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Sujet: Erri de Luca, écrivain napolitain Jeu 19 Mai 2016 - 17:59
Erri de Luca, né à Naples (Italie) en 1950. Ecrivain, poète, traducteur de yiddish. Ecrit en napolitain, et considère l'italien comme une seconde langue. Plus de 40 livres traduits en français.
Profondément influencé par sa ville natale de Naples, il arrête ses études à 18 ans et devient ouvrier pendant une vingtaine d'années. Il s'est engagé dans l'aide humanitaire, et est également alpiniste. Je vous renvoie sur sa page Wiki, très fournie
Principales oeuvres : Trois chevaux Le poids du papillon Montedidio Le jour avant le bonheur Les poissons ne ferment pas les yeux Sur la trace de Nives
J'ai lu Montedidio, prix Femina 2002, et ce petit livre de 200 pages est très émouvant et très poétique. C'est une histoire très simple, partiellement autobiographique je pense, d'un garçon de 13 ans qui habite en 1961 le quartier de Montedidio (la montagne de Dieu) à Naples, quartier ouvrier, et qui est mis en apprentissage chez un menuisier. Il y fera l'apprentissage de la vie, de la mort, de l'amour. C'est très bien écrit, et court, une écriture par petites touches juxtaposées.
Voici un extrait (merci Babelio) :
Spoiler:
Je parle avec Rafaniello, aujourd'hui nous avons le temps, je lui demande si son pays ne lui manque pas. Son pays n'existe plus, il n'y est resté ni vivants ni morts, on les a fait disparaître tous ensemble : "Je ne sens pas le manque, dit-il, mais la présence. Dans mes pensées ou quand je chante, quand je répare un soulier, je sens la présence de mon pays. Il vient souvent me trouver, maintenant qu'il n'a plus une place à lui. Dans le cri du marchand d'eau qui monte avec son charreton à Montedidio pour vendre de l'eau sulfureuse dans des pots de terre cuite, de sa voix aussi me parviennent quelques syllabes de mon pays." Il se tait un moment, ses petits clous dans la bouche et la tête penchée sur une semelle. Il voit que je suis resté à côté et il continue : "Quand tu es pris de nostalgie, ce n'est pas un manque, c'est une présence, c'est une visite, des personnes, des pays arrivent de loin et te tiennent un peu compagnie." Alors don Rafaniè, les fois où il me vient la pensée d'un manque, je dois l'appeler présence ? "C'est ça, et à chaque manque, tu souhaites la bienvenue, tu lui fais bon accueil." Alors quand vous vous serez envolé, je ne dois pas sentir votre manque, moi ? "Non, dit-il, quand il t'arrive de penser à moi, moi je suis présent." J'écris sur le rouleau les paroles de Rafaniello qui ont mis le manque sens dessus dessous et il est mieux comme ça maintenant. Lui, avec les pensées, il fait comme avec les chaussures, il les retourne sur sa caisse et les répare.
En complément, je joins les compte-rendus de lecture de MissRaisa :
Les poissons ne ferment pas les yeux : "j'ai vraiment beaucoup aimé, légèrement moins que Sur la piste de Nives car j'aimais bien le côté discussion. Ce que j'aime tout particulièrement avec Erri De Luca c'est son écriture que je trouve très poétique et qui me parle. Dans celui-là il parle de ses 10 ans et c'est vraiment bien écrit et retranscrit, l'atmosphère de l'Italie l'été, l'enfance plus tout à fait là mais pas encore l'âge adulte... En plus ses livres sont très courts donc ça ne demande pas un investissement énorme en terme de temps ^^"
Résumé du livre extrait du site de l'éditeur : Comme chaque été, l’enfant de la ville qu’était le narrateur descend sur l’île y passer les vacances estivales. Il retrouve cette année le monde des pêcheurs, les plaisirs marins, mais ne peut échapper à la mutation qui a débuté avec son dixième anniversaire. Une fillette fait irruption sur la plage et le pousse à remettre en question son ignorance du verbe aimer que les adultes exagèrent à l’excès selon lui. Mais il découvre aussi la cruauté et la vengeance lorsque trois garçons jaloux le passent à tabac et l’envoient à l’infirmerie le visage en sang. Conscient de ce risque, il avait volontairement offert son jeune corps aux assaillants, un mal nécessaire pour faire exploser le cocon charnel de l’adulte en puissance, et lui permettre de contempler le monde, sans jamais avoir à fermer les yeux.
