Une auberge pour les admirateurs de Jane Austen, et bien plus encore... |
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| Joyce Carol Oates | |
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Auteur | Message |
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Poiesis Coléoptère d'Afrique
Nombre de messages : 272 Age : 31 Date d'inscription : 27/02/2018
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Jeu 15 Mar 2018 - 15:42 | |
| - esperluette a écrit:
- Poiesis a écrit:
- Non du tout. Marya : une vie est un récit que je qualifierais plutôt d'initiatique.
Ok, j'avais tout faux, je ne sais pas pourquoi je le classais parmi les récits gothiques.
Je note de privilégier Bellefleur à La légende de Bloodsmoor pour découvrir cet aspect de son oeuvre alors (autant lire les meilleurs). Mais d'abord il faut que je lise ceux que j'ai sur ma PAL... (d'ailleurs j'ai aussi Carthage en attente Poiesis, si tu étais tentée par une petite lecture en duo !). Il n'y a pas de souci Avec plaisir ! (Je souhaitais justement sortir Carthage de ma PAL avant l'été.) |
| | | Petit Faucon Confiance en soie
Nombre de messages : 12005 Age : 59 Date d'inscription : 26/12/2011
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Jeu 15 Mar 2018 - 15:53 | |
| @ Selenh : j'aime bien ton expression sur l'acide, qui est très juste et imagée.
Moi j'utilise l'expression "à libération prolongée" ce qui est beaucoup plus moche et médical, mais ça signifie la même chose, la petite musique persistante qu'un livre laisse en moi, comme des répliques de séismes.
JCO appartient complètement à cette catégorie d'auteurs. |
| | | Selenh Méchante Femme Savante
Nombre de messages : 7065 Age : 65 Localisation : Aquitaine. Date d'inscription : 24/02/2010
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Jeu 15 Mar 2018 - 22:25 | |
| Comment dire ? Je ne voudrais pas être lourde mais cette expression de "gothique" appliquée à cette série de romans de JCO rapproche trompeusement Bellefleur de romans d'une facture somme toute classique qui lui sont incomparables. Bellefleur est un livre monde, il est à part, c'est tout. Pour le moment je le considère comme son chef-d'œuvre. Au niveau de l'architecture c'est du labyrinthe selon Borges appliqué @ du roman-fleuve. Ce qui se rapproche le plus de sa construction c'est Game of Thrones, et pourtant le résultat est complètement différent. |
| | | Poiesis Coléoptère d'Afrique
Nombre de messages : 272 Age : 31 Date d'inscription : 27/02/2018
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Ven 16 Mar 2018 - 7:47 | |
| Au contraire, merci beaucoup de préciser ! Cela donne vraiment envie de le découvrir ! Je me rappelle que JCO a évoqué en détail l'écriture de ce livre dans son journal et il pourrait aussi être intéressant de relire en quels termes elle en parle. |
| | | esperluette Magnolia-White Ampersand
Nombre de messages : 9312 Date d'inscription : 11/07/2009
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Ven 16 Mar 2018 - 12:16 | |
| - Poiesis a écrit:
- Avec plaisir ! (Je souhaitais justement sortir Carthage de ma PAL avant l'été.)
Chouette ! - Selenh a écrit:
- Comment dire ? Je ne voudrais pas être lourde mais cette expression de "gothique" appliquée à cette série de romans de JCO rapproche trompeusement Bellefleur de romans d'une facture somme toute classique qui lui sont incomparables. Bellefleur est un livre monde, il est à part, c'est tout.
Pour le moment je le considère comme son chef-d'œuvre. Au niveau de l'architecture c'est du labyrinthe selon Borges appliqué @ du roman-fleuve. Ce qui se rapproche le plus de sa construction c'est Game of Thrones, et pourtant le résultat est complètement différent. Je plussoie Poiesis, tes précisions sont très intéressantes à lire. J'utilise abusivement l'expression "roman gothique" pour différencier ces titres de sa veine réaliste, tout en ayant conscience qu'il ne s'agit pas de romans gothiques classiques. Ta référence à Borges m'intrigue. |
| | | Selenh Méchante Femme Savante
Nombre de messages : 7065 Age : 65 Localisation : Aquitaine. Date d'inscription : 24/02/2010
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Ven 16 Mar 2018 - 20:05 | |
| Ce n'est pas toi qui l'utilises abusivement, Esperluette, c'est ce qu'a fait la "vente", une de ces stratégies simplificatrices... Tant qu'à simplifier j'aurais plutôt donné pour point commun à ces romans leur aspect "réalisme magique".
