d'Henry pour les rites de l'antiquité, une bacchanale qui tourne mal, un meurtre, des mensonges en série, des vacances d'hiver où tout implose et Richard va apprendre la vérité. Il décide alors de se ranger du côté de ses amis, et de les aider à garder leur secret, même quand cela implique de se débarrasser de l'un d'entre eux. Après deux meurtres, vont-ils réussir à s'en sortir libres? Comment ne pas craquer face à la pression de la culpabilité? Ont-ils réussi à orchestrer le meurtre parfait?[/i]
Pour ma part, c'est un des livres que j'aime le plus. Quoiqu'il arrive, je le relis régulièrement, et à chaque fois, je m'émerveille de la façon dont se mêle le surnaturel à l'histoire sordide d'un meurtre. Les personnages sont absolument fascinants, et on se prend à basculer totalement du côté du groupe d'étudiants, tout comme Richard.
Le livre ne bénéficie toujours pas d'adaptation cinématographique, les droits ont été achetés, vendus, rachetés. Et les fans, dont je fais partie, font régulièrement des castings idéaux.
Voilà, j'imagine que je ne dois pas être la seule à aimer ce livre, donc j'attends vos réactions!!
Dernière édition par christelle le Sam 16 Mai 2009 - 13:55, édité 3 fois
emmaD Romancière anglaise
Nombre de messages : 2639 Age : 43 Localisation : Lutèce Date d'inscription : 26/03/2009
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Mar 12 Mai 2009 - 14:36
Je ne connais pas du tout, mais je crois que je vais me laisser tenter... par amour du grec !
Et puis, le résumé est plutôt intrigant !
christelle The Gathering Storm
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Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Mar 12 Mai 2009 - 19:24
Je pense que ça te plaira! c'est vraiment envoutant!
Wuxue British countryside addict
Nombre de messages : 887 Age : 50 Localisation : Auvergne Date d'inscription : 04/06/2009
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Sam 6 Juin 2009 - 21:41
Superbe roman. Une étude vraiment puissante des caractères, assez fascinant. Je l'ai lu il y a des années et je m'en souviens toujours assez bien.
J'attendais impatiemment un autre roman de Donna Tartt, et quand Le petit copain est sorti, j'ai sauté dessus. Je me suis fait très mal ! J'ai eu beaucoup de peine à le terminer. En fait, j'ai tout bonnement détesté ! Rien à voir avec le précédent...
christelle The Gathering Storm
Nombre de messages : 3481 Age : 48 Localisation : Entre Paris, Londres, Hong Kong et Séoul... Date d'inscription : 10/09/2007
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Mer 1 Juil 2009 - 11:19
Moi non plus, je n'ai pas beaucoup aimé "Le petit copain", elle m'a complètement larguée, sur celui-là. Mais il faut que je le relise, car je me dis qu'il doit quand même y avoir des bonnes choses dedans...
Dernière édition par christelle le Mar 16 Fév 2010 - 13:23, édité 1 fois
Maribel Ready for a strike!
Nombre de messages : 1122 Age : 39 Localisation : Québec Date d'inscription : 05/05/2009
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Mer 1 Juil 2009 - 17:21
Ce livre me tente beaucoup, après avoir lu ton résumé. Je le note!
Wuxue British countryside addict
Nombre de messages : 887 Age : 50 Localisation : Auvergne Date d'inscription : 04/06/2009
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Mer 1 Juil 2009 - 21:07
christelle a écrit:
Moi aussi, je n'ai pas beaucoup aimé "Le petit copain", elle m'a complètement larguée, sur celui-là. Mais il faut que je le relise, car je me dis qu'il doit quand même y avoir des bonnes choses dedans...
Oui, hein... Vraiment, moi j'aurai pas envie de le relire ! Tu as bien du courage d'y songer !
Maribel Ready for a strike!
Nombre de messages : 1122 Age : 39 Localisation : Québec Date d'inscription : 05/05/2009
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Jeu 1 Oct 2009 - 21:29
Je viens de terminer Le maître des illusions. (700 pages, c'est quand même quelque chose ) Malgré l'épaisseur du livre, je ne me suis pas ennuyée. Malgré qu'à quelques endroits j'aurais aimé voir l'action arrivée plus vite.
C'est un livre fascinant! J'ai beaucoup aimé ma lecture. C'est un livre que je conseillerais, sans aucun doute. J'ai beaucoup aimé le mystère qui entoure chaque personnage, et leurs amitiés.
Spoiler:
J'ai été assez étonnée de me rendre compte que finalement, on n'en sait pas tant que cela sur Richard, le personnage principal. Il narre surtout en tant qu'observateur. J'ai l'impression de ne pas vraiment le connaître, ce qui est le contraire pour les autres que je n'ai pas trop de difficulté à m'imaginer. J'ai de la difficulté à trouver pourquoi les autres l'incluaient dans leur gang. Pour ce servir de lui, parce qu'il était intelligent? On dirait que tout le long du roman, il ne faisait que leur rendre service et réparer leurs mauvais coups. Il se laisse mener là où les autres veulent bien l'amener, même en dernier quand des indices porte à croire qu'Henry pourrait lui rejeter la faute sur lui. Si ça vous dit, j'aimerais bien avoir votre opinion là-dessus.
Zakath Nath Romancière anglaise
Nombre de messages : 4819 Age : 41 Date d'inscription : 04/11/2007
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Mar 16 Fév 2010 - 11:11
Je viens de le finir et j'ai vraiment adoré, même si le début est un peu lent, on finit vraiment par être pris dans l'histoire et on ne sait jamais vraiment sur quel peid danser avec les personnages.
Le livre m'a un peu fait penser au Talentueux Mr Ripley (le film, en tout cas, je n'ai pas encore lu le livre) avec un personnage qui ment sur son milieu pour intégrer un groupe, un meurtre, et finalement on passe plus de temps à se demander comment les personnages vont se sortir de cette situation qu'à juger l'acte lui-même.