Sur la trace de Nives : "Je suis donc en train de lire tout doucement pour bien savourer Sur la trace de Nives de Erri de Luca et j'adore" Résumé du livre extrait du site de l'éditeur : Erri De Luca accompagne la célèbre alpiniste italienne Nives Meroi dans l'une de ses expéditions himalayennes. Réfugiés sous la tente, en pleine tempête, ils engagent une conversation à bâtons rompus. Dans ce lieu magique à la jonction entre le ciel et la terre, où la beauté des montagnes contraste avec la violence des conditions climatiques, les récits d'altitude de la jeune femme sont une trame où se tissent réflexions et souvenirs de l'auteur autour du métier d'écrire et de la Bible.
AnnaRaisa Ville du Nord...
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Sujet: Re: Erri de Luca, écrivain napolitain Mar 14 Juin 2016 - 20:59
Merci pour l'ouverture de topic, Petit Faucon ! J'avais l'intention de le faire un jour ou l'autre mais... Du coup je mets ici mon avis de l'époque sur Sur la piste de Nives, qui est celui des deux que j'ai préféré :
Erri de Luca (Sur la piste de Nives) a écrit:
Maintenant, il reste le vent comme barrière entre les dieux et les hommes. Tu dis que tu lui tiens compagnie. C'est une intimité que je ne connais pas. A ces altitudes, je suis un intrus et je n'arrive pas à m'imaginer aucune familiarité. Le vent est un videur, mais j'irai avec lui bras dessus bras dessous. Tu es de cette espèce qui déplace les limites, élargit le territoire. Tu arrives à murmurer des comptines dans les tempêtes, à faire bouillir le thé, agrippée à l'armature de la tente pour la maintenir au sol. N : N'exagère pas, ce sont des gestes obligés. Tu vois les petits drapeaux suspendus, les chiffons mis à flotter au vent dans les hauts villages, sur les cols, les sommets ? Ils servent à tenir compagnie au vent. Ici, on l'appelle "awa", mot composé seulement de voyelles : l'étoffe qui s'agite ajoute des consonnes au vent. Ce n'est pas moi qui ai inventé l'intimité avec le vent.
J'ai adoré, je suis tellement contente d'avoir pris ce livre, un peu au hasard, à la bibliothèque ! Erri De Luca a accompagné Nives Meroi, une alpiniste italienne, dans une expédition dans l’Himalaya. En résulte ce très beau texte, dialogue entre les deux alpinistes sous la tente, plein de poésie, qui évoque la beauté, dans la montée comme dans la descente, la place de l'homme sur ces montagnes, son rapport avec elle, entre ciel et terre. Et, je vais me répéter, mais c'est merveilleusement beau et poétique. Après cette première lecture, il est clair que Erri De Luca mérite une place de choix dans ma bibliothèque, en espérant que ses autres livres sont écrits avec une aussi belle plume.
Ce que j'ai préféré, c'est un côté plus philosophique. Je l'ai également trouvé un peu plus poétique.
Erri de Luca est vraiment un auteur à découvrir !
Petit Faucon Confiance en soie
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Sujet: Re: Erri de Luca, écrivain napolitain Mer 15 Juin 2016 - 17:21
Merci pour ton bel enthousiasme MissRaisa 😃. Je te remercie pour la longue citation de "sur la piste de Nives", j'aime beaucoup !!! J'espère qu'à nous deux nous allons drainer des amateurs de Erri de Luca 😉
Dernière édition par Petit Faucon le Mer 6 Juil 2016 - 8:53, édité 1 fois
AnnaRaisa Ville du Nord...
