Mes écrits

L'Art du Fil

Un écheveau de laine brute à la quenouille
Zélie garde ses chèvres et file... Bilibilibii, bilibilibiii.

Le cri antique des bergères
Rythme ses doigts experts.
Le balancement vrillé du peson
Tord le fil qu'elle enroule en gros peloton.
A la suite du troupeau, elle grimpe la colline à pas cadencés,
Pour ne pas arrêter l'impulsion régulière et balancée.
Zélie, est la meilleure fileuse du pays. Bilibilibii, bilibilibiii.

Elle est bien jolie Henriette, la fille de Zélie,
Encore plus jolie lorsqu'elle s'adonne à la dentelle.

Elle travaille sous la pergola.
Dans l'évanescente fragrance des véroniques.
Sa chatte sommeille, à l'ombre des lilas.
L'envolée gracieuse de ses mains suit les arabesques du dessin sur le carrreau,
Légères, les fuselles cliquettent, les doigts agiles défient les fils enroulés au fuseaux.
Henriette croise, tourne, tourne, pique, croise, tourne, tourne, pique,
Et les dentelles naissent grosses ou fines. Tout dépend du fil.

J'ai trouvé un ouvrage inachevé au fond du placard.
Je l'ai réveillé d'une aiguillée !

J'ai tendu délicatement l'organza sur un tambourin
Et dessiné un bouquet printanier
Que j'ai brodé à ma fantaisie.
Les corolles odorantes du jasmin s'étalent en coussin.
Les scylles s'inclinent et les jacinthes caressent les regards.
Sous l'aiguille, naît une charmante prairie.
Un siècle après, l'ouvrage fleurit à la vie.

La chatte vagabonde dans les vignes, gracile silhouette,
Vive, précise, elle braconne avec adresse.

Conquérante, elle hume la brise, arpente, furète.
Queue dressée, tel le fil,
Elle coule dans les prés,
Festonne son nouveau territoire avec dextérité.
Liane lointaine, elle trace dans les traverses.
Pure épure dans la clarté,
Danse une pantomime, agreste.
Artémise brode un éden avec allégresse.
Elle connaît tout de l'art du fil !

Souvenance,

à Chryséïs.

Sur l'album implacable du passé,
L'heureux temps reste figé.
Trois enfants mutins sourient,
A leur jeune et jolie maman, partie,
Telle la nuée blanche à l'aurore
Que l'ardeur du soleil, évapore...

Chryséïs,

J'ai rencontré ta mère, esquisse frêle
Dans le contre-jour, un après-midi.
Son regard éclaboussé de tristesse,
Et de regrets engourdis,
Se perdait dans un ultime appel
D'une exorable détresse...

Chryséïs,

Pourtant, un instant, elle a souri.
Souvent, pour ta fille qui l'implore,
Elle t'anime et colore
La mémoire déchirée de ton enfant,
D'une clarté naissante,
Lointaine et mais persistante...

Chryséïs,

Du haut de ses tendres printemps,
La petite fille pour ses grands-parents,
devient le soleil de leurs aubes grises.
Myosotis ou brève rafale.
Elle ondule gracieuse sous la brise,
En un songe vernal...

Chryséïs,

Quand les récits s'ensommeillent,
Ta fille les réveille,
Et réclame, racontez-moi Maman.
Lors tes parents égrènent lentement
Leurs souvenirs les plus joyeux,
Leurs regards plongés dans ses yeux...

La mémoire, Chryséïs, c'est merveilleux.

Devant chez moi

Devant chez moi un banc sert de rendez-vous galant. Il est depuis longtemps le confident de nombreux amants. Sur son bois, il y a des cœurs gravés, des prénoms encadrés, de tendres déclarations, et aussi des dénonciations …

Julie et Damien pour la vie.
Alexandrine aime Pierre-Louis.
Surveille Antoine,
Roselyne est coquette.
Matthias l’infidèle.
Lionel a trompé Noami ! Quelle infamie !

Lorsque les violettes pointent leurs odorantes corolles, les petits de la maternelle les échangent sur le banc. Les amours enfantines s’enchaînent, et se déchaînent. Ils s’offrent des goûters, jouent à chat perché, aux osselets, aux billes, ou font des pâtés, s’accusent, s’adorent, ou se détestent. Puis laissent la place au moineaux du quartier qui n’en finissent pas de se chamailler les miettes des goûters.

Les jours s’allongent, jeunes filles et jeunes gens, se groupent volontiers autour du banc pour la soirée.

Les rires fusent,
les disputes aussi
Tous vont se coucher,
A demain !
Point de ralliement : le banc.

Le lendemain, comme c’est curieux !
Antoine est avec Julie,
Lionel enlace Roselyne,
Noami évite le banc.

Pendant l’été c’est au tour des mamies de l’utiliser.
C’est régulier, des mamies !
Elles sont là, le matin après les courses car les paniers sont lourds.
Elles regardent les feux de l’amour,
Ou c’est mon choix. Sortent entre copines ou se rejoignent sur le banc.
Les mamies sont comme les moineaux.
Elles parlent fort, rient encore plus fort,
Et patati et ça papote !
A l’horizon pas de papi, les papis fuient.
Ils hèlent de loin : bonsoir, allez-vous bien ? A demain ! Amitié à votre mari !
Mais ou vont-ils si pressés, si stressés ?
Des appentis, montent des bruits bricoleurs.
Certains sont les rois du moteur,
D’autres les champions de la petite fuite, rien de futile chez les papis !
Je les aime bien, ces mamies : bien trop âgées pour tricoter. Elles exercent avec bonheur leurs langues acérées. Elles sont gaies, regrettent Dallas et Santa Barbara. S’entretiennent la mémoire avec Julien Lepers.
Chantent avec Pascal Sevran, Henri Dès, Priscilla, Tonton David ou Mike Brant, Dalida, Charles Trénet
Et surtout Dany Brillant…
Ah ! Dany Brillant ! Beau, élégant, et craqueur de mamie à croquer !
Devant chez moi, il y a un banc accueillant
Prêt à recevoir Dany Brillant et toute la compagnie pour un joyeux charivari.

Depuis hier, à côté du vieux banc, les enfants ont apporté un nouveau banc et les rassemblements sont plus importants. Devant chez moi, il y a deux bancs, ils servent de rendez-vous galant, à bien des amants, et les mamies coquines, et patati et ça potine , sont à l’origine de bien des cancans.