Ma référence à Borges est très subjective : j'ai ressenti des choses en lisant Bellefleur similaires à ce que j'ai ressenti avec Borges (en particulier dans cette nouvelle où le labyrinthe suprême est le désert) et qui ne sont pas forcément les mêmes que ce toi tu as ressenti ?... |
| | | esperluette Magnolia-White Ampersand
Nombre de messages : 9312 Date d'inscription : 11/07/2009
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Lun 19 Mar 2018 - 9:44 | |
| Je n'ai pas encore lu Bellefleur (mais c'est prévu ), mais le peu que j'ai lu de Borges (la première partie de Fictions) m'a beaucoup impressionnée et ne ressemblait à rien de ce que j'avais lu auparavant. Suis donc curieuse de voir si je ressentirais la même parenté que toi entre ces deux auteurs ! Ces discussions m'ont donné envie de replonger dans JCO, et malgré mes deux lectures en cours, j'ai attaqué les Mulvaney ce weekend. |
| | | Poiesis Coléoptère d'Afrique
Nombre de messages : 272 Age : 31 Date d'inscription : 27/02/2018
| | | | esperluette Magnolia-White Ampersand
Nombre de messages : 9312 Date d'inscription : 11/07/2009
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Mer 28 Mar 2018 - 10:40 | |
| Je retrouve avec plaisir la plume de JCO. Et ne suis pas étonnée que ce titre soit considéré comme l'un de ses meilleurs. Seul bémol, je risque de devoir mettre ma lecture en pause car je pars en vacances la semaine prochaine et il est trop sévèrement attaqué (plus de la moitié) pour que je l'emmène. (Déjà que je m'éparpille en ce moment, je vais apparemment commencer un 4ème livre... ) |
| | | Selenh Méchante Femme Savante
Nombre de messages : 7065 Age : 65 Localisation : Aquitaine. Date d'inscription : 24/02/2010
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Sam 2 Juin 2018 - 13:39 | |
| Je viens d'achever Le département de musique, que JCO a publié sous le nom de « Rosamond Smith », si bien que, comme je l'ai réalisé tardivement, elle le considère comme un de ses polars. J'irais même jusqu'à « thriller ». Comme je suis devenu anti-présentation d'un livre ou d'un film depuis que j'ai découvert le plaisir violent de prendre l’œuvre en pleine figure, je ne vais pas m'étendre sur l'intrigue. Et je vous déconseille, si vous avez envie de vous plonger dedans de chercher plus d'informations sur internet : elles spolient bien trop, effectivement. J'échappe à ce phénomène parce que j'ouvre un peu au hasard des livres entassés dans ma liseuse depuis bien longtemps. Même si je les ai choisis en connaissance de cause à l'époque j'ai oublié ce qui a suscité mon intérêt a priori, si bien que je me régale d'autant plus que je ne sais absolument pas dans quoi je vais tomber. En l’occurrence avec mon auteure favorite je ne risque guère de me fourvoyer... Mais je fais ça avec d'autres bouquins aussi, quitte, si vraiment je sens qu'ils vont me tomber des mains, à aller chercher quelques critiques pour me re-stimuler. Me voilà embarquée encore à conseiller mes techniques de lectrice plus qu'à parler du roman lui-même ! Alors posons quelques éléments qui n'impliquent rien et qui vont peut-être vous intéresser... Comme le laisse pressentir le titre, cela se passe dans un milieu universitaire (précisément sur un campus pas très loin de New York, à la fin des années 80) dans la société composée des élèves et enseignants/artistes du département de musique. On commence par découvrir Maggie, un personnage principal qui n'est pas fascinant : il faut se laisser aller et dépasser ce genre de ressenti, cela fait partie de la qualité du roman. Après tout avec JCO ce n'est pas comme si on n'avait pas l'habitude d'un texte un peu « résistant ». Il faut être patient au départ, sachant que cette résistance, chez cet auteur, est cela-même qui procurera une plus-value à terme. On entre dans la vie, réglée « comme du papier à musique » of course, d'un personnage scrupuleux, un brin inhibé socialement. Un début qui n'est pas trépidant, mais il n'y a pas de longueur. Maggie, donc : fille de procureur, une sage célibataire ayant passé la trentaine, genre grande nordique au physique et au contact un peu froids. Directrice administrative du département de formation musicale pour étudiants avancés, professeure estimée et bonne pianiste soliste de récitals classiques. Une valeur sûre dans son travail, appréciée par ses collègue et les étudiants. Elle est un peu amoureuse, secrètement, de son président d'université et vieil ami, mais c'est un homme marié. - citation 1 :
« Elle ne se voyait pas et n’entretenait aucune vanité. Consciente de tant d’autres choses, chaleureuse et attentionnée avec autrui, quoique sans discernement, elle paraissait privée de toute conscience de soi. »
C'est tout ce que je vous dirais. À vous de voir maintenant si vous avez envie de vous plonger dans ce contexte et de faire un petit bout de chemin avec Maggie lorsqu'elle est amenée à gérer une « ténébreuse affaire »... - citation 2 :
« Il tremblait de tous ses membres, il claquait un peu des dents et bégayait affreusement… Cela ressemblait tant à un spasme musculaire que les policiers s’inquiétèrent vraiment de son état. [...] était-il épileptique, allait-il avoir une crise ? Il se contentait de répéter, oui, [...] oui je sais que vous me connaissez, oui je vais vous accompagner et répondre à vos questions mais je suis innocent, c’est moi la victime, il s’agit d’une erreur et je suis innocent, mais les borborygmes qui jaillissaient de sa bouche ressemblaient à peine à des mots. »
J'ai lu maintenant (a postériori donc) quelques présentations et critiques. Un amateur de polars écrivait que ce roman valait plus par son arrière plan que par l'énigme policière. Je ne la trouve pas si mal que ça, moi, cette énigme, mais il est vrai qu'elle est plutôt au service du roman socio-psychologique que l'inverse. Dans l'ensemble on ne risque pas de s'identifier aux protagonistes d'une façon bouleversante, ce n'est pas le but, mais j'ai ressenti de l'intérêt et de la sympathie. En tout état de cause, un titre que je recommande.
Dernière édition par Selenh le Sam 2 Juin 2018 - 21:55, édité 1 fois |
| | | Petit Faucon Confiance en soie
Nombre de messages : 12005 Age : 59 Date d'inscription : 26/12/2011
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Sam 2 Juin 2018 - 18:13 | |
| Merci de cette chaleureuse anti-présentation Je crois que j'aime tout chez JCO donc je note le titre précieusement. |
| | | Selenh Méchante Femme Savante
Nombre de messages : 7065 Age : 65 Localisation : Aquitaine. Date d'inscription : 24/02/2010
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Sam 2 Juin 2018 - 21:56 | |
| Yep, you're welcomed Little Hawk. Ah, oui, j'oubliais : je peux le passer à qui possède une liseuse. |
| | | Rosalind Ice and Fire Wanderer
Nombre de messages : 17037 Age : 74 Localisation : entre Rohan et Ruatha ... Date d'inscription : 17/04/2008
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Dim 17 Juin 2018 - 19:36 | |
| Merci pour la présentation Selenh je te l'emprunterai un de ces jours puisque tu le proposes si gentiment. Je viens de finir Nous étions les Mulvaney et je suis encore sous le choc, et sous le charme. Pas le temps de développer, mais cette première lecture de JCO m'a enthousiasmée, et je vais poursuivre ma découverte. Peut-être avec Bloodsmor que tu m'avais recommandé. |
| | | Selenh Méchante Femme Savante
Nombre de messages : 7065 Age : 65 Localisation : Aquitaine. Date d'inscription : 24/02/2010
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Dim 17 Juin 2018 - 22:26 | |
| Bloodsmor,... oui, dans l'absolu ; mais c'est encore autre chose, franchement différent. La veine dite gothique de JCO.
