Au Bonheur des dames, Semaine 3 : Chapitres 7 à 9

Et voilà, nous sommes le 14 octobre, et nous entamons la troisième semaine de la lecture de groupe. Nous sommes donc à la moitié de cette lecture !

A la fin du chapitre 6, Denise est passée à la caisse. La voilà à présent seule, à la rue, sans le soutien de sa famille, avec à sa charge son pauvre petit frère Pépé et son grand frère (pas très mature) Jean. Comment la jeune femme va-t-elle s'en sortir ? Quelque chose me dit que ces chapitres vont être l'occasion pour nous de mieux connaître la vie des petits commerçants du quartier, et la nature de leur combat contre l'énorme machine qu'est Au Bonheur des Dames. On y trouvera aussi quelques éléments bien intéressants sur la naissance du capitalisme...

Quant à Mouret, il reste tranquillement à la tête de son grand magasin, toujours plein d'idées nouvelles, et on se souviendra qu'après un tourment nerveux qu'il n'a pu cacher, il a bien pris note que Denise était avec son frère, et non son amant, dans les caves du magasin.

Enfin, petite remarque de ma part. J'ignore si vous en avez entendu parler, mais le musée d'Orsay présente en ce moment et jusqu'au 20 janvier 2013, une exposition intitulée "L'Impressionisme et la mode". Au rendez-vous, les tableaux de nos impressionistes préférés, les robes que toutes ces dames pouvaient porter, et (j'espère) peut être quelques petites allusions aux grands magasins. Pour celles et ceux que ça intéresse, c'est par là

Et maintenant, à vous de donner votre avis !

J'ai honte, je comptais bien respecter les délais de la lecture cette fois et je n'y ai pas réussi...J'ai attaqué le chapitre 13 tout à l'heure et je pense que vu où j'en suis je ne vais pas m'arrêter
Merci pour le résumé succint, ça m'évitera de dire des spoilers^^
Je ne vais pas dire grand chose d'ailleurs, j'ai lu trop vite et je confonds les étapes.
J'ai beaucoup la scène Denise/Mouret dans le petit parc à la tombée de la nuit
Les scènes avec Bourras sont très bien aussi, il est adorable avec Pépé
Par contre, je ne supporte décidément pas Jean, je ne me rappelais plus de son personnage mais il est vraiment trop immature (et très bête à mon avis )
Et en effet, dans cette partie, on a la description de la mort lente des petits commerces et c'est très intéressant à lire. Franchement, cette lecture est délicieuse, tout ce qui y est dit est tellement vrai! Les réclames, les rendus, la lente évolution de la condition des vendeurs...
Je ne sais plus que dire d'autre, à part que je suis très contente d'avoir eu l'occasion de me replonger dans ce roman

Curieusement il me semble que la vie dans la maison de Bourras avec Pépé est un vrai moment de bonheur, malgré la laideur des lieux!

Denise est en sécurité, l'attitude paternelle et grand-paternelle de Bourras fait chaud au cœur, contrairement à Baudu il lutte sans oublier la compassion simple pour les autres, il sait donner un bon bouillon chaud, et faire jouer un petit garçon. Peut-être est-ce le côté artiste qui lui apporte une dimension intérieure que n'a pas Baudu, et le rend plus fort.
Robineau et sa femme sont aussi des êtres de bonté et de simplicité qui l'aident à vivre bien mieux, ce licenciement lui procure une sorte de vacance dans le roman, permet au personnage de faire le point et de «capitaliser» la maturité qu'elle a acquise grâce aux épreuves précédentes.

Enfin Denise a un peu de loisir, peut se comporter en «dame», paradoxalement aussi. Elle materne un peu plus Pépé (Zola n'insiste pas assez à mon goût sur le «manque» de sa famille qu'elle pourrait ressentir.) et quand elle rencontre Mouret au jardin public c'est comme si la présence de cette enfant l'aidait à la poser comme une égale, fait que cette promenade ensemble ne peut être prise que «sérieusement» et c'est ainsi que Mouret découvre en elle une personne qui pense et réfléchit, une personnalité que nous lecteurs avons déjà un peu découverte lors de ses discussions en famille à table avec les Robineau.

