Une auberge pour les admirateurs de Jane Austen, et bien plus encore... |
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| Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... | |
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Auteur | Message |
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Fée clochette Soul dancing on the breeze
Nombre de messages : 26786 Age : 79 Localisation : sur le chapeau de Mrs Bennet, ayez pitié de mes pauvres nerfs ! Date d'inscription : 03/03/2008
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mer 13 Aoû 2008 - 19:44 | |
| Musset, J'aime à la folie aussi. Louise Labbé j'ai un recueil que je n'ai pas ouvert depuis longtemps. Je vais le "l'extraire" des rayons qui quelquefois sont sur plusieurs rangs. En ce moment, je lis de nouveau Cyrano de Bergerac et en parallèle Rosemonde Gérard, que les français oublient un peu. pourtant c'est si beau L'éternelle chansonLorsque tu seras vieux et que je serai vieille, Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs, Au mois de mai, dans le jardin qui s'ensoleille, Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants. Comme le renouveau mettra nos coeurs en fête, Nous nous croirons encore de jeunes amoureux, Et je te sourirai tout en branlant la tête, Et nous ferons un couple adorable de vieux. Nous nous regarderons, assis sous notre treille, Avec de petits yeux attendris et brillants, Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille, Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs. Sur notre banc ami, tout verdâtre de mousse, Sur le banc d'autrefois nous reviendrons causer, Nous aurons une joie attendrie et très douce, La phrase finissant toujours par un baiser. Combien de fois jadis j'ai pu dire " Je t'aime " ? Alors avec grand soin nous le recompterons. Nous nous ressouviendrons de mille choses, même De petits riens exquis dont nous radoterons. Un rayon descendra, d'une caresse douce, Parmi nos cheveux blancs, tout rose, se poser, Quand sur notre vieux banc tout verdâtre de mousse, Sur le banc d'autrefois nous reviendrons causer. Et comme chaque jour je t'aime davantage, Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain, Qu'importeront alors les rides du visage ? Mon amour se fera plus grave - et serein. Songe que tous les jours des souvenirs s'entassent, Mes souvenirs à moi seront aussi les tiens. Ces communs souvenirs toujours plus nous enlacent Et sans cesse entre nous tissent d'autres liens. C'est vrai, nous serons vieux, très vieux, faiblis par l'âge, Mais plus fort chaque jour je serrerai ta main Car vois-tu chaque jour je t'aime davantage, Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain. Et de ce cher amour qui passe comme un rêve, Je veux tout conserver dans le fond de mon coeur, Retenir s'il se peut l'impression trop brève Pour la ressavourer plus tard avec lenteur. J'enfouis tout ce qui vient de lui comme un avare, Thésaurisant avec ardeur pour mes vieux jours ; Je serai riche alors d'une richesse rare J'aurai gardé tout l'or de mes jeunes amours ! Ainsi de ce passé de bonheur qui s'achève, Ma mémoire parfois me rendra la douceur ; Et de ce cher amour qui passe comme un rêve J'aurai tout conservé dans le fond de mon coeur. Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille, Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs, Au mois de mai, dans le jardin qui s'ensoleille, Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants. Comme le renouveau mettra nos coeurs en fête, Nous nous croirons encore aux jours heureux d'antan, Et je te sourirai tout en branlant la tête Et tu me parleras d'amour en chevrotant. Nous nous regarderons, assis sous notre treille, Avec de petits yeux attendris et brillants, Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs. mes deux vers préférés : - Citation :
- Et de ce cher amour qui passe comme un rêve
J'aurai tout conservé dans le fond de mon coeur. |
| | | cecilou41 Lover's Lane Wanderer
Nombre de messages : 2191 Age : 40 Localisation : Lost in translation Date d'inscription : 03/07/2008
| | | | Muezza Almost Unearthly Thing
Nombre de messages : 3223 Age : 50 Localisation : Levallois Date d'inscription : 29/01/2006
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mer 13 Aoû 2008 - 20:08 | |
| - cecilou41 a écrit:
- aujourd'hui, j'ai envie de poster du Louise Labbé :
Je vis, je meurs: je me brûle et me noie Contente de voir que tu aimes ce sonnet comme moi. Je l'avais posté dans les 1eres pages du topic... mais cela fait toujours du bien de le relire |
| | | cecilou41 Lover's Lane Wanderer
Nombre de messages : 2191 Age : 40 Localisation : Lost in translation Date d'inscription : 03/07/2008
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mer 13 Aoû 2008 - 20:09 | |
| Ah pardon ! J'ai pourtant survolé les pages précédentes pour vérifier qu'il n'y était pas déjà ! J'ai pas dû ouvrir le bon oeil ! |
| | | Fée clochette Soul dancing on the breeze
Nombre de messages : 26786 Age : 79 Localisation : sur le chapeau de Mrs Bennet, ayez pitié de mes pauvres nerfs ! Date d'inscription : 03/03/2008
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Jeu 14 Aoû 2008 - 8:58 | |
| J'ai trouvé la traduction du poème sur le Haggis, la voici. AU COURS DU REPAS D'ANNIVERSAIRE DE ROBERT BURNS
Il est bien d'amener le haggis dans le lieu ou se déroule le repas précédé d'une cornemuse, puis de le poser face aux convives, et enfin de déclamer avec emphase le "Discours à un Haggis" poème écrit par Robert Burns à la gloire de ce met (dont voici une traduction très réussie par G. Hocmard, puisque mettant en place des rimes) : Salut à ton honnête, à ton aimable face, Toi qui parmi les puddings es le chef de ta race! C'est à toi que revient la première des places Dessus tripoux, panse et abats, Tu mérite que tous vraiment te rendent grâces Longues comme mon bras Tu remplis le tranchoir qui sous ton poids se plaint. Tes fesses font penser à la colline à la colline au loin Ta pointe pourrait bien réparer le moulin Si le besoin en advenait, Tes pores cependant distillent comme un suint, De l'ambre en chapelet Regarde le rustaud essuyer son couteau, Se mettre à découper avec aise et brio, Creusant comme un fossé, en excisant la peau Tendue et chaude de tes miches. Dans quelle gloire alors tu suscites les oh! Que ton fumet est riche! Tous alors, coude à coude, approchent et s'entrepoussent, Ils s'empiffrent comme s'ils avaient le diable aux trousses, Jusqu'à ce que leurs ventres tendus et maousses, Résonnent comme tambours en somme, Et qu'un vieil échevin, d'éclater plein de frousse, Entonne un TeDeum. Y a-t-il être ici-bas aux moeurs dégénérées Qui irait préférer ragoût ou fricassée, Un olio propre aux porcs à donner la nausée, Et qu'ils repousseraient, maussades, Alors qu'ils peuvent ainsi faire franche lippée De telle régalade? Pauvre diable! Voyez-le devant son assiette Comme un roseau fluet, tout l'air d'une mauviette, Le poing guère plus gros qu'une pauvre noisette, Tout flageollant sur ses guiboles. Comment à l'ennemi peut-il faire sa fête, Quand vient l'occasion folle? Mais, nourri au haggis, voyez un peu le gars! Il fait en s'avançant tout trembler sous son pas, Dedans son poing robuste une épée plantez-moi, Il la fera sitôt siffler, Et toc, comme chardons, têtes, jambes et bras Il va vite élaguer. Vous, puissants, qui voulez le bonheur pour la masse Et veillez que soit bien bon le menu qu'on lui fasse, L'Ecosse, sachez-le, ne veut pas de lavasse Qui dans le bol clapote et bruisse. Mais si vous entendez rester en bonne grâce, Donnez-lui du Haggis! et je met la recette sur cuisine, |
| | | diane Riche célibataire
Nombre de messages : 130 Age : 33 Date d'inscription : 10/07/2009
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mar 18 Aoû 2009 - 11:39 | |
| "Vous, qui dans les langueurs d'un esprit monastique, ignorez de l'amour l'empire tyrannique, que vos coeurs sont heureux puisqu'ils sont insensibles, que vos jours sont sereins, toutes vos nuits paisibles." (Vers d'Alexander Pope)
"De multiples désirs me traversaient l'esprit, Et le réconfortaient obscurément; Quelques pauvres plaisirs mélancoliques Dont les ailes fragiles s'argentaient Au jour froid de l'espoir, voletaient en silence Comme des papillons dans un rayon de lune." (Coleridge)
"Mais elle était du monde où les plus belles choses Ont le pire destin, Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, L'espace d'un matin" (Malherbe, strophe 4 de Consolation à Du Périer)
"Les sanglots longs des violons de l'automne Blessent mon coeur d'une langueur monotone. Tout suffocant et blême quand sonne l'heure Je me souviens des jours anciens et je pleure Et je m'en vais au vent mauvais qui m'emporte De çà , de là, pareil à la feuille morte." (Verlaine)
Dernière édition par diane le Sam 16 Juil 2011 - 0:11, édité 1 fois |
| | | nathy's Feedle-Dee-Dee!
