J'ouvre un topic à cet auteur qui semble très peu connu et lu en France, même si son oeuvre a été partiellement traduite (il y a longtemps ceci dit). Pour ma part, je connaissais vaguement son nom après avoir vu l'adaptation d'un de ses romans les plus célèbres,
Marjorie Morningstar, que j'évoquerai plus loin. Le film date de 1958 avec Natalie Wood et Gene Kelly : j'en garde un souvenir pas trop mal quoique relativement mitigé (le film n'a d'ailleurs jamais eu beaucoup de succès).
Pour en revenir à Wouk, ainsi que vous avez pu le constater dans le titre, il est mort récemment à plus de 100 ans. Il est l'auteur d'une oeuvre plutôt conséquente, constituée majoritairement de romans historiques, en particulier ayant trait à la Seconde Guerre mondiale (surtout du côté militaire semble-t-il). Plusieurs de ses livres ont été adaptés en films ou séries (avec des stars : Humphrey Bogart, Robert Mitchum).
Wouk était juif, une thématique qu'il développe dans une partie de son oeuvre,
Marjorie Morningstar appartenant justement à cette tendance.
Un petit mot sur le contexte de parution et de réception, que je trouve vraiment intéressant : le roman, publié en 1955 aux Etats-Unis, devint un véritable best-seller. Pour l'anecdote, ce fut dit-on la première fois qu'un livre avec des personnages juifs réussissait à être lu aussi massivement par "Monsieur et Madame Tout Le Monde" (enfin surtout Madame ou même Mademoiselle probablement. J'ai lu pas mal d'avis sur Internet de femmes disant avoir adoré le lire quand elles étaient adolescentes). Le livre possédait aussi une légère "réputation sulfureuse" à cause de certains passages jugés "osés" ; il semble que la lecture en était bannie dans certaines familles
Par contre le livre obtint dans l'ensemble des critiques défavorables dans les journaux littéraires, les critiques n'appréciant guère le style ou le propos. Aujourd'hui encore, le statut du livre est plutôt ambigu : est-ce un "bon" roman, intéressant et bien écrit, ou une oeuvre du passé qu'on lira essentiellement par intérêt historique ?
Après une première lecture et à chaud, je répondrai les deux même si je pense que le livre tient parfaitement la route à lui tout seul. Peut-être est-ce le fait de l'avoir lu en anglais, qui n'est pas ma langue, mais j'ai trouvé l'écriture très bien, très efficace, avec un bon équilibre entre dialogue et narration. Précisons que le roman fait presque 576 pages dans mon édition.
Mais de quoi ça parle ? Il s'agit sans surprise de l'histoire de Marjorie Morningstar, de son vrai nom Morgenstern, une jeune fille juive vivant à New York avec sa famille au début des années 1930. On la découvre à 17 ans, ayant fraîchement déménagé du Bronx à Manhattan, son père étant en pleine ascension sociale. Elle est étudiante, semble tant sérieuse que frivole. "Morningstar" est le nom qu'elle s'est choisi pour sa future carrière théâtrale, car Marjorie rêve de devenir actrice, de brûler les planches de Broadway. Sa beauté et sa vivacité lui donnent à croire qu'elle a de réelles chances d'y parvenir. Les obstacles éventuels ? : sa famille, la religion, le conformisme bourgeois, autant d'éléments qui poussent plutôt les jeunes filles vers le mariage et la maternité.
Le roman est donc particulièrement inscrit dans son époque (les années 1930 vues à partir des années 1950) ainsi que son pays, ou même sa ville, même s'il possède en même temps une dimension universelle (intemporelle largement moins, même si ce serait à discuter sur certains aspects) pour scruter le comportement social des jeunes filles, en particulier les amitiés féminines et les relations aux garçons
En réalité, la judéité, même si très présente (description détaillées de fêtes, fréquentes interrogations des personnages sur leur rapport à la foi) est presque quantité négligeable pour le développement de l'histoire, tellement celle-ci serait transposable dans d'autres contextes (il n'en reste pas moins que c'est un apport intéressant naturellement).
J'ai apprécié le personnage de Marjorie, surtout que le fait de la suivre sur plusieurs années lui donne une vraie épaisseur de caractère, de vécu. En tant que lectrice, j'ai été amenée à changer d'avis sur elle au fil des pages et jusqu'à la fin. Les autres personnages occupent eux aussi une place importante et même s'ils sont sans doute plus unidimensionnels, ils restent intrigants et je sais qu'en fonction des lecteurs, ils donneront lieu à de multiples avis et interprétations. C'est d'ailleurs une grande richesse du roman car malgré ou grâce à son histoire en apparence plutôt ordinaire, voire même assez cliché, il déstabilise et interroge.
Le livre n'est pas du tout exempt de défauts : tout d'abord il est trop long (100/150 pages de moins aurait été une bonne chose je dirais). Ensuite et surtout, le traitement des personnages féminins selon Wouk - vu d'aujourd'hui - paraît parfois daté dans le mauvais sens du terme. Cependant, on peut se demander s'il faut accuser l'auteur et son roman, ou bien l'époque (dans le sens où il ne ferait que décrire une réalité ?). Quoi qu'il en soit, de nouveau, ce qu'il exprime à ce sujet ne laisse pas indifférent. De façon plus péremptoire, on peut lui reprocher de faire essentiellement s'exprimer les personnages masculins, ce sont eux qui détiennent tous les grands "monologues" du roman, qui expriment en long et en large leur vision de la société et des femmes en particulier, de façon largement prétentieuse qui plus est
Marjorie est un personnage plutôt fonceur et qui n'hésite pas à rétorquer, mais l'auteur ne lui offre pas pleinement la parole.
Mais avec son héroïne attachante, ses thématiques passionnantes et abordables sous des angles multiples, cela s'est révélé une très bonne lecture, à la fois réflexive et pleinement divertissante