Ju a écrit:

Et en effet, dans cette partie, on a la description de la mort lente des petits commerces et c'est très intéressant à lire. Franchement, cette lecture est délicieuse, tout ce qui y est dit est tellement vrai! Les réclames, les rendus, la lente évolution de la condition des vendeurs...

Je partage tout à fait cet avis. Cette lecture sur le commerce de cette époque est tout à fait charmante et "Le bonheur des Dames" est vraiment le personnage principal de cette histoire alors que Denise et Mouret n'en sont que les personnages secondaires...

Pour revenir à nos 2 personnages, peut-on m'expliquer comment elle peut comprendre que Mouret l'aimait " Mais elle se recula encore. Il l'aimait donc? Brusquement, elle comprenait ....". Moi, je ne comprends pas Ok, il la couvre d'une considération qu'il n'accorde à aucune autre, la convoque et lui donne une promotion. Ok, fine with me. Mais il veut qu'elle "joue" dans son argent et "et il y avait un marché d'amour, au fond de sa plaisanterie." Ah oui? Pouvez-vous m'expliquer car je ne vois pas!

Tu peux dire dans quel chapitre?

Merci pour le lien sur l'exposition à Orsay Annwvyn, je vais essayer d'aller la voir. Voilà qui me fait penser à une autre exposition, sublime, en 2008 je crois, intitulée 'Sous l'Empire des crinolines" au musée Galliera. C'est une des plus belles que j'ai vues, j'en étais sortie toute retournée, des étoiles pleins les yeux , éblouie par toutes ces robes. Je me suis achetée le catalogue, je vais essayer de poster l'une ou l'autre photo.

Cette relecture me fait vraiment du bien, car plus j'avance plus je me rends compte à quel point j'avais oublié certains personnages. Bourras par exemple, très attachant. Comme Selenh j'aime beaucoup son affection pour Pépé. Sous des dehors d'ours bourru, il cache un coeur bon. Je le trouve aussi très courageux, à s'acharner à résister ainsi. Sa maison m'a évoquée celle de Mrs Clenham dans Little Dorrit de Dickens, qui reste debout on ne sait trop comment, vestige d'une époque révolue.

Chic, Denise est réconciliée avec son oncle . Geneviève me fait beaucoup de peine et franchement, je sais bien que l'amour ne s'explique pas, mais enfin quel besoin avait Colomban de s'attacher à Clara, qui est en plus loin d'être sympathique ?

Denise, justement, que j'aime de plus en plus. Elle vit un temps dans une grande misère, mais refuse d'adopter la solution de facilité, à savoir prendre un amant. J'admire sa détermination à s'en sortir, à ne jamais baisser les bras. Avec en plus un enfant à charge, et un autre frère qui ne lui cause que des ennuis !

Comme Ju j'ai adoré sa rencontre avec Mouret dans le jardin des Tuileries . Lui se demande enfin pourquoi elle le trouble autant, et constate qu'elle est intelligente et a de bonnes idées sur le commerce. Quant à ses sentiments à elle, il est clair qu'elle l'aime, bouleversée comme elle est par la nouvelle de la liaison de Mouret avec Clara. En fait j'aime toutes leurs scènes communes, y compris celle qui vient clore le chapitre 9. La nomination de Denise comme seconde m'a surprise, car Mouret anticipe leur relation. Une telle faveur ne devrait-elle pas venir après qu'elle lui ait cédée, pour la "remercier" ? Ici, c'est plutôt comme un cadeau destiné à la fléchir, même s'il ne doute pas un instant qu'elle lui tombera dans les bras, comme les autres. Mais un cadeau qui prouve l'intérêt qu'il lui porte, et la confiance qu'il a en elle.

