Carson McCullers: Le coeur est un chasseur solitaire

Une petite ville du sud des Etats-Unis où l'on suit cinq de ses habitants qui se distinguent de tout et chacun. Mick une adolescente qui vit dans son monde intérieur avec Mozart et Beethoven. Jake Blount, un révolutionnaire socialiste venu d'on ne sait où qui n'a cesse de vouloir "faire connaître la vérité". Copeland, un médecin noir, qui toute sa vie a poursuivi un idéal: que sa race se libère de l'ignorance. Biff Brannon, le propriétaire d'un restaurant miteux "Le Café de New York", un homme qui a le coeur sur la main. Ces quatre personnages gravitent autour de Singer le sourd-muet qui attire les gens tel un aimant. On suit tous ces gens et bien d'autres dans leur quotidien, un quotidien misérable pour certains où les rêves semblent ne mener à rien...


Dans ce roman, le premier de Carson McCullers, qu'elle a écrit à l'age de 23 ans , on retrouve les thèmes habituels du reste de son oeuvre; solitude, amour non réciproque, ambiguité sexuelle,...
C'est écrit de manière simple, dans un style clair, ce qui rend le livre facile et agréable à lire. Tout autant que l'histoire, qui devient assez prenante, c'est l'atmosphère indescriptible, mélange de mélancolie et de tristesse, ainsi que la densité des personnages qui font la force de ce roman.
Le personnage le plus attachant parmi la palette que nous offre ici McCullers m’a semblé être Singer, un sourd et muet qui n’a pas besoin de la parole pour exprimer son humanité. Singer loge dans une pension de famille d’une petite ville du sud des Etats-Unis. Il reçoit la visite, chaque soir, de l’un des protagonistes. Lorsque c’est indispensable, il griffonne deux mots sur un calepin mais en règle générale, il ne fait qu’écouter les confidences. C’est peut-être pour cette raison que chacun lui livre avec une facilité déconcertante ses désirs les plus fous, ses pensées les plus secrètes et se croit compris. Par exemple Mick, l’adolescente, fille de la maison (et réplique de Carson McCullers), qui recherche la solitude et qui s’épanouit dans ce qu’elle appelle sa chambre intérieure. Elle s’y réfugie dès que quelque chose ne va pas, elle y vit ses rêves. Il y a aussi ce tenancier de bar qui est particulièrement touchant. Tyrannisé par sa femme, Biff résiste tant qu’il peut pour continuer à agir avec bonté. Et puis il y a tous les autres, tous décrits avec autant de finesse par l’auteur.
Un très beau roman où la psychologie des personnages prime sur tout mais qui nous fait aussi découvrir la vie dans le Sud vers la fin des années 30. Une vie où la pauvreté et l'ignorance règne, où les pauvres sont très pauvres, où les noirs sont encore plus misérables que le plus pauvre des blancs. Un roman qui a été écrit en 1940 mais finalement soixante ans plus tard, rien n'a changé!

Citation :

L'amour est, avant tout, une expérience commune à deux êtres. Mais le fait qu'elle leur soit commune ne signifie pas que cette expérience ait la même nature, pour chacun des deux êtres concernés. Il y a celui qui aime et celui qui est aimé, et ce sont deux univers différents. Celui qui est aimé ne sert souvent qu'à réveiller une immense force d'amour qui dormait jusque là au fond du coeur de celui qui aime. Celui qui aime sait que son amour restera solitaire, qu'il l'entrainera peu à peu vers une solitude nouvelle, plus étrange encore, et de le savoir le déchire.

Finalement, ce livre est un gigantesque carrefour où les solitudes se croisent telles des routes cabossées, des chemins de traverse, des voies sans issue. L’écriture de McCullers sert la simplicité de l’histoire de chacun, car finalement, même s’ils connaissent des événements hors du commun, ils restent des gens comme tout le monde. Des gens comme vous, comme moi, des gens qui essaient de mener leur petit bout de chemin en ménageant leurs rêves…

The Heart is a Lonely Hunter est le premier livre que j'ai lu en anglais, le premier livre que j'ai lu de Carson McCullers. C'est grâce au film Love Song, que j'aime beaucoup, que j'ai découvert ce livre. J'ai beaucoup aimé "l'ambiance" du bouquin, Sud des Etats-Unis (peut-être bien la Géorgie ou l'auteur est née) de la fin des années 1930, avec des personnages étranges et torturés.

Le personnage du muet m'a beaucoup émue, les autres personnages se croient compris par lui mais personne ne cherche à le comprendre lui. J'ai trouvé poignant l'affrontement des deux "révolutionnaires" Jake Blount et Dr Copeland, j'éprouvais de la sympathie pour Biff Brannon et pour Mick. Le frère de Mick, Bubble (George) m'a émue aussi.