Si tu veux rester un peu dans le monde des Mulvaney, c'est Petit oiseau du ciel peut-être, qu'il faudrait que tu attaques. (Revoir mes posts antérieurs il m'a vraiment laissé une très durable impression...) Ah et puis toujours dans cette veine-là :Les chutes qui est plus ou moins considéré comme son premier très grand roman, un sacré voyage.
Et j'ai tous ceux dont je parle sous forme numérique bien sûr.
Dernière édition par Selenh le Dim 21 Avr 2019 - 21:47, édité 1 fois |
| | | Petit Faucon Confiance en soie
Nombre de messages : 12005 Age : 59 Date d'inscription : 26/12/2011
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Mar 19 Juin 2018 - 13:30 | |
| Chic ! une nouvelle adepte de JCOates !!!! Je suis ravie que tu sois tombée sous le charme, Rosalind ! Si je peux me permettre, je te conseille également Les chutes, qui a été un gros coup de coeur quand je l'ai lu (récemment), tu peux parcourir le topic pour te faire quelques idées ou glaner des suggestions de titres ... |
| | | Selenh Méchante Femme Savante
Nombre de messages : 7065 Age : 65 Localisation : Aquitaine. Date d'inscription : 24/02/2010
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Dim 9 Juin 2019 - 20:40 | |
| Très vite : (so little time !), parmi les divers JCO lus dernièrement, mentions spéciales pour Firefox (le film de Laurent Cantet est assez illustratif, mais ce n'est pas la même puissance) ; le Journal, témoignage unique de ce que peut être « écrire », et qui retrace en particulier l'élaboration du monument Bellefleur et pour finir La Fille du fossoyeur ( The Gravedigger's Daughter), qui ajoute une intégration de la Shoah dans cette problématique -fréquente chez cette auteure, mais toujours renouvelée- d'une femme abîmée qui crée sa vie comme elle peut après. Les équipées de liseuse, je peux vous les prêter, bien sûr ! ----------------------------------------------------------------- Je viens d'attaquer Mudwoman. Soit je suis sous influence mystique soit le premier chapitre est hallucinant, et la traduction d'une sonorité, d'une force de style... - Mudgirl sur la terre de Moriah:
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Avril 1965
Tu dois être préparée, dit la femme. Préparée n’était pas un mot que l’enfant comprenait. Prononcé par la femme, préparée était un mot calme et lisse comme l’eau miroitante des marais de la Black Snake que l’enfant prendrait pour les écailles d’un serpent géant quand on est tellement près du serpent qu’on ne peut pas vraiment le voir. Car c’était ici la terre de Moriah, disait la femme. Cet endroit où elles étaient arrivées dans la nuit, cet endroit qui leur avait été promis, où leurs ennemis n’avaient pas d’empire sur elles et où personne ne les connaissait ni ne les avait même jamais aperçues. La femme parlait de sa voix d’eau miroitante, calme et lisse, et ses mots étaient prononcés uniment comme si elle traduisait aveuglément à mesure qu’elle parlait, des mots d’une forme étrange qui se logeaient au petit bonheur dans son larynx : ils la feraient souffrir, mais elle était habituée à la douleur et elle avait appris à y trouver un bonheur secret, trop merveilleux pour être mis en péril par son aveu. Il nous dit d’avoir foi en Lui. Dans tout ce qui se fait, d’avoir foi en Lui. Du sac de toile où, durant ces jours et ces nuits sur la route sinueuse au nord de Star Lake, elle avait transporté ce qu’il leur fallait pour atteindre sans encombre la terre de Moriah, la femme sortit les ciseaux. Dans son sommeil épuisé l’enfant entendait le cri des corbeaux cisaillant l’air comme des ciseaux dans les marais de la Black Snake River. Dans son sommeil respirant une odeur âcre saumâtre d’eau stagnante, de terre noire et de débris pourrissant dans la terre. Un jour et une nuit sur la route le long du vieux canal et un autre jour et cette nuit-ci qui n’était pas encore l’aube en lisière des marais. Aie foi en Lui. Ceci est entre Ses mains. Et la voix de la femme qui n’était pas sa voix rauque et tendue habituelle mais cette voix de détachement et d’émerveillement devant quelque chose qui s’est bien passé alors qu’on ne s’y attendait pas, ou pas tout à fait aussi tôt. S’il est mal que cela soit fait, Il enverra un ange du Seigneur comme il en a envoyé à Abraham pour que soit épargné son fils Isaac et aussi à Agar pour que soit rendue la vie à son fils dans le désert de Bersabée. Dans ses doigts courtauds irrités et prompts à saigner après trois mois de ce savon de soude granuleux qui était le seul à disposition dans le centre de détention du comté, la femme brandit les grands ciseaux de couturière ternis pour couper les cheveux emmêlés de l’enfant. Avec ces doigts courtauds tirant sur les cheveux, l’amas de touffes et de nœuds poisseux des fins cheveux sable de l’enfant, devenus « sales », « puants » et « grouillant de vermine ». Ne bouge pas ! Sois sage ! Tu es préparée pour le Seigneur. Car nos ennemis t’enlèveront à moi, si tu n’es pas préparée. Car Dieu nous a guidées jusqu’à la terre de Moriah. Sa promesse est que nul n’enlèvera un enfant à sa mère légitime en ce lieu. Et les ciseaux géants cliquetèrent et claquèrent gaiement. On sentait que les ciseaux géants étaient fiers de couper les cheveux souillés de l’enfant qui offensaient la vue de Dieu. Tout