Le chapitre 9 fait écho au 2, lorsque le magasin bruisse d'une ruée des clientes. Mouret fait décidément bien les choses en plaçant stratégiquement les rayons pour que les clientes se perdent. Il est intéressant de voir comment ces dames réagissent : par exemple, Madame Marty succombe sans compter, alors que Henriette sait pourquoi elle est là, trouver sa rivale, et n'en démord pas, en femme de tête qu'elle est.

au début, dans ma lecture de ces chapitres, j'ai eu des craintes parce que je me disais que Zola allait insister sur les dures conditions de vie de Denise après la perte de son emploi! c'est réaliste et dur comme vision et je n'avais pas trop envie que ça prenne trop de pages! pourtant il se passe quand même un an entre temps!
et heureusement elle a pu trouver de l'aide et un toit, en la personne de Bourras (que je trouve très généreux de s'occuper du petit frère et très courageux dans sa résistance! ). Et puis aussi ce qui lui a permis de prendre plus d'assurance dans son métier de vendeuse, elle a pu travailler pour Robineau et sa femme. j'ai beaucoup de peine pour tous ces commerçants qui luttent pour conserver leur commerce!!!
(au stade où j'en suis de ma lecture,

Spoiler:

) C'est Geneviève qui est à plaindre!!!

ces chapitres restent agréables à lire mais j'ai encore plus aimé les retrouvailles entre Denise et Mouret et j'avais hâte qu'elle revienne au BDD!!!

Tatiana a écrit:

Geneviève me fait beaucoup de peine et franchement, je sais bien que l'amour ne s'explique pas, mais enfin quel besoin avait Colomban de s'attacher à Clara, qui est en plus loin d'être sympathique ?

Elle cristallise toute la fascination qu'exerce le BDD sur ces commerçants de l'ombre, qui va leur prendre les forces vives, les jeunes hommes...

Citation :

La nomination de Denise comme seconde m'a surprise, car Mouret anticipe leur relation. Une telle faveur ne devrait-elle pas venir après qu'elle lui ait cédée, pour la "remercier" ? Ici, c'est plutôt comme un cadeau destiné à la fléchir, même s'il ne doute pas un instant qu'elle lui tombera dans les bras, comme les autres. Mais un cadeau qui prouve l'intérêt qu'il lui porte, et la confiance qu'il a en elle.

Exactement, la confiance! En quelque chose que Mouret n'a pas manqué d'épingler: Denise est compétente, de toute façon, la meilleure vendeuse du rayon et celle qui a le plus de «tête». Mieux qu'un cadeau cette nomination est un hommage, un témoignage d'admiration, et dans la logique des (bonnes) affaires.

Citation :

Le chapitre 9 fait écho au 2, lorsque le magasin bruisse d'une ruée des clientes. Mouret fait décidément bien les choses en plaçant stratégiquement les rayons pour que les clientes se perdent. Il est intéressant de voir comment ces dames réagissent : par exemple, Madame Marty succombe sans compter, alors que Henriette sait pourquoi elle est là, trouver sa rivale, et n'en démord pas, en femme de tête qu'elle est.

Un grand tableau de bataille! J'adore!

Selenh, à la toute fin du chapitre 9 - la dernière page ....

Aussi, dans le chapitre 9, j'ai bien aimé le fait que Mme Desforges se méprend sur l'identité de l'autre femme qui partage les faveurs de Mouret.... Elle a ce 6e sens qui lui indique que Denise est "sa" vraie rivale et qui relègue Clara au rôle très éphémère d'amante de passage. Vraiment, Clara n'a pas le beau rôle dans ce roman!

Luluberlu a écrit:

Ah oui? Pouvez-vous m'expliquer car je ne vois pas!

