Voici comme promis un compte-rendu de lecture
du livre de
Sue Birtwistle et
Suzan Conklin,
The Making of Pride and Prejudice, qu’on trouvera chez les vendeurs habituels soit neuf, soit d’occasion (j’ai payé un exemplaire « comme neuf » 1 centime d’euro, et j'ai failli hurler de joie en voyant ce prix
).
Ce livre broché est imprimé sur papier glacé et comporte une centaine de pages. Il semble qu’il existe des ouvrages de ce type beaucoup plus détaillés que celui-là (il s’agit de mon premier livre de « making of »), mais j’avoue qu’il m’a tenu en haleine, dans la mesure où il mettait en exergue l’étendue de mon ignorance quant à ce qui est nécessaire pour réaliser pareille adaptation ; pour faire court, c’est *beaucoup* plus compliqué que je ne me l’étais imaginé !
Le livre est écrit à la première personne, la narratrice étant semble-t-il
Sue Birtwistle, mais il s’agit en fait d’une œuvre de collaboration, puisque pour chaque chapitre portant sur une activité particulière, la parole est donnée, par le biais d’une citation, à la personne compétente.
Sue BirtwistleL’ossature (j’ai conservé plus loin les intitulés de fonctions anglais) est la suivante : après une introduction rédigée par Sue Birtwistle, on passe d’abord en revue l’élaboration du script avec
Andrew Davies (Author), puis les phases de pré-production :
• Distribution des rôles avec
Simon Langton et J
aney Fothergill :
Ce chapitre présente tous les acteurs principaux, mais malheureusement, il n’y est question que de ceux qui ont été retenus in fine ; j’aurais aimé apprendre qui avait été pressenti, mais il est évident que ce genre d’information n’est pas facile à diffuser ; seul le cas de
Lucy Davis est détaillé ; elle était à l’origine censée jouer Lydia, mais elle avait été jugée un peu trop inexpérimentée, ce qui fait qu’on lui avait proposé comme lot de consolation le rôle de Maria Lucas. Il est aussi fait référence au fait que l’actrice jouant Georgiana -
Emily Fox, qui est la fille de
Joanna David (Mrs. Gardiner) – a été difficile à trouver.
• Recherche des lieux de tournage :
C’est là qu’on apprend de la plume du « location manager »,
Sam Breckman, par quelles méthodes les différents lieux de tournage ont été classés par catégorie, du « cinq étoiles » de Pemberley situé à Lyme Park en Derbyshire –
http://en.wikipedia.org/wiki/Lyme_Park , au « deux étoiles NN » de Longbourn déniché à Luckington Court -
http://www.luckingtoncourt.co.uk/ . Les intérieurs sont en général trouvés en d’autres lieux, car il est rare que les conditions soient réunies en seul endroit pour filmer toutes les scènes, par beau temps ou par mauvais temps, de nuit comme de jour, sur les quatre saisons que recouvre l’action du roman ; l’exception restant Longbourn, où se situe la plus grande partie de l’action.
• Répartition des rôles de production :
Il s'est fait entre
Simon Langton (Director),
Julie Scott (Associate Producer),
Paul Brodrick (Production Manager),
Suzie Conklin (Script Editor et co-auteur du livre),
Sue Clegg (Continuity Supervisor),
Clare Elliott (Researcher), plusieurs « Assistant Directors », un « Assistant Production Accountant », et j’en passe.
Si je cite les noms et les fonctions correspondantes, c’est parce que chacune de ces personnes, à qui
Sue Birtwistle donne successivement la parole, a un rôle parfaitement indispensable, défini et borné ; le maître mot, dans la réalisation d’une série comme P&P, c’est la spécialisation à outrance, mêlée à une connaissance parfaite des besoins réciproques des autres membres de l’équipe, et à une conscience tout aussi parfaite de la tyrannie du « schedule », qu’il est absolument impératif de respecter. Un rôle particulièrement important est celui joué par le « Continuity Manager », qui garantit que si une bougie est allumée dans une scène donnée, elle ne sera pas éteinte dans le scène suivante, même si elle est filmée des semaines plus tard (ou plus tôt) à des kilomètres de là…
Ces interactions policées de l’équipe de production s’étendent d’une part aux acteurs, dont il faut prévenir les moindres besoins en temps et en heure, et d’autre part aux « obscurs » et aux « sans-grade », dont on pressent que leurs rôles respectifs est plus grand qu’il n’y paraît : par exemple, le cadreur, qui est le seul à percevoir ce que sera l’image finale, peut demander à déplacer un objet placé au mur, derrière les acteurs, ou à déplacer un acteur. Bref, il s’agit d’un travail d’équipe où chacun sait largement à l’avance, par le « schedule », ce qu’il a à faire, et en assume l’entière responsabilité.
Suivent des chapitres sur la construction des décors ; on dispose en général d’intérieurs, mais il peut être économiquement intéressant, pour certains type de scènes, de reconstituer certains décors en studio, comme par exemple l’auberge de Lambton.
On parle ensuite de l’élaboration des costumes, du travail de documentation qui a été nécessaire pour les concevoir : découverte de gravures dont on a extraits le style des vêtements, la nature des textiles utilisés et qu’il a fallu recréer, les coiffures féminines utilisables (les Bennet Sisters se distinguent chacune par un style capillaire), les types de maquillage, etc.
