Jean Giono

Merci pour ton retour, Marganne ! J'avais adoré Regain, mais je n'ai pas encore lu Un de Baumugnes ni Colline

J'ai repris Colline au début, et cette fois ma lecture me plaît

Colline de Giono, publié en 1929

C'est un livre très court, sans chapitres, assez dense. Un huis-clos entre les 4 chefs de famille du hameau des Bastides : Jaume, Gondran, Maurras, Arbaud, qui forment un bloc s'opposant au vieux Janet, et à la nature représentée par la colline.
On est d'abord dans un récit anecdoctique, la vie du hameau, le travail des champs ; puis le récit bascule vers quelque chose de fantastique, ou de symbolique, avec le tarissement de la fontaine, qui rend les hommes fous.
Je trouve que le livre s'interprète comme écologiste, comme on peut le lire avec cet extrait :

Citation :

C'était si simple, à l'ancienne façon : l'homme, et, tout autour, mais sous lui, les bêtes, les plantes ; ça marchait bien, comme ça. On tue un lièvre, on cueille un fruit ; une pêche, c'est du jus sucré dans la bouche, un lièvre c'est un grand plat débordant de viande noire. Après, on s'essuie la bouche et on fume une pipe sur le seuil.
C'était simple, mais ça laissait beaucoup de choses dans la nuit.
maintenant il va falloir vivre avec ce qui est désormais éclairé et c'est cruel !
C'est cruel parce que ce n'est plus seulement l'homme, et tout le reste en dessous, mais une grande force méchante et, bien en dessous l'homme mêlé aux bêtes et aux arbres.
Vivante et terrible, il sent, sous ses pieds, bouger la colline.

La fin est pessimiste, les hommes n'ont rien appris de l'avertissement reçu. Peut-être un enseignement de la participation de Giono à la grande guerre ?

Merci pour ton avis très intéressant, Petit Faucon !

Merci pour ton avis très pertinent, Petit Faucon et pour la citation bien choisie

De mon côté j'ai repris et terminé ma lecture. Ma première impression avait été négative, je sais pourtant que je ne devrais pas commencer un livre le soir avant de dormir.
J'ai bien fait de laisser passer quelques jours et de le reprendre au début, car mon ressenti a été complètement différent.

Ce court roman est très étrange. Il débute par la présentation d'un hameau et de ses habitants, menant une vie simple et rude.

Très vite le récit bascule vers l'irrationnel, avec les divagations du vieux Janet, un peu sorcier, et sourcier. C'est lui qui a découvert la source qui alimente la fontaine du village

Spoiler:

. Au début ils pensent que le vieux déparle, puis l'inquiétude s'installe, ils commencent à prendre ses élucubrations pour des prédictions.

Ajoutée à cette inquiétude latente, le tarissement de la source va déclencher un délire superstitieux qui les mène au bord de l'irréparable.

Le récit s'achève avec la mort du vieux, et le retour à leur vie d'avant. Cette parenthèse les avait rapprochés de la nature, qu'il avaient commencé à considérer comme une entité à part entière, susceptible de se venger. Giono fait référence aux croyances panthéistes, d'ailleurs Colline fait partie de la "Trilogie de Pan".

Hélas ils n'ont pas tiré profit de cet avertissement, et se remettent à profaner la nature comme au début

Spoiler:

Comme l'a écrit Petit Faucon, cela se lit comme une fable écologique. Je n'avais pas pensé à l'analogie avec la guerre, c'est intéressant.

Giono nous fait marcher, il fait monter l'angoisse avec les visions terrifiantes du vieux Janet, complètement alcoolique et qui fait des crises de delirium tremens  

Spoiler:

Puis à la fin il donne une explication tout à fait rationnelle de

Spoiler:

Toutefois il ne donne pas d'explication au retour de l'eau.

La fontaine tarie m'a fait penser à Manon des sources. Je sais que Giono était furieux après le tournage de Jofroi, Angèle et La femme du boulanger. Pagnol s'est-il aussi inspiré de Colline pour le scénario de son film ? ou est-ce un thème universel ?

Merci Rosalind tu as été plus détaillée que moi.
Je trouve que ce livre reste assez pessimiste sur le genre humain, et assez énigmatique dans son interprétation ; je suis restée avec un sentiment de malaise, comme avec Le hussard.