Pour moi, je traduis par un "il la désirait donc", en fait. Mais à la limite Denise pas très experte ne s'exprime pas de façon si précise, et là on est dans son point de vue.
Elle se rend compte que Mouret ne l'oublie plus après une bonne parole, comme au début quand quelque chose d'autre sollicitait son attention. Qu'il insiste, qu'il plaisante d'une façon plus clairement équivoque, si je puis me permettre l'oxymore; mais il lui propose tout de même de disposer de son argent. Même par plaisanterie c'est clair et pas forcément de bon goût.

Bref elle comprend enfin qu'il l'a bien repérée, et pas que pour la bonne cause, qu'il a des vues sur elle. Alors que jusque là elle ne se croyait pas même susceptible de lui inspirer du désir.

J'avais l'intention de poster plus longuement, mais après avoir vu le dernier épisode de Downton Abbey, je n'ai envie de rien faire. Alors, je me contente juste d'une petite intervention, et je reviendrai plus tard.

Tatiana a écrit:

Une telle faveur ne devrait-elle pas venir après qu'elle lui ait cédée, pour la "remercier" ? Ici, c'est plutôt comme un cadeau destiné à la fléchir, même s'il ne doute pas un instant qu'elle lui tombera dans les bras, comme les autres. Mais un cadeau qui prouve l'intérêt qu'il lui porte, et la confiance qu'il a en elle.

Je suis d'accord avec toi Tatiana, ainsi qu'avec Selenh, il y a dans cette nomination au poste de seconde une reconnaissance de la compétence de Denise par Mouret, et un signe de l'intérêt et de l'admiration qu'il lui témoigne. Ceci dit, je voudrais ajouter que ce cadeau de Mouret n'est peut être pas désintéressé. Comme Zola l'écrit, Mouret propose à Denise de piocher dans le sac de la recette et "et il y avait un marché d'amour, au fond de sa plaisanterie". Quelque chose me dit que Mouret a l'habitude d'acheter ses conquêtes, ou de les séduire en les avantageant (on lit aussi que Clara est maintenue au rayon par le caprice de Mouret), et je pense que la nomination de Denise est un peu teintée de cela aussi. En gros, il peut remercier ses conquêtes lorsqu'elles cèdent, mais il peut aussi les acheter. Je plussoie Selenh, ça n'est pas le summum de la délicatesse.

Selenh a écrit:

Bref elle comprend enfin qu'il l'a bien repérée, et pas que pour la bonne cause, qu'il a des vues sur elle. Alors que jusque là elle ne se croyait pas même susceptible de lui inspirer du désir.

Merci bien pour l'explication car je m'étais arrêtée qu'au premier degré et je ne voyais pas de lien possible!

Je trouve très utile et très agréable ces lectures de groupe, moi qui en est à ma première expérience. Cela me permet de ne pas juste "ressentir" un roman mais de me "l'approprier" en me posant toutes sortes de questions et en lisant vos points de vue.

J'ai beaucoup apprécié les 2 premiers chapitres qui nous éloignent un peu de l'effervescence du grand magasin et qui nous permettent de revenir sur les alentours et leur galerie de personnages attachants.

Vrai coup de coeur pour Bourras, faux bourru au coeur tendre.

Tatiana a écrit:

Sa maison m'a évoquée celle de Mrs Clenham dans Little Dorrit de Dickens, qui reste debout on ne sait trop comment, vestige d'une époque révolue.

Je me suis fait exactement la même réflexion ...