Nombre de messages : 8478 Age : 34 Date d'inscription : 28/09/2007
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mar 18 Aoû 2009 - 11:59 | |
| J'étais passée à coté de ce topic j'adore Mes poésies préférées sont Demain dès l'aube d'Hugo, Le dormeur du Val de Rimbaud, Le pont Mirabeau d'Apollinaire, Le lac de Lamartine , la Nuit de Décembre de Musset mais mon préféré entre tous reste La Mort du Loup d'Alfred de Vigny, je le connais par coeur, je l'avais appris en CM2 et whooaa! Comme Muezza ne l'a pas mis en entier, je me permets de le faire La mort du Loup Les nuages couraient sur la lune enflammée Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée, Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon. Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon, Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes, Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes, Nous avons aperçus les grands ongles marqués Par les loups voyageurs que nous avions traqués. Nous avons écouté, retenant notre haleine Et le pas suspendu. -- Ni le bois, ni la plaine Ne poussait un soupir dans les airs; Seulement La girouette en deuil criait au firmament; Car le vent élevé bien au dessus des terres, N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires, Et les chênes d'en-bas, contre les rocs penchés, Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés. Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête, Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête A regardé le sable en s'y couchant; Bientot, Lui que jamais ici on ne vit en défaut, A déclaré tout bas que ces marques récentes Annonçait la démarche et les griffes puissantes De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux. Nous avons tous alors préparé nos couteaux, Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches, Nous allions pas à pas en écartant les branches. Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient, J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient, Et je vois au delà quatre formes légères Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères, Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux, Quand le maitre revient, les levriers joyeux. Leur forme était semblable et semblable la danse; Mais les enfants du loup se jouaient en silence, Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi, Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi. Le père était debout, et plus loin, contre un arbre, Sa louve reposait comme celle de marbre Qu'adorait les romains, et dont les flancs velus Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus. Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées, Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées. Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris, Sa retraite coupée et tous ses chemins pris, Alors il a saisi, dans sa gueule brulante, Du chien le plus hardi la gorge pantelante, Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer, Malgré nos coups de feu, qui traversaient sa chair, Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles, Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles, Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé, Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé. Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde. Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde, Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang; Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant. Il nous regarde encore, ensuite il se recouche, Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche, Et, sans daigner savoir comment il a péri, Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.
J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre, Me prenant à penser, et n'est pu me résoudre A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois, Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois, Sans ses deux louveteaux, la belle et sombre veuve Ne l'eut pas laissé seul subir la grande épreuve; Mais son devoir était de les sauver, afin De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim, A ne jamais entrer dans le pacte des villes, Que l'homme a fait avec les animaux serviles Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher, Les premiers possesseurs du bois et du rocher.
Hélas! ai-je pensé, malgre ce grand nom d'Hommes, Que j'ai honte de nous , débiles que nous sommes! Comment on doit quitter la vie et tous ses maux, C'est vous qui le savez sublimes animaux. A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse, Seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse. --Ah! je t'ai bien compris, sauvage voyageur, Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au coeur. Il disait: " Si tu peux, fais que ton âme arrive, A force de rester studieuse et pensive, Jusqu'à ce haut degré de stoique fierte Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté. Gémir, pleurer prier est également lâche. Fais énergiquement ta longue et lourde tâche Dans la voie où le sort a voulu t'appeler, Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler."
Alfred de VIGNY
et sinon en lisant ce topic, ça m'a rappelé pas mal de poèmes appris à l'école notamment Heureux qui comme Ulysse! Et un petit poeme archi connu qu'on a tous appris à l'école je pense de Robert Desnos Les hiboux
Ce sont les mères des hiboux
Qui désiraient chercher les poux
De leurs enfants, leurs petits choux,
En les tenant sur les genoux.
Leurs yeux d’or valent des bijoux,
Leur bec est dur comme cailloux,
Ils sont doux comme des joujoux,
Mais aux hiboux point de genoux !
Votre histoire se passait où ?
Chez les Zoulous ? Les Andalous ?
Ou dans la cabane bambou ?
A Moscou ? Ou à Tombouctou ?
En Anjou ou dans le Poitou ?
Au Pérou ou chez les Mandchous ?
Hou ! Hou !
Pas du tout, c’était chez les fous.
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| | | esperluette Magnolia-White Ampersand
Nombre de messages : 9312 Date d'inscription : 11/07/2009
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Lun 31 Aoû 2009 - 22:09 | |
| Un poème de Boris Vian que j'aime beaucoup:
Je voudrais pas crever
Je voudrais pas crever Avant d'avoir connu Les chiens noirs du Mexique Qui dorment sans rêver Les singes à cul nu Dévoreurs de tropiques Les araignées d'argent Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever Sans savoir si la lune Sous son faux air de thune A un côté pointu Si le soleil est froid Si les quatre saisons Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé De porter une robe Sur les grands boulevards Sans avoir regardé Dans un regard d'égout Sans avoir mis mon zobe Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir Sans connaître la lèpre Ou les sept maladies Qu'on attrape là-bas Le bon ni le mauvais Ne me feraient de peine Si si si je savais Que j'en aurai l'étrenne
Et il y a z aussi Tout ce que je connais Le fond vert de la mer Où valsent les brins d'algue Sur le sable ondulé L'herbe grillée de juin La terre qui craquelle L'odeur des conifères Et les baisers de celle Que ceci que cela La belle que voilà Mon Ourson, l'Ursula
Je voudrais pas crever Avant d'avoir usé Sa bouche avec ma bouche Son corps avec mes mains Le reste avec mes yeux J'en dis pas plus faut bien Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir Sans qu'on ait inventé Les roses éternelles La journée de deux heures La mer à la montagne La montagne à la mer La fin de la douleur Les journaux en couleur
Tous les enfants contents Et tant de trucs encore Qui dorment dans les crânes Des géniaux ingénieurs Des jardiniers joviaux Des soucieux socialistes Des urbains urbanistes Et des pensifs penseurs Tant de choses à voir A voir z et à entendre Tant de temps à attendre A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin Qui grouille et qui s'amène Avec sa gueule moche Et qui m'ouvre ses bras De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever Non monsieur non madame Avant d'avoir tâté Le goût qui me tourmente Le goût qu'est le plus fort Je voudrais pas crever Avant d'avoir goûté La saveur de la mort...
Et puis Aragon...
Les yeux d'Elsa
Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire J'ai vu tous les soleils y venir se mirer S'y jeter à mourir tous les désespérés Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent L'été taille la nue au tablier des anges Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée Sept glaives ont percé le prisme des couleurs Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche Par où se reproduit le miracle des Rois Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois Le manteau de Marie accroché dans la crèche Une bouche suffit au mois de Mai des mots Pour toutes les chansons et pour tous les hélas Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux L'enfant accaparé par les belles images Écarquille les siens moins démesurément Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où Des insectes défont leurs amours violentes Je suis pris au filet des étoiles filantes Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août J'ai retiré ce radium de la pechblende Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu Ô paradis cent fois retrouvé reperdu Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent Moi je voyais briller au-dessus de la mer Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa |
| | | Rosalind Ice and Fire Wanderer
Nombre de messages : 17039 Age : 74 Localisation : entre Rohan et Ruatha ... Date d'inscription : 17/04/2008
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Dim 8 Nov 2009 - 23:55 | |
| Vous avez déjà cité la plupart de mes poèmes préférés ( Heureux qui comme Ulysse, Recueillement, le Pont Mirabeau, et tout Cyrano ! Je voudrais vous faire partager ce poème de Marie Noël que j'aime beaucoup : ChansonQuand il est entré dans mon logis clos, J’ourlais un drap lourd près de la fenêtre, L’hiver dans les doigts, l’ombre sur le dos… Sais-je depuis quand j’étais là sans être ? Et je cousais, je cousais, je cousais… -Mon cœur, qu’est-ce que tu faisais ? Il m’a demandé des outils à nous. Mes pieds ont couru, si vifs, dans la salle, Qu’ils semblaient, -si gais, si légers, si doux,- Deux petits oiseaux caressant la dalle De-ci, de-là, j’allais, j’allais, j’allais… -mon cœur, qu’est-ce que tu voulais ? Il m’a demandé du beurre, du pain, -ma main en l’ouvrant caressait la huche- Du cidre nouveau, j’allais et ma main Caressait les bols, la table, la cruche. Deux fois, dix fois, vingt fois je les touchais… -Mon cœur, qu’est-ce que tu cherchais ? Il m’a fait sur tout trente-six pourquoi. J’ai parlé de tout, des poules, des chèvres, Du froid, du chaud, des gens, et ma voix En sortant de moi caressait mes lèvres… Et je causais, je causais, je causais… -Mon cœur, qu’est-ce que tu disais ? Quand il est parti, pour finir l’ourlet Que j’avais laissé, je me suis assise… L’aiguille chantait, l’aiguille volait, Mes doigts caressaient notre toile bise… Et je cousais, je cousais, je cousais… -mon cœur, qu’est-ce que tu faisais ?
