Longbourne, Jo Baker

le fils illégitime, l'homosexuel caché qui meurt dans les bras de son amant   , ... J'ai trouvé cela too much

Quand Downton Abbey croise Pride & Prejudice, on obtient ce roman... L'histoire est centrée sur le personnage de Sarah, jeune bonne à tout faire chez les Bennet et, même si elle suit la trame du roman de Jane Austen, on est pas du tout dans une redite du roman (bon point !). Donc si le petit monde de Lizzy, Jane et les autres est bouleversé par l'arrivée des Bingley et de Darcy, celui de Sarah l'est par celle d'un nouveau valet de pied : James Smith. D'entrée de jeu, on comprend que ce personnage n'est pas ce qu'il parait de prime abord ( et la dernière partie du roman nous le confirme mais chutttt). Donc on suit vraiment la vie de l'envers du décor de Longbourn et on voit des choses pas jolies jolies... Entre les pots de chambre des demoiselles (et de Collins, d'ailleurs la visite de ce dernier était hyper intéressante, on voit que Mme Bennet n'est pas la seule à s'inquiéter du choix marital de Collins, et j'ai aimé aussi voir qu'on parlait enfin de Mary). J'ai plus de réserves concernant le traitement réservé à Wickham... Je SAIS qu'il est d'usage de faire de lui un salaud intégral mais là j'ai trouvé que c'était trop trop lourd... Franchement l'épisode Polly et l'intervention de James étaient de trop... Bref, autre partie que j'ai bien aimée aussi c'est le point de vue de Sarah sur Darcy et surtout sur la soirée où il vient faire sa première demande : j'ai trouvé ça très réussi (même si évidemment, il faut connaitre le roman original pour apprécier pleinement). Idem, j'ai adoré le fait que le gentil Bingley possède un esclave... (même si ce dernier ne le reste pas).

Ce que j'aime : le regard que les domestiques portent sur leurs maitres et leurs invités, l'intimité vraiment décrite de la maison (grâce aux pots de chambre et tout ça, on s'y croyait ). James, ce qu'il est. Sarah même si elle m'a agacée au début du roman. Collins particulièrement réussi !L'incursion dans le couple Darcy, la nervosité d'Elizabeth, son désir d'être à la hauteur, j'ai beaucoup apprécié cette vision de leur mariage. L'histoire de Mr Bennet... ça j'aime beaucoup et les personnages de Mr & Mrs Hill

Ce que j'aime moins : l'acharnement sur Wickham, une fois de plus diabolisé, à mes yeux l'épisode Polly est de trop...

En bref : Un très bon roman, réaliste et bien documenté, qui se lit tout seul... Si on a lu Pride and Prejudice avant ! Je pense que sans cela, je l'aurais moins apprécié donc je serais presque tentée de dire que... c'est à réserver aux janéites !

Comment fait-on pour avoir des engelures ou marcher sur l'herbe gelée au mois de septembre, à trente km au nord de Londres ? Alors que les arbres ploient sous les reinettes, ce qui laisse préjuger d'une fin d'été plutôt anodine et sans caractère exceptionnel.

ses mains sont un véritable festival. En deux jours on y compte: des engelures, des crevasses à vif, des cloques laissées par la manipulation des fers à friser (je n'ose imaginer dans quel état elle a pu laisser les cheveux de Lydia et Kitty si elle a réussi à se cloquer les mains avec les fers. J'ai regardé plusieurs modèles anciens et ils ont tous des manches en bois... ). Le travail, notamment le linge et la vaisselle, abîment les mains, nous sommes d'accord, mais n'est-ce pas un peu exagéré ?

Elle se plaint de sa robe d'une teinte bilieuse et qui pendouille, dans un tissu innommable. Comment Mrs Hill, qui file une tarte aux groseille entière au premier vagabond venu et lui cherche des vêtements décents dans les malles poussiéreuse du grenier, peut-elle laisser aller la femme de chambre dans une robe de pauvresse et l'envoyer à Netherfield porter une invitation dans cet équipage ? Ou alors il ne faut pas croire Sarah, qui est une coquette et se plaint avant d'avoir mal ? Bizarre...

certes, on aurait pu se passer du côté vieux satyre qui propose des bonbons aux petites filles naïves (encore une option "pathos++" assez récurrente dans l'ouvrage), mais j'ai trouvé l'idée d'un wickham s'insinuant dans tous les recoins de la maisonnée et recherchant la compagnie des domestiques quand il en a assez de supporter les maîtres bien trouvée.

le recours permanent au pathos, au mépris parfois du vraisemblable. L'hypothèse de départ, c'est que le sort des domestiques est cruel, ils souffrent beaucoup et mènent une vie de misère, méprisés, oubliés... Ok, je n'en disconviens pas, être domestique au début du XIXème siècle, ce n'était pas byzance. On pouvait faire pire (journalier, ouvrier agricole, prostitué(e), indigent) mais ça n'était déjà pas le top et il y avait des maisons où c'était pire. Dans cette option, il est logique de montrer que les domestiques de Hunsford sont terrorisés par Lady Catherine. Mais comment concilier la bonne Mrs Hill, exigeante mais compatissante et affectueuse avec le sort affreux de la pauvre Sarah, ses engelures estivales, ses robes de tiretaine informes, son désespoir... Là il fallait choisir, soit Hill était un despote cruel, soit la maison était bonne et on y souffrait moins que dans le pensionnat de Jane Eyre.
Pareil sur la campagne d'Espagne. Ce fut horrible, certes, qui a vu les gravures de Goya sur ce conflit ne peut en douter. Mais l'auteur se complaît quand même franchement dans le sordide. Je n'ai pas compté le nombre de fois où les mots rachitiques et squelettiques ont été employés mais le trait est très lourdement appuyé. De même, je lui accorderai le bénéfice du doute sur la neige rencontrée en Galice. On dira qu'on parlait des montagnes du Bierzo, même si au niveau des distances ça paraît peu vraisemblable. La Corogne bénéficie d'un climat très doux et il n'y neige quasiment jamais. J'aurais compris qu'ils essuient une tempête océanique, mais le vent glacial et la neige, c'est vraiment pour montrer qu'ils sont très malheureux (une chance qu'ils n'aient pas eu d'engelures).

