Mes écrits

[spoiler]Toutes les conversations se turent lorsque je franchis les portes de l’auberge. Bien que cinq années se soient écoulées depuis le jour où j’en avais claqué la porte, les habitués m’avaient reconnue. Les regards de ceux que je ne connaissais pas convergèrent vers moi. J’étais une femme habillée en homme, ils n’en avaient jamais vue. Un plateau tomba, suivi d’un hoquet de surprise.

Ma sœur, propriétaire de l’établissement, venait de me voir. Sans ce hoquet et le médaillon qu’elle portait au cou, je crois que je ne l’aurais d’ailleurs pas reconnue. J’avais quitté une jeune beauté, je me retrouvais devant une matrone. Il ne subsistait rien de ce physique qui avait fait sa popularité. Les grossesses avaient élargi ses hanches et son visage accusait la fatigue, et la rudesse de la vie. Encore que ... sa vie était beaucoup plus calme que n’était la mienne. N’avait-elle pas renié ce qu’elle était, l’héritage de nos parents pour épouser un soldat promis à un bel avenir ? Et quel avenir... Alors qu’il était destiné à évoluer dans les hautes sphères, mon beau-frère s’était fait souffler la place qu’il convoitait par le fils du régisseur et aujourd’hui, il végétait dans la garde personnelle de ce même homme.

A voir leurs expressions, ils n’étaient guère heureux de me voir revenir. Mais parce que l’adjoint du shérif était là, assis à une table au fond de la salle, ils furent bien obligés de m’accueillir. Je me retrouvais donc enserrée par deux bras musclés, le nez écrasé contre un uniforme. Puis, je fus projetée contre l’opulente poitrine de ma sœur qui se mit à pleurer. Etait-ce de rage ou de soulagement, je ne pouvais le dire. Je ne savais pas réellement si elle était heureuse de me voir ou si la colère était toujours présente.

Cinq ans plus tôt, nous nous étions quittées à la suite d’une dispute qui avait trouvé son origine dans l’annonce de ses fiançailles avec Ian. Je l’accusais alors de renier son héritage et refusais d’écouter les raisons qu’elle m’avançait. Elle était amoureuse, elle voulait une vie stable, des enfants et la vie à laquelle nous étions prédestinées n’était pas compatible. Nos parents venaient de mourir nous laissant la charge de la mission pour laquelle ils avaient laissé la vie. J’étais persuadée qu’il nous appartenait de reprendre le flambeau, partir en quête et chasser les démons, puisque tel était réellement le but de notre existence. Nous étions les dernières d’une lignée de chasseurs. Nos parents, leurs parents et tous nos ancêtres avant eux étaient morts dans l’exercice de leur mission. Il en serait de même pour nous.

Depuis l’enfance, nous étions entraînées. Ainsi, à l’âge de dix ans je maniais l’épée avec dextérité. Bien sûr, j’étais la plus douée mais pour la première fois, deux enfants issues du même sang avaient été marquées. L’élue ne serait pas une mais deux. Le jour où Mélinda rejeta tout cela, je fus prise d’un sentiment d’abandon. Je ne pouvais et ne voulais pas être seule et pourtant, ce soir-là, je ressentis pour la première fois l’Urgence. Mon père m’en avait souvent parlé. Selon lui, je saurais reconnaître l’instant exact où je serai obligée de partir en chasse et je le sus. Mais Mélinda ne ressentit rien. Seule, je pris donc la route, un simple baluchon comme tout bagage. Je ne me retournai à aucun moment ni ne pris la peine de faire mes adieux au seul homme qui ait compté. Si je craignais qu’il chercha à me retenir, je n’aurai pas supporté qu’il ne le fasse pas.

Depuis lors, mon existence était rythmée par mes rencontres avec des démons, vampires et autres loups-garous. Ce fut d’ailleurs, à cause de l’un d’eux que je dus revenir dans le village de mon enfance. Et si j’avais perdu ses traces dans la forêt, j’avais l’intime conviction qu’il ne tarderait pas à y pointer le bout de son nez.

Pour l’heure, j’étouffais contre les seins de Mélinda quand une voix pâteuse, voire alcoolisée s’éleva dans la salle.

- C’est bien beau ces retrouvailles familiales mais on aimerait manger !!

Ma sœur me lâcha enfin et je pus respirer. Mon regard croisa alors les yeux bleus moqueurs de l’adjoint du shérif. Il leva son gobelet vers moi. Il ne m’avait pas oubliée. Mais très vite, trop vite le lien qui nous unissait, fut rompu par ma sœur qui me tira par la main jusque dans la cuisine. Elle m’y planta le temps de remplir une écuelle.

- Que fais-tu ici ? m’interrogea-t-elle enfin.

- J’ai suivi les traces d’un loup-garou.