Et L'albatros de Baudelaire Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid ! L'un agace son bec avec un brûle-gueule, L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
La rose et le réséda d'Aragon Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle Prisonnière des soldats Lequel montait à l'échelle Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle Cette clarté sur leur pas Que l'un fut de la chapelle Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles Des lèvres du coeur des bras Et tous les deux disaient qu'elle Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle Fou qui fait le délicat Fou qui songe à ses querelles Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle La sentinelle tira Par deux fois et l'un chancelle L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas
Et Ma bohème d'Arthur Rimbaud Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées; Mon paletot soudain devenait idéal; J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal; Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées! Mon unique culotte avait un large trou. Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou Et je les écoutais, assis au bord des routes, Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes De rosée à mon front, comme un vin de vigueur; Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, Comme des lyres, je tirais les élastiques De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur! |
| | | Rosalind Ice and Fire Wanderer
Nombre de messages : 17039 Age : 74 Localisation : entre Rohan et Ruatha ... Date d'inscription : 17/04/2008
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Lun 9 Nov 2009 - 23:41 | |
| Connaissez-vous ce poème de Robert Frost : Stopping by Woods on a Snowy Evening
Whose woods these are I think I know. His house is in the village though; He will not see me stopping here To watch his woods fill up with snow.
My little horse must think it queer To stop without a farmhouse near Between the woods and frozen lake The darkest evening of the year.
He gives his harness bells a shake To ask if there is some mistake. The only other sound's the sweep Of easy wind and downy flake.
The woods are lovely, dark and deep. But I have promises to keep, And miles to go before I sleep, And miles to go before I sleep.
En voici la traduction en français par Jean Prévost :
Halte par les bois une après-midi de neige
A qui sont ces bois, je dois le savoir ; Il a sa maison au village. Et si je m’arrête, il ne peut me voir Guetter ses bois qu’emplit la neige.
Mon petit cheval est tout étonné De cette halte inhabitée, Entre les forêts et l’étang gelé, Le plus sombre jour de l’année.
Il fait tinter les grelots du harnais Pour m’avertir de ma méprise. C’est le seul bruit, avec celui que fait Le flocon de neige et la brise.
Ce bois me plaît ; il est profond et sombre, Mais j’ai promis, il faut tenir. Avant d’aller dormir, ma route est longue, Bien longue, avant d’aller dormir. |
| | | L_Alex Delicate Romantic Spirit
Nombre de messages : 6034 Age : 48 Localisation : sur le quai de la gare avec Mr Thornton ! Date d'inscription : 21/10/2008
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mar 10 Nov 2009 - 13:11 | |
| La poésie c'est magique, toutes sortes de poésie, en vers en prose ... J'aime beaucoup Eluard, Neruda, J. Salomé, Verlaine etc ... J'ai parcouru les quelques pages, et j'ai découvert des choses magnifiques! Un poème qui me tient particulièrement à coeur est un poème de Jacques Prévert - Citation :
- JE SUIS COMME JE SUIS
Je suis comme je suis Je suis faite comme ça Quand j’ai envie de rire Oui je ris aux éclats J’aime celui qui m'aime Est-ce ma faute à moi Si ce n’est pas le même Que j’aime chaque fois Je suis comme je suis Je suis faite comme ça Que voulez-vous de plus Que voulez-vous de moi
Je suis faite pour plaire Et n’y puis rien changer Mes talons sont trop hauts Ma taille trop cambrée Mes seins beaucoup trop durs Et mes yeux trop cernés Et puis après Qu’est-ce que ça peut vous faire Je suis comme je suis Je plais à qui je plais Qu’est-ce que ça peut vous faire
Ce qui m’est arrivé Oui j’ai aimé quelqu’un Oui quelqu’un m’a aimé Comme les enfants qui s’aiment Simplement savent aimer Aimer aimer... Pourquoi me questionner Je suis là pour vous plaire Et n’y puis rien changer. et aussi - Citation :
- CET AMOUR
Cet amour Si violent Si fragile Si tendre Si désespéré Cet amour Beau comme le jour Et mauvais comme le temps Quand le temps est mauvais Cet amour si vrai Cet amour si beau Si heureux Si joyeux Et si dérisoire Tremblant de peur comme un enfant dans le noir Et si sûr de lui Comme un homme tranquille au millieu de la nuit Cet amour qu faisait peur aux autres Qui les faisait parler Qui les faisait blêmir Cet amour guetté Parce que nous le guettions Traqué blessé piétiné achevé nié oublié Parce que nous l’avons traqué blessé piétiné achevé nié oublié Cet amour tout entier Si vivant encore Et tout ensoleillé C’est le tien C’est le mien Celui qui a été Cette chose toujours nouvelle Et qui n’a pas changé Aussi vrai qu’une plante Aussi tremblante qu’un oiseau Aussi chaude aussi vivant que l’été Nous pouvons tous les deux Aller et revenir Nous pouvons oublier Et puis nous rendormir Nous réveiller souffrir vieillir Nous endormir encore Rêver à la mort, Nous éveiller sourire et rire Et rajeunir Notre amour reste là Têtu comme une bourrique Vivant comme le désir Cruel comme la mémoire Bête comme les regrets Tendre comme le souvenir Froid comme le marble Beau comme le jour Fragile comme un enfant Il nous regarde en souriant Et il nous parle sans rien dire Et moi je l’écoute en tremblant Et je crie Je crie pour toi Je crie pour moi Je te supplie Pour toi pour moi et pour tous ceux qui s’aiment Et qui se sont aimés Oui je lui crie Pour toi pour moi et pour tous les autres Que je ne connais pas Reste là Lá où tu es Lá où tu étais autrefois Reste là Ne bouge pas Ne t’en va pas Nous qui sommes aimés Nous t’avons oublié Toi ne nous oublie pas Nous n’avions que toi sur la terre Ne nous laisse pas devenir froids Beaucoup plus loin toujours Et n’importe où Donne-nous signe de vie Beaucoup plus tard au coin d’un bois Dans la forêt de la mémoire Surgis soudain Tends-nous la main Et sauve-nous. |
| | | Rosalind Ice and Fire Wanderer
Nombre de messages : 17039 Age : 74 Localisation : entre Rohan et Ruatha ... Date d'inscription : 17/04/2008
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mar 10 Nov 2009 - 16:59 | |
| J'aime beaucoup le second poème Un autre de mes poèmes préférés est de Blaise Cendrars. C'est La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France En voici quelques extraits En ce temps-là, j'étais en mon adolescence J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance J'étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance J'étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares Et je n'avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours Car mon adolescence était si ardente et si folle Que mon cœur tour à tour brûlait comme le temple d'Ephèse ou comme la Place Rouge de Moscou quand le soleil se couche.Et voici mon berceau Mon berceau Il était toujours près du piano quand ma mère comme madame Bovary jouait les sonates de Beethoven J'ai passé mon enfance dans les jardins suspendus de Babylone Et l'école buissonnière dans les gares, devant les trains en partance Maintenant, j'ai fait courir tous les trains derrière moi Bâle-Tombouctou J'ai aussi joué aux courses à Auteuil et à Longchamp Paris New York Maintenant j'ai fait courir tous les trains tout le long de ma vie Madrid-Stokholm Et j'ai perdu tous mes paris Il n'y a plus que la Patagonie, la Patagonie qui convienne à mon immense tristesse, la Patagonie, et un voyage dans les mers du Sud "Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre ?" Nous sommes loin, Jeanne, tu roules depuis sept jours Tu es loin de Montmartre, de la Butte qui t'a nourrie, du Sacré Cœur contre lequel tu t'es blottie Paris a disparu et son énorme flambée Il n'y a plus que les cendres continues La pluie qui tombe La tourbe qui se gonfle La Sibérie qui tourne Les lourdes nappes de neige qui remontent Et le grelot de la folie qui grelotte comme un dernier désir dans l'air bleui Le train palpite au cœur des horizons plombés Et ton chagrin ricane...
Si vous aimez, voici le texte intégral : - Spoiler:
En ce temps-là, j'étais en mon adolescence J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance J'étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance J'étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares Et je n'avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours Car mon adolescence était si ardente et si folle Que mon cœur tour à tour brûlait comme le temple d'Ephèse ou comme la Place Rouge de Moscou quand le soleil se couche. Et mes yeux éclairaient des voies anciennes. Et j'étais déjà si mauvais poète Que je ne savais pas aller jusqu'au bout.
Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare croustillé d'or, Avec les grandes amandes des cathédrales, toutes blanches Et l'or mielleux des cloches... Un vieux moine me lisait la légende de Novgorod J'avais soif Et je déchiffrais des caractères cunéiformes Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s'envolaient sur la place Et mes mains s'envolaient aussi avec des bruissements d'albatros Et ceci, c'était les dernières réminiscences Du dernier jour Du tout dernier voyage Et de la mer.