Deux chapitres tout aussi informatifs et passionnants traitent ensuite de la musique et de la dance, de la formation des acteurs aux danses campagnardes anglaise et au jeu sur piano forte, etc.
Lacock Village (Meryton)Puis on en vient au déroulement du tournage même. C’est là qu’on réalise le type de vie que mènent les équipes, acteurs et petit peuple ensemble : la journée moyenne va de six heures du matin à 11 heures du soir sur cinq jours – quelquefois six – avec de temps à autres un lever à quatre heures du matin ; une photographie montre
Lucy Davis (Maria Lucas) épuisée, en train de roupiller dans un coin du studio. Le tournage a duré 5 mois ; pendant cette durée,
Jennifer Ehle a seulement disposé (hors week-end) de cinq jours de liberté, qu’elle a utilisés à dormir aussi longtemps que possible.
Le chapitre se termine par une reproduction des notes de minutage concernant le tournage des scènes situées dans la grand-rue de Meryton, avec en particulier la rencontre entre Darcy et sa Némésis, Wickam. On y apprend le détail des événements survenus entre 7h30 du matin et minuit, et on en retire le sentiment d’une machine très complexe mais bien huilée, bâtie sur l’expérience et le professionnalisme.
On trouve ensuite, pour le plus grand plaisir de ses admiratrices, un chapitre de huit pages constitué d’une entrevue avec
Colin Firth ; les questions sont précises et courtes (par exemple, « Vous avez dû filmer la première demande en mariage de Darcy pendant la seconde semaine de tournage ; de quelle manière en avez-vous été affecté ? »), et on ne mentionne pas le nom de la personne qui les pose.
Colin Firth y répond en détail, précisant qu’à l’origine il ne se voyait pas en Darcy, mais que
Sue Birtwistle et
Simon Langton ont réussi à le convaincre, qu’ensuite il est devenu jaloux du rôle, qu’il a beaucoup réfléchi à son personnage, etc.
J’avoue que j’aime bien cet acteur, que j’ai vu dans pas mal d’autres rôles, et que pour moi, il incarne parfaitement Darcy. Cela étant, je suis resté un peu froid en lisant tout cela ; le personnage de Darcy est très absent de l’histoire de
Jane Austen, narré du point de vue d’Elizabeth, et partant de l’adaptation très fidèle qu’en tire la BBC ; il est très souvent évoqué, mais la somme des durées des scènes où il est évoqué visuellement, ou apparaît en interaction avec le reste de la distribution est faible ; le jeu de l’acteur qui incarne Darcy, c’est de rester très impassible, et de ne se départir de cette impassibilité que pour bouder légèrement (au bal, à Meryton), pour sourire légèrement (à Pemberley, quand Elizabeth tourne les pages pour Georgiana), à manifester un peu de colère (première demande en mariage, retour à Rosings Park, rédaction de la lettre), et à sourire légèrement une fois fiancé. Même à l’église, devant l'autel, il a encore du mal à se déboutonner.
Jennifer Ehle en CalypsoJe sais que j’exagère, mais il me semble que l’acteur principal de toute cette série (avec quelques « supporting actors » de grand talent, comme
Julia Sawhala,
Benjamin Withrow,
Alison Steadman,
Crispin Bonham-Carter,
Anna Chancellor,
David Bamber), ce n'est pas
Colin Firth, mais bien
Jennifer Ehle, qui montre pendant six heures de spectacle, outre son charme et sa beauté indiscutables, un talent d’actrice de très haut niveau. Après tout, elle a été formée dans de nombreuses institutions artistiques situées des deux côtés de l’Atlantique ; elle a été retenue (ce n’est pas dit dans le livre) à cause de son interprétation remarquable du personnage de Calypso dans
The Camomile Lawn, d’après le roman de Mary Wesley ; elle a pratiqué la scène à Londres et à New York, et a joué pour la télévision et pour le cinéma. Dans le contexte de P&P, et quoi qu’en disent certains, elle seule a su incarner pleinement la Lizzie du roman de Jane Austen ;
Elizabeth Garvie, dans la version de 1979 de P&P, manquait quand même un peu de joie de vivre (et le Darcy de
David Rintoul avait avalé un balai).
Je pense donc que ce livre aurait dû faire à
Jennifer Ehle autant de place qu’à
Colin Firth, si ce n'est plus. Elle apparaît bien entendu sur de nombreuses photographies, mais elle n’a droit qu’à un encadré d’une demi-page (une page entière avec les photos).
Pour conclure cette longue revue, je recommande chaudement la lecture de ce livre ; il est bien fait, et les nombreuses photographies sont à la fois magnifiques et originales : quelques-unes, rares, sont extraites du film, mais la plupart des autres ont été prises pendant le tournage et les phases de pré et de post-production.
R.
EDITION (ou l'esprit de l'escalier) : je crois qu'après une telle lecture, il est bon de revoir les six épisodes: on y découvrira sans doute bien des détails nouveaux.
PS : Quelqu’un peut-il recommander des livres traitant de ce sujet ou de sujets proches ?