Contente également de voir Denise se rapprocher de son oncle. Mais quel triste sort que celui de Geneviève

Contente aussi de voir que Jean semble commencer à comprendre dans quelle situation il a mis sa soeur. il ne lui réclame plus rien (mais évidemment Denise continue à se sacrifier pour lui donner régulièrement 100 sous )

Tout cela étant, j'avais quand même hâte de retrouver le magasin et que Denise retrouve Mouret, la rencontre aux Tuileries nous ayant ouvert plein de perspectives ...

et c'est là que nous arrivons au chapitre 9. Eblouissant ... un vrai ballet que celui des clientes qui se perdent dans l'immensité du magasin. J'ai adoré l'image du siège qui se remplit d'emplettes et que l'on pousse d'un rayon à l'autre ... Je n'ai pas encore regardé l'adaptation TV, mais ce chapitre donne réellement plein d'idées en termes de mise en scène.

Comme le souligne Luluberlu, il est intéressant de constater qu'Henriette se méprend sur l'identité de sa rivale ... A croire que tous ont conscience de l'attrait qu'exerce Denise sur Mouret, et cela bien avant l'intéressé (cf la remarque sybilline de Bourdoncle au moment du passage à la caisse de Denise "il vaut mieux pour tout le monde qu'elle soit partie")

et nous en arrivons enfin au dernier paragraphe : il l'aimait donc !! En lisant la phrase, je me suis dit que Denise était bien innocente et naïve !! A ce stade du roman, Denise comprend qu'elle est amoureuse d'Octave (ah la jalousie provoquée par Clara !!), mais pour moi Mouret n'est pas encore amoureux. Intéressé oui, pas de doute là-dessus, mais il n'a pas encore réellement pris conscience de la nature de ses sentiments ... Mais ceci est mon point de vue ...

Vivement le fameux chapitre 10 !!!

Au secouuuuurs !! Je suis en retard

J'ai fini les chapitres 7 et 8, ce dernier en audio-livre, merci Selenh pour cette bonne idée d'écouter Zola en promenant les chiens!! ( Je vais essayer en jardinant ça peut être pas mal aussi). Bref sans répéter ce que vous avez dit j'apprécie tous ces personnages secondaires qui gravitent autour de Denise. Bourras qui lui apporte un peu de sécurité affective et matérielle qui lui fait tant défaut , son oncle qui lui permet de renouer avec le peu de famille qu'elle a. Ces 2 chapitres sont un peu comme une pause après le rythme effréné que lui avait imposé sa vie au BDD.
Le plus désolant dans ces 2 chapitres, c'est Geneviève ; plus le BDD gagne en puissance, plus on sent sa déchéance, ce monstre incarné en Clara lui prend toutes ses forces et sans avoir lu la suite je me doute bien qu'il ne lui reste plus beaucoup à vivre.
Enfin ce qui me paraît marquant, c'est l'entrevue de Denise avec Colomban, sa colère et le "je l'aime" qui fait écho chez Denise, serait-elle en train de comprendre la nature de ses propres sentiments?

Ah, oui... cette sensation de l'amour fauteur de troubles?

L'audiolivre: enchantée que tu aies pu en faire ton miel. Ça devrait le faire en jardinant. L'expérience m'est étrangère (le jardinage!) mais j'ai pratiqué en repassant, en brodant, en faisant le ménage... avec tout ce qui n'est que de l'activité "sans y penser" si on se laisse investir par la voix c'est pas mal du tout.

L'avantage aussi, c'est qu'à l'inverse l'autre activité rend patient! Clin d'œil à Tatiana qui me demandait comment était la lecture de La Fortune des Rougon, c'est pas le lieu ici de faire l'analyse des erreurs de jeunesse de Zola, mais effectivement, vaut mieux le lire en audio l'écouter... ou partir directement du chapitre 3, et si possible en ayant déjà lu ou écouté son essai sur le roman expérimental.

