Sellez vos rêves avant de les chevaucher - Sarn première semaine

Je vous ai rattrapées : j'ai fini la première partie et j'ai retrouvé avec un bonheur inchangé l'atmosphère si particulière de ce roman. C'est une histoire qu'on nous raconte, elle est finie et loin dans le passé et dès le début la mélancolie de ce qui ne reviendra plus et des souvenirs évoqués est sensible. Prue nous raconte sa vie, une fois devenue vieille et "attendant le retour de quelqu'un auprès du feu" et cette tonalité va teinter tout le récit : les coutumes et les superstitions d'antan, et surtout la nature omnisciente, avec ses bruits, ses odeurs. C'est là que le talent de Mary Webb éclate, dans la façon dont elle nous immerge dans ce coin du Shropshire, le mystère des étangs et des bois (la légende du village enseveli sous les eaux par exemple, dont elle dit bien que les cloches ne sont que l'écho des vraies, mais dont cependant elle se plaît à maintenir l'atmosphère un peu fantastique de la croyance).
Le personnage du sorcier Beghildy, qui sera le catalyseur de l'histoire est important aussi par le côté fantastique qu'il apporte dans l'histoire, car, même si sa femme et Prue ne se font pas d'illusions sur ses pouvoirs; il y a des gens qui y croient, et d'ailleurs Prue mentionne "la sellette à sorcière", qui prouve que la sorcellerie fait bien partie de la mentalité populaire. Ce mélange de légendes, de pratiques soit disant magiques et la richesse poétique du style de l'auteure crée l'atmosphère unique de ce roman.

Tout à fait d'accord avec vos commentaires sur le style de Mary Webb, et sa capacité à nous entraîner immédiatement dans un univers qui lui est propre, enchanté et dangereux.

Dès à présent, tous les ingrédients de l'histoire sont présents :
= Gideon et ses ambitions de grandeur, de richesse, et d'ascension sociale, sa volonté de faire trimer sa soeur comme un galérien en lui faisant miroiter une belle maison en ville et des tasses en porcelaine fine.
= Beguildy et ses ambitions de richesse par sa fille, en mettant Jancis à la fenêtre pour qu'elle attire l'oeil d'un riche gentleman (cette scène, contrairement à vous qui l'avez trouvée romantique peut-être grâce à l'illustration postée par Rosalind, m'a fait l'effet des prostituées hollandaises derrière leur fenêtre).

Cette volonté qu'ont Beguildy et surtout Gideon de faire de l'argent en utilisant les jeunes filles de leur entourage est répugnante, même si on comprend que la description poétique de la campagne cache une vie rude et pauvre, une terre qui donne bien peu à ceux qui la travaillent.

Petit Faucon a écrit:

= Beguildy et ses ambitions de richesse par sa fille, en mettant Jancis à la fenêtre pour qu'elle attire l'oeil d'un riche gentleman (cette scène, contrairement à vous qui l'avez trouvée romantique peut-être grâce à l'illustration postée par Rosalind, m'a fait l'effet des prostituées hollandaises derrière leur fenêtre).

Cette volonté qu'ont Beguildy et surtout Gideon de faire de l'argent en utilisant les jeunes filles de leur entourage est répugnante, même si on comprend que la description poétique de la campagne cache une vie rude et pauvre, une terre qui donne bien peu à ceux qui la travaillent.

Parfaitement d'accord, il n'y a rien de romantique dans le fait de mettre sa fille en vitrine pour la vendre et l'un des grands talents de Mary Webb est de faire une osmose parfaite entre la beauté sereine et comme indifférente de la nature et l'âpreté de la vie de ces paysans pauvres, sans édulcorer en rien les défauts de l'humain : avarice, orgueil, envie (plus que de l'ambition ce sont les moteurs de Gédéon : la richesse pour dominer et par jalousie des "grands").
c'est en quoi je trouve ce roman très différent de ceux de George sand (autant qu'il m'en souvienne, leur lecture remonte fort loin ) : La bonne dame de Nohan a un tendance Rousseauiste à décrire les paysans sous un jour plutôt romantique, ce qui n'est pas le cas ici, et la suite de l'histoire va le démontrer de reste !!

