Sorj Chalandon et son amour pour l'Irlande

Sorj Chalandon est un journaliste français qui a beaucoup travaillé en Irlande du Nord.

Je viens d'achever la lecture de son roman Mon traître qui s'y déroule.

Ce texte largement autobiographique raconte l'amitié entre un luthier français, Antoine, et Tyrone Meehane, un combattant important de l'IRA.
Antoine découvre la vraie Irlande à Belfast dans les années 1970. Les tensions sont à leur comble, beaucoup de combattants de l'IRA sont en prison, les catholiques vivent dans la misère et les anglais doivent combattre les attentats. Le Français est touché par ce combat et en fait finalement le sien, revenant très souvent à Belfast durant des années, souffrant avec ses amis lors de la mort de Bobby Sands, des actions ratées de l'IRA et des espoirs déçus des catholiques. Il est accueilli presque à chaque fois par Tyrone Meehane, que tout le monde considère comme un héros. Pourtant, en 2006, Meehane avoue publiquement avoir été retourné par les anglais en novembre 1981.

Le personnage de Tyrone Meehane est en fait inspiré par Denis Donaldson, qui a admis en 2005 avoir trahi l'IRA et ses amis pendant vingt-cinq ans en vendant des informations au MI-5. On l'a retrouvé assassiné quelques mois plus tard dans sa cachette. Sorj Chalandon a connu Donaldson, et ce roman lui sert à analyser cette amitié qui a reposé sur des mensonges et à en faire le deuil.

Ce livre est écrit dans un style simple mais poignant. Il parle de trahison évidemment, mais avec beaucoup de tendresse en fin de compte. Tout ce qui reste après la mort de Meehane est l'incompréhension. Antoine ne sait pas pourquoi son ami est devenu un traître, après avoir perdu autant à cause des Anglais. Toutes sortes d'hypothèses plus ou moins possibles sont évoquées : lassitude, maîtresse, argent, peur de l'emprisonnement à vie...
J'ai apprécié le côté nuancé de ce livre à l'égard du traître. Antoine l'appelle « mon » traître, il évoque l'incapacité de beaucoup de gens à haïr complètement Meehane et leur volonté d'avoir des réponses qui ne viendront jamais.

Il est aussi question de l'Irlande, de l'amour des Irlandais pour leur pays et de ce qu'ils sont prêts à faire pour lui. J'avoue avoir eu un peu de mal avec certains propos de l'auteur qui tendent (même si ça reste très mesuré) à justifier les actions violentes de l'IRA. Je n'ai pas connu la période où l'opinion publique avait tendance à être indulgente envers les actions terroristes de l'IRA, ni vécu ces événements de l'intérieur et je crois que je ne pourrais jamais oublier la scène de l'attentat d'Eureka Street, alors ces brefs passages m'ont agacée. Mais c'est tout de même un livre qui rend un magnifique hommage à l'Irlande et à ses habitants.

Enfin, ce livre est à propos de son auteur, qui a vu "son" Irlande, qui était faite de deux amis, disparaître en 2005, après qu'il lui ait tout donné.

Sorj Chalandon a écrit un autre roman sur cette histoire, Retour à Killibegs, qui se passe du point de vu du traître, mais je ne l'ai pas encore lu.

Très intéressant, MissHo !!! Je me souviens qu'on en a beaucoup parlé sur France Inter !!

Merci pour cette présentation Miss Honeychurch. Le sujet et ton avis me donnent très envie de découvrir ce roman.

J'espère que vous mettrez la main dessus. Il est très court (200 pages) et se lit très facilement.

J'ai lu Retour à Killybegs, roman qui semble très semblable à celui présenté par misshoneychurch. J'ignorais que l'auteur a consacré deux romans au même personnage mais écrits de points de vue différents, démarche intéressante et originale.

Ce roman très prenant se lit aussi très facilement. Autant dire que je suis entrée très vite dans le vif du sujet grâce au récit à la première personne, raconté par Tyrone Meehan lui-même. L'histoire commence pendant son enfance et se déroule dans les années 2000. Entre temps, on le suit dans ses actions pour l'IRA, qui le conduisent souvent dans des prisons britanniques. C'est donc une plongée directe dans le quotidien d'un membre de cette organisation, très bien documentée. L'auteur doit être bien calé sur la question, et fasciné par ce pan de l'histoire irlandaise. Histoire poignante mais aussi difficile. Les passages dans les prisons m'ont parfois donné des frissons tant l'horreur décrite est affreuse   . Mais j'ai apprécié le réalisme du récit, cette plongée dans un conflit que je connaissais mal. Il y est notamment question des grévistes de la faim morts au début des années 1980, le plus célèbre étant Bobby Sands.

Sur le héros lui-même, l'auteur reste relativement partiel, nous le présente avec ses propres mots, sans concession. En dépit de sa trahison, je ne suis pas parvenue à lui en vouloir. Je pense que c'est le but de l'auteur de nous présenter un homme pris au piège, qui commet l'irréparable et ne parvient pas se pardonner son geste tout en restant profondément attaché à ses racines et bien décidé à ne lâcher que le strict minimum. C'est, ici encore, un bel hommage à l'histoire récente irlandaise et au courage et à la détermination d'hommes décidés à se battre jusqu'au bout. Je me suis souvent dit au cours de ma lecture combien ce conflit, très médiatique en son temps, gagne à être connu de la bouche des combattants eux-mêmes.

Très contente donc d'avoir à la fois mieux saisi cette guerre civile et découvert cet auteur.

Merci pour ton avis Tatiana. En effet, ce livre semble très complémentaire avec Mon traître qui reste un très bon souvenir de lecture.

Ravie que le livre t'ai plu Tatiana, je n'avais pas eu le temps de poster un avis mais ça a été mon coup de coeur absolu de l'année dernière !   
J'ai lu plus tard La mémoire de nos pères du même auteur, si l'histoire m'a moins passionnée que celle de Retour à Killibegs, la fin était surprenante et émouvante et je continue à adorer le style de Chalandon.
D'ailleurs je vais normalement le voir samedi au salon du livre de Dax, j'espère pouvoir me faire dédicacer Retour à Killibegs.

Cindy, tes impressions sur La mémoire de nos pères m'incitent plutôt à me tourner vers Mon traître. Quand on a lu et apprécié un roman, il est logique d'avoir envie de se plonger dans son complément, surtout pour une histoire aussi forte que celle de Tyrone Meehan. Ce ne sera pas pour tout de suite, mais je garde le titre sous le coude.