Un seul bémol,
Spoiler:
je n'ai pas vraiment aimé le coup de l'inceste entre Charles et Camilla. j'ai l'impression que chaque fois qu'on met en scène des faux jumeaux dans un roman, il faut qu'ils couchent ensemble. Par contre les prénoms, c'est une coincidence?
Citation :
Spoiler:
J'ai été assez étonnée de me rendre compte que finalement, on n'en sait pas tant que cela sur Richard, le personnage principal. Il narre surtout en tant qu'observateur. J'ai l'impression de ne pas vraiment le connaître, ce qui est le contraire pour les autres que je n'ai pas trop de difficulté à m'imaginer. J'ai de la difficulté à trouver pourquoi les autres l'incluaient dans leur gang. Pour ce servir de lui, parce qu'il était intelligent? On dirait que tout le long du roman, il ne faisait que leur rendre service et réparer leurs mauvais coups. Il se laisse mener là où les autres veulent bien l'amener, même en dernier quand des indices porte à croire qu'Henry pourrait lui rejeter la faute sur lui. Si ça vous dit, j'aimerais bien avoir votre opinion là-dessus.
En effet, mais ce doit être volontaire car
Spoiler:
Richard dit vers la fin qu'il a toujours été un observateur plus qu'un acteur. Et il doit avoir une certaine réticence à parler de lui-même, alors qu'il est fasciné par ses camarades et donne donc bien plus de détails sur eux. Pour le fait que les autres se servent de lui, c'est surtout le cas d'Henry, mais celui-ci se sert de tout le monde à un moment donné ou à un autre, et Richard apparaît quand même comme le plus solide, ceci explique peut-être cela. Par contre je n'ai pas l'impression qu'à la base ils l'ont accepté dans leur groupe uniquement pour se servir de lui.
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Maribel Ready for a strike!
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Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Mar 16 Fév 2010 - 23:13
J'aime beaucoup ton interprétation, ça fait beaucoup de sens!
christelle The Gathering Storm
Nombre de messages : 3481 Age : 48 Localisation : Entre Paris, Londres, Hong Kong et Séoul... Date d'inscription : 10/09/2007
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Lun 1 Mar 2010 - 15:26
Je suis ravie que vous ayez aimé le livre, c'est vraiment un de mes livres préférés, car je trouve les personnages fascinants.
A propos du bémol de Zakath Nath, je pense que cet élément est là pour indiquer à quel point le groupe est pourri de l'intérieur, alors qu'ils apparaissaient pour Richard comme des espèces de dieux vivants, finalement, ils ont des faiblesses bien humaines. Camilla est idéalisée par Richard au début, il en fait une espèce d'icône picturale digne des préraphaélites.
C'est vrai que le personnage de Richard est très neutre, et qu'il ressemble beaucoup au personnage de Ripley. Il a la même complète désincarnation au début du livre. D'ailleurs, physiquement, il reste totalement flou. C'est à mon avis pour faciliter l'identification du lecteur à son personnage.
Au début s'il est accepté par le groupe,
Spoiler:
c'est avant tout Bunny qui l'introduit, en faisant le forcing. Par la suite, le reste du groupe l'admet, parce qu'il montre à Henry et aux autres qu'il n'est pas comme les autres. Car il n'a de cesse de montrer qu'il n'est pas comme les étudiants. C'est plus, je crois, ce côté de sa personnalité qui plait au groupe. Henry aime aussi son adaptabilité aux situations, d'ailleurs, il ne se révèle à lui que lors de cet hiver terrible où Richard manque de mourir. Ce radicalisme et cette pudeur plaisent beaucoup à Henry et lui font comprendre qu'il peut se confier à Richard.
La relation Henry/Richard est aussi complexe que celle entre Bunny et Henry, quoique très différente.
Invité Invité
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Mar 21 Fév 2012 - 9:50
Quelle claque, ce roman! Magistral. Le livre de la césure... "Does such a thing as "the fatal flaw," that showy dark crack running down the middle of a life, exist outside literature?" Oui, indéniablement...
Dérinoé Ready for a strike!
Nombre de messages : 1084 Date d'inscription : 15/10/2011
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Mar 8 Mai 2012 - 23:17
Bon les amis, je viens d'achever le Maître des illusions de Donna Tartt et j'avoue ressortir assez mitigée de ce Vermont universitaire aussi glacial qu'il peut être flamboyant.
Les deux plus plus grandes réussites de cet opus, et non des moindres à mon sens, résident dans deux tours de force littéraires, particulièrement remarquables lorsque l'on songe à la trame pseudo-policière développée par l'auteur.
Tout d'abord, Donna Tartt parvient à juxtaposer les genres avec un naturel tel que le lecteur se sent à peine glisser du récit d’initiation au conte philosophique en passant par le thriller et le roman policier. Le dégradé narratif rappelle ces triptyques picturaux dont chaque volet possède sa couleur et son style propres sans pour autant que l’œil ne s'écorche en passant d'un pan à l'autre. L'alternance des tons - portée avec crédibilité par les subtiles évolutions psychologiques du narrateur - nous ballade avec une aisance qui n'est pas sans suggérer que le véritable maître des illusions est ici celui qui tient la plume d'un livre insaisissable.
Ensuite, et c'est sans doute l'aspect du roman que j'admire le plus, l'auteur ne tombe jamais dans les ravins de clichés pourtant fort attrayants qui bordent la grande route de l'amitié, de l'absolu, du crime et de la rédemption. Imaginez le Maître des Illusions mis en scène par un réalisateur hollywoodien pur jus: c'est avec effroi que l'on devine de quels stéréotypes grossiers se fendrait une bonne grosse ganache américaine nappée de petites figurines rosées en sucre de massepain bien découpées sur un fond de soap opera universitaire.