L'auteur est très douée pour inventer ces personnages étranges et torturés qui nous font passer des émotions intenses. La mélancolie qui se dégage de ses écrits est forte, on ne peut rester insensible à l'histoire des personnages et aux personnages eux-mêmes, on est touchés, on "ressent" l'histoire.

Je crois que ta citation vient de The Ballad of the Sad Café, une autre belle nouvelle de Carson McCullers .

Tu as raison Lise, je me suis emmélé dans mes extraits. Le bon est celui ci que je trouve tellement beau

Citation :

Le silence de la salle était profond comme la nuit. Biff restait immobile, perdu dans ses pensées. Quelque chose s'éveilla si brusquement en lui que son coeur s'arrêté de battre et qu'il dut s'appuyer au comptoir pour ne pas tomber. Un éclair d'illumination lui permit d'entrevoir l'image de la lutte où l'homme est engagé et le courage qu'elle exige. L'image de ce courant sans fin qui entraine l'humanité à travers le temps sans fin. L'image de ceux qui travaillent et de ceux… quel autre mot?… de ceux qui aiment. Son âme s'ouvrit alors, mais pour un court instant, car il sentait comme un pressentiment, une onde de terreur. Il était suspendu entre deux univers. Il se vit, dans la glace du comptoir, regardant son propre visage. Ses tempes couvertes de sueur, son visage déformé, l'un de ses yeux plus grand que l'autre. Le gauche, paupière mi-close, était tourné vers le passé, alors que le droit, grand ouvert, découvrait avec épouvante un avenir de noirceur, d'égarements et de ruines. Il était suspendu entre lumière et ténèbres. Entre foi profonde et sarcasme. Il se détourna rapidement.

C'est vrai que The Ballad of the Sad Café est un roman tout aussi magnifique.

J'ai moi aussi découvert "Le cœur est un chasseur solitaire" grâce au film "Love song" (très très bon film d'ailleurs!!!). Je ne vais pas me lancer dans un argumentaire parce que je ne ferais que répéter ce qui a été dis par Lorelai59...mais je me suis dis que je pouvais faire remonter un peu le topic

Je profite d'avoir vu dans un autre topic une recommandation de Nephtis concernant "Reflets dans un oeil d'or". pour faire un petit up pour Carson McCullers.
Personnellement mon préféré est "The ballad of the sad café"

Mini-up, j'ai lu et vu Reflets dans un œil d'or et je pense qu'après cela je retenterais bien l'aventure avec l'auteur ! Les personnages sont profonds, entourés de mystère; ils vivent ensemble, ne se comprennent pas... Il y a une espèce d'atmosphère d'étouffement dans ce roman qui m'a vraiment plu, alors que ce n'est pas du tout le genre de livre que j'apprécie habituellement... Quoiqu'il en soi, vos avis m'ont donné l'envie de lire The Heart is a Lonely Hunter, et de voir le film Love Song en même temps puisqu'il a l'air plutôt réussi aussi !

je viens de l'acheter je ne pouvais plus resister apres avoir lu de si bons avis!

Je l'ai lu il y a une dizaine d'année (en anglais) et j'ai vraiment beaucoup aimé. Tu peux te lancer TheLadyInRed.

Carson McCullers est un auteur que j'avais très envie de lire, très envie d'aimer, mais je dois bien avouer que ma première tentative n'a pas été très concluante. En fait j'ai acheté Le coeur est un chasseur solitaire il y a quelques années, et puis j'ai failli le commencer, il a attendu... et finalement j'ai dû lire The ballad of the sad café en cours d'anglais en prépa. Et je n'ai pas trop accroché, il faut dire aussi que pour moi qui ne lis quasi jamais en anglais la langue n'était pas facile ici, cette difficulté me mettait à distance du récit. J'ai lu les autres nouvelles du recueil dans la foulée, et il y en a une ou deux que j'avais bien aimé, mais vraiment cette lecture ne m'a pas marquée... Nous avions regardé le film aussi en classe et je l'ai trouvé plutôt ennuyeux.

Bref, je restais cependant motivée pour Le coeur est un chasseur solitaire, d'autant que la lecture en français devrait être plus agréable pour moi, mais entre temps j'ai regardé Reflets dans un oeil d'or, avec deux acteurs que j'adore (Marlon Brando et Elizabeth Taylor) et je me suis ennuyée à mourir. Donc j'ai commencé à me dire que j'avais peut-être un problème avec cet auteur. Résultat j'ai encore repoussé la lecture du Coeur...

J'en suis à la moitié ..et je n'accroche pas, je m'ennuie, c'est plat..

