Au Bonheur des dames, Semaine 4 : Chapitres 10 à 12

Puisque je ne suis pas chez moi ce week-end, je me permets d'ouvrir ce nouveau topic avec un peu d'avance. Mais je vous rassure, j'ai moi-même à peine entamé la lecture du chapitre 10.
Après les trois derniers chapitres, où l'on a lu la souffrance des Baudu, la passion de Bourras, la lutte des Robineau, et le triomphe de Mouret et de sa grande vente, nous voici partis pour des chapitres un peu plus sympathiques.

Souvenez vous de la dernière scène...

Citation :

— Tenez ! dans la sacoche, je parie pour moins de mille francs, votre main est si petite !
Mais elle se recula encore. Il l’aimait donc ? Brusquement, elle comprenait, elle sentait la flamme croissante du coup de désir dont il l’enveloppait, depuis qu’elle était de retour aux confections. Ce qui la bouleversait davantage, c’était de sentir son cœur battre à se rompre. Pourquoi la blessait-il avec tout cet argent, lorsqu’elle débordait de gratitude et qu’il l’eût fait défaillir d’une seule parole amie ?

C'est parti pour la suite !

Je ne serai pas là non plus, je m'épancherai Lundi!

J'ouvre le bal alors .

Lorsque s'ouvre le chapitre 10, la situation de Denise s'est améliorée, elle est en pleine ascension puisque la voilà seconde du rayon des confections. Mouret ne perd pas de temps et lui envoie une lettre l'invitant à dîner. On comprend qu'il agit de la sorte lorsqu'il veut séduire une vendeuse : la soirée commence par un dîner et puis... cet éternel séducteur se heurte cette fois à un refus de taille : Denise refuse son invitation, car elle connaît les conséquences si elle venait à l'accepter. Ici encore je ne peux m'empêcher de l'admirer. Elle aime Mouret, alors rien ne serait plus simple que de lui céder. Mais sa droiture et ses principes refusent ce que lui dicte son coeur, c'est une fille qui garde la tête sur les épaules, elle ne veut pas devenir la maîtresse de Mouret et que leur liaison se résume à une simple aventure au gré de son patron. La scène entre les deux personnages est magnifique. Mouret avouant son amour pour elle m'a surpris, je ne pensais pas qu'il s'abaisserait à un tel aveu si je puis dire, mais on peut ainsi mesurer la sincérité de ses sentiments. Toute cette scène m'a beaucoup émue par la passion et la violence de Mouret. J'ai été "swept off my feet" comme disent les Anglais - je ne trouve pas l'équivalant en français et elle s'applique parfaitement à son ressenti. Denise ne mâche pas ses mots, ce qui est très courageux de sa part ("Je ne suis pas une Clara, qu'on lâche le lendemain") car elle sait qu'elle risque sa position pour avoir osé infliger un refus à son patron. Les vendeurs se montrent très méchants à son égard, Hutin en particulier, quelle ordure. La vitesse à laquelle se répand la nouvelle de l'invitation de Denise souligne bien que malgré la taille du magasin, aucune nouvelle ne peut rester secrète bien longtemps.

Une autre scène emblématique se déroule chez Henriette, qui a l'idée d'attirer Denise chez elle en même temps que Mouret pour les confondre. Malheureusement son piège se retourne doublement contre elle, parce que non seulement Denise l'emporte malgré l'humiliation subie, mais en plus l'amour et l'admiration que lui voue Mouret en sont renforcés. Une fois encore j'ai été prise par la force de la narration, la jalousie mal contenue d'Henriette, le calme et la dignité de Mouret. Alors que la pièce d'à côté ces dames prennent le thé et continuent à parler chiffons.

Henri Deloche est un bon garçon qui ne peut qu'attirer que la pité. Leur origine géographique commune représente un bon sujet de conversation pour Denise et lui.

