Lecture de groupe n°19 : Partie 1 : Doris LESSING, Dans ma peau Autobiographie 1919-1949

Je viens de finir cette première partie, et suis complètement sous le charme du récit et de l'écriture   . Malgré les côtés difficiles (la vie dans le bush, ses 4 années dans une institution religieuse, la modestie des moyens de ses parents), Doris Lessing peint ses premières années - jusqu'à ses 12 ans - avec attachement et vivacité, de sorte que je tends à ne retenir que les bons moments, presque enchanteurs. Par exemple, ses excursions avec son frère, et ses nombreux moments de lecture, qui ont été déterminants.

J'ai beaucoup aimé sa description d'une journée-type, depuis le lever jusqu'au coucher en passant par le supplice de la sieste   , en indiquant les occupations de chacun.

Petit Faucon, j'ai aussi été marquée

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Au fur et à mesure du récit, sa mère apparaît comme une femme à la fois forte, dotée de bonnes idées d'enseignement, menant sa petite famille avec parfois tout le sang-froid nécessaire

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et malheureuse de ne pas avoir pu accéder à la vie dont elle rêvait. Quel décalage entre les soirées auxquelles elle adorait se rendre (comment en effet ne pas penser aux soirées-cocktails des romans d'Agatha Christie) et sa vie africaine aux conditions éprouvantes, qui m'évoque un western dans l'ouest américain.

Comme l'éducation de la jeune Doris a été plutôt sévère, j'ai été surprise

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Ta remarque sur l'absence de description de ce qui s'est passé à la guerre de 14 pour son père, ou des descriptions de blessés soignés par sa mère est effectivement très révélatrice ; on dit ce qui est non-dit pèse beaucoup plus lourd que ce qui est dit  ... dans le livre Lessing évoque la guerre uniquement à travers les livres comme celui de Remarque A l'ouest rien de nouveau, par exemple.

Pour ce qui est de sa mère, je pense que c'est aussi une des motivations de D Lessing pour écrire sa biographie, d'essayer de comprendre objectivement qui était sa mère, ses actions, ses ambitions, ses aspirations, et pourquoi elle l'a détestée tant, pourquoi elles étaient tellement "incompatibles".
Alors que, à la lecture, cette femme parait être une bonne mère, donnant de bons soins à ses enfants et à son mari, ayant à coeur de donner une éducation assez ouverte à ses enfants, permettant à sa fille de lire les livres de la bibliothèque familiale, même réduite, la laissant se promener dans la brousse, avec une éducation bien plus libre que celle qu'elle aurait reçue dans une grande ville anglaise, par exemple.
Il me semble que cette femme voulait trop bien faire, et qu'elle avait un trop plein d'énergie qu'elle déversait sur ses enfants, sans comprendre qu'elle empiètait sur leur intimité et leur liberté ; dans le 2e tome de sa biographie (la marche dans l'ombre/walking in the shade), alors qu'elle est veuve, la mère demande à vivre chez son fils Harry, et la femme de celui-ci lui dit : "ce sera elle ou moi", ce qui montre que même avec son fils préféré, elle ne connait pas de limites, mais qu'elle ne s'en rend pas compte.

Je n'avais pas pensé à l'absence de description de la guerre 14 et je vous rejoins sur ce point. A la lecture de cette première partie, la guerre apparaît comme un thème essentiel et récurrent, voire même comme un personnage de son autobiographie.
Pour ce qui est de sa mère, je suis moins indulgente que toi Petit faucon. DL nous dit dès le chapitre 3 que sa mère suivait "la sévère discipline d'un certain Dr Truby King", discipline qui consistait entre autres à mettre les bébés sur le pot à heure fixe dès leur plus jeune âge, tout nourrissons  . On sait aujourd'hui les dégâts que peuvent faire sur les enfants ces méthodes. Sa mère croit bien faire en appliquant ces principes, mais c'est avant tout une mère qui ne se remet jamais en question, obstinée, peu chaleureuse. DL nous dit aussi que sa mère voulait un garçon et qu'elle le lui a répété à bien des reprises, ce qui ne peut pas être très positif pour la construction de la petite fille qu'elle était. J'ai trouvé très émouvante la scène où elle demande à sa mère d'avoir un autre bébé; c'est dire son besoin vital de donner de l'amour à un autre être humain, d'être mère alors qu'elle est encore petite.

