Peter Lorre

Suite à la conversation dans le sujet sur Hitchcock, j'ouvre un topic sur Peter Lorre, un acteur qui ne peut certes prétendre à un titre de lambtoniens de luxe mais qui mérite tout de même qu'on se penche sur sa filmographie



Né en 1904 dans ce qui était encore l'Empire d'Autriche-Hongrie sous le nom de László (ou Ladislav) Löwenstein, Peter Lorre se détourne d'une carrière dans la banque souhaitée par son père pour devenir acteur. Formé au théâtre d'improvisation à Vienne, il gagne ensuite Berlin où il devient vite un des acteurs fétiches de Bertolt Brecht et connait ses premiers succès sur les planches. C'est là qu'il est remarqué par un certain Fritz Lang qui l'engage pour son premier film parlant, M le Maudit, où Lorre interprète un assassin d'enfants traqué à la fois par la police et la pègre.
Le rôle lui assure une renommée internationale, il se démarque par son physique atypique, petit, avec des yeux globuleux, inquiétant et en même temps encore enfantin et un jeu où il arrive à la fois à terrifier et apitoyer. Le monologue final où il essaie de plaider sa cause face à un tribunal de truands est restée dans les annales:

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Cette soudaine notoriété va être à la fois une bénédiction puisqu'elle attirera des propositions de réalisateurs tels que Hitchcock et un contrat à Hollywood quand il en aura grand besoin mais se révélera aussi encombrante car il n'arrivera jamais totalement à se défaire de cette image de psychopathe et sera souvent par la suite cantonné à des rôles de personnages louches, déséquilibrés ou pathétiques alors qu'il eut aussi l'occasion de prouver qu'il pouvait faire autre chose.

Ce n'était pas son seul problème néanmoins, dans sa jeunesse, suite à une opération ratée (de la vésicule biliaire ou de l'appendicite, ça reste flou), on lui prescrivit de la morphine à laquelle il devint accroc (un peu comme son compatriote Bela Lugosi), ce qui le poursuivra toute sa vie malgré des efforts pour s'en défaire.

Fuyant l'Allemagne nazie, il passe par la France, par l'Angleterre où il tourne deux films avec Alfred Hitchcock, L'Homme qui en savait trop et Quatre de l'espionnage.

Il part ensuite pour Hollywood où pour son premier film, il joue encore un déséquilibré de premier ordre, le savant fou (amoureux et fou tout court) des Mains d'Orlac de Karl Freund, une adaptation libre et complètement déjantée du roman de Maurice Renard. Une performance inoubliable et dérangeante,  ci-dessous un trailer bien marrant du film:

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Néanmoins, on ne sait trop que faire de lui et il se retrouve notamment pendant huit films à jouer Mr Moto, un détective ... japonais (c'était la mode des détectives privés asiatiques joués par des occidentaux, comme Charlie Chan).

Heureusement, au début des années 40, il décroche le rôle de Joel Cairo dans Le Faucon maltais de John Huston, et va travailler pendant plusieurs années pour la Warner Bros. Il travaillera plusieurs fois avec Humphrey Bogart avec qui il devient très ami, et avec Sydney Greenstreet, et va jouer dans quelques films des plus connus de sa carrière comme Casablanca (courte apparition mais rôle pivot puisque c'est lui qui confie les lettres de transit à Rick) ou Arsenic et Vielles dentelles où il incarne un hilarant chirurgien esthétique alcoolique complice plus ou moins malgré lui du frère criminel de Cary Grant.

À la fin de la décennie, il rencontre de nouveaux déboires (plus de contrat avec la Warner, problème d'argent, de couple et de drogue...). Il tente un retour en Allemagne au début des années 50 où il réalise son seul film en tant que réalisateur, L'Homme perdu, mais c'est un échec public qui le blessera durablement et il retourne aux États-Unis. Il va alors notamment jouer Conseil dans 20 000 lieues sous les Mers avec James Mason et Kirk Douglas, mais suite à de gros problèmes de santé il va ralentir le rythme et être de plus en plus cantonné à des seconds rôles dans des films de moindres envergures où il aura tendance à s'auto-caricaturer. Il s'éteint en 1964 à l'âge de 59 ans.