les enfants illégitimes issus du droit de cuissage des maîtres sur les domestiques et/ou les esclaves
l'abandon des enfants (diverses manières)
l'horreur des hospices
la maltraitance (froid, faim, charges lourdes, travaux sans fin, pas de sommeil, corvéable à toute heure...)
l'homosexualité dans les campagnes anglaise à la fin du XVIIIème siècle
Comment perdre sa réputation ou la conserver, les sacrifices consentis pour ce faire
Ce qu'il faut réellement comprendre dans l'expression "a fait fortune dans le sucre"
L'horreur des guerres napoléoniennes et de la campagne d'Espagne en particulier
L'horreur de servir dans l'armée anglaise quand on n'a de goût ni pour la poudre, ni pour le sang, ni pour le pillage
Les abus sexuels sur mineurs
Les conséquences à long terme des coups de fouet
la difficulté à trouver sa place dans une grande maison, même si on n'y est pas maltraité
Les chemins anglais et la boue au XVIIIème siècle
Les parapluies déchirés et les bottes non étanches à l'époque de la Régence
Le triste sort des tartes à la groseille...

Comment Mrs Hill, qui est compatissante envers l'humanité souffrante - même quand ce n'est pas son fils - au point d'accueillir une obscure orpheline avec force lait chaud, tartines et sucre gratté - denrée fort chère à l'époque - peut-elle laisser la même orpheline devenue bonne de la maison en haillons pendouillants de tiretaine couleur bile, dans une maison où il y a cinq filles - donc un potentiel important de robes usagées recyclables en vêtement de servante, même si lesdites robes peuvent avoir servi à plusieurs soeurs. J'ai beau tourner le problème dans tous les sens, j'y vois une invraisemblance. De détail certes, mais je ne crois pas à la base à l'extrême malheur de Sarah. Jane Eyre m'avait paru bien plus à plaindre .

car du coup, vu les goûts qui lui sont attribués dans Longbourne cela me paraît beaucoup plus cohérent de la part de Wickham, de fuir avec Lydia -une gamine après tout- idiotie que JA ne nous a pas tellement expliquée. Vu sous l'angle de Jo Baker, ça colle très bien, justement. J'y ai davantage vu une idée astucieuse qu'une diabolisation de ce personnage.

Pour Wickham, il me semble toutefois que l'on franchit un palier (pas forcément nécessaire ni utile à l'histoire) dans l'horrible. Lydia est certes jeune (un peu moins de seize ans) mais elle est grande et déjà faite comme une femme, JA insiste bien sur ce point, et déjà présentée dans le monde. Bref elle n'a rien d'enfantin et elle a franchi les rites qui la mettent sur le marché du mariage. Seize ans à l'époque, c'est un peu jeune mais pas tant que ça. La petite servante - j'ai déjà oublié son nom- n'a guère plus de douze-treize ans me semble-t-il, ce n'est pas à mettre sur le même plan IMO.
Bref, autant l'idée de faire de Wickham un être amphibie voguant entre les deux mondes upstairs et downstairs était bonne, autant en faire un prédateur de petites filles me semble assez mauvaise (pathos++, IMHO)

J’ai beaucoup aimé le développement du personnage de Wickham dans lequel j’ai retrouvé celui de JA avec en plus une dimension malsaine plausible : le charme et la séduction extérieure et la perversité lorsqu’il tente de séduire la très jeune et totalement innocente Polly. Son attrait pour la compagnie des domestiques est aussi tout à fait crédible puisqu’il les a longtemps fréquentés.

Cela dit, l’attitude de Sarah vis-à-vis des occupations sociales des 5 filles, qui lui semblent tel un paradis inaccessible fait de fêtes et de bals, est tout à fait crédible, car elle sait que la barrière avec la vie fatigante qu’elle mène est infranchissable. Ce qui est intéressante est qu'elle se rend compte au bout d'un temps que ces occupations sont vides et ne peuvent remplir en vie. Inventer une liaison entre Mr Bennet et Mrs Hill  avant sa rencontre avec celle qui deviendra son épouse, pourquoi pas ? Là encore, je n’ai rien vu farfelu. J’ai aimé aussi la description du Pemberley des domestiques, vaste et anonyme dans lequel Sarah se sent perdue. Cette présentation rappelle que pour une demeure si sublime, il fallait une quantité de petites mains, bien traitée mais où les relations entre chacun downstairs étaient très réduites.

les longs chapitres en Espagne. Ils sont utiles en ce qu’ils éclairent une partie importante du passé de James, mais pas au point de les développer autant. On s’éloigne par trop et trop longtemps de Longbourn et de l’histoire centrale au profit d’une guerre décrite avec force détails horribles. Cet épisode est au final peu intéressant.