Que dire de la dernière scène entre Denise et Mouret ? Toute la jalousie et la souffrance de Mouret éclatant. Ici encore ses répliques m'ont étonnées. Désespéré par les refus à répétition de Denise, lui à qui rien de résiste, en vient à ne plus s'intéresser à son magasin ! Ses mots sont très forts. Je retiens sa dernière phrase qui révèle une nouvelle fois toute l'intensité de sa passion : "Vous savez que je vous appartiens. Faites de moi ce qu'il vous plaira" . Je n'aurais jamais pensé qu'il irait aussi loin. En plus rien ne permet de douter de sa sincérité, ce ne sont pas de simples mots destinés à fléchir Denise. Je crois qu'il est réellement arrivé à un stade de désespoir tel que plus rien n'a d'importance si ce n'est Denise, devenue une véritable obsession pour lui.

Merci de t'être lancé Tatiana, ça me permet de voir les limites de lecture de cette semaine (j'ai fini le livre dimanche dernier, donc ça date...).
Je n'ai pas grand chose à rajouter, çar je ne prends jamais de notes au cours de mes lectures donc je ne sais plus trop ce que j'avais à dire. Je te rejoins sur les scènes Denise/Mouret, très intéressantes (d'ailleurs, j'en viens à me poser une question qui n'a rien à voir avec ces chapitres:

Spoiler:

).
La scène chez Henriette est marquante aussi. Denise se comporte de façon très digne (beaucoup plus digne que la femme bafouée et jalouse...)
En tout cas, j'ai hâte de commencer Pot-Bouille que j'ai acheté hier, histoire de pouvoir un peu connaître les débuts de ce cher Octave

C'est une bonne question Ju, que je me suis posée aussi. Qu'elle lui tienne la dragée haute lui permet (bien malgré elle) d'une certaine manière de mettre ses sentiments à l'épreuve (d'où la réaction des autres membres du personnel, persuadés qu'elle se refuse à lui pour mieux monnayer sa "capitulation"). Il est clair que les autres vendeuses qu'il a séduites n'ont été pour lui qu'un moment sympathique sans suite. Mais pour Denise, au-delà de l'attirance physique qu'il a pour elle, je le crois fasciné par toute sa personne, ses qualités de vendeuse, son désintéressement (qu'il n'est pas habitué à trouver chez des vendeuses qui, comme Clara, voient tous les avantages qu'elles pourraient tirer d'un aventure avec lui), sa douceur. Au final c'est une véritable fascination qu'elle exerce sur lui, il sent qu'il ne peut plus se passer d'elle. Car il choisit de la garder à ses côtés, et même de la faire monter en grade, alors qu'elle reste inflexible. C'est là toute sa prouesse, se rendre indispensable en ne demandant jamais rien pour elle-même et ne faisant rien pour accroître sa passion. La sincérité de l’amour qu'il lui porte, et qui ne fait que s'amplifier, ne peut à mon sens être mise en doute.

Les filles, avant de venir lire et commenter tout ce que vous avez écrit, je peux vous parler un peu de l'après ABDD.
Dans Le Docteur Pascal, il y a une phrase qui concerne Mouret, et c'est un brin mitigé mais pas si surprenant au final (même si ça m'a un peu brisé le coeur pour Denise, surtout que j'ai trouvé cette phrase très récemment, en cherchant justement si dans les autres Rougon-Macquart, il y avait d'autres infos sur Mouret ou Denise).
Il y est écrit

Spoiler:

Et en parlant de ça, à mesure que je relis le roman, une chose me frappe. Mouret se demande sans arrêt pourquoi Denise ne veut pas de lui, et comment il peut faire pour l'avoir. Il croit qu'elle est jalouse, qu'il ne lui offre pas assez, ou encore qu'elle peut aimer quelqu'un d'autre. Mais jamais, vraiment jamais, il ne lui passe par la tête que tout simplement elle pourrait ne pas le trouver à son goût ! Pensez vous que Mouret est si sûr de lui qu'il n'imagine pas une seconde ne pas plaire à une femme/n'être pas "le genre" d'une femme ? Ou c'est peut être simplement le fait qu'elles lui tombent toujours dans les bras qui fait qu'il oublie complètement qu'on peut ne pas l'aimer ? (hum, je sais, c'est sûrement une question existentielle... )
Et bien oui, et si Denise avait tout simplement une sainte horreur des hommes barbus-yeux couleur vieil or-hommes d'affaires géniaux ?