Là je viens de terminer Un de Baumugnes mais j'en parlerai un peu plus tard, quand je l'aurai digéré.

Un de Beaumugnes publié en 1929

Difficile de parler de ce récit gigogne sans spoiler ... l'histoire est assez haletante, alors que l'action se déroule quasiment intégralement dans une pauvre ferme près de la Durance, chez Clarius et Philomène et leurs ouvriers agricole Saturnin et Amédée. La violence y est très présente, celle des hommes fait écho à celle de la nature. Comme dans Colline, l'harmonie du monde est mise à mal, mais ici elle sera restaurée.
Un récit assez court et brut.


Regain publié en 1930

Ici le récit est en 2 parties ; d'abord le village où ne demeurent que 3 personnes, et le départ du vieux forgeron chez son fils ; puis l'arrivée d'Arsule et le "regain", à la fois du personnage de Panturle qu'on voit évoluer du statut de chasseur quasiment muet, à un homme qui attire d'autres famille dans son village, et qui devient agriculteur. ce roman est le plus solaire, et le plus sensuel des 3, j'ai trouvé.

Dans les trois romans de cette trilogie de Pan : Colline, Un de Beaumugnes et Regain, les personnages sont peu caractérisés, l'être humain est aux prises avec la nature, millénaire et indomptée, qu'il tente d'apprivoiser pour en vivre.
J'ai beaucoup apprécié ces lectures, qui ouvrent à la réflexion.

Ravie de voir que ces deux lectures t'ont plu, Petit Faucon ! Regain est un livre dépaysant et enrichissant

Les âmes fortes - publié en 1950

Ce livre est tout à fait hors normes, et me confirme dans l'idée que Giono est un auteur dont beaucoup de gens passent à côté en le cataloguant "écrivain provençal" limite régionaliste, alors que son oeuvre est bien plus vaste et bien plus ambigüe, et s'attache à fouiller l'âme humaine.

Le sujet des Ames fortes tient en quelques mots : lors d'une veillée funéraire, plusieurs femmes se retrouvent à la table du mort et racontent des histoires de leur jeunesse, et particulièrement relatent la vie de Thérèse, présente à la veillée.
L'histoire de la jeunesse de cette Thérèse est d'abord racontée par elle-même, puis par une autre femme qui donne un éclairage beaucoup moins flatteur de son histoire, et enfin est conclue par Thérèse elle-même.
J'ai peiné dans cette lecture, car j'ai trouvé les personnages malsains voire toxiques ; la façon dont Thérèse et son mari Firmin s'insinuent dans les bonnes grâces du couple Numance, dont l'envie, la jalousie, l'avarice, la froideur absolue des sentiments, le calcul permanent, m'a donné un profond sentiment de dégoût. Et en même temps il y a une espèce d'allégresse dans la façon dont l'histoire est racontée, qui fait que le lecteur se retrouve à patauger dans ce marigot, sans ressentir aucune empathie pour aucun des personnages. Ce qui donne une profondeur à ce livre, et permet, je pense, d'en faire plusieurs lectures différentes.
Comme à la lecture du Hussard, j'ai eu l'impression qu'il y avait plusieurs strates : la strate du dessus qui correspond à l'histoire simple qui est racontée, et de temps en temps affleure une strate sous-jacente, comme une couverture qui se soulève, et qui fait entrevoir un sens tout à fait différent.
Le fait également que le texte n'est pas séparé en chapitre, mais jaillit de façon continue, raconté par les 2 récitantes, contribue aussi je trouve à l'impression de malaise que j'ai eue, qu'on ne peut pas s'extraire de l'histoire et prendre du recul.

Bref je pense que c'est un grand livre, mais profondément noir ; dans la même veine que Voyage au bout de la nuit de Céline, par exemple.

Merci pour ton retour très intéressant, Petit Faucon !