Spoiler:
Je pense par exemple au positionnement de Richard, jeune homme aux finances modestes happé par un milieu d'intellectuels intrigants qui le fascine: en voilà un topic récurrent qui eut pu, moins bien maîtrisé, donner lieu à une série de platitudes psychologiques quant à l'interaction du narrateur avec le groupe craintivement admiré. Et puis non, on y croit tout à fait: l'attirance, bien réelle, est suffisamment coupée à l'eau - perplexité, paresse, bon sens et patine que donne une fréquentation régulière - pour que les rapports entretenus par les uns et les autres sonnent juste et vrai.
Spoiler:
De même aussi, d'ailleurs, pour ce que nous savons des sentiments inspirés par la seule fille du groupe, Camilla, aux différents protagonistes masculins qui l'entourent: par sa beauté et son opalescence, elle aurait rapidement pu devenir une sorte de noyau centrifuge du récit autour duquel se seraient faits et défaits les drames attendus de l'amour et de l'amitié : jalousie, aigreur, violence et jeux de séduction à ne plus finir. Et puis non, le personnage est suffisamment complexe et subtil pour contourner - avec grâce - le cliché de l'éternel Féminin se distinguant surtout par sa féminité et prendre l'épaisseur contrastée qui donne à tous les personnages leur relief et leur crédibilité. Camilla existe tout à fait, avec sa beauté médiévale et garçonne, sa fébrilité discrète, son sens de l'amitié, de la famille, de la tragédie et les soirées de beuverie où elle ne le cède en rien aux garçons : un caractère en plein que l'on sent tout à fait vraie sous les doigts de l'écrivain.
Tous les héros de l'histoire - des plus exceptionnels dans leur personnalité, tel Henry ou Julian - aux plus traditionnels - tels par exemple Richard, le narrateur - sont modelés à même la pâte humaine et, malgré les caractères paradigmatiques que certains endossent - le boeuf à gros bras incarné par Bunny -, tous possèdent assez de contradictions pour se mouvoir en trois dimensions. (Comme l'écrit Montherlant, personne n'est parfaitement cohérent, sauf les personnages de roman, et ceux-ci ne le sont pas, Dieu merci !)
Pour résumer, je dirais qu'en refermant le livre, j'avais le sentiment d'avoir vraiment rencontré des êtres humains en plein, pas d'avoir traversé le compte-rendu plus ou moins bien écrit d'un moment de vie.
Pour les points négatifs,
Spoiler:
j'ai moins goûté l'empilement proprement ahurissant de névroses dont semblent être affublés tous les personnages, sans exception. Charles en est l'un des exemples les plus frappants: orphelin, alcoolique, n'assumant ni son homosexualité, ni son hétérosexualité, incestueux, partageant au moins un amant en commun avec sa jumelle et de surcroît physiquement violent, pour ne pas dire carrément dangereux. Francis n'est pas mal non plus: ayant couché avec le frère et la soeur - les deux entretenant également des relations outrepassant largement le cadre de l'affection fraternelle, rappelons-le -, nonchalamment flanqué d'une mère en éternelle cure de désintoxication et d'un beau-père qui aurait l'âge d'être son frère, l'un et l'autre lui proposant à l'occasion de les rejoindre au plumard.
N'en jetez plus: il ne manque que quelques morts disséminés ci et là - ah! non, ça, c'est déjà fait, pardon! - et un petit génocide sous le sommier pour compléter le tableau. La dernière partie du livre fait le tour des placards avec un grand panier de formol sous le bras et la somme des grands corps planqués par les uns et les autres a si bien pesé sur le drame qu'elle a fini, pour moi au moins, par en crever le crescendo comme un boulet de plomb viendrait défoncer un escalier en bois. Trop de trop tue le trop, c'est sûr.
Petit bémol formel enfin: il m'a semblé que le style très visuel de Donna Tartt s'altérait au fil des pages et que la deuxième partie du roman souffrait d'une petite vérole de formules répétitives qui m'ont bien agacé les dents. "Les joues brûlantes de Camilla", que je crois avoir lu vingt fois au moins dans la partie médiane, m'a donné envie de lui jeter de grands sauts d'eau glacée sur la tête. Mais bon, je chipote un peu, là.
Sinon, je serais curieuse de savoir ce que vous pensez du titre original, The Secret History, ainsi que de sa traduction française, Le Maître des illusions, aussi ouverts l'un que l'autre à interprétation. J'attends l'explication du Grand Maître de l'Ellipse qui me doit bien cela, après m'avoir poussée dans les bras de Donna Tartt.
N.B. Je maudis les éditions Plon et leur saloperie de reliure de pacotille qui m'a laissé chaque page lue entre les doigts, détachée de sa tranche comme un morceau de sopalin de son rouleau.
Dernière édition par Dérinoé le Ven 18 Mai 2012 - 0:42, édité 2 fois
christelle The Gathering Storm
Nombre de messages : 3481 Age : 48 Localisation : Entre Paris, Londres, Hong Kong et Séoul... Date d'inscription : 10/09/2007
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Mer 9 Mai 2012 - 7:54
Concernant les fameuses "névroses", il me semble que c'est justement un des sujets principaux du livre. Comment et pourquoi tout va mal se passer à partir d'un fait, c'est bel et bien à cause de leurs névroses, totalement déchaînées par le poids du secret! Comme dans le chapitre chez les parents de Bunny, qui est un magnifique descriptif de névroses accumulées. Du coup, cela ne m'a pas du tout gênée, concernant Charles, Francis, et même Richard. Et puis la névrose est un des grands sujets de la littérature américaine contemporaine, les États Unis sont le plus grand pays de névrosés du monde...
Je ne me souviens pas du tout de la répétition de certains termes sur la fin du livre, pourtant, je l'ai lu et relu. Il va falloir que je me re-penche sur la question...
Sinon, tu as tout à fait raison, Le Maître des Illusions est un livre glacial, flamboyant aussi car il montre la grande maîtrise de son auteur, mais révèle aussi son côté monstrueux. Du coup, j'admets volontiers qu'on en sorte mitigé, d'autant que ta critique est tout à fait intéressante.