Bien que l'on puisse trouver sa carrière décevante en regard de ses débuts en fanfare, c'est un acteur que je trouve vraiment intéressant à regarder jouer, par la manière dont il change rapidement d'expression, de toujours faire deux choses à la fois ou d'utiliser les accessoires pour attirer l'attention, et il est tout de même apparu dans plusieurs films mythiques. Je n'ai pas encore tout vu et je ne regarderais certainement pas tout, parce qu'il a dû faire pas mal d'alimentaire pour gagner sa vie mais j'ai l'intention de compléter sa filmo au niveau des films noirs, notamment ceux tournés avec Greenstreet.

Merci pour l'ouverture de ce topic et pour la présentation très intéressante, Zak

Merci pour l'ouverture de ce topic, Zakath Je me rends compte que je ne l'ai jamais vu jouer, même si M le Maudit est dans ma PàV

M le Maudit est un chef-d’œuvre, vraiment à voir et pas que pour Lorre

Je ne l'ai pas mentionné dans ma présentation, mais l'acteur a aussi la particularité d'être le premier à avoir incarné un méchant de James Bond puisqu'il a joué Le Chiffre dans une adaptation de Casino Royale pour la série anthologique Climax. C'est de la télé des années 50, filmée en direct donc ça a évidemment pas mal vieilli, de plus 007 n'était pas aussi connu aux USA à l'époque que maintenant du coup le scénario s'est permis de faire de Bond un Américain travaillant pour la CIA, une hérésie de nos jours mais c'est une curiosité.

Vraiment intéressante cette ouverture de topic Zak! J'ai appris plein de choses Comme Juliette, M le maudit est dans ma PaV depuis un bout de temps

Merci Zakath Nath, pour cette belle présentation de Peter Lorre !
J'ai toujours été une grande fan, il a une présence à l'écran incroyable. Et une voix très reconnaissable, douce avec une léger accent allemand.

Je l'ai vu dans M le Maudit qui est un must absolu, et qui n'a pas tellement vieilli, si on considère que le film est quasiment centenaire.
Et puis dans Le faucon maltais, et Arsenic et vielles dentelles, et aussi Les mains d'Orlac
Je me souviens aussi que dans l'adaptation de En-dessous du volcan de John Huston, on voit à un moment Albert Finney qui regarde un extrait d'un film avec Peter Lorre, ça m'avait marquée.

M le Maudit est en effet d'une modernité étonnante pour un film de 1931. Même si l'utilisation du son peut déstabiliser au début car il y a des passages entiers sans aucun bruitage, c'est très intéressant de voir ce que Lang fait ressortir, le travail sur le montage aussi comme la séquence en parallèle des réunions de la police et de la pègre.

Sinon, j'ai vu deux films noirs de série B avec Peter Lorre qui sans être des sommets du genre, valent le coup d’œil, L'Inconnu du 3e étage de Boris Ingster sur un journaliste qui après avoir été le témoin-clé dans une affaire de meurtre, commence à douter de ce qu'il a vu. Le film est très court, pas exceptionnel mais il comporte une séquence de cauchemar mémorable très imprégnée d'expressionniste allemand. En dépit d'avoir son nom en premier au générique, Lorre n'y est pas présent mais il est encore une fois effrayant (même si on sent que son personnage n'est pas "méchant" mais il joue encore quelqu'un incapable de se contrôler).

L'Ange noir de Roy William Neill est un whodunit sympathique surtout porté par Dan Duryea qui enquête sur le meurtre de son ex-épouse pour aider une femme (June Vincent) à disculper son mari. Lorre joue le principal suspect, le rôle est mineur mais toujours amusant.

En bonus, des photos de lui en train de se faire raser le crâne pour Les Mains d'Orlac, à son ravissement manifeste

J'ai pu voir récemment The Verdict, le premier long-métrage de Don Siegel mais également le dernier où Peter Lorre et Sydney Greenstreet sont associés (bien que le terme d'association est parfois un peu abusé puisqu'on y compte par exemple Casablanca alors qu'ils n'ont pas de scène en commun).

Il s'agit d'un whodunit dans le Londres victorien: Greenstreet joue un inspecteur de Scotland Yard poussé vers la sortie après avoir commis une grave erreur lors d'une enquête, qui a eu pour résultat l'exécution d'un innocent. Lorsqu'un de ses voisins et amis est retrouvé assassiné dans sa chambre, fermée de l'intérieur, il essaie de démasquer le coupable avant l'homme qui l'a remplacé à Scotland Yard. Il est aidé par un de ses amis, Victor Emmric (Peter Lorre donc) qui habite dans la même maison que la victime.