Ca y est! audio-lecture du chapitre 9; Zola avait déjà tout compris au marketing moderne et Mouret excelle à piéger les femmes, ce "peuple de coquettes" comme il les appelle. Il y a beaucoup de sensualité dans cette frénésie d'achats, dans ce désir habilement provoqué par le savoir-faire de Mouret. Quel régal pour un metteur en scène cette profusion de détails!
L'entrevue finale avec denise est un peu déconcertante: ces sous-entendus avec l'argent ne sont pas de très bon goût, la prendrait-il pour une fille facile? Du coup sa promotion, qui m'apparaissait légitime au 1er abord, se teinte d'un petit côté intéressé et...ça me gâche un peu la fin du chapitre; je suis trop romantique

J'ai aussi beaucoup aimé le personnage de Bourras... Je le trouve très attachant... Hors du monde mais généreux... contrairement à Baudu qui est hors du monde et profondément égoïste et introverti, ne voyant même pas que sa fille devient une ombre...

Oh, on dirait bien que la lecture de groupe s'essoufle... Peut être ne suis je pas assez présente ? A ma décharge, j'ai eu une semaine extrèmement remplie, et n'ai pas eu le temps de poster. Mais juré, j'ai lu tous vos posts avec attention.

Lily, nous en avons déjà parlé, il me semble, je trouve que tu es dure avec ce pauvre Baudu. Pour moi, il est loin d'être égoïste ou introverti. Introverti, je ne pense pas, il semble au contraire être extrèmement passionné et exprimer très clairement ses sentiments, ses impressions et ses motivations.
Et quand à être égoïste... Certes, il recule le mariage de Geneviève , ne la voit pas mourir doucement, et ne fait peut être pas assez attention à ce que sa fille, elle, voudrait. Peut être est il égoïste sur ce point. Pourtant, peut on parler d'égoïsme lorsqu'on voit que justement sa principale motivation est de redresser son magasin, pour le donner en bonne santé à ses enfants ? Que sa seule faiblesse (dont il a honte ensuite) est d'essayer de "rouler" Colomban ?

Pour moi, c'est un homme qui aime l'ordre, le travail bien fait, et qui est simplement dépassé par les événements. Et il est certainement plus difficile pour lui d'être aussi généreux que Bourras qui n'a que lui à s'occuper, et qui peut bien faire tous les excès qu'il veut, sans que cela n'ait un impact sur personne. Et Bourras peut bien aider Denise, elle n'est pas sa nièce qui l'a planté pour aller chez le concurrent. Donc je voudrais dire que j'aime Bourras, mais que j'aime aussi Baudu, dont la situation est réellement terrible. Que peut il faire franchement à part ce qu'il fait ? Abandonner son magasin, et partir travailler au Bonheur ? Vendre son fond à Mouret, et laisser là le travail de toute une vie ? Tout investir dans un nouveau commerce, et tout perdre, comme Robineau, faute d'avoir les reins solides ? C'est fatalement qu'il devient blasé, deçu, aveugle du désespoir de sa famille...

Ces trois chapitres sont certainement moins sympas que ceux qui vont suivre. Pourtant, je les trouve passionnants également. Vous avez dit tout ce que je voulais dire. Comme Tatiana, j'adore le passage aux Tuileries. C'est généralement celui que je fais lire aux personnes qui refusent de lire ABDD parce que "c'est Zola et Zola n'écrit que des trucs horribles, et pesants qu'on peut finalement toujours résumer par la phrase "et l'humidité suintait des murs"."
Donc je leur lis des petits bouts de ce passage, que je trouve tout simple, poétique, très beau.
Allez, faisons nous plaisir !

Citation :

Au brusque mouvement que fit la jeune fille pour lui échapper, il la regarda. La nuit tombait, il la reconnut pourtant.
— C’est vous, mademoiselle.
Elle ne répondit pas, éperdue qu’il eût daigné s’arrêter. Lui, souriant, cachait sa gêne sous un air d’aimable protection.
— Vous êtes toujours à Paris ?
— Oui, monsieur, dit-elle enfin.
Lentement, elle reculait, elle cherchait à saluer, pour continuer sa promenade. Mais il revint lui-même sur ses pas, il la suivit sous les ombres noires des grands marronniers. Une fraîcheur tombait, des enfants riaient au loin, en poussant des cerceaux. [...]
Cependant, ils continuaient de se promener côte à côte, ils débouchèrent enfin, vers la rue de Rivoli, dans une allée où il faisait jour encore. Au sortir de la nuit des arbres, ce fut comme un brusque réveil. Il comprit qu’il ne pouvait la retenir davantage.
— Bonsoir, mademoiselle.
— Bonsoir, monsieur.