Bonne question Annwvyn! C'est vrai que ça le rend un peu imbu de lui même tout ça Mais il me semble qu'il lui demande à un moment s'il ne lui plaît pas. Mais je me trompe sûrement, je ne l'ai pas lu assez de fois^^
Et merci pour les précisions sur leur avenir. Pas ultra optimiste quant à la nature humaine ce Zola, mais ça me va quand même

Je viens de lire les dernières lignes du roman et comme je suis comme Ju, je ne prends pas de notes alors je dois re-feuilleter le roman pour me remettre dans l'ambiance des ces 3 chapitres.

L'invitation à diner avec son fameux dessert me confirme que Mouret a une très forte attirance pour Denise mais la considère comme toutes les autres. Par contre, le magasin en entier voit bien que Denise est différente à ses yeux et c'est pour cela que le personnel la traite avec respect, contrairement à Clara! Mais, ouille, la scène dans la salle d'échantilonnage, pauvre Denise Quelle confusion! Se sentir si désirée mais sachant très bien que c'est plus que cela auquel elle espère. Et cette phrase qui décrit bien l'éthique amoureux de Denise " Restez avec elle. Moi, je ne partage pas." À mon avis, c'est à ce moment que Mouret a ressenti la différence entre son amour pour Denise par rapport à toutes ses autres conquêtes; indeed.

L'ultime phrase qui renferme toute la sensualité du roman est celle-ci, à mon avis "Il ne voyait plus d'autre but, tout disparaissait dans ce besoin : la tenir enfin chez lui, l'asseoir sur ses genoux, en la baisant aux lèvres; et, à cette vision, le sang de ses veines battait, il demeurait tremblant, bouleversé de son impuissance." Pas juste lui!

Luluberlu, quelle dernière phrase sublime .

Merci pour cet éclaircissement sur l'avenir de Denise et Mouret, Annwvyn. Pas top pour elle, c'est sûr, je suis un peu déçue que Mouret n'ait pas renoncé à sa nature volage...d'ailleurs j'aime bien l'expression "se déranger un peu" qui s’apparente presque à qualifier Mouret de malade mental du point de vue de sa fidélité conjugale enfin c'est peut-être un peu poussé de ma part, mais c'est ce à quoi j'en pensé en la lisant.

Par rapport à tes deux questions, je répondrais oui aux deux. Je crois volontiers que Mouret est si habitué à ce que toutes les femmes lui tombent dans les bras qu'il ne comprend pas pourquoi Denise lui résiste. Il se sait charmeur et séduisant, en plus d'être riche et en pleine ascension, donc je ne pense pas qu'il puisse envisager une seconde de ne pas arriver à ses fins avec une femme. D'habitude il se sert des femmes, pour son plaisir ou pour les affaires, et elles ne sont qu'un instrument (à l'exception de feue son épouse Mme Hédouin, qu'il semble avoir aimé, mais à qui il est surtout reconnaissant de lui avoir donné ABDD). Leurs sentiments n'ont pas d'importance. N'oublions pas qu'il séduit Henriette dans le seul but d'approcher la baron Hartmann et de l'intéresser à son magasin, sans se demander une seconde s'il ne joue pas les sentiments de la dame. Il oublie certainement qu'on peut ne pas l'aimer parce qu'il n'a jamais aimé comme il aime Denise. D'où son sentiment de désespoir, il se sent complètement perdu et ne sait plus quel moyen employer pour se l'attacher. Il ne sait plus (ou pas) qu'il peut être aimé pour lui-même, pour ses qualités. Denise au contraire ne sait pas aimer autrement, d'un amour "pur" (c'est un peu cliché, j'en conviens mais je ne trouve pas d'autre manière de le dire) et désintéressé.