  Petit Faucon, j'ai pensé la même chose.

Clinchamps, je t'approuve quand tu parles de la tendance "rousseauiste" de George Sand, mais je trouve cependant que la description de la campagne du Pays Noir et des environs de Sarn ont des similitudes dans l'opacité dues aux brumes qui s'élèvent des étangs, des nuits inquiétantes sans lune qui entraînent l'imagination vers des épouvantes incontrôlées, de la peine dans les champs et des catastrophes naturelles, et de la sorcellerie, qui par moment m'ont rappelé la petite Fadette, et la petite Marie de la Mare au Diable et l'atmosphère des veillées parfois comme celles des Maîtres Sonneurs, mais cela s'arrête vite.

Ces deux dames ont la plume poétique lorsqu'il s'agit de la nature. Quant à  Gideon, dur avec sa soeur, sa mère, Jancis, il impose ses volontés non seulement par ambition sociale, ce qui serait honorable s'il n'asservissait pas son entourage. Son arrivisme est  effrayant, Marie Webb me rappelle  parfois certains côtés des paysans de la campagne normande dans les histoires sombres de Maupassant.

@ pourquoi, le sorcier, me fait de plus en plus rire à chaque lecture  ? mon premier contact avec lui ne le fut pas pourtant ! or, maintenant, je me régale d'avance à l'idée de relire toutes ses supercheries    est-ce normal docteur

Ce que tu dis des paysans romantisés ou idéalisés de George Sand est tout à fait vrai, Clinchamps et Fée !!
et pourtant Mary Webb ne se situe pas non plus dans une veine réaliste, elle est trop animiste  ; mais elle parait plus proche de la vie de Prue, de sa mère, de Gideon, que ne l'est Sand. Je pense qu'elle parle d'une vie dure qu'elle connait ou qu'elle a connu.

Marie Webb a une santé fragile ce qui lui permet d'avoir une certaine empathie pour Prue et tout ce qui est souffrance des autres et peint une société dans laquelle elle vit, sa famille est à l'aise, mais ne fait pas partie des hautes sphères, mais des gens lettrés.

George Sand, la bonne dame de Nohant descendante d'une longue et noble lignée, socialiste de conviction, survole malgré tout la société rurale. Elle imagine et embellie des histoires, et porte à bout de bras ceux qui souffrent, se transforme en mère pour ses amants.  Elle a un moral d'acier et une santé de fer.

C'est sans doute ce qui fait la différence d'écriture, car souffrir soit-même et voir souffrir et aider ce qui est méritable,  sont des approches totalement différentes .

Petit Faucon a écrit:

Je pense qu'elle parle d'une vie dure qu'elle connait ou qu'elle a connu.

Elle l'a connue effectivement, son mari ayant arrêté d'enseigner pour retourner à la campagne comme agriculteurs (toute petite exploitation) donc elle sait ce que bêcher veut dire !!

crois-tu qu'elle aidait son mari ? J'avais plutôt l'impression qu'ils étaient retournés à la campagne parce qu'elle était de santé fragile, et que là elle pouvait écrire, mais bon, je ne suis pas une spécialiste de Marie Webb, je la connais moins bien que George mais même arracher de l'herbe entre les fleurs, c'est pénible. George Sand aussi jardinait, mais elle était vigoureuse c'est quelque chose qu'elle aimait faire.

Si vous le souhaitez, il existe une Mary Webb Society, dont le site web propose une biographie de l'auteure, mais en anglais, donc.
Il semble qu'elle ait été atteinte d'une maladie de la thyroïde vers 20 ans, et que cela l'a affaiblie et conduite à mourr à 46 ans ...

Voici sa biographie :

Il y a également sur le site un topo sur les lieux où elle a vécu, c'est ICI et ça s'appelle "Shropshire, lieux d'inspiration"

Voilà un lien qui explique tout bien mieux que Wiki :

http://marywebb.org/biography/

En fait ils étaient repartis à la campagne pour vivre de leur plume, mais pendant la guerre (14/18/ ils décident de vendre leurs surplus de produits du jardin : fruits, légumes, miel... fleurs.