A propos du titre, je goûte en effet plus la traduction française, car elle fait vraiment référence au dieu Pan, à mon sens, et c'est le point de départ de l'intrigue. The Secret History fait un peu trop secret sur le campus, même s'il a aussi un double sens.
Invité Invité
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Mer 9 Mai 2012 - 12:16
Dérinoé a écrit:
ce que vous pensez du titre original, The Secret History, ainsi que de sa traduction française, Le Maître des illusions
Selon les déclarations que l'auteur a bien voulu concéder (toujours drôles et futées, soit dit en passant), le titre américain originel devait être The God of illusions, en écho à l'expression par laquelle Eric Robertson Dodds, historien spécialiste de la Grèce antique et auteur d'un ouvrage de référence, The Greeks and the Irrational (1951, traduit chez Flammarion) avait désigné Dionysos (The Master of Magical Illusions). Dionysos, le protagoniste invisible de ce club des cinq (six par cooptation) de la déraison, l'instigateur en titre des funestes mystères (taking you out of yourself). L'auteur aurait opté en définitive pour The Secret History (L'Histoire secrète) en référence à l'ouvrage éponyme de Procope de Césarée, historien du VIème siècle, auteur d'une chronique sans fard du règne de l'empereur Justinien (dont il était pourtant plus ou moins l'hagiographe). Bref, un éloge de la duplicité... Des faux-semblants et trahisons morales. Comme toujours chez cet auteur, rien n'est laissé au hasard ou à la facilité, tout est sujet à interprétation. Et c'est ce qui m'avait, pour ma part, enthousiasmée. (Mais pourquoi tel livre découvert à tel âge courbe le regard, c'est une autre histoire...).
Dérinoé a écrit:
juxtaposer les genres avec un naturel tel que le lecteur se sent à peine glisser du récit d’initiation au conte philosophique en passant par le thriller et le roman policier
Oui, roman policier qui n'en est pas vraiment un, en réalité, puisque tout (sauf l'essentiel, à savoir la motivation psychologique des participants) est su dès les premières pages.
Dérinoé a écrit:
nous ballade avec une aisance qui n'est pas sans suggérer que le véritable maître des illusions est ici celui qui tient la plume d'un livre insaisissable
Oui!
Dérinoé a écrit:
Pour les points négatifs
Hérésie, hérésie... Il n'y a rien de trop, dans ce roman.
Dérinoé a écrit:
les éditions Plon et leur [***] de reliure de pacotille
Vandale! Mon exemplaire a survécu à moult manipulations et rites sacrificiels. A peine un pli dans le grand voile...
christelle a écrit:
Le Maître des Illusions est un livre glacial, flamboyant aussi car il montre la grande maîtrise de son auteur, mais révèle aussi son côté monstrueux
Oui, même sentiment. L'interrogation majeure demeurant: de quel protagoniste vous sentez-vous le plus proche...
Dérinoé Ready for a strike!
Nombre de messages : 1084 Date d'inscription : 15/10/2011
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Mer 9 Mai 2012 - 19:50
@ Christelle:
Citation :
Concernant les fameuses "névroses", il me semble que c'est justement un des sujets principaux du livre. Comment et pourquoi tout va mal se passer à partir d'un fait, c'est bel et bien à cause de leurs névroses, totalement déchaînées par le poids du secret!
Certes. Mais, d'un autre côté, à mesure que la fin du livre approchait, j'avais l'impression d'assister à ce qui, en terme de mouvement, équivaudrait au geste sec mais maladroit par lequel une personne croyant retirer de la table une nappe couverte de services sans en bouleverser l'ordonnance renverserait tout dans un fracas involontaire. Les personnages ne sont pas névrosés: ils sont carrément détraqués, et dans une mesure qui eut, à mon goût, nécessité quelques explications de la part de l'auteur. On navigue tout de même dans les eaux de lourdes pathologies, ce me semble. Non? Ou serais-je un peu prude?
J'ai même pensé un moment que Julian réunissait ses étudiants non sur la base d'une esthétique commune mais sur un flair imparable à détecter les cas psychiatriques propices à certains excès.
Citation :
Du coup, cela ne m'a pas du tout gênée, concernant Charles, Francis, et même Richard. Et puis la névrose est un des grands sujets de la littérature américaine contemporaine, les États Unis sont le plus grand pays de névrosés du monde...
C'est le traitement qui m'ennuie. Je ne sais pas: il y avait un petit côté "méchant-qui-ôte-son-masque-débonnaire" dans l'un de ces inénarrables épisodes de Scoubidou.
Spoiler:
Charles, par exemple, passe du garçon plutôt timide, charmant, humble et agréable à une sorte de toxicomane incestueux, agressif et violent sans que rien, dans la plus grande partie du livre, ne laisse soupçonner un tel revirement. Cela m'a paru un peu... construit? Comme s'il fallait consommer un drame tenu à distance par la relative froideur émotionnelle des personnages en abattant les cartes les plus noires les unes après les autres, dans la la dernière ligne droite de la tragédie.
Disons que, dans mon cas en tous les cas, ce type d'abattage de malheurs aurait plutôt tendance à susciter le rire que l'effroi.
Citation :
Du coup, j'admets volontiers qu'on en sorte mitigé, d'autant que ta critique est tout à fait intéressante.
Merci. En fait, si tu veux, j'ai aimé chacune des parties du roman mais, in fine, je ne vois pas bien où Donna Tartt pourrait vouloir en venir.