près des oreilles tendres de l’enfant passaient les ciseaux géants, et l’enfant tremblait et se tortillait, pleurnichait et pleurait ; et la femme ne put faire autrement que de gifler le visage de l’enfant, pas fort, mais assez fort pour la calmer, comme souvent la femme avait coutume de le faire ; assez fort pour que l’enfant s’immobilise à la façon dont même un bébé lapin s’immobilise avec la ruse de la terreur ; et puis, quand les cheveux de l’enfant reposèrent en boucles pâles sur le sol taché de boue, la femme passa une lame de rasoir sur la tête de l’enfant – une lame serrée étroitement entre ses doigts – raclant le crâne tondu de l’enfant et cette fois l’enfant se rebiffa et pleurnicha plus fort et se débattit – et avec un juron la femme lâcha la lame de rasoir ternie et couverte de cheveux et la femme l’écarta d’un coup de pied avec un rire âpre et surpris comme si en souhaitant débarrasser l’enfant de ses cheveux emmêlés et souillés qui étaient une honte aux yeux de Dieu la femme était allée trop loin, et que son erreur lui eût été manifestée. Car il était mal de sa part de jurer – Bon Dieu ! De prendre le nom du Seigneur en vain – Bon Dieu ! Car dans le centre de détention du comté de Herkimer la femme avait fait vœu de silence pour défier ses ennemis et elle avait fait vœu d’obéissance totale au Seigneur Dieu et pendant les semaines qui avaient suivi sa libération jamais avant cet instant elle n’avait trahi son vœu. Pas même devant le tribunal des affaires familiales du comté de Herkimer. Pas même quand le juge lui avait parlé avec dureté, exigeant qu’elle parle – qu’elle plaide coupable, non coupable. Pas même quand la menace était que les enfants lui seraient retirés de force. Que les enfants – les sœurs – qui avaient cinq et trois ans – seraient confiés au comté et placées dans une famille d’accueil et même alors la femme n’avait pas parlé car Dieu lui insufflait Sa force face à ses ennemis. Et donc la femme prit des ciseaux plus petits dans le sac de toile pour couper les ongles de l’enfant, si court que la chair tendre sous les ongles se mit à saigner. Bien qu’effrayée et tremblante, l’enfant réussit à rester immobile, comme le bébé lapin reste immobile dans l’espoir désespéré, cet espoir si puissant chez les êtres vivants, notre attente la plus profonde face à toutes les preuves contraires, que le terrible danger passe. Car – peut-être – était-ce un jeu ? Ce que l’homme aux cheveux hérissés appelait un jeu ? En cachette de la femme il y avait la petite tarte aux cerises – une tarte aux cerises sucrées enveloppée de papier paraffiné assez petite pour tenir dans la paume de l’homme aux cheveux hérissés – si délicieuse que l’enfant la dévorait goulûment avant qu’elle puisse être partagée avec quelqu’un d’autre. Et il y avait plaf-plouf qui était le bain donné à l’enfant dans la baignoire aux pieds griffus pendant que la femme dormait sur le matelas à même le sol dans la pièce d’à côté les membres répandus comme si elle était tombée de haut sur le dos gémissant dans son sommeil et se réveillant dans une quinte de toux comme si elle toussait ses poumons. Le bain de l’enfant qui n’avait pas été baignée depuis bien des jours et en même temps que le bain il y avait le jeu des chatouilles. Doucement ! – comme si elle était une poupée cassable en porcelaine et pas une poupée en caoutchouc coriace comme Dolly qu’on pouvait brinquebaler, laisser tomber et faire valser d’un coup de pied si elle était dans vos jambes – et en silence ! – l’homme aux cheveux hérissés porta l’enfant jusqu’à la salle de bains et jusqu’à la baignoire aux pieds griffus qui était grande comme une auge où boivent les animaux et dans la salle de bains une fois la porte fermée – en forçant – parce que le bois gondolait et que le verrou ne marchait plus – l’homme aux cheveux hérissés enleva son pyjama sale à l’enfant et la déposa – doucement ! – un index pressé sur ses lèvres pour indiquer qu’il ne fallait pas faire de bruit – il la déposa dans la baignoire – dans l’eau qui jaillissait du robinet teintée de rouille et à peine tiède et il n’y avait pas beaucoup de bulles de savon sauf quand l’homme frotta vigoureusement entre ses paumes le savon Ivory qui sentait bon et frictionna de mousse le petit corps pâle de l’enfant qui se tortillait comme quelque chose de mou extrait de sa coquille parce que c’était le jeu des chatouilles – le jeu secret des chatouilles ; et avec toutes ces éclaboussures l’eau refroidit si vite qu’il fallut en rajouter avec le robinet – mais le robinet gronda comme s’il n’était pas content et l’homme aux cheveux hérissés appuya l’index sur ses lèvres plissées comme les lèvres d’un clown de télévision et ses sourcils ébouriffés se soulevèrent pour faire rire l’enfant – ou en tout cas pour qu’elle cesse de se tortiller et de se démener – parce que le jeu des chatouilles chatouillait ! – l’homme aux cheveux hérissés rit d’un rire sifflant presque silencieux et puis très vite il s’endormit la bouche ouverte ayant perdu l’énergie qui crépitait en lui comme de l’électricité et l’enfant attendit qu’il se mette à ronfler mi-assis mi-couché sur le sol éclaboussé de la salle de bains, le dos contre le mur et des gouttelettes d’eau brillantes dans les épais poils couleur d’acier