SUR LES TRACES D’ANNE BRONTË
EN CINQ PROMENADES
V
SCARBOROUGH
La Locataire de Wildfell Hall parut au mois de juin 1848, sept mois seulement après
Agnès Grey.
Comme on le sait d'après une lettre de Charlotte, Anne Brontë en poursuivit la rédaction au détriment de sa santé.
On peut supposer que ses efforts ne furent pas non plus facilités par le tour désespéré que prenait la déchéance de Branwell. Dans ses délires causées par l'alcool et le laudanum, il mit même une fois accidentellement le feu à sa chambre – ce qui décida son père à le tenir sous sa garde la nuit.
Si Anne Brontë fut sans nul doute inspirée par son frère pour traiter des ravages de l'alcoolisme dans
La Locataire de Wildfell Hall, au vrai l'on ignore tout à fait les sentiments qu'elle développa à son égard. Il en est pareillement d'Emily du reste tandis que l'on sait en revanche que Charlotte finit par éprouver une certaine aversion.
Beaucoup de critiques ont toutefois cru retrouver la représentation de Branwell sous les traits d'Arthur Huntingdon ou ceux de Lord Lowborough dans le roman d'Anne. Pour ma part, je trouve la question simplement oiseuse tant, à la différence d'
Agnès Grey, fondé sur le témoignage d'un vécu,
La Locataire de Wildfell Hall se présente comme une œuvre distanciée.
Au chapitre des identités, on peut s'amuser par contre de ce qui advint à
La Locataire de Wildfell Hall à sa parution. D'abord, il faut savoir qu'à ce moment-là, même les éditeurs des sœurs Brontë (George Smith pour Charlotte et Thomas Newby pour Emily et Anne) ne connaissaient toujours pas la véritable identité de celles-ci comme leurs rapports avec elles étaient entretenus uniquement par voie postale. Toutefois, le sexe et le nombre des frères Bell faisaient question au sein de la presse et du public. Aussi est-ce sans doute à la faveur de ces doutes que Thomas Newby entreprit de vendre les droits de
La Locataire de Wildfell Hall aux États-Unis en le faisant passer pour une œuvre, non de l'obscur auteur d'
Agnès Grey, Acton Bell (alias Anne Brontë), mais de l'auteur à succès de
Jane Eyre, Currer Bell (alias Charlotte Brontë). Ayant vent de l'affaire, George Smith adressa alors à Charlotte une lettre pour obtenir des éclaircissements. En guise de réponse, Charlotte partit sans tarder pour Londres avec Anne, de sorte que leurs éditeurs respectifs apprirent enfin toute la vérité sur les frères Bell (ce qui du reste mécontenta Emily pour son cas personnel).
Ce voyage précipité, qui ne dura que quelques jours, marqua pour Anne la seule occasion de sa vie où elle franchit les limites de son Yorkshire natal.
Je ne m’étendrai guère sur
La Locataire de Wildfell Hall dont la reconnaissance a été tardive. Ce roman relate la fuite du domicile conjugal d'Helen Huntingdon avec son petit garçon pour échapper à la violence de son mari Arthur, alcoolique et joueur. Comme dans
Agnès Grey, Anne Brontë traite de cette situation malheureusement toujours fréquente de nos jours sur une toile de fond religieuse en affirmant, contre la doctrine de la prédestination, sa foi dans le salut universel.
Si
Agnès Grey était passé inaperçu, il n'en fut pas de même de
La Locataire de Wildfell Hall dont le ton réaliste pour traiter de l'assujettissement des femmes choqua. Anne répondra avec fermeté à ses censeurs dans une courte préface - qui devait représenter son dernier texte publié.
Comme nous l'avons laissé entendre, après la parution de
La Locataire de Wildfell Hall, les jours d'Anne Brontë, dont la santé donnait des signes sérieux de dégradation, étaient comptés. Il en était de même de Branwell et d'Emily. En fait, on pense que tous étaient atteints depuis longtemps par la tuberculose. Quoi qu'il en soit, Branwell devait succomber le premier à ses excès au mois de septembre 1848 alors qu'il avait 31 ans. Alors que Charlotte se plaisait à croire en la vigueur physique d'Emily, une infection foudroyante – provoquée par un mauvais coup de froid pris le jour même de l'enterrement de Branwell – emportera cette dernière seulement trois mois plus tard au mois de décembre à l'âge de 30 ans.
Pendant ce temps, le mal gagnait du terrain aussi chez Anne. À la différence d'Emily qui avait refusé tout soin par défiance à l'égard de la médecine encore fort incertaine de son époque, elle acceptera de se soumettre à toutes les prescriptions des praticiens consultés sans qu'il n'en résulte d'amélioration notable de sa santé.
Alors qu'elle sentait sa fin approcher, Anne Brontë émit pour dernier vœu de passer quelques jours à Scarborough, cité balnéaire sur la mer du Nord dont elle avait pu apprécier les charmes du temps où elle avait été gouvernante chez les Robinson.
D'abord réticente au projet, Charlotte céda finalement aux insistances d'Anne de sorte que les deux sœurs, accompagnées d'Ellen Nussey, quittèrent Haworth pour Scarborough le 24 mai 1849.
Décharnée, respirant avec peine, incapable de se soutenir longtemps seule, Anne entendit toutefois profiter de son voyage en incommodant le moins possible ses compagnes tout en accomplissant ses dévotions même aux prix des plus grandes douleurs.
Elle qui était particulièrement attachée aux animaux, un des ultimes actes de bonté de sa brève vie fut de se permettre, à l'occasion d'un tour sur la plage dans un chariot tiré par un âne, de prendre,
« avec une douce protestation », selon les mots de Charlotte, les rênes au conducteur qu'elle trouvait trop brutal.
Et quand, le 28 mai 1849, à 29 ans, il s’avéra qu’elle n’avait plus que quelques instants à vivre, elle s'en remit avec confiance à Dieu en encourageant sa sœur Charlotte à
« prendre cour-age ».
Celle-ci s'efforcera de se conformer à son injonction mais, demeurant désormais seule auprès de son père au grand âge, ses moments de détresse seront nombreux au cours des années suivantes.
Shirley, à l'automne 1849, et plus encore
Villette, paru en 1853, après avoir été achevé des plus péniblement, en porteront la marque.
Si la vie parut sourire à nouveau à Charlotte Brontë avec son mariage en 1854 avec Arthur Bell Nicholls, qu'elle connut lorsqu'il était vicaire de son père, la maladie aura raison finalement d'elle à son tour quelques mois plus tard. Alors qu'elle était enceinte, elle expira son dernier souffle au mois de mars 1855, peu avant ses 39 ans.
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Dans le passé, on adjoignait souvent les épithètes
“sweet and gentle” pour évoquer Anne Brontë.
“Sweet and gentle Anne...”, cela sonne comme le début d'un poème ou d'une chanson traditionnelle. Toutefois, s'il fallait en imaginer une au sujet de l'auteur d'
Agnès Grey et de
La Locataire de Wildfell Hall, on se plairait à ce qu'elle commence ainsi pour parler d'une jeune femme aux abords peut-être discrets et anodins, mais capable d'élever la voix avec courage devant les injustices...
(Crédit photo : Jean Ange)Mon blog sur les sœurs Brontë : https://thewandererofthemoors.blogspot.com/