La classe sociale à laquelle appartient Denise ne lui permet pas de refuser une telle opportunité, d'où la surprise de Mouret lorsqu'elle refuse "moi je ne partage pas". Pourtant il s'était dévoilé mais elle le fait vaciller car il ne sait plus comment s'y prendre avec cette fille.

Le chapitre 11 est intéressant parce qu'il ne se passe pas dans le magasin, sorte de bulle protectrice où Mouret est omniprésent, mais chez sa maîtresse où il est beaucoup plus vulnérable. Et en effet c'est un piège qui leur est tendu et qui va se retourner contre Mme Desforges.Mais quelle tension!! Et quelle envie de j'aurais eu de jeter le manteau sur cette peste!

Mon préféré c'est ce chapitre 12 parce qu'aprés avoir surmonté les rumeurs, la confrontation avec Mouret qui la soupçonne, Denise arrive au sommet de la hiérarchie. Toutes ces épreuves initiatiques pour atteindre presque le Graal (Mouret), on se demande si elle va y arriver!!Elle a su dépasser les limites propres à sa classe sociale et son intelligence et sa finesse sont enfin reconnus. Grâce à elle de nombreux progrés sont accomplis au magasin, le livre pourrait presque se terminer là (presque mais pas tout à fait on attend plus bien sûr )

J'ai bientôt fini le chapitre 12, et je reviendrai donner mes impressions.
Mais a priori, cela tourne plutôt autour du swoon !

Et en parlant de swoon, j'ai quelque chose de très drôle à vous raconter ! C'est une chose qui m'est arrivée ce matin.
(Je ne suis pas certaine de poster au bon endroit, vu qu'il s'agit d'un HS personnel, mais tout de même, j'ai envie de vous le raconter !)
Donc ce matin, j'ai pris le train pour aller au travail, comme d'habitude. Le trajet est très court (deux stations) donc j'ai peu de temps pour lire. Ce matin, j'ai lu quelques pages du chapitre 12 d'ABDD, et si la lecture a été courte, elle a aussi été très intense. Je suis donc arrivée au travail la tête et le coeur pleins d'ABDD, le coeur battant... ayant laissé Mouret au beau milieu de sa scène de jalousie.
J'allume mon ordinateur, et prends le téléphone pour appeler une banque (youhou... ). Je tombe alors sur une personne, qui m'annonce qu'il me faut contacter le responsable d'une autre agence bancaire. Elle me dit "Vous devez contacter le responsable de l'agence de telle ville. Je vais vous donner son numéro et son nom. Il s'appelle... attendez, je regarde... Aaaah, voilà, il s'appelle

Spoiler:

Quel choc ! Vous n'imaginez même pas ma tête. Je crois que je suis devenue rouge et que j'ai eu un sourire très bête (que j'ai gardé pendant un bout de temps après cette aventure). Je crois me souvenir que j'ai répété

Spoiler:

Alors j'ai appelé le dit Monsieur dans une très grande fébrilité, il avait un accent du sud (enfin, je crois), et j'ai précieusement gardé son numéro.
N'empêche, j'ai trouvé la coïncidence tellement incroyable, et tellement sympa, qu'elle a illuminé ma journée.
Je ne m'en suis pas remise, et j'ai longtemps après ce coup de fil gardé un large sourire !

Trop mignonne ton anecdote Annwvyn

Wow, quelle coïncidence! En effet, cela a du faire ta journée

Quelle situation Annwvyn . Je comprends qu'elle t'ait tant marquée. Il n'y a pas à dire, tu es liée d'une manière ou d'une autre à Mouret, le hasard fait bien les choses.