de sa poitrine et sur les plis flasques de son ventre et de son bas-ventre et quand finalement en début de soirée l’homme aux cheveux hérissés se réveilla – et quand la femme vautrée sur le matelas dans la pièce d’à côté se réveilla – l’enfant était sortie de la baignoire toute nue et grelottante et la peau blanche et ridée comme la peau d’un poulet plumé et la femme et l’homme aux cheveux hérissés la cherchèrent pendant longtemps avant de la découvrir cramponnée à sa vilaine poupée chauve et recroquevillée comme un petit ver de terre écrasé dans un tas de toiles d’araignée et de moutons de poussière sous l’escalier de la cave. Cache-cache ! Cache-cache et c’est l’homme aux cheveux hérissés qui l’avait trouvée ! Car qu’étaient les actes des adultes sinon des jeux et des variantes de jeux ? L’enfant avait appris qu’un jeu prenait fin à la différence d’autres actes qui n’étaient pas des jeux et ne se terminaient pas mais s’étiraient à l’infini comme une route ou une voie ferrée ou la rivière qui coulait sous les planches mal jointes du pont à côté de la maison où la femme et elle avaient habité avec l’homme aux cheveux hérissés avant les ennuis. Ça ne te fait pas mal ! Tu vas offenser Dieu si tu fais autant d’histoires. La voix de la femme n’était plus aussi calme maintenant, mais à vif comme quelque chose qui a été cassé et fait souffrir. Et les doigts de la femme étaient plus durs, les ongles cassés et inégaux s’enfonçaient acérés comme des griffes de chat dans la chair de l’enfant. Le crâne tendre de l’enfant saignait. Dans le chaume des cheveux restants, dans les mèches poisseuses coupées au petit bonheur et en partie rasées grouillaient de minuscules poux. À ce moment-là les habits souillés de l’enfant avaient été retirés, mis en boule et jetés de côté. C’était une cabane de papier goudronné que la femme avait découverte dans les broussailles entre la route et le chemin de halage. Le signe de Dieu qui l’avait dirigée vers cet endroit abandonné était une vieille croix renversée au bord de la route qui était en fait un poteau indicateur si effacé qu’on ne pouvait distinguer les noms ni les chiffres mais la femme avait lu MORIAH. Dans cet endroit infect où elles avaient dormi enveloppées dans le manteau froissé et taché de la femme, il était impossible de baigner l’enfant. Et de toute façon le temps aurait manqué, car Dieu s’impatientait maintenant que l’aube était là et c’était pour cela que les mains de la femme tâtonnaient et que ses lèvres formaient des prières. Le ciel s’éclaircissait comme un grand œil qui s’ouvre et presque tout ce qu’on en voyait était encombré de gros nuages denses comme des blocs de béton. Sauf au sommet des arbres à l’autre bout des marais où le soleil se levait. Sauf qu’en regardant bien on voyait que les nuages de béton fondaient et que le ciel était strié de nuages rouge pâle translucides pareils aux veines d’un grand cœur translucide ce qui était le réveil de Dieu à l’aube nouvelle de la terre de Moriah. Dans la voiture la femme avait dit Je saurai quand je verrai. Je mets ma foi dans le Seigneur. La femme dit En dehors du Seigneur, tout est fini. La femme ne parlait pas à l’enfant car il n’était pas dans son habitude de parler à l’enfant même quand elles étaient seules. Et quand elles étaient en présence d’autres gens, la femme avait entièrement cessé de parler de sorte que ceux qui ne l’avaient pas connue en retiraient l’impression qu’elle était à la fois sourde et muette et sans doute née ainsi. En présence des autres la femme avait appris à se recroqueviller à l’intérieur de ses vêtements qui flottaient sur elle parce que au temps de sa grossesse elle avait eu honte et peur des regards des inconnus braqués sur elle tels des rayons X et avait donc acquis des vêtements d’homme qui dissimulaient son corps – quoiqu’elle porte lâchement noué autour du cou, parce qu’elle avait souvent la gorge douloureuse et craignait les angines, un foulard d’un tissu violet brillant et froncé qu’elle avait ramassé quelque part. L’enfant était nue sous la chemise de nuit en papier. Le crâne de l’enfant écorché par le rasoir saignait d’une dizaine de petites coupures et elle était nue et grelottante dans la chemise de nuit en papier vert pâle estampillée DÉTENTION COMTÉ HERKIMER que les ciseaux géants avaient coupée pour en diminuer la longueur sinon la largeur de sorte qu’elle arrive juste à la hauteur des chevilles maigres de l’enfant. Une chemise en papier provenant du service médical du comté de Herkimer rattaché au centre de détention pour femmes. Sur le siège arrière de la Plymouth rouillée et bringuebalante qui était le seul legs de l’homme aux cheveux hérissés se trouvait la poupée en caoutchouc de l’enfant. Dolly était le nom de cette poupée qui avait été celle de sa sœur et était maintenant la sienne. Le visage de Dolly était sale et ses yeux avaient cessé de voir. La petite bouche de Dolly grimaçait dans la vilaine chair en caoutchouc. Et Dolly était presque chauve, elle aussi, il ne lui restait que quelques plaques de fins cheveux bouclés couleur sable et on voyait que ces pauvres cheveux avaient été collés sur le crâne en caoutchouc. À cent dix kilomètres au nord de Star Lake, un lieu aussi reculé pour la femme et l’enfant que la face