Merci pour ton retour Petit Faucon  j'ai prévu de lire ce livre et ton avis m'intrigue, je vais peut-être le lire plus tôt que prévu

Merci pour ton avis Petit Faucon

Je pense attendre un peu pour lire Les âmes fortes si c'est aussi sombre. Après Colline et La grande peur dans la montagne, j'ai envie de lectures réconfortantes

Complètement hors-sujet, ta bannière Rembrandt est très belle

Je viens de regarder le court métrage d'animation L'homme qui plantait des arbres dit par notre Fifi national (Noiret) et j'ai adoré!   Au début j'ai eu un peu peur parce que je retrouvais ce qui m'a fait abandonner le seul Giono que j'ai tenté de lire. Mais en fait ça m'a beaucoup plu. J'ai été parfois très émue. Noiret le dit tellement bien, aussi, que forcément... ça fonctionne! Je pense que ça pourrait plaire à toutes les amatrices de Giono ici (et de Noiret!). Si ça vous intéresse je vous le mets, il est sur Youtube, mais en qualité pas top (360p )

Spoiler:

Oui ce court-métrage d'animation de Frédéric Back est un petit bijou

Merci ma Cléo

Merci Cléo. Je lui réserve un petit moment dans mon planning.

Je l'avais enregistré à l'époque sur une cassette vhs

Rosalind a écrit:

Oui ce court-métrage d'animation de Frédéric Back est un petit bijou

Et le roman l'est tout autant

Merci cleopatre, pour ton retour sur cette histoire :  je ne connaissais pas l'existence de ce petit dessin animé ... merci de l'avoir posté, je le regarderai sous peu ; en tous cas c'est une histoire très sympathique 

Merci Cléopâtre, ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vu !

Petit Faucon a écrit:

en tous cas c'est une histoire très sympathique 

Oui, à l'époque il n'était pas soumis à une procédure d'évaluation environnementale au cas pas cas à partir d'un 1/2 hectare pour les premiers boisements (avec CERFA qui va bien), ce qui aurait certainement nui au caractère sympathique et poétique de l'histoire

J'ai regardé la vidéo, Cléo Quelle jolie histoire et récitée admirablement par Philippe Noiret

Tant mieux si ça t'a plu ma Cassandre Oui Fifi le dit très bien

Petit Faucon a écrit:

je ne connaissais pas l'existence de ce petit dessin animé

J'ai honte, mais... je l'ai découvert en fouinant dans la filmo de Christopher Plummer (il fait la version anglaise) Mais pour moi, Giono, comme n'importe quel auteur français, ça s'écoute en français! (surtout si en plus c'est Noiret le lecteur )

MissA je découvre ces procédures

Deux choses m'ont fait sourire : les politiciens qui viennent faire des discours avec des projets et des idées, et rien ne se passe et quand il dit que le berger avait cinquante ans et qu'étant donné son grand âge, il est sûrement mort

Cassandre a écrit:

 et quand il dit que le berger avait cinquante ans et qu'étant donné son grand âge, il est sûrement mort  

Oui, moi aussi Faut dire qu'à l'époque, on faisait plus vieux que son âge

Un roi sans divertissement - 1946


Comme avec les âmes fortes, c'est un récit qui mélange les époque, les narrateurs, les histoires, les protagonistes. Mais se situe assez précisément dans le sud du Vercors, le Trièves, entre Clelles, le Monétier, Mens, Saint-Maurice, entre l'Isère, la Drôme et les Hautes-Alpes. Le livre n'est pas divisé en chapitres ou en parties, et se tient d'un bloc
Le livre est centré autour du personnage de Langlois, ancien militaire de la conquête de l'Algérie de 1830, devenu gendarme en 1843 puis commandant de louveterie en 1845.
La première partie est assez linéaire, et conduit faussement à penser qu'on assiste à la traque d'un meurtrier. Mais ensuite le livre se recentre sur le personnage de Langlois et de son mystère : pourquoi revient-il s'enterrer dans ce village, pourquoi est-il courtois mais distant, que cherche-t-il dans ce paysage de vallons enneigés et de nuages bas ? Bien entendu la réponse est dans la tête du lecteur, et comme l'a dit Rosalind, le roman est étrange et fascinant. 
Il y a des thèmes récurrents : la traque/la chasse, l'ennui, la neige qui étouffe les sons et bouche l'horizon, le sang rouge, le goût des belles choses bien ordonnées, un certain du goût du théâtral/de la cérémonie/de la mise en scène.
La dernière phrase (tirée de Pascal) explique le titre : "un roi sans divertissement est un homme plein de misères"