@ TimesNewRoman:
Citation :
Selon les déclarations que l'auteur a bien voulu concéder (toujours drôles et futées, soit dit en passant), le titre américain originel devait être The God of illusions, en écho à l'expression par laquelle Eric Robertson Dodds, historien spécialiste de la Grèce antique et auteur d'un ouvrage de référence, The Greeks and the Irrational (1951, traduit chez Flammarion) avait désigné Dionysos (The Master of Magical Illusions). Dionysos, le protagoniste invisible de ce club des cinq (six par cooptation) de la déraison, l'instigateur en titre des funestes mystères (taking you out of yourself). L'auteur aurait opté en définitive pour The Secret History (L'Histoire secrète) en référence à l'ouvrage éponyme de Procope de Césarée, historien du VIème siècle, auteur d'une chronique sans fard du règne de l'empereur Justinien (dont il était pourtant plus ou moins l'hagiographe). Bref, un éloge de la duplicité... Des faux-semblants et trahisons morales. Comme toujours chez cet auteur, rien n'est laissé au hasard ou à la facilité, tout est sujet à interprétation. Et c'est ce qui m'avait, pour ma part, enthousiasmée. (Mais pourquoi tel livre découvert à tel âge courbe le regard, c'est une autre histoire...).
Grand merci pour cette double explication.
J'ai lu, il y a quelques années, à l'époque de mon mémoire, le livre en effet magistral d'E.R. Dodds et je crois que la phrase à laquelle tu fais allusion est mise en exergue par Donna Tartt, au début de la seconde partie. Cela étant, il n'est pas aisé de savoir qui ou quoi, dans cette histoire, doit être identifié à Dionysos. Quelle est la véritable déraison de cette aventure, au fond?
Spoiler:
Je ne suis pas certaine que le Dionysos le plus marquant de l'histoire soit celui qui emmène la joyeuse équipée dans sa meurtrière bacchanale. Je ne sais pas ce que vous en pensez?
Citation :
(sauf l'essentiel, à savoir la motivation psychologique des participants)
Si Magritte avait peint ce roman, sans doute l'eut-il baptisé: Ceci n'est pas un roman policier.
Cela étant, ces motivations me semblent demeurer totalement floues, pour ne pas dire carrément absentes - ce qui, compte tenu de la souveraine liberté de l'auteur, n'aurait rien de dérangeant si l'auteur n'avait pas, par ailleurs, assommé ses protagonistes de troubles et de déviances qui semblent se substituer aux causes originelles et de leurs motivations, et de leurs pathologies.
J'y vois une sorte de facilité narrative: comme si Donna Tartt avait renoncé, face à l'ultime étape de sa fine étude de personnalités, à donner le dernier coup de pinceau, celui qui eut octroyé un champ de profondeur infini aux héros de cette histoire. Quand on parcourt les commentaires de lecteurs peu enthousiastes, on devine d'ailleurs que sous les diverses critiques exprimées se dessine une déception commune à tous, à savoir l'idée qu'aurait dû se profiler, derrière les secrets cachés par les uns et les autres, un secret plus grand encore, peut-être de nature philosophique ou psychologique. Un secret dans le secret, dévoilant la nature réelle de toute cette histoire, son fond véritable, son authentique origine. Et cependant, cela nous fuit dans le roman.
Citation :
Vandale! Mon exemplaire a survécu à moult manipulations et rites sacrificiels. A peine un pli dans le grand voile...
Vandale revendiquée en tout, oui.
Dernière édition par Dérinoé le Lun 16 Juil 2012 - 3:54, édité 1 fois
christelle The Gathering Storm
Nombre de messages : 3481 Age : 48 Localisation : Entre Paris, Londres, Hong Kong et Séoul... Date d'inscription : 10/09/2007
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Jeu 10 Mai 2012 - 8:59
Attention, quelques spoilers dans ma réponse. @Dérinoé
Citation :
Certes. Mais, d'un autre côté, à mesure que la fin du livre approchait, j'avais l'impression d'assister à ce qui, en terme de mouvement, équivaudrait au geste sec mais maladroit par lequel une personne croyant retirer de la table une nappe couverte de services sans en bouleverser l'ordonnance renversait tout dans un fracas involontaire. Les personnages ne sont pas névrosés: ils sont carrément détraqués, et dans une mesure qui eut, à mon goût, nécessité quelques explications de la part de l'auteur. On navigue tout de même dans les eaux de lourdes pathologies, ce me semble. Non? Ou serais-je un peu prude? J'ai même pensé un moment que Julian réunissait ses étudiants non sur la base d'une esthétique commune mais sur un flair imparable à détecter les cas psychiatriques propices à certains excès.
Peut-être que tu n'acceptes pas les Actes 1 (weekend dionysiaque) et 2 (ravin) comme étant les moments clés du bouquin. Il est évident que n'importe qui péterait un plomb après cela. Tout est expliqué par l'auteur, leur isolement familial et affectif, et leur sentiment de s'être rassemblé en clan autour de Julian, qu'ils considèrent comme un mentor, un maître intellectuel, il est plus qu'un père pour eux. Leur sentiment de supériorité est mêlé à un sentiment d'isolement. Autour de Julian, ils se retrouvent, et forment une famille, bien seule au milieu du campus qui soit les déteste, soit les ignore. C'est important de prendre cela en compte.
Citation :
C'est le traitement qui m'ennuie. Je ne sais pas: il y avait un petit côté "méchant-qui-ôte-son-masque-débonnaire" dans l'un de ces inénarrables épisodes de Scoubidou.
Spoiler:
Charles, par exemple, passe du garçon plutôt timide, charmant, humble et agréable à une sorte de toxicomane incestueux, agressif et violent sans que rien, dans la plus grande partie du livre, ne laisse soupçonner un tel revirement. Cela m'a paru un peu... construit? Comme s'il fallait consommer un drame tenu à distance par la relative froideur émotionnelle des personnages en abattant les cartes les plus noires les unes après les autres, dans la la dernière ligne droite de la tragédie.
Le coup de Scoubidou, excellent! Pourtant l'Acte 1 du weekend dionysiaque est le déclencheur de tous les évènements, c'est incontestable. N'importe qui de normal réagirait mal après, alors quelqu'un de névrosé, c’est juste la porte ouverte à toutes les pulsions cachées. C'est parfaitement cohérent. Après, tu as effectivement le droit de ne pas être d'accord sur la forme. Effectivement le coup des cartes abattues est bien imagé, mais il correspond pour moi à l'accélération des évènements.
question froideur émotionnelle, le seul concerné est Henry. Ou peut-être aussi Julian. Ce sont les autres qui réagissent très mal après, les plus fragiles.