cachée de la lune, les marais sombres au bord de la rivière. Sur les routes de montagne sinueuses et tortueuses, ce trajet d’à peine cent dix kilomètres avait pris des jours, car la femme craignait de conduire l’automobile bringuebalante à plus de cinquante à l’heure. Indispensable aussi pour elle que son obéissance à Dieu soit manifestée par cette lenteur et par cette délibération comme quelqu’un qui ne sait lire qu’en suivant de l’index chaque lettre de chaque mot devant être prononcé à haute voix. L’enfant ne pleurnichait pas. Mais la femme pensait qu’au fond d’elle-même elle pleurnichait malgré tout, car les deux enfants étaient rebelles. Aucun peigne ne pouvait venir à bout de cheveux aussi emmêlés. De leurs cris durs et railleurs les corbeaux blasphémaient Dieu. Railleurs exigeant de savoir comme le juge (une femme, entre deux âges) avait exigé de savoir pourquoi on avait trouvé ces enfants sales et demi-nues derrière le Shop-Rite fouillant dans une benne à ordures à la recherche de nourriture tels des chiens errants ou des bêtes sauvages terrifiées par le faisceau d’une torche. Et l’aînée des sœurs étreignant la main de la cadette et refusant de lâcher. Et comment la mère explique-t-elle et comment la mère plaide-t-elle. Fièrement la femme avait fait face, le menton levé et les yeux fermés contre la Prostituée de Babylone vêtue de noir mais la bouche tapageusement peinte et les sourcils épilés en arcs comme des ailes d’insecte. La femme ne s’abaisserait pas davantage à plaider qu’à tomber à genoux devant cette image du vice. Les enfants lui avaient été retirés et remis temporairement à la garde du comté. Mais la volonté de Dieu avait fait que tout ce qui appartenait légitimement à la femme lui avait été rendu, en temps voulu. Pendant toutes ces semaines, ces mois… jamais la femme n’avait faibli dans sa conviction que tout ce qui était sien lui serait rendu. Et maintenant le ciel de l’aube à l’est ne cessait de changer, de se dilater. Le ciel de béton gris qui est le monde-sans-Dieu battait en retraite. On pouvait presque voir des anges de colère dans ces nuages brisés. Des miroitements de lumière sanglante dans les bras d’eau stagnante des marais. À moins de cinq cents mètres de la Black Snake dans une région désolée du nord-est du comté de Beechum au pied des Adirondacks, où la main de Dieu l’avait guidée. Il y avait là les restes d’une fabrique abandonnée, un chemin de terre et des débris pourris au milieu de grandes herbes serpentines qui frissonnaient et murmuraient dans le vent. Des racines d’arbres dénudées et des troncs d’arbres effondrés et pourrissants portant le visage convulsé et épouvanté des damnés. Et une beauté dans ces lieux désolés, que Mudgirl chérirait toute sa vie. Car nous chérissons plus que tout ces lieux où nous avons été conduits pour mourir mais où nous ne sommes pas morts. Pas d’odeur plus prenante que l’âcre odeur de boue des marais où l’eau saumâtre de la rivière s’infiltre et demeure prisonnière et stagnante sous des algues d’un vert cru de Crayola. D’immenses hectares impénétrables de marais semés de massettes, de daturas et de déchets – vieux pneus, bottes, vêtements déchirés, parapluies brisés et journaux pourris, cuisinières abandonnées, réfrigérateurs aux portes ouvertes comme des bras vides. Voyant un petit réfrigérateur trapu couché sur le côté dans la boue, l’enfant pensa Elle va nous mettre dans celui-là. Mais quelque chose n’allait pas. La pensée revint une seconde fois, pour corriger : Elle nous a mises dans celui-là. Elle a fermé la porte. Il y eut soudain un tourbillon de corbeaux, de carouges, d’étourneaux, comme si l’enfant avait parlé tout haut et prononcé quelque chose d’interdit. La femme cria en agitant le poing, Dieu vous maudira ! Les cris rauques accusateurs s’enflèrent encore. D’autres oiseaux au plumage noir apparurent, déployant leurs grandes ailes. Ils se posèrent sur les arbres squelettiques, farouches et caquetants. La femme cria, jura et cracha mais les cris d’oiseaux continuèrent et l’enfant sut alors que les oiseaux étaient venus pour elle. Ceux-là étaient envoyés par Satan, dit la femme. Il était temps, dit la femme. Un jour et une nuit et un autre jour et à présent la nuit était devenue l’aube du nouveau jour et il était temps et donc malgré les oiseaux hurleurs mi-traînant mi-portant l’enfant dans sa robe de papier déchirée la femme se dirigea vers la fabrique en ruine. Tirant si fort sur le petit bras maigre de l’enfant qu’elle semblait devoir l’arracher de son articulation. La femme dépassa la fabrique en ruine qui sentait fort une odeur fermentée et douceâtre et s’avança dans un espace de briques cassées et de bois pourri couchés dans une terre noire boueuse au milieu d’herbes épineuses de la hauteur d’un enfant. Dans sa précipitation elle dérangea un long serpent noir qui dormait dans le bois pourri et au lieu de fuir aussitôt le serpent s’éloigna d’un lent mouvement sinueux semblant défier l’intruse. La femme s’immobilisa – la femme regarda – car la femme attendait qu’un ange de Dieu lui apparaisse – mais le serpent noir scintillant n’était pas un ange de Dieu et dans un transport de douleur furieuse, de déception et de détermination la femme cria Retourne d’où tu viens Satan mais déjà insolent