Pourtant, j'étais fort mauvais poète. Je ne savais pas aller jusqu'au bout. J'avais faim Et tous les jours et toutes les femmes dans les cafés et tous les verres J'aurais voulu les boire et les casser Et toutes les vitrines et toutes les rues Et toutes les maisons et toutes les vies Et toutes les roues des fiacres qui tournaient en tourbillon sur les mauvais pavés J'aurais voulu les plonger dans une fournaise de glaive Et j'aurais voulu broyer tous les os Et arracher toutes les langues Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui m'affolent... Je pressentais la venue du grand Christ rouge de la révolution russe... Et le soleil était une mauvaise plaie Qui s'ouvrait comme un brasier En ce temps-là j'étais en mon adolescence J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de ma naissance J'étais à Moscou où je voulais me nourrir de flammes Et je n'avais pas assez des tours et des gares que constellaient mes yeux En Sibérie tonnait le canon, c'était la guerre La faim le froid la peste et le choléra Et les eaux limoneuses de l'Amour charriaient des millions de charognes Dans toutes les gares je voyais partir tous les derniers trains Personne ne pouvait plus partir car on ne délivrait plus de billets Et les soldats qui s'en allaient auraient bien voulu rester... Un vieux moine me chantait la légende de Novgorod.
Moi, le mauvais poète, qui ne voulais aller nulle part, je pouvais aller partout Et aussi les marchands avaient encore assez d'argent pour tenter aller faire fortune. Leur train partait tous les vendredis matins. On disait qu'il y avait beaucoup de morts. L'un emportait cent caisses de réveils et de coucous de la forêt noire Un autre, des boites à chapeaux, des cylindres et un assortiment de tire-bouchons de Sheffield Un des autres, des cercueils de Malmoë remplis de boites de conserve et de sardines à l'huile Puis il y avait beaucoup de femmes Des femmes, des entrejambes à louer qui pouvaient aussi servir Des cercueils Elles étaient toutes patentées On disait qu'il y a avait beaucoup de morts là-bas Elles voyageaient à prix réduits Et avaient toutes un compte courant à la banque.
Or, un vendredi matin, ce fut enfin mon tour On était en décembre Et je partis moi aussi pour accompagner le voyageur en bijouterie qui se rendait à Kharbine Nous avions deux coupés dans l'express et 34 coffres de joailleries de Pforzheim De la camelote allemande "Made in Germany" Il m'avait habillé de neuf et en montant dans le train j'avais perdu un bouton - Je m'en souviens, je m'en souviens, j'y ai souvent pensé depuis - Je couchais sur les coffres et j'étais tout heureux de pouvoir jouer avec le browning nickelé qu'il m'avait aussi donné
J'étais très heureux, insouciant Je croyais jouer au brigand Nous avions volé le trésor de Golconde Et nous allions, grâce au Transsibérien, le cacher de l'autre côté du monde Je devais le défendre contre les voleurs de l'Oural qui avaient attaqué les saltimbanques de Jules Verne Contre les khoungouzes, les boxers de la Chine Et les enragés petits mongols du Grand-Lama Ali baba et les quarante voleurs Et les fidèles du terrible Vieux de la montagne Et surtout contre les plus modernes Les rats d'hôtels Et les spécialistes des express internationaux.
Et pourtant, et pourtant J'étais triste comme un enfant Les rythmes du train La "moelle chemin-de-fer" des psychiatres américains Le bruit des portes des voix des essieux grinçant sur les rails congelés Le ferlin d'or de mon avenir Mon browning le piano et les jurons des joueurs de cartes dans le compartiment d'à côté L'épatante présence de Jeanne L'homme aux lunettes bleues qui se promenait nerveusement dans le couloir et me regardait en passant Froissis de femmes Et le sifflement de la vapeur Et le bruit éternel des roues en folie dans les ornières du ciel Les vitres sont givrées Pas de nature ! Et derrière, les plaines sibériennes le ciel bas et les grands ombres des taciturnes qui montent et qui descendent Je suis couché dans un plaid Bariolé Comme ma vie Et ma vie ne me tient pas plus chaud que ce châle écossais Et l'Europe toute entière aperçue au coupe-vent d'un express à toute vapeur N'est pas plus riche que ma vie Ma pauvre vie Ce châle Effiloché sur des coffres remplis d'or Avec lesquels je roule Que je rêve Que je fume Et la seule flamme de l'univers Est une pauvre pensée...
Du fond de mon cœur des larmes me viennent Si je pense, Amour, à ma maîtresse ; Elle n'est qu'une enfant que je trouvai ainsi Pâle, immaculée au fond d'un bordel.
Ce n'est qu'une enfant, blonde rieuse et triste. Elle ne sourit pas et ne pleure jamais ; Mais au fond de ses yeux, quand elle vous y laisse boire Tremble un doux Lys d'argent, la fleur du poète.
Elle est douce et muette, sans aucun reproche, Avec un long tressaillement à votre approche ; Mais quand moi je lui viens, de ci, de là, de fête, Elle fait un pas, puis ferme les yeux - et fait un pas. Car elle est mon amour et les autres femmes N'ont que des robes d'or sur de grands corps de flammes, Ma pauvre amie est si esseulée, Elle est toute nue, n'a pas de corps - elle est trop pauvre.
Elle n'est qu'une fleur candide, fluette, La fleur du poète, un pauvre lys d'argent, Tout froid, tout seul, et déjà si fané‚ Que les larmes me viennent si je pense à son cœur. Et cette nuit est pareille à cent mille autres quand un train file dans la nuit - Les comètes tombent - Et que l'homme et la femme, même jeunes, s'amusent à faire l'amour.
Le ciel est comme la tente déchirée d'un cirque pauvre dans un petit village de pêcheurs En Flandres Le soleil est un fumeux quinquet Et tout au haut d'un trapèze une femme fait la lune. La clarinette le piston une flûte aigre et un mauvais tambour Et voici mon berceau Mon berceau Il était toujours près du piano quand ma mère comme madame Bovary jouait les sonates de Beethoven J'ai passé mon enfance dans les jardins suspendus de Babylone Et l'école buissonnière dans les gares, devant les trains en partance Maintenant, j'ai fait courir tous les trains derrière moi Bâle-Tombouctou J'ai aussi joué aux courses à Auteuil et à Longchamp Paris New York Maintenant j'ai fait courir tous les trains tout le long de ma vie Madrid-Stokholm Et j'ai perdu tous mes paris Il n'y a plus que la Patagonie, la Patagonie qui convienne à mon immense tristesse, la Patagonie, et un voyage dans les mers du Sud Je suis en route J'ai toujours été en route Le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues Le train retombe sur ses roues Le train retombe toujours sur toutes ses roues
"Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre ?"
Nous sommes loin, Jeanne, tu roules depuis sept jours Tu es loin de Montmartre, de la Butte qui t'a nourrie, du Sacré Cœur contre lequel tu t'es blottie Paris a disparu et son énorme flambée Il n'y a plus que les cendres continues La pluie qui tombe La tourbe qui se gonfle La Sibérie qui tourne Les lourdes nappes de neige qui remontent Et le grelot de la folie qui grelotte comme un dernier désir dans l'air bleui Le train palpite au cœur des horizons plombés Et ton chagrin ricane...
"Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?"
Les inquiétudes Oublie les inquiétudes Toutes les gares lézardées obliques sur la route Les files télégraphiques auxquelles elles pendent Les poteaux grimaçant qui gesticulent et les étranglent Le monde s'étire s'allonge et se retire comme un accordéon qu'une main sadique tourmente Dans les déchirures du ciel les locomotives en folie s'enfuient Et dans les trous Les roues vertigineuses les bouches les voies Et les chiens du malheur qui aboient à nos trousses Les démons sont déchaînés Ferrailles Tout est un faux accord Le broun-roun-roun des roues Chocs Rebondissements Nous sommes un orage sous le crâne d'un sourd...
"Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?"
Mais oui, tu m'énerves, tu le sais bien, nous sommes bien loin La folie surchauffée beugle dans la locomotive Le peste le choléra se lèvent comme des braises ardentes sur notre route Nous disparaissons dans la guerre en plein dans un tunnel La faim, la putain, se cramponnent aux nuages en débandade et fiente des batailles en tas puants de morts Fais comme elle, fais ton métier...
"Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?"
Oui, nous le sommes, nous le sommes Tous les boucs émissaires ont crevé dans ce désert Entends les sonnailles de ce troupeau galeux Tomsk Tcheliabinsk Kainsk Obi Taïchet Verkné Oudinsk Kourgane Samara Pensa-Touloune La mort en Mandchourie Est notre débarcadère est notre dernier repaire Ce voyage est terrible Hier matin Ivan Oullitch avait les cheveux blancs Et Kolia Nicolaï Ivanovovich se ronge les doigts depuis quinze jours... Fais comme elles la Mort la Famine fais ton métier Ca coûte cent sous, en transsibérien ça coûte cent roubles En fièvre les banquettes et rougeoie sous la table Le diable est au piano Ses doigts noueux excitent toutes les femmes La Nature Les Gouges Fais ton métier Jusqu'à Kharbine...
"Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?"
Non mais... fiche-moi la paix... laisse-moi tranquille Tu as les anches angulaires Ton ventre est aigre et tu as la chaude-pisse C'est tout ce que Paris a mis dans ton giron C'est aussi un peu d'âme... car tu es malheureuse J'ai pitié j'ai pitié viens vers moi sur mon cœur Les roues sont les moulins à vent d'un pays de Cocagne Et les moulins à vent sont les béquilles qu'un mendiant fait tournoyer Nous sommes les culs-de-jatte de l'espace Nous roulons sur nos quatre plaies On nous a rogné les ailes Les ailes de nos sept péchés Et tous les trains sont les bilboquets du diable Basse-cour Le monde moderne La vitesse n'y peut mais Le monde moderne Les lointains sont par trop loin Et au bout du voyage c'est terrible d'être un homme avec une femme...
"Blaise, dis, sommes nous bien loin de Montmartre ?"
J'ai pitié, j'ai pitié, viens vers moi je vais te conter une histoire Viens dans mon lit Viens sur mon cœur Je vais te conter une histoire...
Oh viens ! viens !
Au Fidji règne l'éternel printemps La paresse L'amour pâme les couples dans l'herbe haute et la chaude syphilis rôde sous les bananiers Viens dans les îles perdues du Pacifique ! Elles ont nom du Phénix, des Marquises Bornéo et Java Et Célèbes à la forme d'un chat.
Nous ne pouvons pas aller au Japon Viens au Mexique Sur les hauts plateaux les tulipiers fleurissent Les lianes tentaculaires sont la chevelure du soleil On dirait la palette et le pinceau d'un peintre Des couleurs étourdissantes comme des gongs, Rousseau y a été Il y a ébloui sa vie C'est la pays des oiseaux L'oiseau du paradis, l'oiseau-lyre Le toucan, l'oiseau moqueur Et le colibri niche au cœur des lys noirs Viens ! Nous nous aimerons dans les ruines majestueuses d'un temple aztèque Tu seras mon idole Une idole bariolée enfantine un peu laide et bizarrement étrange Oh viens !
Si tu veux, nous irons en aéroplane et nous survolerons le pays des mille lacs, Les nuits y sont démesurément longues L'ancêtre préhistorique aura peur de mon moteur J'atterrirai Et je construirai un hangar pour mon avion avec les os fossiles de mammouth Le feu primitif réchauffera notre pauvre amour Samowar Et nous nous aimerons bien bourgeoisement près du pôle Oh viens !
Jeanne Jeannette Ninette Nini ninon nichon Mimi mamour ma poupoule mon Pérou Dado dondon Carotte ma crotte Chouchou p'tit cœur Cocotte Chérie p'tite chèvre Mon p'tit péché mignon Concon Coucou Elle dort.
Elle dort Et de toutes les heures du monde elle n'en pas gobé une seule Tous les visages entrevus dans les gares Toutes les horloges L'heure de Paris l'heure de Berlin l'heure de Saint-Pétersbourg et l'heure de toutes les gares Et à Oufa le visage ensanglanté du canonnier Et le cadrant bêtement lumineux de Grodno Et l'avance perpétuelle du train Tous les matins on met les montres à l'heure Le train avance et le soleil retarde Rien n'y fait, j'entends les cloches sonores Le gros bourdon de Notre-Dame La cloche aigrelette du Louvre qui sonna la Saint-Barthélémy Les carillons rouillés de Bruges-La-Morte Les sonneries électriques de la bibliothèque de New-York Les campagnes de Venise Et les cloches de Moscou, l'horloge de la Porte-Rouge qui me comptait les heures quand j'étais dans un bureau Et mes souvenirs Le train tonne sur les plaques tournantes Le train roule Un gramophone grasseye une marche tzigane Et le monde comme l'horloge du quartier juif de Prague tourne éperdument à rebours.
Effeuille la rose des vents Voici que bruissent les orages déchaînés Les trains roulent en tourbillon sur les réseaux enchevêtrés Bilboquets diaboliques Il y a des trains qui ne se rencontrent jamais D'autres se perdent en route Les chefs-de gare jouent aux échecs Tric-Trac Billard Caramboles Paraboles La voie ferrée est une nouvelle géométrie Syracuse Archimède Et les soldats qui l'égorgèrent Et les galères Et les vaisseaux Et les engins prodigieux qu'il inventa Et toutes les tueries L'histoire antique L'histoire moderne Les tourbillons Les naufrages Même celui du Titanic que j'ai lu dans un journal Autant d'images-associations que je ne peux pas développer dans mes vers Car je suis encore fort mauvais poète Car l'univers me déborde Car j'ai négligé de m'assurer contre les accidents de chemins de fer Car je ne sais pas aller jusqu'au bout Et j'ai peur.
J'ai peur Je ne sais pas aller jusqu'au bout Comme mon ami Chagall je pourrais faire une série de tableaux déments Mais je n'ai pas pris de notes en voyage Pardonnez-moi mon ignorance Pardonnez-moi de ne plus connaître l'ancien jeu des vers comme dit Guillaume Apollinaire Tout ce qui concerne la guerre on peut le lire dans les mémoires de Kouropatkine Ou dans les journaux japonais qui sont aussi cruellement illustrés A quoi bon me documenter Je m'abandonne aux sursauts de ma mémoire...
A partir d'Irkoutsk le voyage devint beaucoup trop lent Beaucoup trop long Nous étions dans le premier train qui contournait le lac Baïkal On avait orné la locomotive de drapeaux et de lampions Et nous avions quitté la gare aux accents tristes de l'hymne au Tzar. Si j'étais peintre, je déverserais beaucoup de rouge, beaucoup de jaune sur la fin de ce voyage Car je crois bien que nous étions tous un peu fous Et qu'un délire immense ensanglantait les faces énervées de mes compagnons de voyage Comme nous approchions de la Mongolie Qui ronflait comme un incendie. Le train avait ralenti son allure Et je percevais dans le grincement perpétuel des roues Les accents fous et les sanglots D'une éternelle liturgie
J'ai vu J'ai vu les train silencieux les trains noirs qui revenaient de l'Extrême-Orient et qui passaient en fantôme Et mon oeil, comme le fanal d'arrière, court encore derrière ses trains A Talga 100 000 blessés agonisaient faute de soins J'ai visité les hôpitaux de Krasnoïarsk Et à Khilok nous avons croisé un long convoi de soldats fous J'ai vu dans les lazarets les plaies béantes les blessures qui saignaient à pleines orgues Et les membres amputés dansaient autour ou s'envolaient dans l'air rauque L'incendie était sur toutes les faces dans tous les cœurs Des doigts idiots tambourinaient sur toutes les vitres Et sous la pression de la peur les regards crevaient comme des abcès Dans toutes les gares on brûlait tous les wagons Et j'ai vu J'ai vu des trains de soixante locomotives qui s'enfuyaient à toute vapeur pourchassés par les horizons en rut et des bandes de corbeaux qui s'envolaient désespérément après Disparaître Dans la direction de Port-Arthur.
A Tchita nous eûmes quelques jours de répit Arrêt de cinq jours vu l'encombrement de la voie Nous les passâmes chez Monsieur Iankéléwitch qui voulait me donner sa fille unique en mariage Puis le train repartit. Maintenant c'était moi qui avais pris place au piano et j'avais mal aux dents Je revois quand je veux cet intérieur si calme le magasin du père et les yeux de la fille qui venait le soir dans mon lit Moussorgsky Et les lieder de Hugo Wolf Et les sables du Gobi Et à Khaïlar une caravane de chameaux blancs Je crois bien que j'étais ivre durant plus de 500 kilomètres Mais j'étais au piano et c'est tout ce que je vis Quand on voyage on devrait fermer les yeux Dormir j'aurais tant voulu dormir Je reconnais tous les pays les yeux fermés à leur odeur Et je reconnais tous les trains au bruit qu'ils font Les trains d'Europe sont à quatre temps tandis que ceux d'Asie sont à cinq ou sept temps D'autres vont en sourdine sont des berceuses Et il y en a qui dans le bruit monotone des roues me rappellent la prose lourde de Maeterlink J'ai déchiffré tous les textes confus des roues et j'ai rassemblé les éléments épars d'une violente beauté Que je possède Et qui me force.
Tsitsika et Kharbine Je ne vais pas plus loin C'est la dernière station Je débarquai à Kharbine comme on venait de mettre le feu aux bureaux de la Croix-Rouge.