- Ce n’est rien de plus qu’un gros chien. Guy et ses hommes traquent la bête mais n’arrivent pas à la trouver.

- Guy et ses hommes traquent une bête, je traque un garou.

- Ce n’est qu’une bête ! Je refuse de croire à autre chose.

Je m’avançais vers elle, caressais du bout des doigts le médaillon qu’elle portait autour du cou. J’avais le même. Chacune de nous en avait reçu un des mains de notre mère.

- C’est pour ça que tu portes ton amulette ? lui demandai-je ironiquement.

- C’est un cadeau de maman, j’ai le droit de chérir son souvenir non ?

-Tu as tous les droits du monde Méli mais ne vient jamais me dire que les garous n’existent pas ! J’en ai tué beaucoup trop pour nier leur existence !

- Continue et je vais te plaindre.

- Serait-ce de l’envie que j’entends dans ta voix ?

- Tu vis une vie libre ! Je suis coincée ici, à servir les soudards sur shérif et lui !

- Lui qui ?

- Guy !!!

J’éclatais de rire. Ma sœur avait la rancœur tenace. Elle détestait Guy depuis le jour où il avait préféré me renverser moi, alors âgée de 15 ans, dans la paille plutôt qu’elle. Oh, il ne m’avait rien demandé, il avait même pris de force ma virginité mais qu’aurai-je bien pu faire ? Il était plus vieux, plus grand, plus fort et je me le suis depuis avouée, il m’attirait. A partir de cet après-midi nous devînmes amants. Je le vis devenir un être méprisable, le bras armé du shérif. Rien n’était assez vil pour les deux hommes. Ils avaient fait du comté une zone sinistrée où ils faisaient régner la peur. Pourtant avec moi, il était tout autre. Il n’était certes pas du genre à composer des poèmes ou à me conter fleurette, mais il veillait à ma sécurité. Non pas que j’en ai eu besoin mais cela lui donnait de l’importance et j’aimais cela. J’aimais cette âme damnée et ses actes m’importaient peu. Voyant ma sœur se rembrunir, je préférais changer de sujet.

- Tu as encore les affaires de notre père ?

- Cela dépend, Ian a fait disparaître tout son attirail. Pourquoi ?

- J’ai besoin de la lame d’argent, celle qu’il cachait dans son peigne.

- Il est dans le grenier. J’ai refusé de me séparer de leurs affaires personnelles.

-Je peux aller le chercher ?

Elle leva un visage attristé vers moi. Je crus lire du regret dans son regard. Sa vie n’était pas celle qu’elle avait espérée. Ian n’était pas le prince charmant qu’elle voulait. Pourtant, je fus incapable de prononcer les mots qu’elle attendait et me contentais de poser ma main sur son épaule avant de me rendre à l’étage.

Il ne me fut pas facile de fouiller dans les effets personnels de mes parents. Les larmes me vinrent aux yeux quand je frôlais du bout des doigts les robes de ma mère ou la bible de mon père. Quand enfin ma main se referma enfin sur le peigne, je fis coulisser son manche, faisant apparaître la lame d’argent qui me permettrait de tuer la bête. Un sourire étira mes lèvres au souvenir de l’expression horrifiée de ma sœur quand je lui avais parlé du garou. Elle avait très facilement renié sa famille. Mais plutôt que m’appesantir sur ce sujet, je décidais de redescendre dans la grande salle.

J’allais fermer la trappe quand je sentis une présence derrière moi. Quiconque dans le village l’aurait trouvé maléfique mais pour moi, elle n’était qu’une réminiscence du passé. J’avais reconnu son odeur, l’aura qu’il dégageait. Un autre que lui aurait perdu la vie à la minute où sa main avait atteint ma ceinture mais je le laissais faire. Je me languissais de ses attouchements depuis cinq ans. D’autres hommes avaient partagé mon lit mais aucun n’avait réussi à assouvir ce désir, ce besoin de lui. Ses doigts m’amenèrent très vite jusqu’à la jouissance. De sa main libre, il abaissa mon pantalon et me pénétra d’un seul coup. Je me cambrais, il me tira les cheveux pour m’embrasser. Sa bouche avait le goût de bière. Sa langue prit possession de la mienne pendant qu’il continuait à me labourer.

Il n’y avait aucune tendresse entre nous, il n’y en avait jamais eu. Je ne suis pas de celles qui quémandent des caresses, j’aime qu’on aille droit au but. Il me maintenait par la hanche allant et venant de plus en plus profondément. Son souffle chaud était à présent dans ma nuque. Il y laissa l’empreinte de ses dents. Bien des vampires avaient essayé de mordre, il était le seul à en avoir le droit. Dans un dernier coup de reins, il nous emmena jusqu’à l’orgasme non sans avoir unis nos mains, seule concession à la tendresse que nous nous accordions.