Tatiana a écrit:

Il n'y a pas à dire, tu es liée d'une manière ou d'une autre à Mouret

C'est sans doute vrai !
Et pour que ce post soit constructif, je rajoute une petite citation.

Citation :

— Si je voulais pourtant ! dit-il d’une voix ardente, en lui saisissant les mains.
Elle les lui laissa, ses yeux pâlirent, toute sa force s’en allait. Une chaleur lui venait des mains tièdes de cet homme, l’emplissait d’une lâcheté délicieuse. Mon Dieu ! comme elle l’aimait, et quelle douceur elle aurait goûtée à se pendre à son cou, pour rester sur sa poitrine !
— Je veux, je veux, répétait-il affolé. Je vous attends ce soir, ou je prendrai des mesures…

Ce sont des mots que je connais presque par coeur, tant je les ai lus, relus, prononcés à mi-voix. Bien plus que la situation très romanesque de nos deux héros, et la passion de Mouret, c'est la beauté et la finesse des mots qui font que ce passage ne s'use pas avec le temps. Certains passages de romans, une fois lus, perdent toute leur force, parce qu'on y trouve aucune subtilité. La surprise de la première lecture passée, ces passages deviennent ennuyeux, voire fades (ou presque écoeurants... c'est une sensation que je ressens réellement). Et bien ce n'est pas le cas dans ABDD (enfin, à mes yeux en tout cas !).

En guise d'explication, risquons une comparaison horriblement hasardeuse ! Si dans Le Rouge et le Noir j'ai eu le coeur battant à se rompre lorsque Julien Sorel a pris pour la première fois la main de Madame de Rênal (au bout d'un nombre conséquent de pages ), à la cinquantième page de Twilight je ne ressentais déjà plus rien. A peine commencé, les multiples insistances sur la beauté d'Edward ont usé (affadi) le roman... je n'ai pas pu l'achever ... d'accord, je sors !

Annwyn... très mignon ton petit récit.... Mais ce M Mouret a-t-il des yeux d'or ?.... Qui sait ?

Bon moi j'ai vraiment adoré les quatre derniers chapitres... Quand Mouret se rend vraiment compte qu'il l'aime et non pas seulement qu'il la désire...(enfin, c'est mon analyse si je peux me fier à ma mémoire vu que j'ai terminé le livre depuis un bon moment)... D'ailleurs son armure cède régulièrement et plus ça va plus il vers sa petite larme...

"- Dites, dois-je me mettre à genoux, répéta-t-il, la gorge
étranglée de larmes contenues.
Elle l’arrêta de la main, ne pouvant plus elle-même
cacher son trouble, profondément remuée par cette
passion souffrante."

"Lorsque Mouret rentra dans son cabinet, il étouffait de
sanglots contenus. Que voulait-elle donc? il n’osait plus
lui offrir de l’argent, l’idée confuse d’un mariage se levait,
au milieu de ses révoltes de jeune veuf. Et, dans
l’énervement de son impuissance, ses larmes coulèrent. Il
était malheureux."

Faire pleurer un héros masculin au 19e s quand on est un écrivain homme... il savait y faire pour plaire aux lectrices l'Emile !

Et dans le dernier chapitre il y a un autre passage dans ce style que je trouve très émouvant et moderne, finalement... On ose montrer les failles des hommes....

Bon, dès que j'ai ma liseuse je me télécharge Pot-Bouille pour moi aussi connaître "l'avant" !

Lily of the valley a écrit:

Faire pleurer un héros masculin au 19e s quand on est un écrivain homme...

Aaaah, je ne sais pas... Au contraire, il me semble parfois que c'est beaucoup plus fréquent de voir un héros de roman du XIXème siècle pleurer, qu'un héros du XXème. C'est mon ressenti en tout cas, même si peut être mon avis est biaisé, parce que j'ai trop lu ABDD !

