Ce topic a l'air d'être un passage obligé, soit. Ce sera mon premier pavé.
La semaine dernière, j’aurais été incapable de trouver un seul défaut à ce film. La série ne m’avait jamais vraiment emballée…
Le troisième visionnage a été le bon, j’ai enfin compris pourquoi les foules se sont déchaînées. Mon avis sur le film est donc un peu moins enflammé que ce qu’il a pu être il y a très peu de temps… mais pas vraiment de beaucoup.
Je ne suis pas d’accord avec Lily (je crois que c'est toi) sur l’agressivité de Jane.
Elle est décrite dans le livre comme parfaite, en un mot. Je n’aime pas les gens parfaits : on a pas le droit de les détester parce qu’ils ne sont animés que des sentiments les plus purs, mais on en meurt littéralement de jalousie dès qu'on en croise un seul et on se tue à essayer de prouver que ce sont des gens normaux et pas des anges tombés du ciel, ce qui s'avère à la fin impossible. Jane Austen est trop talentueuse et fine pour livrer en pâture à ses lecteurs une héroïne qui ose être ostensiblement sans aucun défaut. Si Jane Fairfax avait été héroïne d’un livre, je l’aurais probablement jeté au feu au bout d’une demi-heure de lecture, et une heure dix maximum le style de l’auteur est inégalable et l'histoire captivante. Et encore.
La plupart du temps, Jane est décrite d’après le point de vue de sa sœur, qui semble en profiter pour lui grossir ses qualités (impossible qu’un être humain en possède autant !) et minimiser ses défauts (si seulement elle en a).
Dans la scène où elle lance presque la lettre à Elizabeth et celle où elle la repousse dans la rue (
choking!) Jane est bouleversée. Si elle n’a pas le droit d’être un peu à fleur de peau par moments, qui est cette Jane Austen qui tyrannise ses personnages et leur interdit les réactions humaines ? Si elle était restée de marbre, son impassibilité aurait achevé toutes les Marianne Dashwood de l’univers en un rien de temps.
La scène qui se passe juste après le retour de Lizzie de Rosings va un peu dans ce sens : Elizabeth semble vouloir lui parler de ce qui s’est passé, mais elle ne s’intéresse qu’à Bingley et s’endort sans voir la larme qui coule sur la joue de sa sœur. Elle n’est plus la confidente idéale.
J’ai pensé que le réalisateur s’était attaché à rendre Jane un peu plus normale, un peu plus réaliste, plutôt que d'en faire un éloge des relations fraternelles, ce qui n’est pas forcément plus mal. Dans
Raison et sentiments, les passages où Marianne s’extasie devant la patience d'Elinor m’ont plus donné l’impression que c’était Jane Austen qui remerciait sa sœur que le personnage qui racontait quelque chose de concret, et j’ai même osé bailler (il faudra que je le relise, car j’ai peur de ne pas du tout l’avoir apprécié à sa juste mesure… comme
Jane Eyre).
Ne soyez pas si durs avec la barbe de Bingley. C’est quand même la seule scène du film où il n'a pas trop l'air trop stupide.
Les personnages ne sont pas ceux de la BBC, qui "collent" peut-être plus au livre d'un point de vue objectif. Mais justement, ce film n'est plus subjectif.
Mrs. Bennet n’est plus la caricature d’une affreuse marieuse prête à tout pour une dot mais une mère qui aime sincèrement ses enfants, au risque de se couvrir de ridicule chaque fois que l’occasion se présente. Ces deux dimensions de Mrs. Bennet existent bien dans le livre, il me semble. Je dirais qu'il l'a transformée pour qu'elle ressemble un peu plus à l'idée qu'il se fait d'une mère. Le réalisateur a changé la pondération selon sa vision de l’œuvre, il n’a pas dénaturé le personnage.
Sa réplique « When you have 5 daughters, Lizzie, tell me what else you can occupy the thought other than their marriage » permet à Elizabeth de prendre un peu de recul, tout comme d’autres répliques de personnages secondaires. Je n’aime pas beaucoup le « Don’t you dare to judge me » de Charlotte Lucas, je préfère le : « Mr Darcy's not half as high and mighty as you sometimes » de Lydia. Ces répliques courtes réussissent à faire progresser très rapidement le personnage d’Elizabeth, sans aller dans le trop rapide, et sont l’équivalent des longues analyses de sentiment, qu’il est impossible de retranscrire telles quelles à l’écran, qu’on dispose de 6 heures ou de 2 pour ce faire.