Citation :
Disons que, dans mon cas en tous les cas, ce type d'abattage de malheurs aurait plutôt tendance à susciter le rire que l'effroi.
En fait, il y a une part de burlesque dans ce livre. Plus comme le dieu Janus que Dionysos. Un côté tragi-comédie grecque antique. Bunny par exemple, c'est un mélange parfait de cette part de burlesque et de sérieux. C'est vraiment le personnage les plus intéressant après le narrateur, Richard. Il a un côté beauf nouveau riche, que les autres du groupe trouvent vulgaire, et en même temps, il n'a pas son pareil pour les mettre mal à l'aise, trouvant la moquerie qui fait mouche. Pourtant, il arrive à être touchant, dans son ridicule. Et c'est le plus humain du groupe, car c'est le seul qui songe à aller voir la police.
Je vois aussi dans le drame une véritable distance entre Donna Tartt et ses personnages. On sent qu'elle y est attachée, mais qu'elle prend un malin plaisir à les mettre à nu, à les ridiculiser.
Citation :
...J'ai lu, il y a quelques années, à l'époque de mon mémoire, le livre en effet magistral d'E.R. Dodds et je crois que la phrase à laquelle tu fais allusion est mise en exergue par Donna Tartt, au début de la seconde partie. Cela étant, il n'est pas aisé de savoir qui ou quoi, dans cette histoire, doit être identifié à Dionysos. Quelle est la véritable déraison de cette aventure, au fond?
Spoiler:
Je ne suis pas certaine que le Dionysos le plus marquant de l'histoire soit celui qui emmène la joyeuse équipée dans sa meurtrière bacchanale. Je ne sais pas ce que vous en pensez?
Citation :
(sauf l'essentiel, à savoir la motivation psychologique des participants)
Oui, merci pour cette explication, TimesNewRoman . C'est en effet un bon éclairage. Je ne suis pas sure que Dionysos ou Le Maître des Illusions puissent être identifié dans l'histoire. Par exemple, je pensais au début qu'il s'agissait de Julian, mais il n'est qu'un passeur, et un manipulateur, mais qui garde soigneusement ses distances. Il s’agit plus d'une image que d'un personnage. Tout arrive une nuit, où il se passe quelque chose de grave, et c'est là que le Maître des Illusions s'installe, car les personnages se mentent les uns aux autres, se manipulent, et tout s’écroule.
Citation :
Cela étant, ces motivations me semblent demeurer totalement floues, pour ne pas dire carrément absentes - ce qui, compte tenu de la souveraine liberté de l'auteur, n'aurait rien de dérangeant si l'auteur n'avait pas, par ailleurs, assommé ses protagonistes de troubles et de déviances qui semblent se substituer aux causes originelles et de leurs motivations, et de leurs pathologies.
J'y vois une sorte de facilité narrative: comme si Donna Tartt avait renoncé, face à l'ultime étape de sa fine étude de personnalités, à donner le dernier coup de pinceau, celui qui eut octroyé un champ de profondeur infini aux héros de cette histoire. Quand on parcourt les commentaires de lecteurs peu enthousiastes, on devine d'ailleurs que sous les diverses critiques exprimées se dessine une déception commune à tous, à savoir l'idée qu'aurait dû se profiler, derrière les secrets cachés par les uns et les autres, un secret plus grand encore, peut-être de nature philosophique ou psychologique. Un secret dans le secret, dévoilant la nature réelle de toute cette histoire, son fond véritable, son authentique origine. Et cependant, cela nous fuit dans le roman.
Hum, je ne vois pas pourquoi Donna Tartt devrait donner toutes les réponses dans le roman. Ses intentions me semblent claires, à moi. Tu as raison, pour le secret dans le le Secret, mais c'est justement cela que j'aime. On a fait face à quelque chose d’insaisissable.
Je vois surtout une satire d'une certaine forme d'intelligentsia, en même temps qu'un attachement paradoxal, d'ailleurs.
Dérinoé Ready for a strike!
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Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Jeu 10 Mai 2012 - 20:56
@ Christelle:
Citation :
Peut-être que tu n'acceptes pas les Actes 1 (weekend dionysiaque) et 2 (ravin) comme étant les moments clés du bouquin.
En effet, oui. Pour les Dionysies, elles m'ont semblé endosser un rôle mineur au sein de la trame psychologique des personnages en général et de l'éclosion de leurs névroses en particulier, toutes plus tortueuses les unes que les autres.
Spoiler:
Du reste, il me semble que le récit fait par Henry à Richard de cette fatale soirée occupe au final un nombre de page très restreint et que, à la question de l'expérience émotionnelle, sexuelle, spirituelle et corporelle vécue durant la cérémonie se substitue très vite "l'épisode Bunny et son vrai-faux-chantage au pic à glace". J'ai du reste trouvé assez astucieux, de la part de Donna Tartt, de déjouer toutes les attentes littéraires du lecteur en désamorçant les nœuds dont on aurait pu penser qu'ils constituaient le cœur et le sommet de l'intrigue. ("Un roman d'initiation? Ah! Non! Une sorte de drame philosophico-spirituel? Non plus. Un roman policier mâtiné de thriller haletant. Du tout.")
Une fois passée la révélation d'Henry à Richard, j'ai eu assez vite le sentiment que là n'était pas le propos de l'auteur et, par conséquent, de son histoire. C'est sans doute pour cette raison que je peine à voir le fil qui relie cet épisode, certes nécessairement marquant, aux dégradations relationnelles décrites dans la dernière partie du livre.
Citation :
Tout est expliqué par l'auteur, leur isolement familial et affectif, et leur sentiment de s'être rassemblé en clan autour de Julian, qu'ils considèrent comme un mentor, un maître intellectuel, il est plus qu'un père pour eux.