Bon, je m'étais fait spoiler l'identité de qui avait fait le coup, mais j'ignorais le comment, donc il y avait tout de même du suspense

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De toute manière, je ne pense pas que ce soit un film dont le seul intérêt serait la révélation finale, il est très plaisant à suivre, notamment grâce aux acteurs. Le duo Greenstreet/Lorre bien sûr, le premier qui n'a pas besoin de faire grand chose en apparence pour s'affirmer à l'écran, le second toujours décalé, ici en dessinateur alcoolique coureur de jupons aux tendances macabres, mais les autres ne sont pas mal non plus.

Il y a également pas mal d'humour (la logeuse, le cambrioleur appelé comme "consultant" pour savoir comment il aurait fait pour rentrer et sortir de la pièce tout en la gardant verrouillée et qui sort des hypothèques improbables, l'humour noir autour du personnage d'Emmric qui regrette de ne dessiner que des cadavres poignardés dernièrement et qu'une bonne strangulation, ça le changerait...)

Malheureusement, le film est très peu connu et assez difficile à trouver (il me semble que les seuls dvd trouvables en France le sont d'occasion). Mais si vous avez envie de regarder une bonne petite histoire de meurtre dans une chambre close avec une distribution éminemment sympathique, il vaut le coup d’œil.

Merci pour le conseil, Zakath !

J'ai récemment regardé Echec à la Gestapo, un de ces nombreux films de propagande anti-nazi des années 40. Je l'ai regardé pour Conrad Veidt  , mais j'ai remarqué Peter Lorre, qui m'a vraiment marqué, bien qu'il n'ait qu'un second rôle. Il a un physique qui serait limite fascinant, et j'aime bien sa voix!   Du coup ça m'a donné envie de me pencher un peu sur sa filmo, et j'ai fait avancer M le Maudit sur ma PaV! (bon ça sera pas pour tout de suite, tout de suite, parce que là je suis plongée dans la filmo de Conrad, mais je compte le regarder assez prochainement quand même! ). De même, j'avais repéré Les mains d'Orlac lors de ton bilan ciné de 2020 Zak (tu l'avais qualifié de "version de grand malade", je m'en souviens encore, tellement ce petit commentaire m'avait donné envie), et depuis que j'ai vu la version de 1924 avec Connie (quel film génial ) j'ai encore plus envie de la voir! Ce film aussi a fait un bond dans ma PaV! D'autant plus que je trouve déjà la version 1924 assez folle, alors je suis vraiment intriguée. Donc merci d'avoir ouvert un topic à cet acteur Zak et rdv assez prochainement j'espère

Concernant Echec à la Gestapo en lui-même, c'est un petit film pop-corn qu'il faut regarder pour se détendre en mode "je pose mon cerveau à côté et décide de ne pas chercher les incohérences du scénario mais plutôt de m'amuser". Pour faire un résumé grossier mais qui fonctionne, c'est en gros Gang de gangsters (mené par Bogart) VS Gang d'espions Nazis (incluant Lorre et mené par Connie ) avec une nana au milieu. Rien de bien élaboré comme vous voyez. Ca casse pas vraiment des briques, mais il y a une ambiance assez sympa et quelques scènes marrantes (notamment une où Bogie se retrouve devant une assemblée de Nazis à devoir raconter n'importe quoi pour gagner du temps, ça a un petit côté Han Solo qui improvise un grand n'importe quoi qui m'a bien fait rire ). Tu l'as vu Zak?

Non, je n'ai pas vu Échec à la Gestapo, seulement quelques extraits mais ça avait l'air amusant

La version des Mains d'Orlac avec Conrad Veidt est très belle, du pur expressionnisme, c'est aussi la plus fidèle au roman, celle avec Lorre prend pas mal de libertés.

Zakath Nath a écrit:

celle avec Lorre prend pas mal de libertés.

N'ayant pas lu le roman, ça me dérange pas (c'est pas le topic, mais tu l'as lu? J'avoue que j'en ai très envie )

Oui, j'ai lu le livre. Quand on sait déjà de quoi ça parle dans les grandes lignes, la lecture peut être un peu étrange car pendant une bonne partie du roman on maintient le mystère sur ce qui arrive à Orlac et donc sur sa conduite et la fin est très tirée par les cheveux mais le livre vaut le coup d'être lu.