[Et le concept qu’il est possible d’apprendre de personnes qui ne sont à première vue pas vraiment des lumières me rappelle beaucoup les découvertes successives d’Emma. Apprendre de ses inférieurs, j’ai l’impression que c’est très Austen. (HS : Je viens de me dire… est-ce que c’est le message qu’elle voulait envoyer au prince régent à qui elle a du dédicacer
Emma contre sa volonté ?)]
MMF ne me semble pas beaucoup plus cavalier que CF ! Je me rappelle bien que c’est assez flagrant au bal de Netherfield : pour commencer il interrompt Charlotte et Lizzie-JE, l’invite, ne remercie pas quand elle accepte et ne prend même pas la peine de leur faire la conversation histoire de faire croire qu’il l'a invitée en étant conscient de ses actes, s’incline puis s’en va. Je suis d'avis que le Darcy qu'il joue n'est pas celui de la BBC ni du livre, mais que c'est un Darcy qui se tient.
Les entorses à la bienséance ne sont pas graves, si elles permettent de mettre en valeur le caractère des personnages. Mrs. Bennet avec un verre de punch à la main, Mr. Bingley maladroit, timide voire même un brin benêt, Lizzie « entreprenante », Mr. Darcy tout juste poli, Mr. Collins, avec sa petite fleur qui se prend pour un grand romantique jusqu’à la douche froide du refus de sa « bien-aimée », ce qui est aussi ridicule que « le flot de ses sentiments ».Je ne trouve pas leurs costumes laids du tout. Les robes de Caroline en particulier sont superbes. Colin Firth porte mieux la redingote que MMF, ce qui ne m'empêche pas d'avoir un petit (gros) faible pour son manteau bleu...
Le cadre historique n’est qu’un cadre, et un film historique n’est pas un film d’histoire !
La série de la BBC s’adresse au départ à des Anglais. De tout ce qu’on dit sur les Anglais, il doit bien y en avoir un minimum de vrai, et en plus ils savent généralement mieux qui est Jane Austen et quelles sont les mœurs de l’Angleterre de la fin du XVIIIe siècle que les autres. Le film s’adresse à un public beaucoup plus large, des Saoudiens aux Américains (j’en ai encore des sueurs froides en repensant à la fin alternative…) en passant par les Chinois et même les Français, que Jane Austen n'aimait pas trop.
Plutôt que de s’attacher aux détails, le réalisateur a préféré retrouver l’ambiance de Jane Austen et retranscrire sa vision personnelle de l’œuvre, nous faire un compte-rendu personnel de sa lecture. Son coup de projecteur sur Caroline Bingley est très juste et c'est dommage que ce nouvel aspect du personnage n'ait pas pu être développé. Austen fait d'elle une idiote, Joe Wright fait d'elle l'élément qui va révéler à Darcy et à son spectateur une parcelle de qui est Elizabeth Bennet.
On est aspiré dans le film… je dansais sur mon siège au bal de Meryton, j’ai sursauté aussi fort qu’Elizabeth à la première demande de Darcy (je ne connaissais pas Jane Austen avant… remarque, ça me l’a aussi fait la deuxième fois), j’ai retenu mon souffle quand ils dansent seuls et j’ai gloussé avec les sœurs Bennet, toute excitée d’apprendre qu’un certain Mr. Bingley que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam venait de louer Netherfield, alors que j’étais parfaitement ignorante de toutes les problématiques liées au mariage dans la campagne anglaise de son époque. Tout ça au premier visionnage.
Ce que j’aime encore dans ce film, c’est qu’il est bourré de clichés romantiques du début à la fin. Rien qui n’ait été déjà dit, rien qui n’ait été déjà fait.
Orgueil et Préjugés, en soi, est un cliché : des histoires où une jeune fille de condition modeste rencontre le prince charmant en la personne du meilleur homme du monde, qui, comme la vie est bien faite, s'avère être riche à millions, il en existe des centaines, de qualités très variables, avant et après Jane Austen. Qui n’a pas eu une impression de déjà-vu en voyant Darcy s’avancer dans la brume, la demande en mariage sous la pluie battante, leur danse dans une pièce où ils semblent seuls… il y en a des dizaines d’autres, que je ne pourrais pas tous citer.