Citation :

In order to help the war effort, Mary chose to sell their surplus garden produce at Shrewsbury market. For two years, Mary and Henry sold their extra fruit, vegetables, flowers, and honey from their garden. The work was physically strenuous. On Saturdays, Mary would walk the nine miles each way to Shrewsbury where she would listen, watch, and absorb the odd words and impressions in market dealings. As the cost of living increased with the war years, Henry and Mary became impoverished—especially because Mary was not temperamentally equipped to economize. She suffered great anxiety for her three brothers—Kenneth, Douglas, and Mervyn—who were then serving on the Western Front.

Sa santé déjà fragile en a pâti... elle est morte à 46 ans d'anémie pernicieuse..; et du chagrin d'avoir perdu l'amour de son mari !

Edit : en fait elle a eu une typhoïde à 20 ans et ne s'en est jamais tout à fait remise.

Clinchamps !!! on a eu la même idée !

En creusant, je vois qu'elle était atteinte de la maladie de Basedow ou de Graves, un hyperthyroïdie auto-immune, qui donne un goitre, de la tachycardie, un amaigrissement, et les yeux qui sortent de leurs orbites ...
Et, détail inattendu, le Dr Louis-Ferdinand Céline (!!!) a mis au point un traitement contre les yeux qui sortent en 1933, commercialisé jusqu'en 1971 !!

Spoiler:

merci beaucoup

Ah ! la maladie de Basedow est la conséquence très souvent d'un goître, et c'est vrai qu'elle en avait un ! Cette pauvre femme n'a pas eu vraiment de chance avec sa santé. ce qui est marrant (enfin façon de parler) c'est que la seconde femme de son mari (une de ses élèves pour laquelle il l'avait délaissée) est morte d'anémie pernicieuse(ce qui couvre un peu tout et n'importe quoi !)... à 46 ans !!

Merci pour toutes ces infos, les filles, c'est drôlement intéressant. Par contre, je ne comprends pas, MW est morte d'anémie pernicieuse et la seconde femme de son mari aussi

Tu as raison Petit Faucon, c'est vrai qu'entre Beguildy et Sarn, ils traitent les femmes de façon plutôt rude. Ce qui n'a guère changé depuis dans le monde du travail

Malgré tout, j'aime cette scène où Jancis est devant sa fenêtre, nimbée d'une belle lumière rose

Cassandre a écrit:

Par contre, je ne comprends pas, MW est morte d'anémie pernicieuse et la seconde femme de son mari aussi

y a-t-il un médecin dans la salle pour nous expliquer pourquoi. ?

Marie Webb était malade alors celà n'étonne personne, mais la vie très frugale qu'ils devaient mener, le manque de médicaments, de nourriture équilibré, dont le manque de vitamine et de sel iodé ont dû aider parce que de nos jours, dès qu'une prise de sang décèle un manque, le médecin pallie à la situation en donnant des compléments alimentaires, surtout les vieilles personnes en maison de retraite.

mais le fait que la seconde femme soit morte de ce qu'on a dit être la même chose à l'époque et au même âge n'est que pure coïncidence... un clin d'œil du Hasard... J'ai juste trouvé ça curieux !

Oui, Clinchamps, c'est vraiment singulier On peut parler de justice immanente

Contente que cette lecture vous plaise Willow et Breizh Lire pour la première fois Sarn, quel bonheur Et comme toi, Breizh, j'ai hâte de voir la "veillée d'amour", je l'ai lu il y a si longtemps que j'ai oublié ce que c'était.

Je n'ai pas encore tout à fait terminé cette première partie mais je vous rejoins pour vous remercier pour vos commentaires et recherches qui constituent les notes de bas de page indispensables à cette lecture (et qui font défaut à mon édition Grasset ).

J'ai manifestement moins de plaisir que vous à cette lecture, que je trouve agréable mais qui ne constitue pas un "enchantement" pour reprendre le terme de l'une d'entre vous. Mais je ne regrette pas de vous accompagner dans cette lecture car les échanges de ce premier topic sont déjà très riches et vont au delà de l'histoire (merci pour les précisions sur le cabriolet et sur les abeilles ).