C'est drôle: je ne les avais pas ressentis comme ça du tout. Malgré la solidarité du groupe, dès avant la cérémonie, ils se dessinaient pour moi comme de parfaits individualistes dont la rencontre fortuite permettra le déclenchement d’événements auxquels chacun, isolé, n'eut peut-être même jamais osé songer. J'aurais de la peine à expliquer pourquoi mais tous m'ont paru enfermés dans une gangue de fantasmes, de réfléxions et de sentiments incommuniqués - ni aux autres personnages, ni aux lecteurs.
Citation :
question froideur émotionnelle, le seul concerné est Henry. Ou peut-être aussi Julian. Ce sont les autres qui réagissent très mal après, les plus fragiles.
Spoiler:
Étonnant. De par son suicide et son amour pour Camilla, Henry est certainement celui qui m'est apparu comme le moins "froid", émotionnellement parlant.
Si mes souvenir sont bons, le projet d'assassinat de Bunny ne suscite aucune résistance, aucune réflexion, aucune réserve, sinon de Francis qui protestera mollement et d'une manière qui ne constitue en rien une menace aux résolutions meurtrières d'Henry. De même, il semble que la fin, injuste et brutale, du paysan ainsi que l'idée de planter là le bon Richard sans un mot d'explication au moment du départ en Argentine ne troublent ni les uns, ni les autres. Ils me donnaient tous le sentiment d'une certaine uniformité morale, moins faite de vice que d'indifférence.
Citation :
En fait, il y a une part de burlesque dans ce livre. Plus comme le dieu Janus que Dionysos. Un côté tragi-comédie grecque antique. Bunny par exemple, c'est un mélange parfait de cette part de burlesque et de sérieux. C'est vraiment le personnage les plus intéressant après le narrateur, Richard.
Assez d'accord avec toi. Bunny est en tous cas, par bien des aspects de sa personnalité, l'un des plus transparents: on saisit son fonctionnement et ses motivations de manière relativement claire quand les autres personnages, narrateur compris, conservent une opacité certaine, et ce jusqu'aux dernières pages.
Cela dit, j'ai trouvé Henry bouleversant. C'est à mon sens le plus beau personnage du livre.
Citation :
Je ne suis pas sure que Dionysos ou Le Maître des Illusions puissent être identifié dans l'histoire. Par exemple, je pensais au début qu'il s'agissait de Julian, mais il n'est qu'un passeur, et un manipulateur, mais qui garde soigneusement ses distances.
Entièrement d'accord avec ce que tu écris. Peut-être le Dionysos ici visé est-il le péché d'hybris, l'un des plus graves pour les Grecs (μηδὲν ἄγαν).
Citation :
Hum, je ne vois pas pourquoi Donna Tartt devrait donner toutes les réponses dans le roman. Ses intentions me semblent claires, à moi.
Non, non, bien sûr, tu as raison. Mais lorsqu'un auteur ne donne pas tout, encore faut-il qu'il donne suffisamment, et de manière assez serrée, pour que ces manques intentionnels appellent d'eux-mêmes de possibles réponses. Et cela, ici, m'a manqué.
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Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Ven 11 Mai 2012 - 8:23
christelle a écrit:
et c'est là que le Maître des Illusions s'installe, car les personnages se mentent les uns aux autres, se manipulent, et tout s’écroule
Oui. La déraison du narrateur tenant pour ce qui le concerne à faire confiance aveuglément (dans sa fuite de soi), à se croire adoubé par l'aréopage qui le fascine. Il paiera cher son goût prononcé du pittoresque...
Dérinoé a écrit:
j'ai trouvé Henry bouleversant. C'est à mon sens le plus beau personnage du livre
Oui, même avis. Le Vermont, Petite Plaisance s'il en est — également.
christelle The Gathering Storm
Nombre de messages : 3481 Age : 48 Localisation : Entre Paris, Londres, Hong Kong et Séoul... Date d'inscription : 10/09/2007
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Ven 11 Mai 2012 - 9:35
Merci de le rappeler, TimesNewRoman, le Vermont est somptueux dans ce livre.
Concernant Henry, j'ia vraiment du mal à aimer le personnage. Il est fascinant dans sa froideur, mais je ne peux le trouver humain, pour moi c'est le plus distant, et celui qui garde cet insondable mystère.
Spoiler:
C'est le manipulateur du groupe, celui dont les motivations ne sont effectivement révélées qu'en fin de livre. Il dissimule tant de choses derrière ses lunettes. C'est tout de même lui le chef de bande, qui incite les autres à s'occuper du cas "Bunny". Le sang froid, le peu d'émotions qu'il manifeste à ces moments-là me semble vraiment flagrant. Certes les autres suivent sans sourciller(ou à peine), mais c'est encore lui qui conserve son sang froid dans la suite des évènements, qui tente de maîtriser les pulsions émotionnelles des autres, leurs craquages, et qui fait cette sortie ironique lors de la grande battue organisée pour retrouver Bunny, qui est d'une telle froideur. N'est-ce pas lui qui manipule Richard en lui révélant l'Acte 1 avec ses "Un bon point pour toi", et qui du coup le met de son côté définitivement. Et à aucun moment, par rapport aux autres, ne semble-t-il manifester une quelconque culpabilité. Il est celui qui assume le mieux l'Acte 2.
Ses motivations sont révélées à la fin du livre, et j'ai du mal à le trouver plus humain après. A la rigueur, le seul moment où j'ai pitié de lui, c'est lorsque Julian découvre la vérité et que Henry s'aperçoit qu'il vient de perdre la considération de l'homme qu'il considère comme la personne la plus importante de sa vie. Certes, Camilla est aussi importante pour lui, mais Julian est le centre de sa vie intellectuelle. C'est d'ailleurs à ce moment-là que tout bascule, et qu'il perd la maîtrise qu'il avait sur les évènements.
Dérinoé Ready for a strike!