et triomphant le serpent avait disparu dans les buissons. L’enfant avait cessé de pleurnicher car la femme le lui avait interdit. L’enfant déchaussée et nue dans la chemise de papier vert pâle chiffonnée et déchirée estampillée DÉTENTION COMTÉ HERKIMER. Les jambes de l’enfant étaient très maigres et piquetées de morsures d’insectes dont beaucoup saignaient, ou n’avaient cessé de saigner que depuis peu. La tête quasi chauve de l’enfant, semée de chaume et de coupures sanglantes et les yeux hébétés, désorientés. Au bout d’un sentier menant au chemin de halage s’allongeait une langue de terre où luisait une boue couleur caca de bébé, teintée de jaune soufre : et l’odeur était celle du caca de bébé car il y avait là beaucoup de choses pourries et englouties. Des brumes légères montaient des marais comme des souffles agonisants. L’enfant se mit à pleurer avec désespoir. Quand la femme l’entraîna sur la langue de terre, l’enfant se débattit mais ne put triompher. L’enfant était faible à force de malnutrition mais néanmoins elle n’aurait pu triompher car la femme était forte et la force de Dieu courait en elle comme un feu ardent à l’éclat aveuglant. Le visage de la femme flamboyait, jamais elle n’avait été aussi certaine d’elle-même ni éprouvé autant de joie dans sa certitude. Car elle savait à présent que l’ange de Dieu ne lui apparaîtrait pas comme il était apparu à Abraham et à Agar qui avait porté l’enfant d’Abraham et été chassée dans le désert par Abraham avec l’enfant pour qu’ils y meurent de soif. Et ce n’était pas la première fois que l’ange de Dieu lui était refusé. Mais ce serait la dernière. Avec un rire amer la femme dit : Tiens, je Te la rends. Comme Tu me l’as ordonné, je Te la rends. D’abord, Dolly : la femme arracha Dolly aux doigts de l’enfant et jeta Dolly dans la boue. Tiens ! Voici la première. La femme parlait gaiement, durement. La poupée en caoutchouc gisait dans la boue l’air stupéfait. Ensuite, l’enfant : la femme enserra l’enfant dans ses bras pour la précipiter au bas de la langue de terre et dans la boue – l’enfant s’accrocha à elle n’osant crier que maintenant Maman ! Maman ! – la femme détacha les doigts de l’enfant et la poussant à coups de poing et de pied la fit rouler dans la boue luisante au bas de la pente abrupte tout près de la vilaine poupée de caoutchouc, et là l’enfant battit l’air de ses bras maigres et nus, à plat ventre maintenant, son petit visage stupéfait enfoncé dans la boue qui étouffait ses Maman ! et sur la berge au-dessus la femme chercha frénétiquement quelque chose – une branche d’arbre brisée – pour en frapper l’enfant car Dieu est un Dieu miséricordieux qui n’aurait pas voulu que l’enfant souffre mais la femme ne put atteindre l’enfant et de dépit jeta la branche sur l’enfant car tout son calme l’avait quittée et elle était maintenant haletante, hors d’haleine et sanglotante et à présent bien que la vilaine poupée de caoutchouc restât là où elle était tombée à la surface de la boue, l’enfant agitée était aspirée par la boue, une boue froide bouillonneuse que le soleil ne réchaufferait guère, une boue qui pénétrait dans la bouche de l’enfant, et qui pénétrait dans les yeux de l’enfant, et qui pénétrait dans les oreilles de l’enfant, jusqu’à ce que finalement il n’y eût plus personne sur la langue de terre au-dessus du marais pour la regarder se débattre et pas d’autre bruit que le cri des corbeaux outragés.
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| | | Petit Faucon Confiance en soie
Nombre de messages : 12005 Age : 59 Date d'inscription : 26/12/2011
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Mar 11 Juin 2019 - 17:22 | |
| Ah oui, ça dépote ! Il y a une force là-dedans, c'est incroyable ; et c'est très beau à lire à voix haute aussi. JCO a le don de rendre insipide 90% des écrivains, c'est une grande qualité, j'ai toujours pensé qu'elle est digne du Nobel. Merci Selenh d'avoir posté cet extrait, un moment d'éternité |
| | | esperluette Magnolia-White Ampersand
Nombre de messages : 9312 Date d'inscription : 11/07/2009
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Mer 2 Oct 2019 - 12:11 | |
| Au sommaire du nouveau numéro de la revue America, un long entretien avec Joyce Carol Oates. |
| | | Juliette2a Tenant of Hamley Hall
Nombre de messages : 29105 Age : 27 Localisation : Entre l'Angleterre et la Thaïlande ! Date d'inscription : 06/03/2012
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Lun 14 Sep 2020 - 19:02 | |
| Comme promis, je poste ici mes impressions suite à ma lecture de Nulle et grande gueule, dont je vous remets le résumé : - Spoiler:
Elle c'est Ursula. Parce qu'elle est grande, très grande, mal dans sa peau, Ursula se surnomme elle-même la Nulle. C'est pourtant, à seize ans, une belle fille, intelligente et d'une volonté peu commune. Solitaire, indépendante, elle ne ressemble pas aux autres. Lui, c'est Matt. Doué, drôle, c'est un garçon brillant, apprécié de tous. Il aime faire rire, il parle haut et fort. Trop parfois. Le jour où il a menacé de poser une bombe au lycée, Matt plaisantait. Mais les événements vont prendre une tournure de plus en plus dramatique : soupçonné, accusé, isolé, il voit sa vie devenir peu à peu un enfer. Seule Ursula ne cède pas à la rumeur ...