O Paris Grand foyer chaleureux avec les tisons entrecroisés de tes rues et les vieilles maisons qui se penchent au-dessus et se réchauffent comme des aïeules Et voici, des affiches, du rouge du vert multicolores comme mon passé bref du jaune Jaune la fière couleur des romans de France à l'étranger. J'aime me frotter dans les grandes villes aux autobus en marche Ceux de la ligne Saint-Germain-Montmartre m'emportent à l'assaut de la Butte. Les moteurs beuglent comme les taureaux d'or Les vaches du crépuscule broutent le Sacré-Coeur O Paris Gare centrale débarcadère des volontés, carrefour des inquiétudes Seuls les marchands de journaux ont encore un peu de lumière sur leur porte La Compagnie Internationale des Wagons-Lits et des Grands Express Européens m'a envoyé son prospectus C'est la plus belle église du monde J'ai des amis qui m'entourent comme des garde-fous Ils ont peur quand je m'en vais que je ne revienne plus Toutes les femmes que j'ai rencontrées se dressent aux horizons Avec les gestes piteux et les regards tristes des sémaphores sous la pluie Bella, Agnès, Catherine et la mère de mon fils en Italie Et celle, la mère de mon amour en Amérique Il y a des cris de Sirène qui me déchirent l'âme Là-bas en Mandchourie un ventre tressaille encore comme dans un accouchement Je voudrais Je voudrais n'avoir jamais fait mes voyages Ce soir un grand amour me tourmente Et malgré moi je pense à la petite Jehanne de France. C'est par un soir de tristesse que j'ai écrit ce poème en son honneur Jeanne La petite prostituée Je suis triste je suis triste J'irai au Lapin Agile me ressouvenir de ma jeunesse perdue Et boire des petits verres Puis je rentrerai seul
Paris
Ville de la Tour Unique du grand Gibet et de la Roue.
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| | | Framboise Intendante de Pemberley
Nombre de messages : 557 Age : 40 Date d'inscription : 05/12/2009
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Lun 7 Déc 2009 - 23:19 | |
| Parce que Baudelaire est celui qui me touche le plus, qui exprime le mieux des sentiments et sensations inexprimables... et parce que j'adore ce poète! - Citation :
- Les phares, de Baudelaire
Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse, Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer, Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse, Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer;
Léonard de Vinci, miroir profond et sombre, Où des anges charmants, avec un doux souris Tout chargé de mystère, apparaissent à l'ombre Des glaciers et des pins qui ferment leur pays;
Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures, Et d'un grand crucifix décoré seulement, Où la prière en pleurs s'exhale des ordures, Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement ;
Michel-Ange, lieu vague où l'on voit des Hercules Se mêler à des Christs, et se lever tout droits Des fantômes puissants qui dans les crépuscules Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ;
Colères de boxeur, impudences de faune, Toi qui sus ramasser la beauté des goujats, Grand cœur gonflé d'orgueil, homme débile et jaune, Puget, mélancolique empereur des forçats ;
Watteau, ce carnaval où bien des cœurs illustres Comme des papillons, errent en flamboyant, Décors frais et légers éclairés par des lustres Qui versent la folie à ce bal tournoyant ;
Goya, cauchemar plein de choses inconnues, De foetus qu'on fait cuire au milieu des sabbats, De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues, Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ;
Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges, Ombragé par un bois de sapins toujours vert, Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges Passent, comme un soupir étouffé de Weber ; Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes, Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum, Sont un écho redit par mille labyrinthes ; C'est pour les cœurs mortels un divin opium ! C'est un cri répété par mille sentinelles, Un ordre renvoyé par mille porte-voix ; C'est un phare allumé sur mille citadelles, Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois ! Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage Que nous puissions donner de notre dignité Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge Et vient mourir au bord de votre éternité ! Brrrr, les trois dernières strophes me donnent des frissons dans le dos! |
| | | MD British countryside addict
Nombre de messages : 828 Age : 39 Date d'inscription : 28/01/2010
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Jeu 4 Fév 2010 - 11:43 | |
| J'ai un faible pour Le Lac de Lamartine (déjà cité). Et pour ces deux là. Ophélie - Arthur Rimbaud - Citation :
- I
Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles La blanche Ophélia flotte comme un grand lys, Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles... - On entend dans les bois lointains des hallalis.
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir, Voici plus de mille ans que sa douce folie Murmure sa romance à la brise du soir.
Le vent baise ses seins et déploie en corolle Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ; Les saules frissonnants pleurent sur son épaule, Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.
Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle ; Elle éveille parfois, dans un aune qui dort, Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile : - Un chant mystérieux tombe des astres d'or.
II
O pâle Ophélia ! belle comme la neige ! Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté ! C'est que les vents tombant des grand monts de Norwège T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté ;
C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure, A ton esprit rêveur portait d'étranges bruits ; Que ton coeur écoutait le chant de la Nature Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits ;
C'est que la voix des mers folles, immense râle, Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux ; C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle, Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux !
Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle ! Tu te fondais à lui comme une neige au feu : Tes grandes visions étranglaient ta parole - Et l'Infini terrible effara ton œil bleu !
III
- Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ; Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles, La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.
Et : Cors de Chasse de Guillaume Apollinaire - Citation :
- Notre histoire est noble et tragique
Comme le masque d'un tyran Nul drame hasardeux ou magique Aucun détail indifférent Ne rend notre amour pathétique
Et Thomas de Quincey buvant L'opium poison doux et chaste À sa pauvre Anne allait rêvant Passons passons puisque tout passe Je me retournerai souvent
Les souvenirs sont cors de chasse Dont meurt le bruit parmi le vent |
| | | Dulcie Romancière anglaise
Nombre de messages : 1613 Date d'inscription : 19/12/2009
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Jeu 4 Fév 2010 - 13:31 | |
| J'ai passé un bon moment à (re)découvrir tous ces excellents poèmes. Certains m'ont rappelé des souvenirs (même si pas toujours très heureux). J'aime moi aussi beaucoup Le lac de Lamartine, plusieurs de Baudelaire ou d'Apollinaire cités ici, puis d'autres... De Musset, j'ai une préférence pour La nuit de mai, surtout pour le célèbre passage du pélican. ********************* De Baudelaire, j'aime beaucoup celui-ci : La Musique La musique souvent me prend comme une mer ! Vers ma pâle étoile, Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther, Je mets à la voile;
La poitrine en avant et les poumons gonflés Comme de la toile J'escalade le dos des flots amoncelés Que la nuit me voile ;
Je sens vibrer en moi toutes les passions D'un vaisseau qui souffre ; Le bon vent, la tempête et ses convulsions
Sur l'immense gouffre Me bercent. D'autres fois, calme plat, grand miroir De mon désespoir ! ****************** Un de Stéphane Mallarmé : (Je n'ai jamais totalement compris sa signification, mais l'ai néanmoins toujours trouvé superbe).Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre Ce lac dur oublié que hante sous le givre Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui !
Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui Magnifique mais qui sans espoir se délivre Pour n'avoir pas chanté la région où vivre Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.
Tout son col secouera cette blanche agonie Par l'espace infligée à l'oiseau qui le nie, Mais non l'horreur du sol où le plumage est pris.
Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne, Il s'immobilise au songe froid de mépris Que vêt parmi l'exil inutile le Cygne. |
| | | Eulalie12 Extensive reading
Nombre de messages : 219 Age : 36 Localisation : In the Highlands Date d'inscription : 02/01/2010
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Jeu 4 Fév 2010 - 18:32 | |
| Ce topic est très beau merci merci merci pour tous ces beaux poèmes à découvrir ou à redécouvrir - Dulcie a écrit:
- Un de Stéphane Mallarmé : (Je n'ai jamais totalement compris sa signification, mais l'ai néanmoins toujours trouvé superbe).
c'est vrai que ce poème est magnifique, je me demande si tu seras du même avis que moi si je dis que ce qui est beau chez Mallarmé c'est que son écriture est si évocatrice qu'elle laisse notre imagination libre à défaut de notre compréhension, et la fait dériver dans des endroits inattendus. Cela n'a pas toujours un sens évident mais ce n'est pas le but, c'est le sens de l'émotion du lecteur qui compte. C'est peut être ce que l'on ressent à la lecture de toute poésie, mais je le ressens tout particulièrement chez Mallarmé et René Char qui sont des magiciens dans le choix des mots: - Citation :
- Brise marine (Stéphane Mallarmé)
La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres. Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres D'être parmi l'écume inconnue et les cieux ! Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe O nuits! ni la clarté déserte de ma lampe Sur le vide papier que la blancheur défend Et ni la jeune femme allaitant son enfant. Je partirai! Steamer balançant ta mâture, Lève l'ancre pour une exotique nature ! Un Ennui, désolé par les cruels espoirs, Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs ! Et, peut-être, les mâts, invitant les orages Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages Perdus, sans mâts, sans mâts ni fertiles îlots... Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots ! - Citation :
- J'habite une douleur (René Char)
Ne laisse pas le soin de gouverner ton coeur à ces tendresses parentes de l'automne auquel elles empruntent sa placide allure et son affable agonie. L'oeil est précoce à se plisser. La souffrance connaît peu de mots. Préfère te coucher sans fardeau; tu rêveras du lendemain et ton lit te sera léger. Tu rêveras que ta maison n'a plus de vitres. Tu es impatient de t'unir au vent, au vent qui parcourt une année en une nuit. D'autres chanteront l'incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se répète. Plus tard on t'identifieras à quelque géant désagrégé, seigneur de l'impossible. Pourtant.
