Au Bonheur des dames, Semaine 5 : Chapitres 13 et 14

valmont a écrit:

comme si Zola s'était perdu dans le magasin à force de le décrire et qu'il avait regardé sa montre en se disant: "Mince , je suis à la bourre et je n'ai pas écrit une ligne sur la demande en mariage ! Vite !! "

surtout lorsqu'on sait que, par la suite, il ne sera pas fidèle.

En effet, moi aussi, j'ai trouvé cette demande en mariage "précipitée" à la toute fin du livre!!!

Par contre, le fait de savoir qu'il ne lui sera pas fidèle ne me gêne pas, dans ce contexte. J'aime bien mes personnages romantiques, droits, valeureux, bref, un peu à "l'anglaise". Même qu'au début, Mouret m'agaçait à sa façon de consommer les filles.... Donc, qu'après quelques années, même s'il sera amoureux transi de Denise, le fait qu'il retourne à ses "vieilles habitudes", me le rend plus crédile. Peut-on changer une personne du tout au tout?

Je ne sais pas luluberlu, mon côté romanesque me dit que oui mais ma raison me dit non !
C'est vrai que Mouret est fidèle à lui-même, mais j'aurais préféré qu'il soit plus honnête. Ceci dit, il l'est peut être sur le moment, il pense vraiment qu'elle est et restera la seule. Mais Zola décrit cet amour de façon tellement forte, tellement inconditionnelle, qu'on y croit, nous, à cette sincérité pérenne dans le temps.
C'est sûr que les lecteurs qui ne liront qu'ABDD, seront comblés (bien qu'étonnés de la précipitation finale)

Merci pour vos avis, les filles !
Je vois que la plupart des participantes étaient déjà des familières de ABDD, mais j'espère tout de même qu'on aura donné envie à d'autres de se lancer.

Pour la dernière page qui dénoue toute l'intrigue, je suis d'accord avec vous, c'est un peu rapide. Même en même temps, le dernier chapitre est une montée en puissance assez intense, et on termine par la domination de Mouret qui regarde les fiacres s'en aller dans Paris à ses pieds, la recette du jour é-norme, et puis finalement, l'amour de Denise. Donc, enchainé comme ça, dans la suite du chapitre, ça ne m'a jamais gênée, j'ai trouvé que cette fin là tombait à pic (même si comme l'ont souligné Selenh et Tatiana c'est une fin un peu trop parfaitement orchestrée pour être parfaitement réaliste).

valmont a écrit:

Du coup, cette demande en mariage m'apparaît factice, comme plaquée, au dernier moment. S'il était sincère, pourquoi Mouret n'a-t-il pas fait cette offre bien avant ?

Le mariage est évoqué pour la première fois à la fin du chapitre 12, enfin il me semble. Et Mouret y pense tout le long des deux derniers chapitres. Mais c'est pour lui un énorme combat intérieur. Comme Darcy a pu combattre sa raison avant de demander la main de Lizzy, Mouret fait pareil. Après, ses arguments ne sont bien sûr pas ceux de Darcy ! Ses sentiments le poussent à se laisser aller, à épouser Denise, mais 1/commercialement il a longtemps pensé que c'était une erreur, 2/il trouve que son indépendance de jeune homme est plutôt sympa, 3/il n'a jamais respecté une seule femme (à part Madame Hédouin sans doute).
Donc je suis intimement persuadée qu'il est sincère, et même plus encore, mais il n'empêche que sa raison, ses habitudes et sa personnalité le poussent à refuser ce mariage. C'est pour ça qu'il tarde un peu. Mais à la toute fin, au moment où elle va le quitter, alors qu'il voudrait la laisser partir, il sent qu'il ne pourra plus se passer d'elle et craque. Personnellement, je suis très sensible à ce passage, et je suis désolée que tu n'aies pas été touchée Valmont.

Citation :

Là, il agit comme s'il était au pied du mur, comme s'il n'y avait pas d'autres solutions (ce qui est vrai) mais presque malgré lui surtout lorsqu'on sait que, par la suite, il ne sera pas fidèle. Cette "raison" me gêne un peu: j'en viens à me demander si ce n'est pas pour lui, une façon d'arriver à ses fins, pour la posséder.