J'ai toujours eu l'impression que les hommes des romans français du XIXème siècle (pour les anglais, c'est tout de même différent) pouvaient se permettre de montrer plus de sensibilité. C'est une impression générale, que (je crois me souvenir) j'ai notamment retrouvée dans Le Rouge et Noir ou La Chartreuse de Parme (j'ai juste lu le début pour l'instant ). En fait, cela rappelle un peu ce que je disais à Tiadeets dans le topic des premiers chapitres, à propos de Denise que je trouvais fragile et délicate... ce qui m'est très agréable, alors que de nos jours toutes les héroïnes sont des femmes qui en veulent et qui sont généralement à l'aise et solides. Peut être que c'est la même chose pour les hommes !

Annwvyn a écrit:

ce qui m'est très agréable, alors que de nos jours toutes les héroïnes sont des femmes qui en veulent et qui sont généralement à l'aise et solides. Peut être que c'est la même chose pour les hommes !

Essaie des auteurs comme Jean-Philippe Blondel ou Elvire Murail et tu verras que les hommes ont la larme abondante !

Mais c'est vrai qu'en romans 19e j'ai plus lu de l'auteur anglais que de l'auteur français ... Mais je n'ai pas en souvenir autant de larmes que dans ABDD. Il y a un autre passage que je trouve émouvant (mais on en parlera avec le chapitre 14 donc je mets en spoiler :

Spoiler:

Il me semble que dans l'ensemble de la littérature de l'époque, les hommes se permettent peu ce genre d'effusions, alors que chez des gens comme Kessel ou Malraux par exemple cela revient régulièrement. Bon, c'est une piste à travailler.... intéressante...

Lily of the valley a écrit:

Bon, c'est une piste à travailler.... intéressante...

Qui est partant pour une étude de la larme masculine à travers la littérature française ?
Et je plussoie pour le passage que tu as mis en spoiler, je le trouve moi aussi très émouvant.

[quote="Annwvyn"]

Lily of the valley a écrit:

Qui est partant pour une étude de la larme masculine à travers la littérature française ?

Je remarque tous les jours que mes élèves (féminines ) sont très sensibles aux belles histoires d'amitié masculine et aux histoires de garçons qui cèdent à leurs émotions... sans doute parce qu'ils révèlent là leur part de féminité....
Et si on devait commencer un post spécial larmes à travers la littérature (et pas seulement française) et pourquoi pas le cinéma.... On aurait du travail... mais pourquoi pas !!! On pourrait même commencer par les scènes du bel Octave !

Ah, c'est ça qui me déstabilisait! Les larmes de Mouret.
Les héros anglais ne montrent jamais ce côté émotif de leur personnalité; ils sont stoïques, valeureux, etc Alors que notre cher Octave est un coureur de jupons qui exploite les femmes et se trouve sensible devant celle qu'il aime vraiment

Luluberlu a écrit:

Les héros anglais ne montrent jamais ce côté émotif de leur personnalité;

Chez Forster il me semble (mais c'est vieux il faudrait que je le relise) que les héros font preuve d'une certaine sensibilité (mais le côté féminin de Forster était très développé).... et les anglais... sont des anglais.... !

Tatiana a écrit:

d'ailleurs j'aime bien l'expression "se déranger un peu" qui s’apparente presque à qualifier Mouret de malade mental du point de vue de sa fidélité conjugale enfin c'est peut-être un peu poussé de ma part, mais c'est ce à quoi j'en pensé en la lisant.

Dans la langue de l'époque il s'agit plutôt d'une opposition au fait qu'avec ce mariage il était devenu un homme «rangé».

Annwvyn a écrit:

Je crois me souvenir que j'ai répété

Spoiler:

Alors j'ai appelé le dit Monsieur dans une très grande fébrilité, il avait un accent du sud (enfin, je crois)

Logique, Mouret est un nom courant en occitan, ça veut dire le petit noiraud. Comme j'en suis au début des Rougon-Macquart je soupçonne cependant Zola d'avoir joué, consciemment ou non, sur l'euphonie avec le mot «amour» car la lignée des Mouret semble bien la plus innocente/vulnérable et celle qui porte les destins les plus amoureux!

