Je viens de finir
Son excellence Eugène Rougon. Quelle meilleure lecture pour conclure cette longue période politique/électorale ?
Sans rire, l'actualité politique m'a infiniment divertie, et j'avais envie de prolonger le plaisir, et de lire une belle plume.
J'ai bien aimé ce roman, je ne m'y suis pas ennuyée bien qu'il ne s'y passe pas grand chose. Cependant, j'ai été surprise et peut-être un peu déçue de le trouver si "dépassionné", là où le jeu politique aurait pu être enjoué, enthousiaste, éclatant, cruel. Je me trompe peut-être, mais j'ai ressenti un semblant de perplexité chez Zola, devant ces politiciens sans idéaux, sans talent véritable. Le personnage de Rougon est certes "fort", il a une certaine carrure, mais au fond (à de rares exceptions), il m'a semblé plutôt transparent, voire passif. J'ai trouvé ce roman plutôt maladroit dans sa construction. J'ai eu le sentiment que Zola avait fini par s'ennuyer !
Ce roman est très intéressant d'un point de vue historique. On apprend des petites choses sur le second Empire, et la pratique "démocratique".
J'ai redécouvert avec plaisir certains épisodes célèbres (le baptême du fils de Napoléon III dont j'ai vu le berceau à l'expo Second Empire il y a quelques mois). J'ai aussi appris des choses intéressantes (la comédie du parlementarisme à la fin - comment ne pas penser à Emmanuel Macron qui réunit le congrès, ce mélange des genres entre exécutif et législatif ? ; et la personnalité assez effacée de Napoléon III... autant d'informations que j'ignorais).
Intéressant aussi pour sa (presque) modernité. Comme on dit, "toute ressemblance avec des personnes existantes serait purement fortuite".
Il y a quelques différences entre le second Empire et l'époque actuelle. D'abord, on fait aujourd'hui un effort de transparence et de moralisation (ce n'est pas encore la panacée, mais je pense que c'est "moins pire" aujourd'hui qu'au second Empire et je veux croire que la nouvelle loi va être suivie de résultats). Ensuite, les moyens de communication sont différents, et les enjeux médiatiques un peu plus grands.
Mais pour le reste, on est loin d'être perdu dans
Son excellence Eugène Rougon. On retrouve des femmes qui font tourner les têtes au pouvoir, des types opportunistes à chaque coin de rue, des gens qui retournent leur veste pour accéder au pouvoir, des députés "godillots" qui font tout pour les beaux yeux de l'empereur
, des mouvements politiques divers (deux courants royalistes, les fans de l'empire, les républicains, les soutiens de l'Eglise...), une presse qui doit se battre contre les pressions extérieures. Le retour au pouvoir de Rougon est aussi la suite d'un attentat : il faut un ministre de l'intérieur fort, capable de passer des lois restrictives de liberté (c'est simplement l'état d'urgence), et tant pis pour l'impopularité dudit ministre. Ca montre combien on tourne en rond depuis 1852
, mais aussi qu'à l'heure actuelle (je crois) certains essayent de changer un peu la donne.
Au-delà de toutes ces considérations politico-historiques intéressantes, ce sont surtout les deux personnages principaux qui portent l'intrigue, Rougon et Clorinde. Ce qui a intéressé Zola dans ce roman, c'est ce qui pousse les protagonistes : non pas la recherche de célébrité, ou l'argent, mais le pouvoir, l'ascendant que ces personnes aiment avoir sur les autres. Là encore, j'ai trouvé Zola un peu timide
. J'ai assez peu ressenti la puissance, dormante mais prête à toute engloutir, de Rougon (à part à la toute fin). Un commentaire lu sur le net m'a interpellée : la dépendance de Rougon vis-à-vis de sa bande, qui lui apporte une gloire non méritée, et un déclin tout aussi peu mérité. C'est une boucle improductive, décevante. La grande solitude de Rougon m'a frappée. Je m'attendais à tomber sur un personnage flamboyant, meneur d'homme, eh bien, absolument pas ! (mon frère me souffle que c'est plutôt là le personnage de son frère, Aristide, mais je ne le connais pas encore).
Ceci étant, j'ai beaucoup aimé la dynamique du couple Rougon-Clorinde. Clorinde est un personnage féminin extrêmement fort, rarement croisé en littérature française à mon avis, et trop peu connu ! Prête à tout, écervelée... mais très maîtresse d'elle-même, sale
mais brillante, pleine de contradictions... Je l'ai trouvée (jusqu'au deux-tiers) assez séduisante, et bien écrite. Seulement là aussi j'ai été déçue que ses joutes avec Rougon n'aboutissent pas vraiment. C'est le mépris de Rougon pour les femmes qui finit par éteindre sa passion de pouvoir et son envie de la dominer elle-aussi, et tout retombe dans une sorte d'attente.
Voilà donc mon avis sur ce roman, qui ne me laissera pas de souvenir impérissable. Trop factuel et dépassionné peut-être, un peu poussiéreux par moments mais étonnamment actuel à d'autres, je le retiendrai plutôt comme un Rougon-Macquart intéressant mais un peu maladroit.
Je trouve l'assemblée nationale beaucoup plus amusante aujourd'hui (quand on voit que les républicains "constructifs" hier soir ont prétendu être dans l'opposition pour prendre les postes réservés à l'opposition, c'est une cour de récré !
), et les enjeux bien plus passionnants !