Tu n'as fait qu'augmenter le poids de ta nuit. Tu es retourné à la pêche aux murailles, à la canicule sans été. Tu es furieux contre ton amour au centre d'une entente qui s'affole. Songe à la maison parfaite que tu ne verras jamais monter. A quand la récolte de l'abîme? Mais tu as crevé les yeux du lion. Tu crois voir passer la beauté au-dessus des lavandes noires... Qu'est ce qu'y t'a hissé une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre? Il n'y a pas de siège pur.
Dernière édition par Eulalie 12 le Sam 6 Fév 2010 - 16:48, édité 1 fois |
| | | Dulcie Romancière anglaise
Nombre de messages : 1613 Date d'inscription : 19/12/2009
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Jeu 4 Fév 2010 - 19:09 | |
| - Eulalie 12 a écrit:
- je me demande si tu seras du même avis que moi si je dis que ce qui est beau chez Mallarmé c'est que son écriture est si évocatrice qu'elle laisse notre imagination libre à défaut de notre compréhension, et l'a fait dériver dans des endroits inattendus. Cela n'a pas toujours un sens évident mais ce n'est pas le but, c'est le sens de l'émotion du lecteur qui compte.
Je ne suis pas assez familière de la poésie de Mallarmé, mais je suis plutôt d'accord avec ce que tu dis si on l'élargit à la poésie entière. Enfin ce que tu dis sur Mallarmé me paraît très juste quand même. Par ailleurs, je me rends compte que j'aime beaucoup mieux la poésie, que je suis davantage prête à l'apprécier, à en profiter, maintenant qu'elle n'est plus engluée (pour moi) dans le carcan scolaire. |
| | | Eulalie12 Extensive reading
Nombre de messages : 219 Age : 36 Localisation : In the Highlands Date d'inscription : 02/01/2010
| | | | Framboise Intendante de Pemberley
Nombre de messages : 557 Age : 40 Date d'inscription : 05/12/2009
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Sam 6 Fév 2010 - 15:11 | |
| - Eulalie 12 a écrit:
- c'est le sens de l'émotion du lecteur qui compte.
C'est peut être ce que l'on ressent à la lecture de toute poésie, mais je le ressens tout particulièrement chez Mallarmé et René Char qui sont des magiciens dans le choix des mots Tu as cité le poème de Mallarmé que je préfères... Ô mon coeur, entends le chant des matelots! Je connais moins René Char (à découvrir donc!) C'est en effet un véritable magicien des mots, qui laisse l'imagination s'envoler. J'ai redécouvert la poésie (hors scolaire, qui donne un bon apercu mais reste pour moi trop associée aux récitations, malgré quelques bons souvenirs) grâce à un livre offert par ma grand-mère: l'anthologie de la poésie française, de Georges Pompidou! Il y avait pourtant plusieurs recueils de poésie à la maison, mais je n'avais jamais accroché comme avec cette anthologie. Elle couvre les poètes français du XVe au XXe, et le choix de poèmes est très beau! En tous cas, il me parle beaucoup. Et comme l'apercu est très large, cela donne envie d'aller plus loin et de se pencher sur les poètes et leurs oeuvres. En tout cas, ça a très bien marché pour moi, mon anthologie est toute écornée et gribouillée! Et j'ai depuis acheté de "vrais" recueils de poésie! |
| | | Eulalie12 Extensive reading
Nombre de messages : 219 Age : 36 Localisation : In the Highlands Date d'inscription : 02/01/2010
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Sam 6 Fév 2010 - 16:47 | |
| oh oui l'anthologie de Monsieur Pompidou est très belle, je l'aime énormément aussi. J'en ai trouvé une du Reader Digest chez un bouquiniste, un énorme bouquin avec des tonnes d'illustrations et je dois dire qu'elle est assez mauvaise..
Par contre est ce que quelqu'un connait celle de Jean d'Ormesson "et toi mon coeur pourquoi bats-tu?" (il a repris un vers d'Apollinaire comme titre), l'anthologie rassemble beaucoup de poèmes et aussi des extraits de prose ou de chanson, je la trouve sublime. |
| | | Accalia Enfolded in Adoring Gaze
Nombre de messages : 3264 Age : 34 Localisation : pas loin... Date d'inscription : 29/04/2008
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Dim 7 Fév 2010 - 14:43 | |
| A celle qui est trop gaie - Citation :
Ta tête, ton geste, ton air Sont beaux comme un beau paysage ; Le rire joue en ton visage Comme un vent frais dans un ciel clair.
Le passant chagrin que tu frôles Est ébloui par la santé Qui jaillit comme une clarté De tes bras et de tes épaules.
Les retentissantes couleurs Dont tu parsèmes tes toilettes Jettent dans l'esprit des poètes L'image d'un ballet de fleurs.
Ces robes folles sont l'emblème De ton esprit bariolé ; Folle dont je suis affolé, Je te hais autant que je t'aime !
Quelquefois dans un beau jardin Où je traînais mon atonie, J'ai senti, comme une ironie, Le soleil déchirer mon sein ;
Et le printemps et la verdure Ont tant humilié mon coeur, Que j'ai puni sur une fleur L'insolence de la Nature.
Ainsi je voudrais, une nuit, Quand l'heure des voluptés sonne, Vers les trésors de ta personne, Comme un lâche, ramper sans bruit,
Pour châtier ta chair joyeuse, Pour meurtrir ton sein pardonné, Et faire à ton flanc étonné Une blessure large et creuse,
Et, vertigineuse douceur ! A travers ces lèvres nouvelles, Plus éclatantes et plus belles, T'infuser mon venin, ma soeur ! Je viens de le découvrir et j'en suis toute: toute retournée enfin... J'ai rarement lu un poème aussi fort et aussi direct. Il faisait parti des pièces condamnées, à cause de son aspect légèrement pornographique et surtout parce que pour le jury le "venin" de la dernière phrase c'était la syphilis...Je crois que Baudelaire avait autre chose, de certes plus innocent et plus banal en tête. |
| | | esperluette Magnolia-White Ampersand
Nombre de messages : 9312 Date d'inscription : 11/07/2009
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Sam 25 Sep 2010 - 16:58 | |
| Je devais lire Le spleen de Paris pour les cours cette année, je dois avouer que ce recueil ne m'attirait pas trop (d'une part parce que j'ai un peu de mal avec la poésie, enfin parfois je suis très émue par un poème mais la plupart du temps je ne prends pas le temps de savourer vraiment ce genre, et puis le fait que ce soient des poèmes en prose me rebutait un peu...) Et finalement je me suis laissé séduire et j'ai beaucoup aimé. (J'ai hésité à ouvrir un topic à Baudelaire mais comme il y avait ce sujet sur la poésie... ) Baudelaire ne parle pas tellement de Paris ici, mais un peu de tout, des pauvres (il oscille entre symphatie sincère et cynisme), des femmes (avec un certain mépris pour les jeunes, et avec tendresse pour les vieilles), du voyage... Déjà Cent fois déjà le soleil avait jailli, radieux ou attristé, de cette cuve immense de la mer dont les bords ne se laissent qu'à peine apercevoir ; cent fois il s'était replongé, étincelant ou morose, dans son immense bain du soir Depuis nombre de jours, nous pouvions contempler l'autre côté du firmament et déchiffrer l'alphabet céleste des antipodes. Et chacun des passagers gémissait et grognait. On eût dit que l'approche de la terre exaspérait leur souffrance." Quand donc ", disaient-ils, " cesserons-nous de dormir un sommeil secoué par la lame, troublé par un vent qui ronfle plus haut que nous ? quand pourrons-nous manger de la viande qui ne soit pas salée comme l'élément infâme qui nous porte ? quand pourrons-nous digérer dans un fauteuil immobile ? " Il y en avait qui pensaient à leur foyer, qui regrettaient leurs femmes infidèles et maussades, et leur progéniture criarde. Tous étaient si affolés par l'image de la terre absente, qu'ils auraient, je crois, mangé de l'herbe avec plus d'enthousiasme que les bêtes. Enfin un rivage fut signalé; et nous vîmes, en approchant, que c'était une terre magnifique, éblouissante. Il semblait que les musiques de la vie s'en détachaient en un vague murmure, et que de ces côtes, riches en verdures de toute sorte, s'exhalait, jusqu'à plusieurs lieues, une délicieuse odeur de fleurs et de fruits. Aussitôt chacun fut joyeux, chacun abdiqua sa mauvaise humeur. Toutes les querelles furent oubliées, tous les torts réciproques pardonnés ; les duels convenus furent rayés de la mémoire, et les rancunes s'envolèrent comme des fumées. Moi seul j'étais triste, inconcevablement triste. Semblable à un prêtre à qui on arracherait sa divinité, je ne pouvais, sans une navrante amertume, me détacher de cette mer si infiniment variée dans son effrayante simplicité, et qui semble contenir en elle et représenter par ses jeux, ses