Sinon, il y a une autre chose dont je voudrais parler, et qui tient plutôt à l'économie capitaliste.
Lorsque Denise explique chez Robineau en quoi l'évolution du monde vers les grands magasins, la satisfaction du consommateur, lui semble une évolution naturelle, bénéfique pour le bien-être du client (d'ailleurs, elle ne l'explique pas vraiment, elle le ressent, le devine plutôt ), je ne peux m'empêcher d'être sceptique. Zola, aujourd'hui, n'aurait certainement pas pu écrire la même chose (non Selenh, je ne critique pas Zola ! ). Ou alors, il aurait encore plus nuancé (il aurait dépassé la misère des concurrents du BDD). En fait, on aurait besoin de Zola aujourd'hui, plutôt que d'avoir des journalistes un peu trop politisés ou des économistes peu entendus et pas toujours compréhensibles.

Est ce qu'aujourd'hui on ne fait pas justement face aux dérives de ce système que Denise trouve si positif, si logique (Zola est tout de même plus nuancé que Denise) ? ABDD me fait par exemple penser au secteur de la grande distribution. Du coup, je pense à l'exploitation des petits fournisseurs français (Zola évoque les petits fabricants de soie de Lyon qui ont bien du mal) qui aujourd'hui en est arrivée à un point catastrophique, où la production française disparaît, justement parce qu'elle ne tient plus le coup/le coût. Sans parler de la mondialisation.

ABDD me fait aussi penser à la consommation à outrance qui finit par ne pas procurer que du bien-être au client (sait on ce qu'on mange ? Est ce qu'on ne massacre pas l'environnement à force de tout utiliser pour ensuite jeter ? Et notre santé ?) Je ne dis pas qu'on n'a pas amélioré notre confort de vie, mais on en est rendu à une telle démesure...
Et tout ça de la faute d'Octave Mouret !

Ah oui, j'ajoute aussi je suis totalement conquise par ce dernier chapitre et cette grande vente. Je ne suis pas une adepte du shopping, et pourtant, je finirais bien comme Madame Marty... la pauvre...

Citation :

Maintenant, madame Marty avait la face animée et nerveuse d’une enfant qui a bu du vin pur. Entrée les yeux clairs, la peau fraîche du froid de la rue, elle s’était lentement brûlé la vue et le teint, au spectacle de ce luxe, de ces couleurs violentes, dont le galop continu irritait sa passion. Lorsqu’elle partit enfin, après avoir dit qu’elle paierait chez elle, terrifiée par le chiffre de sa facture, elle avait les traits tirés, les yeux élargis d’une malade. Il lui fallut se battre pour se dégager de l’écrasement obstiné de la porte ; on s’y tuait, au milieu du massacre des soldes. Puis, sur le trottoir, quand elle eut retrouvé sa fille qu’elle avait perdue, elle frissonna à l’air vif, elle demeura effarée, dans le détraquement de cette névrose des grands bazars.

Annwvyn a écrit:

Peut être ne suis je pas assez présente ?

Meuh non! Tout de suite elle culpabilise, la petite!

Citation :

A ma décharge, j'ai eu une semaine extrèmement remplie, et n'ai pas eu le temps de poster.

Ben voilà, t'as tout compris: nous aussi!

Et là encore j'aurais plein de choses à plussoyer ou moinsoyer (juste très peu) sur ton dernier post hyper-constructif... mais il se fait tard et mes cernes de la semaine me frôlent le menton.