Merci pour ce retour qui fait envie, Cléo ! Le casting est fabuleux

J'ai enfin vu M le Maudit et Peter Lorre est hallucinant dans la scène finale D'ailleurs susciter

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J'aime beaucoup le cinéma qui vient immédiatement après le muet, parce que les acteurs avaient encore un visage très expressif (je pense à lui mais aussi par exemple à Valéry Inkijinoff dans La tête d'un homme, entre autre). Paradoxalement ça permettait aussi d'être plus subtil au niveau du scénario que lorsqu'on s'appuie trop sur le dialogue ou la démonstration au lieu de son interprète. Là son jeu suggère la pédophilie sans que le scénario n'ait a insister en partant dans des détails scabreux. J'ai aussi énormément aimé le fait que le film alterne moments parlants et moments muets, je ne m'y attendais pas, et ça apporte une sacré force, je trouve. Un bon film.

Je te rejoins tout à fait sur l'expressivité des visages des acteurs des années 30 
Et pour moi M le maudit est un chef d'oeuvre, malgré son sujet scabreux 

Merci pour ton retour, Cléo Tu me donnes envie de remonter ce film dans ma PàV

J'ai regardé Les mains d'Orlac (mad love) et comme le dit si bien Zakath; quelle version de grand malade! Pour rappel à ceux qui ne connaissent pas l'histoire, les mains d'Orlac à la base c'est un pianiste (Orlac donc) qui perd ses mains dans un accident et un médecin lui greffe les mains d'un assassin, et Orlac finit par penser qu'elles ont une volonté propre, celle d'assassiner. Ici l'originalité c'est que le personnage principal n'est pas Orlac, mais le médecin (Lorre) qui est obsédé par la femme d'Orlac. Une version de grand malade parce qu'on a ajouté (et ça fonctionne) pas mal d'éléments assez flippants/dérangeants (l'histoire de la statue de cire, la scène glaçante de la guillotine, le personnage de Lorre lui-même). Il y a aussi quelques côtés un peu bdsm, chose à laquelle je ne m'attendais pas (la scène théâtrale où elle est

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Lorre est encore une fois hallucinant dans ce rôle, provoquant tour à tour l'horreur, la pitié, le dégout, non il est très fort. Et j'aime bien sa voix. Finalement il est toujours trouble, il est complètement cinglé ça on le sait, mais il parait tout de même avoir la volonté d'aider les gens avec sa clinique, mais d'un autre côté on y croit jamais vraiment parce qu'on se dit qu'il a juste envie de faire mumuse avec des morceaux de gens, et finalement on a quand même envie d'y croire. Après, le film ne dure qu'une heure, et ça suffit. Ce qui est dommage c'est que, contrairement à la version de 1924, ici

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En effet, la version de 1924 conserve davantage l’ambiguïté sur ce qui arrive à Orlac alors que le film de 1935 est centré sur l'obsession du médecin, c'est plus un film de savant fou. Le personnage est un peu ambivalent au début, c'est vrai, il soigne gratuitement ceux qui n'ont pas les moyens (ou disent ne pas les avoir) mais on sent que sous la façade de l'altruisme, il y a aussi là moyen de faire des expériences et relever des défis. Il y a pas mal d'idées de mise en scène marquantes, je pense par exemple à la scène de la décapitation où la chute de la lame n'est vue qu'à travers le regard de Lorre.

Je suis contente que ça t'ait plu, en tout cas, c'est assez barré donc je comprendrai qu'il puisse y avoir un rejet !

La scène de décapitation est vraiment marquante oui! Le réal' savait poser une ambiance, pas de doute!

J'avoue que c'est barré (je me suis demandé plusieurs fois comment Lorre a réussi à rester sain d'esprit en jouant ça ) mais c'est justement le genre de choses qui me plaisent. Je me demande par contre comment les gens qui ont lu le bouquin ont pu prendre une telle version (ceci dit, aux US je doute qu'ils soient nombreux )

Oui, je ne pense pas que le roman devait être très connu aux USA. De plus, là-bas, le titre original est Mad Love, ça reflète mieux le contenu, je trouve.

Merci pour ton retour, Cléo ! Je n'ai pas encore regardé la version de 1924, mais dès que j'ai le temps, je le fais !

J'ai enfin fini le roman Les mains d'Orlac, et je trouve la version avec Peter Lorre d'autant plus osée Une version si éloignée du livre, fallait le faire! D'autant plus qu'elle fonctionne très bien!   (en grande partie grâce à Lorre d'ailleurs). Alors l'histoire est moins policière c'est sûr, mais elle est plus folle.

Merci pour ton commentaire sur Les mains d'Orlac, cleo !
A la lumière de ce que tu écris, on verra si la nouvelle adaptation avec Melvil Poupaud penche plus vers un remake du film, ou vers une adaptation plus proche du livre. A suivre