allures, ses colères et ses sourires, les humeurs, les agonies et les extases de toutes les âmes qui ont vécu, qui vivent et qui vivront! En disant adieu à cette incomparable beauté, je me sentais abattu jusqu'à la mort ; et c'est pourquoi, quand chacun de mes compagnons dit : "Enfin!" je ne pus crier que : "Déjà!" Cependant c'était la terre, la terre avec ses bruits, ses passions, ses commodités, ses fêtes ; c'était une terre riche et magnifique, pleine de promesses, qui nous envoyait un mystérieux parfum de rose et de musc, et d'où les musiques de la vie nous arrivaient en un amoureux murmure. Les yeux des pauvres Ah ! vous voulez savoir pourquoi je vous hais aujourd'hui. Il vous sera sans doute moins facile de le comprendre qu'à moi de vous l'expliquer ; car vous êtes, je crois, le plus bel exemple d'imperméabilité féminine qui se puisse rencontrer. Nous avions passé ensemble une longue journée qui m'avait paru courte. Nous nous étions bien promis que toutes nos pensées nous seraient communes à l'un et à l'autre, et que nos deux âmes désormais n'en feraient plus qu'une ; - un rêve qui n'a rien d'original, après tout, si ce n'est que, rêvé par tous les hommes, il n'a été réalisé par aucun. Le soir, un peu fatiguée, vous voulûtes vous asseoir devant un café neuf qui formait le coin d'un boulevard neuf, encore tout plein de gravois et montrant déjà glorieusement ses splendeurs inachevées. Le café étincelait. Le gaz, lui-même, y déployait toute l'ardeur d'un début, et éclairait de toutes ses forces les murs aveuglants de blancheur, les nappes éblouissantes des miroirs, les ors des baguettes et des corniches, les pages aux joues rebondies traînés par des chiens en laisse, les dames riant au faucon perché sur leur poing, les nymphes et les déesses portant sur leur tête des fruits, des pâtés et du gibier, les Hébés et les Ganymèdes présentant à bras tendu la petite amphore à bavaroises ou l'obélisque bicolore des glaces panachées ; toute l'histoire et toute la mythologie mises au service de la goinfrerie. Droit devant nous, sur la chaussée, était planté un brave homme d'une quarantaine d'années, au visage fatigué, à la barbe grisonnante, tenant d'une main un petit garçon et portant sur l'autre bras un petit être trop faible pour marcher. Il remplissait l'office de bonne et faisait prendre à ses enfants l'air du soir. Tous en guenilles. Ces trois visages étaient extraordinairement sérieux, et ces six yeux contemplaient fixement le café nouveau avec une admiration égale, mais nuancée diversement par l'âge. Les yeux du père disaient : " Que c'est beau ! que c'est beau ! on dirait que tout l'or du pauvre monde est venu se porter sur ces murs. " - Les yeux du petit garçon : " Que c'est beau ! que c'est beau ! mais c'est une maison où peuvent seuls entrer les gens qui ne sont pas comme nous. " Quant aux yeux du plus petit, ils étaient trop fascinés pour exprimer autre chose qu'une joie stupide et profonde. Les chansonniers disent que le plaisir rend l'âme bonne et amollit le coeur. La chanson avait raison ce soir-là, relativement à moi. Non seulement j'étais attendri par cette famille d'yeux, mais je me sentais honteux de nos verres et de nos carafes, plus grands que notre soif. Je tournais mes regards vers les vôtres, cher amour, pour y lire ma pensée plongeais dans vos yeux si beaux et si bizarrement doux, dans vos yeux verts habités par le caprice et inspirés par la Lune, quand vous me dîtes : " Ces gens me sont insupportables avec les yeux ouverts comme des portes cochères ! Ne pourriez-vous pas prier le maître du café de les éloigner d'ici ? " Tant il est difficile de s'entendre, mon cher ange, et tant la pensée est incommunicable, même entre gens qui s'aiment ! Bref ça m'a convaincue de lire plus de poésie (et puis c'est un de mes objets d'études cette année^^), du coup je me lance dans un recueil de Valéry prêté par une amie qui adore... |
| | | Ysabelle Stardust Reveries
Nombre de messages : 36576 Localisation : Quelque part entre l'orient et l'occident Date d'inscription : 07/05/2010
| Sujet: Rappelle-toi Barbara Sam 25 Sep 2010 - 21:23 | |
| Rappelle-toi Barbara
Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là Et tu marchais souriante Epanouie ravie ruisselante Sous la pluie Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest Et je t'ai croisée rue de Siam Tu souriais Et moi je souriais de même Rappelle-toi Barbara Toi que je ne connaissais pas Toi qui ne me connaissais pas Rappelle-toi Rappelle toi quand même ce jour-là N'oublie pas Un homme sous un porche s'abritait Et il a crié ton nom Barbara Et tu as couru vers lui sous la pluie Ruisselante ravie épanouie Et tu t'es jetée dans ses bras Rappelle-toi cela Barbara Et ne m'en veux pas si je te tutoie Je dis tu à tous ceux que j'aime Même si je ne les ai vus qu'une seule fois Je dis tu à tous ceux qui s'aiment Même si je ne les connais pas Rappelle-toi Barbara N'oublie pas Cette pluie sage et heureuse Sur ton visage heureux Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer Sur l'arsenal Sur le bateau d'Ouessant Oh Barbara Quelle connerie la guerre Qu'es-tu devenue maintenant Sous cette pluie de fer De feu d'acier de sang Et celui qui te serrait dans ses bras Amoureusement Est-il mort disparu ou bien encore vivant Oh Barbara Il pleut sans cesse sur Brest Comme il pleuvait avant Mais ce n'est plus pareil et tout est abîmé C'est une pluie de deuil terrible et désolée Ce n'est même plus l'orage De fer d'acier de sang Tout simplement des nuages Qui crèvent comme des chiens Des chiens qui disparaissent Au fil de l'eau sur Brest Et vont pourrir au loin Au loin très loin de Brest Dont il ne reste rien.
Jacques Prévert, "Paroles", Gallimard, 1946
J'espère qu'il n'a pas été encore posté. Je l'adoooore |
| | | Ju Gone With The Books
Nombre de messages : 12571 Age : 34 Localisation : In the Tardis, with Ten Date d'inscription : 15/05/2010
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mar 28 Déc 2010 - 22:30 | |
| Je me permets de remonter ce topic avec un poème d'Anne Brontë qui se trouve dans Agnès Grey. Lors de ma première lecture (en français il y a quelques années) je l'avais trouvé magnifique et maintenant je viens de le lire en anglais et je le trouve toujours aussi beau Oh, they have robbed me of the hope My spirit held so dear; They will not let me hear that voice My soul delights to hear. They will not let me see that face I so delight to see; And they have taken all thy smiles, And all thy love from me. Well, let them seize on all they can: One treasure still is mine, A heart that loves to think on thee, And feels the worth of thine. |
| | | Miss Jones Pauvre gouvernante
Nombre de messages : 18 Age : 51 Localisation : somewhere over the rainbow Date d'inscription : 07/11/2010
| Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mar 28 Déc 2010 - 23:02 | |
| J'ai découvert John Keats cette année en regardant le film Bright star, titre faisant référence à l'un de ses poèmes dont je vous livre ici un extrait:
Bright Star
Bright star, would I were stedfast as thou art-- Not in lone splendour hung aloft the night And watching, with eternal lids apart, Like nature's patient, sleepless Eremite, The moving waters at their priestlike task Of pure ablution round earth's human shores, Or gazing on the new soft-fallen mask Of snow upon the mountains and the moors-- No--yet still stedfast, still unchangeable, Pillow'd upon my fair love's ripening breast, To feel for ever its soft fall and swell, Awake for ever in a sweet unrest, Still, still to hear her tender-taken breath, And so live ever--or else swoon to death. John Keats
« Brillante étoile ! Que ne suis-je comme toi immuable, Non seul dans la splendeur tout en haut de la nuit, Observant, paupières éternelles ouvertes, De la nature patient ermite sans sommeil, Les eaux mouvantes dans leur tâche rituelle, Purifier les rivages de l’homme sur la terre, Ou fixant le nouveau léger masque jeté De la neige sur les montagnes et les landes- Non-mais toujours immuable, toujours inchangé, Reposant sur le beau sein mûri de mon amour, Sentir toujours son lent soulèvement, Toujours en éveil dans un trouble exquis, Encore son souffle entendre, tendrement repris, Et vivre ainsi toujours-ou défaillir dans la mort. »
John Keats-1819
Je trouve sa poésie splendide. Qu'en pensez-vous? |
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