@Nat2a : objectivement tu as tout à fait raison sur les méthodes éducatives de sa mère, dont on connait les méfaits aujourd'hui.

Je voulais simplement dire que cette femme n'agit pas méchamment envers sa fille, elle n'est pas tendre ni affectueuse, mais elle pense agir pour son bien. Nous savons qu'on peut faire beaucoup de mal à un enfant avec de bonnes intentions, et Doris Lessing en a été très affectée, c'est quelque chose qui va la marquer toute sa vie.

Tatiana a écrit:

Pour ma part j'ai été frappée par un autre élément lié à son vécu de la guerre. Arrivé à la fin de ce cauchemar, elle dit qu'il en a voulu profondément à son pays, s'est senti trahi par toutes les belles promesses des dirigeants.
(..)
C'est comme s'il avait voulu tirer un trait sur sa vie en Angleterre, avant et pendant la guerre.

Cela me touche beaucoup moi aussi.

Je suis toujours émue et intéressée par les livres parlant du lendemain d'une guerre. Au hasard de mes lectures, je suis tombée sur cinq auteurs parlant de ce thème : trois Britanniques, un Français, un Américain. Les trois Britanniques (D.H. Lawrence, Dorothy L. Sayers (une auteure de romans policiers contemporaine d'Agatha Christie), et Doris Lessing) évoquent tous les trois l'amertume et le désarroi qui régnaient au lendemain de la première guerre mondiale en Angleterre. J'ai l'impression que c'est un thème qui a du être souvent abordé dans la littérature britannique ? Si quelqu'un connaît d'autres romans anglais sur le même sujet (par des auteurs ayant vécu cette période), je suis preneuse de suggestions de lecture.   

Petit Faucon a écrit:

Pour ce qui est de sa mère, je pense que c'est aussi une des motivations de D Lessing pour écrire sa biographie, d'essayer de comprendre objectivement qui était sa mère, ses actions, ses ambitions, ses aspirations, et pourquoi elle l'a détestée tant, pourquoi elles étaient tellement "incompatibles".

C'est aussi mon avis. J'ai l'impression qu'au fil des années, Doris Lessing a appris à comprendre et à admirer sa mère. Peu après le décès de Lessing, j'ai lu un article disant qu'elle n'était pas tendre avec sa mère dans Dans ma peau. Je ne suis pas d'accord, je trouve que dans cette première partie elle rend souvent hommage à l'intelligence et à l'efficacité de cette femme remarquable à bien des égards.
Concernant la soumission de Mrs Tayler aux préceptes du Dr Truby King, il me semble que si on a été conditionné par une éducation stricte (c'était le cas de Mrs Tayler), il est très difficile de s'en affranchir. Je crois d'ailleurs que c'est un peu ce que dit Idries Shah dans la citation du début du livre.

C'est à dire qu'au moment où elle écrit on dirait qu'elle a pris du recul par rapport aux sentiments qu'elle avait à cette époque. Elle semble avoir dépassé la période du pardon et l'écriture participe sans doute de la période de l'explicitation, il n'y a plus de passion mais de l'attention assez bienveillante pour cette femme sa mère, comme pour l'adolescente puis la jeune fille qu'elle était. Le fameux constat qu'on est modelé par son époque est un outil intellectuel efficace pour dépasser ses propres sentiments négatifs.

Cela dit, je redis, sous une autre forme, ce qu'a déjà dit Petit Faucon. Bis repetita placent?