Pire, encore, Joe Wright l’avoue lui-même dans le commentaire DVD : c’est un film d’ado. Fuyons tant qu’il en est encore temps.
Tout cela, Jane Austen le sait bien. « It is a truth universally acknowledged… » Elle a déjà tout dit. En une seule phrase, elle s’est moquée d’elle et de sa démarche qui consiste à rajouter un nouveau roman d’amour dans une section de la bibliothèque qui est déjà pleine à craquer. Or, au fil des pages, le lecteur découvre qu’il n’existe pas deux Elizabeth Bennet et que l’humour et le style de l’auteur sont inimitables. Ce qui crée une intimité avec le lecteur, qui, pour une fois, n’a pas affaire à un marchand de tapis qui voudrait lui faire croire qu’il a inventé la poudre à canon mais à quelqu’un qui sait de quoi il parle.
De la même façon, j’ai eu l’impression que la scénariste, en utilisant sciemment ces clichés, n’a pas cherché à éviter de se creuser la tête, bien au contraire, mais à rendre vivants ses personnages. Avec ses plans si travaillés, Joe Wright est allé chercher « l’origine du cliché », ce qui a fait que cette situation particulière a été reprise partout depuis que le cinéma existe, ce en quoi cette scène particulière est belle. L’originalité de ce film est dans le coup de caméra qui nous montre pourquoi c’est beau, un peu de la même façon que la plume d’Austen fait de cette histoire qui pourrait sembler banale un chef-d’œuvre de la littérature.
L’autre qualité du cliché est d’être un raccourci. Je ne parle pas d’un raccourci temporel ni d’un raccourci scénaristique, mais d’un raccourci mental. Toutes ces histoires de prince charmant ont pour point commun d’être relativement invraisemblables, parce qu’il y a toujours eu plus de Charlotte Lucas que d’Elizabeth Bennet et de Marianne Dashwood dans la nature et que les Darcy ne courrent pas les champs. Les beaux princes blonds et charmants épousent de belles princesses tout aussi blondes et charmantes, pas des campagnardes sans le sou.
Orgueil et préjugés, le livre, a quand même un certain aspect féerique… comme par hasard, Collins est protégé par la tante du héros, comme par hasard Wickham s’est rendu à Meryton au même moment où celui-ci était à Netherfield, comme par hasard Mrs. Gardiner a grandi dans les environs de Pemberley et comme par hasard Darcy rentre chez lui au moment précis où sa dulcinée s’y trouve. Toutes ces coïncidences ne sont pas le moins du monde invraisemblables, mais on se doute bien qu’il y a un écrivain derrière qui nous raconte son histoire.
C’est un peu ce que j’ai ressenti dans certaines scènes du film qui tiennent parfois plus du conte de fée que de la réalité.
On cite souvent l’apparition de Darcy à la fin du film, j’ai plus été frappée par le plan large sur les falaises. Il est précédé par un plan serré sur les paupières de Lizzie endormie. Les ombres qui défilent sur son visage suggèrent le voyage mais aussi le rêve, supportées par le flot de notes amorties (pédale ou pas pédale ?) de la BO, comme l’écho extérieur du rêve d’une Elizabeth qui se voit debout sur les falaises et heureuse. Je ne suis pas sûre que, dans la réalité, Lizzie soit montée en haut de ce rocher ou non. Quelle importance de le savoir ? C’est une œuvre de fiction. Ce qu’on ne peut pas dénier, c’est qu’à cette occasion, il y a une évolution de ses sentiments qui fait avancer le film, et c’est tout ce qui nous intéresse.
Lizzie qui reste devant son miroir pendant une journée entière, on voit bien que c’est une exagération de sa réaction face à la lettre. Elle voit son propre monde par l’intermédiaire d’un miroir, celui que lui a renvoyé Darcy pendant leur dispute, se regarde et dévisage le spectateur sans détourner le regard une seule seconde. Elle veut savoir, elle veut comprendre, et en même temps, elle en a trop vu pour pouvoir encore penser par elle-même. J’ai trouvé ça symboliquement très fort et cette scène m’a beaucoup émue, presque jusqu’aux larmes (est-ce qu’il y aurait d’autres madeleines dans mon cas désespérant ?). Et là aussi, la musique m’a évoqué un rêve. Cette scène ne peut pas être réelle (imaginez ses crampes, la pauvre), mais elle est magnifique, puissante et chargée d’émotion.
