Je viens de finir
Persuasion, avec plus de plaisir qu'attendu ! J'avais lu vos commentaires avec une vraie joie, et j'espérais presque trouver le film nul histoire de me faire plaisir dans la critique
. Pourtant, eh bien, je ne l'ai pas détesté, je l'ai même plutôt trouvé touchant, malgré sa longueur (ça traine sérieusement à finir) et sa sentimentalité lassante dans la dernière demi-heure.
Je suis partie au départ en me disant que le film intégrait des comportements modernes et actuels, pour appâter et séduire le spectateur sans trop se fouler, puis j'ai un peu changé ma perception des choses. Il me paraît que ce
Persuasion est entièrement ancré en 2022, que ses personnages et leurs problématiques assument d'être du XXIème siècle, et que le reste (le cadre historique de la régence) est délibérément voulu comme une option esthétique comme une autre. Exactement ce que déplore
Clinchamps , mais je me demande si ce choix n'a pas justement été fait en tout conscience. La tentative n'est pas tant d'adapter
Persuasion et de le rendre abordable à un spectateur limité, que d'essayer de se prendre pour Jane Austen et d'écrire un
Persuasion qui parlerait de la société d'aujourd'hui. Avec le temps, ce film sera un vague témoignage de notre époque.
C'est à la fois raté, n'est pas Jane Austen qui veut
, il y a quelques bons mots, et quelques personnages dont on peut moquer les penchants (comme Mary Musgrove, qui est un bon exemple de ce qu'on pourrait moquer aujourd'hui, c'est jeune femme autocentrée, à qui un médecin conseille de la psychologie positive), mais on vire dans le lieu commun en mode Youtube, ou dans la sentimentalité (très) longuette.
Les apartés face caméra façon
Fleabag pourraient être pertinents (on vit à l'époque où l'on raconte volontiers sa vie sur les réseaux sociaux), mais c'est moyennement réussi, c'est plus maladroit et poussif qu'autre chose.
Et à la fois... ce n'est pas si raté !
A titre personnel, j'ai été émue par cette Anne. Le film parle moins de la persistance des sentiments et de leur bouillonnement lorsqu'ils sont réprimés pendant des années, que de la solitude d'une jeune femme atypique. En ceci, on peut raccrocher les wagons avec le roman. Pour être claire, si je ne vais pas jeter ce film à la poubelle, c'est parce que je me suis un peu vue dans cette Anne, qui suffoque dans la société actuelle, qui a trop d'intelligence et d'imagination pour son bien, qui est à la fois très entourée et très seule. J'ai aussi trouvé Dakota Johnson convaincante, avec une sensibilité qui s'exprime avec finesse. Je l'ai trouvée bien plus subtile et intelligente que Bridget Jones (désolée Bridget
).
Wentworth de même est un héros à contretemps, comme le serait un homme de 2022 à contretemps, à savoir que sont valorisées chez lui des qualités comme l'amitié, l'écoute, et la tendresse, que (personnellement) je trouve qu'on ne considère pas assez (moi la première), comparées à la réussite sociale, la confiance en soi, le succès en général... Anne Elliot et Wentworth sont des héros austeniens un peu hors normes, allant à contrecourant (cela m'a frappée lors de mon visionnage récent de l'adaptation avec Ciaran Hinds, je les avais perçus comme allant à un rythme décalé, vis à vis de leur société). Dans ce film, Wentworth n'est pas plus le héros de Jane Austen qu'Anne ne l'est elle-même, mais à eux deux, ils pourraient bien être les héros d'un
Persuasion (plutôt mal) écrit aujourd'hui dans notre société.
A partir de là, rien d'étonnant qu'ils parlent comme vous et moi, et se comportent en trentenaires du jour. Je crois qu'au bout d'un moment, j'ai lâché l'affaire sur les anachronismes
(Anne qui parle de "electrifying") et les familiarités (tout le monde qui parle de "Wentworth", y compris Anne, en omettant le "Mr" ou "Captain").
Pour conclure, je ne suis pas certaine que je reverrai l'adaptation. Il manque en effet un vrai rythme sur la durée, et une vraie tension amoureuse ou romantique avec Wentworth (c'est un gros loupé). Leur relation est plutôt réconfortante et saine, et elle m'a plu l'espace d'un instant (je pense que peut-être, de nos jours, un homme éconduit pourrait évoluer vers une relation d'amitié, plutôt que du tout ou rien comme à l'époque), mais ce ne sera peut-être pas assez pour justifier un revisionnage. J'ai aimé la musique, qui teint le film de mélancolie, et les costumes d'Anne Elliot (anachroniques parfois). J'ai trouvé les acteurs convaincants, même dans les passages les moins adroits du scénario.
Finalement, je crois que je regrette le manque d'audace, la perte de ce piquant qui fait Jane Austen. Parler de nos travers actuels, pourquoi pas, considérer l'Histoire comme simple pourvoyeuse de costumes et de décors, pourquoi pas, mais dans ce cas il fallait l'assumer jusqu'au bout, et se montrer plus transgressif !