J'ai relu Illuminations et nuits blanches, un ouvrage hybride puisque scindé en 3 parties clairement distinctes :
- l'autobiographie largement inachevée (plus une sorte de brouillon, c'est en tout cas très fragmentaire, décousu) composée par McCullers peu avant sa mort. Intéressante et émouvante pour qui s'intéresse à elle, on a réellement l'impression d'entendre sa voix, d'être proche d'elle, avec sa profonde empathie en même temps que sa tendance à l'exagération. J'ai beaucoup aimé lorsqu'elle parle des livres et des auteurs qu'elle apprécie, admiré son courage et son obstination à écrire en dépit de la maladie dont elle souffrait.
- un échange de lettres avec son mari Reeves pendant qu'il était soldat en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale et un peu après. Surtout destiné aux "inconditionnels" de l'écrivain. Mais c'est également intéressant d'entendre celui qui a joué un rôle si important dans sa vie (pour le meilleur et pour le pire), y compris les descriptions qu'il donne des combats qui font rage en 1944-45. Cela permet aussi de mieux comprendre l'état d'esprit des Américaines dont les maris (ou fils, etc) étaient partis à la guerre, cette dichotomie entre le fait d'être dans un pays en sécurité mais d'éprouver cette peur incommensurable pour ses proches.
- et enfin 3 courtes nouvelles qui ont pour particularité de se centrer majoritairement sur des personnages noirs (en particulier des femmes). Elles datent des années 1960, au moment de la lutte pour les droits civiques, et l'on sait comme l'auteur a toujours lutté contre le racisme et oeuvré pour la compréhension et l'amour entre être humains. Ces nouvelles sont très simples et pas "extraordinaires" pour parler franchement, elles sont néanmoins bien écrites, on y retrouve la sagesse de coeur dont a toujours su faire preuve McCullers.

Merci pour cette présentation avis Dulcie, je suis en train de relire Le coeur et un chasseur solitaire, en anglais. Je l'avais lu il y a des années en espagnol, dans un traduction pas terrible, et je ne m'en souvenais plus du tout.
C'est une lecture plutôt lente, au rythme du roman, qui suit la vie quotidienne de quatre ou cinq personnages, solitaires ou incompris ou déphasés, dans une ville industrielle du sud des Etats-Unis (la Géorgie, semble-t-il). Le point de croisement de toutes ces personnes est John Singer, qui est sourd-muet et travaille dans une joaillerie. Il est auréolé d'une part de mystère, qui attire, presque irrésistiblement les autres.
J'y vais à petites doses, mais mon intérêt est éveillé. Et ça me fait du bien de dérouiller mon anglais (vive les dictionnaires sur téléphone, tellement pratique).

Je n'ai jamais lu McCullers en anglais mais j'aimerais bien essayer.

J'avais adoré Le coeur est un chasseur solitaire, de même que presque l'intégralité de son oeuvre (je n'ai juste pas lu son théâtre et son recueil de poésie pour enfants) - que j'avais découverte et même déjà relue y a une petite dizaine d'années maintenant, au point de la placer dans les toutes premières places parmi mes écrivains favoris. Ca fait déjà quelques temps que j'ai envie de la relire, voir si ses récits, son écriture me plaisent et m'émeuvent toujours autant.

Merci pour ton retour, Dulcie   .

J'ai terminé ma lecture de The heart is a lonely hunter. Pour ce qui est de l'anglais, il faut le temps de s'habituer au parler du Sud, notamment la syntaxe approximative et les mots déformés de l'argot populaire. J'ai eu besoin du dictionnaire même si ma lecture a été assez fluide.
J'ai apprécié ce roman jusqu'au bout, en suivant les destins croisés des différents personnages qui gravitent autour de John Singer. Au delà des histoires individuelles, qui peuvent être pathétiques, agaçantes, émouvantes et souvent les trois à la fois, on découvre la société du sud des Etats-Unis, au temps de la grande dépression: la misère, le fragile équilibre des travailleurs à la merci d'un accident.

Spoiler:

Et la ségrégation qui rend la vie des gens de couleurs encore plus misérable. On ne peut s'empêcher de ressentir la révolte et la colère de Jake Blount et du Dr Copeland avec intensité. Pourtant ce ne sont pas les personnages les plus sympathiques. Ceci dit, Mick Kelly ne m'a paru beaucoup plus aimable même si elle est attachante par certains côtés. On espère qu'elle arrivera à s'extraire du piège de sa condition.
Le personnage de John Singer est assez fascinant. Tous projettent leurs émotions sur lui, personne ne cherche à savoir qui il est vraiment. A la fin,

Spoiler:

Le tout sous un soleil écrasant et un air lourd que les ventilateurs brassent à peine, qui contribue à créer une ambiance un peu oppressante (pour moi au moins).

Je garde un bon souvenir du film adapté de Reflet dans un oeil d'or. J'aimerai bien lire le roman à l'occasion.

Merci pour ton avis sur ce livre, ainsi que "l'avertissement" par rapport à l'anglais

Reflet dans un oeil d'or est un film assez bizarre mais que j'aime beaucoup. D'ailleurs je le préfére au livre.
Par contre je n'ai vu aucune autre adaptation de McCullers même si je sais qu'il en existe.