Nombre de messages : 1084 Date d'inscription : 15/10/2011
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Sam 19 Mai 2012 - 16:03
@ Christelle:
Je comprends bien ce que tu veux dire mais il me semble qu'il y a toujours quelque chose de bouleversant dans le hiatus que créé une intelligence supérieure et un désir d'absolu que le plus faible des arguments devrait parvenir à désamorcer. C'est dans cette quête perdue d'avance, dans cette admiration déraisonnable pour un homme malsain - Julian, qui m'a assez profondément dégoûtée, comme tous les êtres qui (se) jouent de tout quand ceux qu'ils côtoient, eux, ont cessé de jouer depuis longtemps - que je décèle chez Henry quelque chose de profondément touchant.
Spoiler:
Par exemple, j'adore le passage où, avec son calme et son opiniâtreté habituels, il poursuit une infirmière acariâtre qui refuse de s'occuper correctement de Richard hospitalisé, et ce jusqu'à ce qu'elle s'adoucisse un tantinet. Je trouve que ce passage témoigne assez de l'amitié ou de la sollicitude dont il peut faire preuve malgré une froideur apparente.
Pour moi, mutatis mutandis, il fait un peu partie de la catégorie des Darcy, en opposition à tous les charmants Wickham de cette planète: c'est le gars taciturne, peu souriant, même effrayant à l'occasion, mais qui paie l'addition, héberge l'ami en difficulté et ne quitte pas le navire en douce au milieu de la tempête. Alors bien sûr, on n'est pas trop dans l'esprit chevaleresque de Jane Austen mais, sur le fond du caractère, Henry me rappelle ce type de personnage de prime abord moins séduisant que d'autres mais au final d'une droiture, dans le bien ou dans le mal, à toute épreuve.
Chez les autres personnages, j'ai ressenti une certaine complaisance dans le malheur qui n'a pas été pour me séduire. Quelque chose de "suiveur" que, eu égard à la violence des actes commis, j'ai tendance à juger comme une forme de veulerie. (Bon, j'y vais un peu fort, là.)
christelle The Gathering Storm
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Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Dim 20 Mai 2012 - 11:29
Dérinoé a écrit:
Spoiler:
Par exemple, j'adore le passage où, avec son calme et son opiniâtreté habituels, il poursuit une infirmière acariâtre qui refuse de s'occuper correctement de Richard hospitalisé, et ce jusqu'à ce qu'elle s'adoucisse un tantinet. Je trouve que ce passage témoigne assez de l'amitié ou de la sollicitude dont il peut faire preuve malgré une froideur apparente.
Oui, Henry créée d'ailleurs un lien avec Richard indéfectible. A ce moment-là du livre, il le fait dans une intention qui n'est pas sans arrière pensée. Mais ce n'est plus le cas après, il protège ses arrières, et tente de contrôler l'incontrôlable les émotions de ses amis.
Dérinoé a écrit:
Spoiler:
Pour moi, mutatis mutandis, il fait un peu partie de la catégorie des Darcy, en opposition à tous les charmants Wickham de cette planète: c'est le gars taciturne, peu souriant, même effrayant à l'occasion, mais qui paie l'addition, héberge l'ami en difficulté et ne quitte pas le navire en douce au milieu de la tempête. Alors bien sûr, on n'est pas trop dans l'esprit chevaleresque de Jane Austen mais, sur le fond du caractère, Henry me rappelle ce type de personnage de prime abord moins séduisant que d'autres mais au final d'une droiture, dans le bien ou dans le mal, à toute épreuve.
Oulalah, le rapport entre Jane Austen et Donna Tartt n'est pas aussi évident pour moi, là. Mais je vois ce que tu veux dire. Je vois beaucoup plus que toi le côté froid et calculateur de Henry, malgré ses liens d'amitié. Par la suite, il démontre une méthodologie et un calme glaçant qui me l'éloignent définitivement d'un darcy.
Dérinoé a écrit:
Chez les autres personnages, j'ai ressenti une certaine complaisance dans le malheur qui n'a pas été pour me séduire. Quelque chose de "suiveur" que, eu égard à la violence des actes commis, j'ai tendance à juger comme une forme de veulerie. (Bon, j'y vais un peu fort, là.)
Oui, certes. Pour moi, ce sont surtout des gens incroyablement fragiles, qui traînent des casseroles pas possibles question familiales surtout. Je leur trouve beaucoup plus d'excuse, enfin surtout à Richard, qu'à Henry. Ils forment un groupe très soudé au début, eux seuls contre le monde, sous l'aile "bienveillante" de Julian. Cette sensation d'appartenir à une élite au-dessus du panier de la médiocrité commune d' l'université les rassemble complètement. Julian est un orateur fascinant, un brillant professeur, mais comme tu le dis, qui ne voit que son propre intérêt et qui se plaît à manipuler les jeunes esprits. Oui il est totalement malsain!
Invité Invité
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Sam 30 Mar 2013 - 15:05
Compte à rebours insoutenable... Le prochain, troisième, ultime?, Donna Tartt, The Goldfinch (le chardonneret) sortira le 22 octobre 2013, chez Little, Brown and Company. Un enfant miraculé, un tableau... et une obsession.
L'ouvrage (et sa couverture empruntée au trompe-l'oeil du peintre néerlandais Carel Fabritius, de 1654) est déjà en pré-commande sur amazon.com. Vivement l'automne...
christelle The Gathering Storm
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Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Lun 8 Avr 2013 - 23:54
excellente nouvelle! maintenant il faut attendre la traduction!
Invité Invité
Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt Lun 23 Déc 2013 - 15:12
Sortie du Chardonneret dans sa traduction française (chez Plon, Feux Croisés) le 09 janvier 2014. Les critiques (étrangères) sont pour l'heure très favorables, voire dithyrambiques.
Quelques interviews de l'auteur, sur le net. Notamment celle-ci, à la BBC, d'octobre dernier. Et un bel hommage à Dickens, who "goes so fast, he goes like lightning"… "Density and speed", le secret de la belle plume.
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Sujet: Re: Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt
Le Maître des Illusions, et autres titres de Donna Tartt