Mon corps était endolori. Il pesait de tout son poids contre mon dos. Ses doigts enserraient toujours les miens. Sa tête reposait contre la mienne.

- Tu m’as manqué ! Me murmura-t-il à l’oreille.

- Toi aussi, lui répondis-je.

C’était la vérité. J’avais beau être dure et indépendante, il m’avait manqué comme jamais. Au gré de mes voyages j’avais reçu des nouvelles du comté et de son duo démoniaque. Je savais ce qu’il était devenu, ce qu’il faisait. Mais il me manquait. Le reste je m’en fichais. Après tout mon boulot était de traquer les démons, pas les humains en mal de richesses et de pouvoir et puis c’était comme ça que je l’aimais. Il me libéra de son étreinte, se rajusta. Puis dans un sourire moqueur, il me dit :

- Je t’attends en bas. Nous devons parler.

Je le rejoignis quelques instants plus tard dans la grande salle de l’auberge et m’assis en face de lui sous l’air incrédule de mon beau-frère. Guy était assis, le dos calé contre sa chaise et me regardait. Il avait un regard perçant que j’avais souvent comparé à celui d’un rapace. Il jouait avec moi, tentait de me déstabiliser.

- Allez, pose-la moi ta question !

- Très bien, dis-moi ce qui nous vaut le plaisir de ton retour.

- La bête ...

- Ce n’est qu’un loup, cette chasse est tout à fait dans mes cordes.

- Tu n’aimes pas qu’on marche sur tes plates bandes, n’est-ce pas ?

- Je veux que tu t’en ailles.

- Quand j’en aurais terminé avec ce pour quoi je suis venue.

Comme pour Mélinda auparavant, je vis la tristesse passer furtivement dans le regard de Guy et cela me fit plus de mal que je ne l’aurais cru. Mais le moment était mal choisi pour me laisser attendrir, je n’en avais pas le luxe, peut-être demain, si j’étais encore en vie.

- J’ai besoin d’hommes armés pour assurer ma protection et d’argent aussi.

- Tu crois que l’on va te payer pour une chose que nous sommes capables de faire ?

- J’ai trouvé le camp des hors-la-loi dans la forêt, es-tu capable d’en faire autant ?

J’avais touché le point sensible. Il était de notoriété publique que Guy et le shérif cherchaient les hors-la-loi depuis de longs mois mais que ceux-ci restaient introuvables.

- Pourquoi veux-tu de l’argent ?

- Rassures-toi beau brun, je n’en veux pas à ton trésor de guerre ! Je veux juste une lame en argent. C’est la seule chose qui peut tuer un garou.

- Tu es sûre de toi ?

- Pourquoi serai-je là sinon ?

- C’est vrai qu’il n’y a rien qui pourrait te retenir ici.

Il m’était rarement arrivé d’avoir envie de le cajoler mais à cet instant, j’aurais voulu poser la main sur la sienne et le rassurer. Si une personne pouvait me donner envie de revenir, c’était lui. Mais nous étions entourés de ses hommes et pour rien au monde, je ne l’aurais embarrassé devant eux. Je fis tout ce que je pouvais, je lui demandai son aide.

- Aide-moi Guy ...

Le soir venu, je me retrouvais au centre de la cité. Dans chaque maison tout autour de moi, se trouvait un soldat prêt à me sauver en cas de besoin. Je savais que cachés dans les arbres, les hors-la loi se tenaient eux aussi prêts à intervenir. Leur chef, un archer émérite, avait pour ordre de m’abattre si je venais à me faire mordre. Le bout de ses flèches avaient été trempées dans de l’argent en fusion. Je fermai les yeux. Mon instinct m’indiquait que la bête approchait. Mon instinct ne m’avait jamais trompée. Ma main se tenait sur le manche de ma dague. J’étais prête à dégainer. Soudain, il y eut un mouvement sur les remparts. Le shérif était venu voir le spectacle. Souhaitait-il ma victoire ou ma défaite ? Je ne le savais pas. J’étais consciente qu’il aurait préféré me savoir loin de son adjoint. Mon influence était selon lui néfaste. Pourtant, il avait admis être dans une impasse et avoir besoin de mon aide.

Les fougères se mirent à bouger. La bête était là. J’ouvris les yeux et découvrit avec horreur, qu’il n’y avait pas un mais deux loup-garou qui se dirigeaient droit sur moi. Je parvins à éviter le premier mais je dus frapper le second. A un contre un, j’avais mes chances mais deux... Mon heure était venue. Je luttais vaillamment et me rendis compte au bout d’un moment que je n’avais plus qu’un seul assaillant. Je m’autorisai un regard sur le côté et vit Guy qui se battait contre le second homme/animal. Je lui criai de surtout ne pas se laisser mordre et reprit mon combat. Les coups pleuvaient, je les parais comme je pouvais évitant sa gueule. Puis d’un seul coup les deux garous s’écartèrent.