Je suis d'accord quand tu dis que pour lui c'est le seul moyen de la posséder. J'imagine que Mouret y pense d'ailleurs, puisqu'il parle d'empêcher Denise de franchir la porte, de la garder dans une étreinte, ou de l'asseoir sur ses genoux en la baisant aux lèvres. Donc, oui, son obsession est pour partie constituée du désir qu'il éprouve pour elle.

Néanmoins, je vois plusieurs choses pour dire qu'il y a bien autre chose que la simple possession de Denise :
- d'abord, il me semble que cette obsession pour elle a duré plusieurs années, sur lesquelles s'écoule l'action du roman. S'il n'y avait que du désir, ça n'aurait peut être pas perduré autant ! (enfin, je crois ! ).
- ensuite et surtout : il va jusqu'à la demander en mariage. Et quand on lit Pot Bouille , on comprend nettement que Mouret n'est pas du style à patienter cinq ans pour une femme qu'il désire. Au contraire, il lui suffit de fermer la porte, et de forcer sa proie à succomber. D'ordinaire, Mouret ne respecte pas les femmes qui l'attirent, et n'a que faire de leur avis. C'est une incroyable différence avec Denise. Et à la fin, là, il se dit : "Ah bah oui, c'est vrai, lorsqu'on aime une femme et qu'on la respecte, on l'épouse ! Et j'ai envie de remettre ma vie entre ses mains".

Quant à la suite, Mouret qui n'est pas fidèle... quand je l'ai appris (et assez récemment), voilà qui m'a fait un sacré coup. Oui, je suis une incorrigible romantique, et je me demande à présent comment la pauvre Denise ressent tout ça. Néanmoins, dans Le Docteur Pascal, il est écrit que Octave Mouret vit "avec sa femme Denise Baudu qu'il adorait, bien qu'il recommençât à se déranger un peu". D'accord, ce n'est pas la joie, mais, si on doit se montrer lucide, le connaissant, ça aurait pu être bien pire. Parce qu'au moins, on voit qu'il est toujours fou de Denise. Et sur ce plan là, je crois qu'elle restera la seule.

Je me rends compte que je n'ai pas encore commenté ces deux derniers chapitres (et je le ferai dans les jours à venir). Mais il y a juste une chose que j'ai envie de dire tout de suite. Une phrase m'a interpellée. Lorsque Denise repousse Mouret pour une ultime fois, et qu'elle refuse sa demande en mariage, il pense "Eh quoi ! Même à ce prix elle se refusait encore !".
Là, il est criant (c'est comme la preuve ultime !) que Mouret n'est pas un gentleman. Ca m'a fait penser à l'adaptation de North and South, quand Margaret reproche à Thorton "Do you think you can have me for your possession ? I should expect no less from someone in trade !" et que lui se défend douloureusement de ne pas "thinking only in terms of buying and selling".
Pour le coup, Mouret, lui, n'y va pas par quatre chemins ! Il pense en terme de commerce, et jusqu'au bout. Nul doute que Margaret n'aurait pas aimé ! Moi, ça ne me gêne pas, au contraire. Mouret fait tout de même un long chemin dans ABDD, et c'est loin de me déplaire. Et puis, il reste un génie dans son genre, et j'adore sa spontanéité, sa cordialité, son panache, même s'il est parfois un brin indifférent si on parle de morale.

J'ai voté 2 : "Je connaissais déjà ABDD, mais je l'ai relu avec un plaisir sans mélange...".
J'ai été plus que comblée par cette lecture et apprécié chaque détail : les personnages très attachants, le contexte historique, Paris plus beau et plus vivant sous les changements, ...
Je vous rejoins sur le fait que la fin est très frustrante, trop courte. Zola pensait-il déjà à la suite? Dans ce cas, ceci explique cela. En revanche, je ne me souviens pas de l'après ABDD et Mouret renouant avec ses anciennes habitudes après le mariage.

Citation :

Là, il est criant (c'est comme la preuve ultime !) que Mouret n'est pas un gentleman. Very Happy Ca m'a fait penser à l'adaptation de North and South, quand Margaret reproche à Thorton "Do you think you can have me for your possession ? I should expect no less from someone in trade !" et que lui se défend douloureusement de ne pas "thinking only in terms of buying and selling".

Je pense qu'ils sont sincères l'un et l'autre, cependant ils s'expriment dans le langage qu'ils maitrisent le plus. Ils utilisent les termes qui leur semblent les plus appropriés. Ils ne possèdent pas la subtilité d'un artiste, ni la poésie d'un écrivain, ce sont des commerçants, même s'ils sont dotés du génie créatif qui leur permet de comprendre et d'anticiper les besoins. Déformation professionnelle?