La scène où ils dansent seuls à Netherfield est le summum du cliché et du tiré par les cheveux. La première fois, je n’ai pas compris instantanément (c’est-à-dire jusqu’à ce qu’on retrouve les autres danseurs) ce qui s’était passé et j’ai cru qu’on avait droit à un plan dans le style de celui qui clôt La Belle au Bois Dormant version Disney. Au deuxième visionnage, j’ai eu le souffle coupé, et j’ai été sensible au fait qu’un deuxième violon joue en derrière le premier qui a le chant, d’une façon qui me rappelle exactement le bruitage de La Belle au Bois Dormant quand une fée utilise sa baguette pour changer la robe de la princesse (désolée !) comme pour signaler au spectateur que quelque chose de magique est en train de se produire.
Le film, contrairement au livre, n’a plus le support complet des mots de Jane Austen, il doit trouver un autre mode d’expression pour dire les mêmes choses, le dire différemment, en dire moins ou en dire plus. Tous ces clichés permettent de faire avancer le film. On n’explique pas pourquoi est-ce que les deux héros se rencontrent au petit matin, ce n’est pas le propos, pas plus que Charlotte Brontë n’a expliqué pourquoi Rochester et Jane ont pu se parler à des kilomètres de distance. Ce n’est pas le propos. Le principal, c’est de savoir que ça arrive, pas pourquoi ça arrive. Parfois, ça ne s'explique pas.
Dans ce film, il y a une vraie symbiose entre tous ses composants. Joe Wright a semblé avoir très bien compris qu’il ne suffit pas de restituer les répliques et les actions telles qu’elles sont décrites par l’écrivain pour faire une adaptation. Les mots d’Austen prennent tous des formes différentes.
C’était inévitable : le cheval et les costumes de Bingley est blanc, ceux de Darcy sont le plus souvent noirs (j’ai un faible pour sa redingote bleue) et deviennent moins formels à partir de la rencontre à Pemberley. Les robes de Caroline nous indiquent que c’est une femme du monde, élégante et distinguée. La magnifique (cœur) perruque de lady Catherine échappée tout droit du cabinet de Marie-Antoinette lui donne un aspect imposant, autoritaire mais dépassé. Georgiana est vêtue de blanc alors qu’Anne de Bourgh et est en noir, comme si elle était déjà veuve de sa jeunesse. Elizabeth porte des robes dont les couleurs sont celles de la nature, souvent dans les bruns ou vert. Elle s’autorise une fois du blanc au bal de Netherfield et une fois du bleu quand toute la famille attend le retour de Lydia. Les costumes nous informent du caractère du personnage qui les porte.
Ensuite, il y a la bande-son, qui est une pure merveille. Il y a une harmonie parfaite entre l’image et la musique, elle pourrait à la rigueur remplacer une grande partie due dialogue. Le film et sa musique pourraient être indépendants, mais ensemble, ils se font résonner l’un l’autre. J’ai tout une théorie là-dessus, qui ne vaut malheureusement pas grand-chose.
La caméra est un parti pris : elle suit le mouvement d’un Darcy invisible qui s’approche par derrière pour faire sa déclaration à Lizzie en traître, domine une Elizabeth dominée et émerveillée par la splendeur de Pemberley, reste fixe lors de la scène chargée de tension de la danse de Netherfield… Les plans sont construits comme des tableaux, ce qui est à la fois beau d’un point de vue esthétique et très symbolique. La caméra se déplace tout naturellement pendant les plans-séquences, mais on sent bien que ce n’est pas naturel… C’est vraiment ce que j’ai ressenti quand je l’ai vu pour la première fois. La caméra met le spectateur dans le même flou que l’héroïne et dans la même incertitude du début à la fin. Comme Elizabeth, j’ai eu du mal à y croire quand j’ai aperçu un Darcy en chemise se promener dans le champ et j’ai écarquillé les yeux avant de réaliser qu’il était bien là.
Ce film exprime bien ce que j’appelle mettre un texte en image. Ce n’est pas l’illustrer ou le compléter, c’est le transformer, se l’approprier et en faire quelque chose d’autre. L’image dit souvent ce que le dialogue se doit de taire, de la même façon que j’essaye toujours de lire entre les lignes quand j’ai un Jane Austen entre les mains.