Guy et moi nous retrouvâmes haletants l’un en face de l’autre tentant de reprendre notre souffle. Nous étions fatigués, blessés mais heureusement aucun de nous n’avait été mordu. L’espace d’un instant, nos regards restèrent rivés l’un à l’autre. Les deux loups se mirent en position d’attaque. Leurs grognements me firent frissonner. Je vis mon propre assaillant galoper vers moi comme au ralenti et prendre son élan pour me sauter dessus. Le poing fermé, je le déviai et le fis retomber. Il geignit. Pourtant, je ne l’avais pas vaincu. Il se releva très vite et revint à la charge. Je tentai de le toucher de ma dague mais d’un coup de patte, il envoya mon arme valser loin de moi. Puis sentant qu’il avait le dessus sur moi, il chargea et de la tête me fit tomber. J’étais sur le sol, il était sur moi. Soudain le bruit de flèches perça la nuit. Un long gémissement se fit entendre. Le deuxième loup avait été mortellement touché. Celui qui restait poussa un long hurlement de douleur, j’en profitai pour tenter de m’enfuir en rampant mais il fut plus rapide que moi et de la patte m’empêcha de bouger.

Mon cœur battait à la chamade. Je sentais la fin arriver. Il allait me mordre et mes alliés seraient obligés de me tuer. Mais alors que j’attendais la morsure fatale, un cri presque inhumain se fit entendre. Guy venait de plaquer la bête sur le sol et me cria :

- Plante-lui la dague !

Je récupérai mon arme et vint l’enfoncer dans le corps du garou qui se débattit comme un forcené. Je tenais ma dague des deux mains et la fit pénétrer plus profondément. Enfin dans un râle, le loup s’écroula. J’étais à quatre pattes sur le sol. J’avais la respiration sifflante. Tête baissée, je pris une grande inspiration et tentai de retrouver mon calme quand d’autres flèches furent tirées. Je me redressai et les vit figées dans le torse de mon amant qui chancela et perdit l’équilibre. Je me précipitai vers lui pour amortir sa chute. Je le pris contre moi et tentai de retirer les projectiles mais il m’en empêcha.

- Non...

- Je n’aurais jamais du leur faire confiance, il en a profité pour s’en prendre à toi !

- Il n’a fait que ce que tu lui avais demandé.

- Jamais je n’ai ...

Je m’interrompis car je venais de voir sa jambe. Guy avait été mordu. Il n’y avait plus aucun espoir. Il allait mourir, j’allais le perdre. Le soir où j’étais partie cinq ans plus tôt, je m’étais persuadée qu’un jour je rentrerai et le retrouverai. Je me serai alors contentée de n’être que l’épouse de l’adjoint du shérif. Je l’aurai eu lui. Mais aujourd’hui, tout espoir s’était évanoui. Je ne vieillirai jamais à ses côtés. Pour la première fois depuis longtemps, je m’autorisai à pleurer. Du bout des doigts, il récupéra mes larmes.

- Ne pleure pas pour moi, je n’en vaux pas la peine.

- Ne me dis pas ce que je dois faire ! Si je veux pleurer, je pleure !

- Jusqu’au bout tu m’auras contrarié ! Tu as toujours été une épine dans mon pied. Tu m’as toujours obsédée, tu sais. Jamais je n’aurais dû t’approcher cet été là. Mais tu étais si fraîche et en même temps rétive. Je voulais ce que tu refusais de me donner. Et je te l’ai pris.

- Tu n’as jamais rien eu que je ne voulais te donner.

Je lui dégageais le visage des cheveux qui le cachaient. La douleur lui marquait les traits. Mais il apparaissait plus doux, moins tourmenté. Je lui effleurai les lèvres des miennes.

- Tu vas me manquer.

- Tu n’as jamais eu besoin de moi. Pas comme moi... J’aurai tellement voulu te prouver ma valeur mais tout ce que j’ai réussi à faire ... Je ne vaux pas grand chose. J’ai tué, pillé, saccagé pendant que tu risquais ta vie pour les autres. Alors tu vois, je meurs heureux. J’ai fait la seule bonne chose dont j’étais capable. Je t’ai sauvée et pour moi rien d’autre n’a d’importance. Tu vas vivre. Promets-moi ...

-Ce que tu veux ...

-Continue, ne t’arrête jamais.

Tels furent ses derniers mots. Guy mourut dans mes bras. Je le pleurai de longues heures. Il ne fallut d’ailleurs pas moins de trois personnes pour me prendre son corps. Je refusai de le laisser. Il était à moi, il l’avait toujours été et l’avait prouvé en sacrifiant sa vie. Avant qu’on ne l’emmène, je l’embrassais une dernière fois et murmurais :

-Il n’y aura jamais plus valeureux que toi...