Je suis d'accord, Ysabelle, ils sont tous les deux sincères.
Mais je me suis mal exprimée. Ce que je voulais dire c'est que le pauvre Thornton, bien qu'il montre beaucoup de tact et de délicatesse, est traité de "commerçant" par Margaret. Mais je maintiens que lui est un gentleman, quoi que Margaret en dise. Il lui répond d'ailleurs "I do not want to possess you, I wish to marry you because I love you".
Au contraire, Mouret lui, entre pleinement et sans aucune honte, dans la catégorie du commerçant en tout. Il veut posséder Denise, et au milieu du livre, il cherche même à l'acheter. En voilà un, qui ne raisonne qu'en termes de "buying and selling", et ça ne le dérange pas le moins du monde. Margaret n'en aurait certainement pas cru ses yeux, et elle ne serait certainement jamais tombée dans ses bras.
J'ai trouvé que le "I should expect no less from someone in trade !" injustement adressé à Thornton aurait largement convenu à Mouret pour le coup !

Annwvyn a écrit:

Là, il est criant (c'est comme la preuve ultime !) que Mouret n'est pas un gentleman. Ca m'a fait penser à l'adaptation de North and South, quand Margaret reproche à Thorton "Do you think you can have me for your possession ? I should expect no less from someone in trade !" et que lui se défend douloureusement de ne pas "thinking only in terms of buying and selling".
Pour le coup, Mouret, lui, n'y va pas par quatre chemins ! Il pense en terme de commerce, et jusqu'au bout. Nul doute que Margaret n'aurait pas aimé ! Moi, ça ne me gêne pas, au contraire.

Mouret n'est pas un gentleman; et vlan, tout est dit C'est pour cela que mon héros romantique par excellence est et restera M. Thorton .
J'aime bien Mouret mais d'un plaisir "détachée"; sans avoir envie de me mettre à la place des personnages et vivre leurs expériences comme pour d'autres livres.... mais, assez pour commencer à lire Pot-Bouille. J'aime son côté sans gêne mais rêvant de l'idéal ....
J'espère que vous me comprenez! La journée a été longue ....

Luluberlu a écrit:

Mouret n'est pas un gentleman; et vlan, tout est dit C'est pour cela que mon héros romantique par excellence est et restera M. Thorton .
J'aime bien Mouret mais d'un plaisir "détachée"; sans avoir envie de me mettre à la place des personnages et vivre leurs expériences comme pour d'autres livres.... mais, assez pour commencer à lire Pot-Bouille. J'aime son côté sans gêne mais rêvant de l'idéal ....
J'espère que vous me comprenez! La journée a été longue ....

Pas de soucis, c'est suffisamment clair

Je partage entièrement ton avis. Mouret est loin d'avoir les qualités d'un gentleman! Mais, j'avoue que pour ma part, mon jugement est altéré par le fait qu'il ait le visage de Gérard Philippe dans Pot Bouille et que je suis éternellement folle de cet acteur.

Pour mettre un peu de baume au cœur de certaines, l'expression «se déranger un peu» est loin d'impliquer l'adultère. Si je peux me targuer un brin de mon expérience du style de Zola, de sa mentalité et de son vocabulaire je verrais plutôt Mouret restant moins au coin du feu le soir qu'il ne l'a fait les premières années de son mariage, moins "rangé", moins "ménage".

Il n'a jamais été présenté comme particulièrement porté sur le sexe illégitime, remarquez bien. C'est un séducteur qui a surtout "couché" par intérêt (+ une fois devenu riche célibataire, les petites femmes de Paris, danseuses d'opéra ou vendeuses, comme tout jeune homme à la mode) plus que porté par une libido insatiable. Pour Zola «se déranger» veut davantage dire reprendre la vie de fêtard, sinon il aurait été plus précis et explicite, s'il s'agissait de liaisons, à mon humble avis tout de même un peu informé.

A moi en tout cas, tu mets du baume au coeur Selenh.
Et je n'ai jamais été aussi prompte à adhérer à tes propos !