L'atmosphère qui se dégage de cette histoire me rappelle la série "Lark Rise to Candleford" mais c'est une campagne beaucoup moins idéalisée que dans la série

breizh a écrit:

dès le 1er chapitre l'auteur nous parle d'une tradition la "veillée des amoureux" j'ai hâte de savoir comment ça se déroule!

Moi aussi, et j'ai d'ailleurs été déçue que l'auteur nous titille avec cette annonce pour ensuite s'en éloigner

Je viens de terminer la biographie de Mary Webb postée par Clinchamps, qui est beaucoup plus complète que celle présente sur le site de la Mary Webb Society, et effectivement très intéressante ; le personnage de Prue Sarn apparait du coup comme un double heureux et résilient de l'auteure.

Et je viens de relire le topic Mary Webb, car il y a là-bas pas mal d'infos qui recoupent celles postées ici

En fait c'est une "veillée d'amour" ce n'est pas tout à fait la même chose...

Moi j'aime bien cette ouverture avec la mention immédiate de Kester, dont on ne peut que supposer l'importance future !

clinchamps a écrit:

Moi j'aime bien cette ouverture avec la mention immédiate de Kester, dont on ne peut que supposer l'importance future !

Moi aussi cela m'a plu et c'est même ce qui m'a accrochée (parce que j'avoue que le côté surnaturel et superstitions me branche nettement moins). Mais ce teasing me frustre un peu également

Dommage . Quand il y a des étangs, de la brume et des landes, il y a souvent une bonne dose de surnaturel et de superstitions. Il me semble que c'est un bon portrait du petit monde de l'époque, isolé dans son hameau perdu.
L'accroche Kester, et plus globalement, l'accroche "retour dans le passé depuis le futur" a aussi titillé ma curiosité.

Serendipity, tu n'es pas la seule à être moins attirée par l'aspect surnaturel et superstition du roman disons que pour le moment - je n'ai pas tout à fait non plus terminé cette première partie - leur évocation fait partie de l'ambiance d'ensemble. Si cet aspect devait être plus mis en avant par la suite, je ne suis pas sûre d'y adhérer non plus   . Mais ne vendons pas la peau de l'ours...

Je n'avais pas pensé à la comparaison avec Lark Rise to Candleford, c'est une bonne idée.

L'attribution de la malformation de Prue à un lièvre qui aurait malencontreusement croisé le chemin de sa mère m'a fait sourire. Ce devrait être une superstition assez répandue, en Angleterre et ailleurs, pour expliquer cette anomalie physique.

Voilà plusieurs fois que les "râles d'eau" sont mentionnés dans le récit, et je m'interroge sur ce terme, qui doit correspondre à des rats d'eau . Est-ce une sorte de patois ?

@ Tatiana : notre Fauvette aurait sûrement pu mieux te répondre, mais il s'agit d'un oiseau dont on peut trouver la description ICI

Le râle d'eau est un oiseau aquatique, comme la poule d'eau, qui niche dans les berges d'étangs ou de lacs.
Quant à l'atmosphère "fantastique" en fait les personnages principaux (et même le "sorcier") n'y sont pas du tout sensibles, il n'y a aucun phénomène surnaturel, sauf dans l'esprit des gens crédules, mais l'ambiance de superstition a son importance pour la suite de l'histoire.
Il ne faut pas oublier que cela se passe à l'époque des guerres napoléoniennes... je vous prie de croire que dans le Berry, par exemple, tout cela a duré fort longtemps dans les esprits. Le bec de lièvre est une malformation génétique, mais bien sûr à cette époque les gens cherchaient une explication rationnelle et compréhensible à ce phénomène, d'où le lièvre qui a croisé le chemin de la mère de Prue... Vous n'avez jamais entendu parler des "envies" de femmes enceintes ? Dans mon enfance une tache de naissance était attribuée à une envie de fraise (si elle était rouge) ou de tout autre chose... ce n'est pas la peine de remonter très loin pour retrouver ce genre de superstition !