Je dois dire que je n'ai jamais lu de roman de JC Oates (même si certains de ses romans m'attirent comme sa trilogie "gothique" comprenant Bellefleur) et si j'ai bien compris, Nulle et grande gueule est l'un de ses rares romans "adolescents" : et bien, si c'est le cas, JC Oates s'en sort très bien J'ai trouvé ce roman original et intéressant, aussi bien pour un public adolescent qu'adulte, car il aborde un sujet fort : quelles sont les conséquences pour un lycéen et son entourage de paroles dites sans mauvaise intention, mais déformées et transformées en menaces ? Dès le début de l'histoire, je me suis attachée à Matt, jeune garçon drôle, mais en réalité timide, extrêmement brillant, ayant peu confiance en lui, qui se retrouve, en l'espace de quelques heures, au centre de l'attention de toute une ville, puis se retrouve totalement isolé, ignoré, accusé et ce, sans preuve. J'ai également apprécié Ursula, dont j'ai admiré le courage, la liberté par rapport au regard des autres, l'originalité, l'intelligence Les deux forment une paire terriblement attachante, à laquelle s'ajoute l'adorable Citrouille, le chien de Matt, éprouvant pour ce dernier un amour inconditionnel Le roman offre donc une très belle réflexion sur les rapports humains, nous invite à réfléchir à l'importance d'une main tendue à l'adolescence (période difficile) mais pas seulement, nous montre que les amitiés se forgent souvent après des épreuves difficiles et que des "amis" d'hier peuvent devenir de simples connaissances du jour au lendemain... C'est un roman qui vaut le coup d'œil, ne serait-ce que parce qu'il évoque des valeurs hélas souvent oubliées, comme la tolérance, l'amitié, l'amour, la justice ou encore la famille. Une très belle lecture ! |
| | | Ysabelle Stardust Reveries
Nombre de messages : 36539 Localisation : Quelque part entre l'orient et l'occident Date d'inscription : 07/05/2010
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Lun 14 Sep 2020 - 19:40 | |
| Juliette, merci pour ce beau commentaire. Ça donne vraiment envie de lire ce livre et J.C Oates en général. J e n'ai encore rien lu de cet auteur et ton commentaire me dit qu'il faut commencer par celui-ci |
| | | Petit Faucon Confiance en soie
Nombre de messages : 12005 Age : 59 Date d'inscription : 26/12/2011
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Mar 15 Sep 2020 - 8:25 | |
| Merci Juliette pour cette belle présentation ! Je ne connaissais pas du tout ce titre de JCO, et c'est vrai que c'est très attrayant ; Elle excelle à peindre le mal être de l'adolescence. |
| | | esperluette Magnolia-White Ampersand
Nombre de messages : 9312 Date d'inscription : 11/07/2009
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Mar 15 Sep 2020 - 10:43 | |
| Merci Juliette pour ton retour sur ce livre, cela réveille vaguement quelques souvenirs en moi. C'est le premier Oates que j'ai lu, quand j'étais ado. Je sais que je l'avais trouvé assez marquant, tu me donnes envie de le relire un jour. |
| | | Juliette2a Tenant of Hamley Hall
Nombre de messages : 29105 Age : 27 Localisation : Entre l'Angleterre et la Thaïlande ! Date d'inscription : 06/03/2012
| | | | Petit Faucon Confiance en soie
Nombre de messages : 12005 Age : 59 Date d'inscription : 26/12/2011
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Jeu 20 Jan 2022 - 17:26 | |
| Mon compte-rendu sur Petite soeur, mon amour (My sister, my love) de JC Oates, paru en 2008
C'est un livre qui se présente comme une long témoignage raconté par Skyler Rampike, 19 ans, sur sa famille et sa petite soeur Bliss, patineuse prometteuse prodige, retrouvée assassinée la veille de son 7e anniversaire dans la cave de sa maison, 10 ans plus tôt.
Ici JCO transpose de façon très transparente un fait divers réel, l'assassinat en 1996 de JonBenet Ramsay, mini-miss de 6 ans exhibée elle aussi par ses parents, assassinat resté inexpliqué à ce jour.
Le sujet est donc assez lourd, et JCO excelle à décortiquer les travers de cette société américaine de bourgeois chrétiens blancs, ici dans le New Jersey, avides d'ascension sociale et de respectabilité. Le père, Bix, jeune "cadre dynamique" aux dents de loup, change de société et de job tous les 2/3 ans, et ne s'intéresse qu'à l'argent et aux avantages qu'il procure ; c'est un ancien sportif universitaire, grand, belle gueule, le mâle dominant blanc américain par excellence ; il a une propension à citer des proverbes approximativement, et tire sur tout ce qui porte une robe, surtout si elle est blonde aux yeux bleus. Il est marié à Betsey, femme au foyer, sans instruction, et qui a coupé les ponts avec sa famille (pour une raison qu'on ne connaitra jamais) ; ses atouts sont une forte poitrine, et c'est à peu près tout ; elle ne s'intéresse qu'à elle, son aspect physique, et est prête à tout pour garder son mari ; elle n'a pas réussi à percer comme patineuse professionnelle dans sa jeunesse. Ces 2 oiseaux-là veulent donc réussir à tout prix, et en commençant par leurs enfants, qu'ils traitent comme des instruments de leur propre réussite sociale. Cet aspect-là du livre est vraiment bien décortiqué, et fait vraiment froid dans le dos, d'autant qu'on réalise en temps que lecteur que c'est une attitude assez répandue. Le père va vouloir faire de son fils ainé un sportif de haut niveau, alors qu'il n'a aucun goût pour ça, et la mère va essayer de faire de son fils puis de sa fille une patineuse professionnelle, en la présentant à des concours et en gérant sa carrière dès ses 4 ans.
On voit aussi que toute attitude non normative des enfants est combattue aussitôt par une batterie de spécialistes supportés par l'industrie du médicament, et j'ai été vraiment révoltée par cette façon de canaliser les attitudes "différentes" ou tout simplement qui n'adhère pas au credo des parents.
Pour terminer, et connaissant JCO, j'ai craint que le livre se termine de façon très négative, et j'ai été heureusement surprise par la fin, qui ouvre une porte et donne un peu d'espoir au personnage de Skyler.
Un très bon livre, donc. |
| | | Juliette2a Tenant of Hamley Hall
Nombre de messages : 29105 Age : 27 Localisation : Entre l'Angleterre et la Thaïlande ! Date d'inscription : 06/03/2012
| Sujet: Re: Joyce Carol Oates Ven 21 Jan 2022 - 18:07 | |
| Merci pour ton retour, Petit Faucon J'avais beaucoup aimé Nulle et grande gueule, donc je me note celui-ci pour poursuivre la découverte de l'univers de JC Oates ! |
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