En vérité, j'étais plutôt partie sur un "se déranger" proche de celui dont parlait Tatiana, presque médical, pathologique. Et certains adversaires de Zola m'ayant tellement parlé de son obsession pour "l'hérédité"*, la transmission héréditaire des "tares" d'une génération à la suivante, pour moi, "se déranger" entrait dans le même ordre d'idées. Comme un caractère définitivement ancré en lui et dont Mouret ne pourrait, en dépit de toute volonté, se défaire.

Après, je suis d'accord pour dire que Mouret n'est pas porté sur une libido insatiable (il n'est pas DSK tout de même ). Mais ca ne m'a pas paru non plus insensé d'imaginer il ne pourait se passer de toutes ces femmes qui tombent à ses pieds, juste pour le plaisir de voir le charme et la puissance qu'il exerce. Dans Pot Bouille par exemple, il ne me semble pas que toutes ses conquêtes sont des conquêtes par intérêt. Certes, il ne se tourne pas compulsivement vers les bonnes, mais cela n'empêche pas de séduire Marie Pichon qui ne lui apporte rien. Mais je dis tout ceci de mémoire, et il faudrait sans doute que je relise Pot Bouille.

*Selenh, si tu pouvais m'en apprendre davantage, ce serait formidable. Je n'ai jamais étudié Zola, et si je me suis intéressée aux Rougon-Macquart, c'est de moi même. Aussi, de cette hérédité dont on m'a parlé, et qui je crois est centrale dans le Docteur Pascal, je ne connais que ce que les détracteurs de Zola ont pu m'apprendre. Et ça ne m'a pas paru être la plus belle réussite de Zola.

Je voudrais bien, mais c'est un vaste sujet... En tout cas cet aspect naturaliste, l'hérédité d'Octave, n'a pas de rôle dans ABDD, le seul sujet qu'y traite Zola c'est les grands magasins (c'est le cas dans d'autres livres d'ailleurs, ce projet de départ sur l'hérédité n'était pas toujours bien "porteur", heureusement qu'Émile ne s'acharne pas à l'inscrire forcément dans ses fictions).

Je te renvoie aussi à un petit tableau que j'ai brossé sur la famille Mouret quand tu as raconté ta "rencontre" avec un M. Mouret, où je développais le fait que cette branche était celle dont les personnages, des gentils ou victimes le plus souvent, n'étaient pas trop «atteints».

Et puis bien sûr qu'Octave jeune, n'a pas séduit que par intérêt, mais bon, on est d'accord que ce n'est pas un obsédé pathologique du sexe, et je suis très sûre de moi concernant cette expression de «se déranger» signifiant faire un peu la fête par opposition à être un père de famille «rangé», mais pas spécialement avec un volet sexuel.
Conf. le TLF :

Citation :

5. 1694 id. homme [...] dérangé dans sa conduite « détourné de bonne voie » (Ac.); 1704 pronom. « tomber dans la dissipation »

Plus XIX^e

Citation :

Spéc., vx. Détourner de sa vie rangée. Les mauvaises compagnies l'ont dérangé (Ac.).
Emploi pronom. réfl. Abandonner sa vie rangée. Francueil se refroidit, ou plutôt il se dérange; il court les soupers, il s'enivre tout de bon, il n'est plus aussi exact ni attentif auprès de son amie (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t. 2, 1851-62, p. 200) :

Pour finir, l'expression moderne «être dérangé» pour "être atteint de troubles mentaux" n'est pas utilisée par Zola, et je doute même, sans pour autant avoir de certitude sans autre recherche qu'elle ait cours à l'époque. L'expression «avoir le cerveau dérangé» (de même que l'estomac ou un autre organe) qui en est l'origine, n'a pas encore été réduite à ce point.

Merci Selenh , ces explications me conviennent assez bien qu'à mon sens, puisque Mouret aimait les femmes, je ne vois pas pourquoi il se serait gêné: chasse le naturel....

Annwvynn a écrit:

Après, je suis d'accord pour dire que Mouret n'est pas porté sur une libido insatiable (il n'est pas DSK tout de même ).

Je trouve très juste aussi ce qu'a écrit Annwvynn: chacun s'exprime dans le langage auquel il est le plus habitué. Notre homme est commerçant jusqu'au bout, c'est clair et n'est pas le gentleman parfait au sens où on l'entend.

valmont a écrit:

'à mon sens, puisque Mouret aimait les femmes, je ne vois pas pourquoi il se serait gêné: chasse le naturel....

Because briserait Denise.