Le premier, le chapelier Mouret est un pur, qui meurt de désespoir après la mort de sa femme, Ursule Macquart (il a refusé dès le départ tout argent venant de sa famille). Les Mouret qui sont ensuite développés dans un roman sont Silvère, le sublime amoureux de Miette dans La Fortune des Rougon, Hélène, l'héroïne de Une page d'amour et le malheureux François dont la vie tranquille sera ignoblement ravagée dans La conquête de Plassans. Ses enfants sont Octave, Serge (de La Faute de l'Abbé Mouret, faute amoureuse cela va sans dire) et Désirée, simplette aimante. Aucun de ces personnages n'est frappé d'une once de méchanceté, ils sont souvent par contre des victimes.

Lily of the valley a écrit:

Faire pleurer un héros masculin au 19e s quand on est un écrivain homme... il savait y faire pour plaire aux lectrices l'Emile !

Ce n'est pourtant pas son but, c'est un écrivain naturaliste, après tout. Et le fait que ce n'est pas «viril» de pleurer n'est pas encore dans les esprits à l'époque.

Annwvyn a écrit:

Lily of the valley a écrit:

Bon, c'est une piste à travailler.... intéressante...

Qui est partant pour une étude de la larme masculine à travers la littérature française ?

Ah, ben oui, partante, sûr... mais pas que «à travers la littérature française», il faut tenir compte de l'aire géographiques réelle de chaque courant littéraire.

Oui je suis d accord Selenh il faudrait ouvrir à toute la littérature et pourquoi pas au cinéma.
Pour la question de la virilité je suis d accord. Mais il n est tout de même pas dans les moeurs pour un homme de s épancher. Question de dignité et tout simplement de savoir vivre.

Lily of the valley a écrit:

Oui je suis d accord Selenh il faudrait ouvrir à toute la littérature
et pourquoi pas au cinéma.

C'est à dire qu'au cinéma, vu que c'est un art récent, il a presque toujours reflété la norme actuelle de l'homme inexpressif (je pense qu'elle date d'après 14 mais je ne suis pas sûre. Et elle ressemble énormément à la norme du macho espagnol, ou à celle des officiers prussiens ou de certains puritains sectaires, mais je ne sais pas comment cette tendance s'est répandue). Je parierais sur l'impassibilité commerciale comme attitude rentable, venant des Etats-Unis, alors peut-être le cinéma américain y est-il pour quelque chose, avec ses histoires de cow-boy aussi, mais c'est tout intuitif...

Lily of the valley a écrit:

Mais il n est tout de même pas dans les moeurs pour un homme de s épancher. Question de dignité et tout simplement de savoir vivre.

Pas dans les mœurs tout court, c'est relatif. À l'espace, et au temps. C'est une tendance récente en Europe, enfin, à l'aune des temps historiques.
Lis Rousseau, Stendhal, Goethe, les poètes du XIXe...... ils exaltent l'expression de la sensibilité masculine, en littérature en tout cas.
C'est Vigny qui le premier, je crois, exalte au contraire l'impassibilité masculine, sur le modèle militaire, face à la souffrance.
Le XVIII^e lui, était particulièrement lacrymal, il était bon de s'épancher, et de se montrer sensible et sentimental. Je me souviens de tous les problèmes que se posait Rohmer pour adapter le texte de Kleist quand il tournait La Marquise d'O et qu'il cherchait à respecter la nouvelle mais se demandait comment faire avancer le père sanglotant au milieu d'un groupe de gens tous en pleurs, (ému aux larmes était alors à prendre au sens propre) sans qu'on rie dans la salle.
Les femmes restent même, à ce moment là, plus discrètes que les hommes pour exprimer leurs sentiments. Trop d'expressivité est une attitude trop ostensible, et du coup pas trop convenable pour une personne modeste et bien élevée.