Annwvyn a écrit:

Pourtant, peut on parler d'égoïsme lorsqu'on voit que justement sa principale motivation est de redresser son magasin, pour le donner en bonne santé à ses enfants ?
]

C'est justement ça qui me pose problème. Il ne se demande jamais si sa fille peut avoir une autre perspective que son magasin. J'ai l'impression que le mariage de sa fille avec Colomban, c'est l'avenir de son magasin et pas le contraire. Il fait un lot. Fille+magasin. Et certes il défend avec vigueur son magasin face à l'ennemi, mais sans jamais traverser la rue, si ma mémoire est bonne (ça fait un moment que j'ai fini le livre). Il crie à l'abri de ses vitres sombres...

Pour le passage des Tuileries, je suis d'accord, c'est une vraie bouffée d'air frais romantique après tous ces malheurs.... Et puis on sent plus à partir de ces pages les failles de Mouret...

Lily of the valley a écrit:

Annwvyn a écrit:

Pourtant, peut on parler d'égoïsme lorsqu'on voit que justement sa principale motivation est de redresser son magasin, pour le donner en bonne santé à ses enfants ?
]

C'est justement ça qui me pose problème. Il ne se demande jamais si sa fille peut avoir une autre perspective que son magasin. J'ai l'impression que le mariage de sa fille avec Colomban, c'est l'avenir de son magasin et pas le contraire. Il fait un lot. Fille+magasin.

C'est une mentalité patrimoniale qui est tout à fait courante, et même des plus «normales» et même très louable à l'époque. Zola a voulu camper en Baudu un type du commerçant et du père de famille traditionnel, qui ne comprend rien à l'évolution de la période, sa modernité naissante. Et qui voit s'écrouler son monde, le seul bonheur qu'il est capable d'imaginer pour sa «maison», l'idéal de toute une vie!

On ne peut lui reprocher de ne pas réagir selon les idéaux d'épanouissement personnels prioritaires de notre psychologie moderne, ce serait carrément anachronique.

Le jugement des personnalités d'abord par la psychologie individuelle commence à peine, (quel âge peut avoir Freud en 1864?). La famille et le groupe social priment de loin sur l'individu dans l'échelle des valeurs morales. Si l'on en vient donc à juger Baudu «égoïste», à travers la loupe de notre individualisme actuel, c'est un contresens complet. C'est faux, il n'agit pas plus pour son ego que pour sa fille amoureuse! Le bonheur de sa «maison», le respect de la tradition et de ce qui fait l'honneur et la prospérité du groupe familial est prioritaire pour lui, pas sa propre personne.
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C'est un Pater Familias, et des plus vertueux, au contraire. Maintien de la tradition, permanence, sont pour lui le souverain bien et s'il s'obstine c'est bien parce qu'il est vertueux, pur. Il fait son devoir en moraliste, en homme de bien, jusqu'au baroud d'honneur. Tout son modeste idéal est dans une transmission du patrimoine matériel et moral irréprochable; aussi parfaite, pieuse, que celle qui lui a été faite.
Il se sent malhonnête malgré lui de ne pouvoir, comme cela s'est fait pendant deux générations avant lui, fournir à ses enfants, (la biologique comme le spirituel, il conçoit là aussi l'apprenti tout à fait à l'ancienne) , une vie honorable et sûre apportée par une maison commerciale irréprochable. Il est désespéré d'impuissance, de colère contre Mouret qui le fait déchoir malgré lui, manquer au devoir de toute sa vie.

Je reviens partager quelques crinolines admirées à l'exposition "Sous l'empire des crinolines" dont j'ai parlé plus haut. Un vrai bonheur pour les yeux et un exemple des robes portées par ces dames (fortunées, donc les clientes) dans ABDD. Denise et ses collègues se contentent de vêtements plus simples et moins onéreux.

Spoiler:

Superbes robes Tatiana, merci de les avoir postées