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Sujet: Re: Erri de Luca, écrivain napolitain Mer 15 Juin 2016 - 21:03
Je te conseille chaudement Sur la piste de Nives ! Les entretiens apportent encore plus de poésie, j'ai trouvé. Oui j'espère bien qu'on va en tenter d'autres parce que c'est vraiment un bon auteur ! En plus ses livres sont toujours tout fins, pas besoin de bloquer plusieurs mois dans l'agenda pour leur lecture
Petit Faucon Confiance en soie
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Sujet: Re: Erri de Luca, écrivain napolitain Jeu 16 Juin 2016 - 9:25
Je suivrai ton conseil MissRaisa, bien que je pensais plutôt opter pour un ou deux romans avant, pour entrer plus avant dans l'univers de l'auteur
Petit Faucon Confiance en soie
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Sujet: Re: Erri de Luca, écrivain napolitain Mar 5 Juil 2016 - 14:54
J'ai lu un livre terrible et magnifique : Trois chevaux
Comme toujours avec Erri de Luca, c'est un livre très court, mais dont presque toutes les phrases donnent à réfléchir, et possèdent un équilibre merveilleux, donc très dense à lire ; typiquement c'est pour moi le genre de livre à lire à voix haute pour en profiter pleinement, ce qui est un exploit pour un livre traduit.
Il est question ici d'un homme, la cinquantaine, jardinier dans une ville d'Italie du bord de mer ; ce métier lui permet d'être proche de la terre, vivante, et des arbres, qui contribuent à la beauté du monde. Il a vécu une autre vie, avant, avec une femme en Argentine, et la dictature militaire les a broyés ; il est venu essayer d'oublier en Italie. Il rencontre une femme Leila, dans le petit restaurant où il prend ses repas le midi, et il tente de recommencer à vivre, à aimer.
C'est vraiment un livre magnifique, que j'ai adoré
Dernière édition par Petit Faucon le Mer 6 Juil 2016 - 10:03, édité 1 fois
Dérinoé Ready for a strike!
Nombre de messages : 1084 Date d'inscription : 15/10/2011
Sujet: Re: Erri de Luca, écrivain napolitain Mar 5 Juil 2016 - 22:16
@ Petit Faucon:
Merci beaucoup pour ton compte-rendu, Petit Faucon.
Il est un écrivain au moins qui partage tout à fait ton point de vue et qui n'est autre que Marie Nimier, laquelle a présenté cet ouvrage comme l'un de ses favoris dans la pastille réalisée par l'émission littéraire La grande Librairie (présentée par François Busnel tous les jeudi, sur France 5, à 20 h. 35).
Il s'agit d'une série d'enregistrements, diffusée gratuitement sur YouTube, où des écrivains répondent, brièvement - généralement en une, deux ou trois minutes - à une question portant soit sur une lecture marquante, soit sur une recommandation livresque. Dans la présente vidéo, Marie Nimier répond à la question "Quel livre a changé votre vie?" et présente le roman d'Erri de Luca que tu as toi-même beaucoup aimé.
Marie Nimier, "Quel livre a changé votre vie?" pour La grande Librairie, 5 février 2016:
Je trouve la manière dont elle en parle - avec un plaisir presque charnel - extrêmement touchante.
Petit Faucon Confiance en soie
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Sujet: Re: Erri de Luca, écrivain napolitain Mer 6 Juil 2016 - 14:26
Merci beaucoup pour ton post, Dérinoé
La vidéo de Marie Nimier est un peu courte, c'est dommage, je voulais moi aussi poster des extraits de ce livre, mais je n'ai pas eu le courage de retaper le long extrait sur mon clavier. Il y a un fil sur La grande librairie à l'Auberge, si tu as envie d'aller y poster ...
Si tu en as l'occasion, je te conseille cet auteur, qui écrit dans une veine retenue et très sensible.
Petit Faucon Confiance en soie
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Sujet: Re: Erri de Luca, écrivain napolitain Lun 16 Oct 2017 - 10:59
2 nouveaux livres magnifiques de Erri de Luca :
Le tort du soldat - publié en 2014
Ce livre très court est construit en "poupées russes" : on rencontre un personnage, amoureux des montagnes et traducteur du yiddish, qui parait très proche de l'auteur, d'autant qu'il parle à la première personne ; il rencontre un homme et sa fille ; puis on lit le récit de la fille sur son père, ancien nazi assumant ses actes, car "le tort du soldat c'est d'avoir perdu la guerre" ; quand le soldat gagne la guerre, on pardonne et on oublie les exactions et les violences commises. J'y ai retrouvé l'écriture limpide et forte que j'aime chez de Luca ; toutes les phrases sont importantes chez lui ; il y en a peu, mais elles ont toutes leur place nécessaire et leur poids.
J'ai trouvé un excellent compte-rendu du livre sur Culturebox, que je copie partiellement, et dont vous pourrez lire l'intégralité en cliquant ici
Spoiler:
L'histoire : un soir de juillet, "à l'heure où l'on voit le dernier soleil frapper sur la paroi ouest du Mont Scotoni", un homme et sa fille dînent à la table voisine d'un traducteur yiddish, et grimpeur. Cette rencontre fortuite (une mise en présence plutôt d'ailleurs) dans cette auberge nichée dans les hauteurs des Dolomites est le point de jonction entre deux récits.
Le premier récit est celui du grimpeur traducteur italien. "Le Yiddish a été mon entêtement" affirme-t-il. Enfant, il ne jouait pas. "Petits soldats, petits trains, animaux, maisons : les jeux sont des miniatures du monde qui aident un enfant à se sentir géant. Ils lui permettent de grandir en supportant son infériorité." Il préférait lire, nous dit-il. "Les livres me confirmaient ma taille minuscule. Mais quelque chose grandissait en moi." Plus tard, le narrateur s'est intéressé à l'histoire du Ghetto de Varsovie, à l'extermination du peuple juif, et a appris la langue yiddish, "parlée par onze millions de Juifs d'Europe de l'Est et rendue muette par leur destruction."
Le deuxième narrateur est une narratrice, la fille d'un criminel de guerre nazi. Elle est décidée à écrire cette histoire pour ceux "qui pourront la comprendre mieux que moi", dit-elle. La jeune femme a 20 ans quand sa mère, "lassée de vivre une fiction sans fin", quitte le foyer. Ce départ et l'annonce qui l'accompagne lève le voile sur 20 ans de mensonges : l'homme qu'on lui avait toujours dit être son grand-père est en fait son père, et ce "papa" est recherché pour crimes de guerre. La narratrice raconte cet homme sans remords, persuadé jusqu'au bout que "le seul tort du soldat, c'est la défaite", et qui cherche des justifications à ses crimes jusque dans les textes de la Kabbale…
L'épisode dans l'auberge marque une rupture, et la promesse d'une nouvelle vie, peut-être, pour la jeune femme. Cette rencontre fortuite est un rendez-vous avec le passé : le père pense que le traducteur-grimpeur, ses feuilles de notes en yiddish posées sur la table de l'auberge, est un chasseur de nazis à ses trousses. La femme croit (espère?) reconnaître le garçon sourd-muet rencontré dans son enfance sur une ile italienne. Il lui avait appris à nager. Ce souvenir ne l'a jamais quittée...
Dans un roman très court, Erri de Luca réussit à rendre une histoire aussi obscure et profonde qu'un gouffre, celui que creuse l'humanité quand tout déraille, l'inaudible histoire de la barbarie nazie, à hauteur d'homme. L'attachement à des géographies (la montagne, la mer), le yiddish, la sensualité des premiers émois du corps et du coeur à l'adolescence dans une île baignée de soleil, la littérature… toutes les obsessions du romancier italien sont concentrées dans ce bref et magnifique roman.
Le contraire de un - oublié en 2003
Plus qu'un recueil de nouvelles, ce sont des petits textes, poétiques ou évocations de souvenirs, qui illustrent l'art d'Erri de Luca de donner à ressentir des émotions à la fois simples et vitales. Il y est question de la mère, du père, de l'ascèse de l'escalade, de pêche, d'odeurs, de malaria, d'amour, de l'envie de vivre et de l'envie de mourir. J'ai aimé ce livre, dont je range l'auteur avec les plus grands.