Enfin, j'ai vu ce téléfilm peu de temps après Becoming Jane et je dois dire que je préfère largement
. Même si le scénario reste romancé ici, je trouve l'ensemble beaucoup plus crédible et plus proche de l'idée que je me fais de Jane Austen
.
Tout d'abord je trouve que l'actrice principale est parfaite. Physiquement, elle n'est pas vraiment belle, mais pas laide non plus. Elle a vraiment son charme et ce n'est pas une beauté conventionnelle, comme ce qui ressort de ce que l'on sait du physique de Jane : les sources sont très contradictoires mais en général, les biographes s'entendent pour considérer que si elle n'était pas une beauté, c'était néanmoins une femme charmante. Ensuite j'adore le fait qu'on voit l'âge réel de l'actrice. Le cinéma nous a tellement habitués à voir des femmes de 40 ans qui en faisaient 20, qu'on oublie à quoi ressemble vraiment une femme de cet âge-là, d'autant qu'à cette époque, j'imagine que les personnes étaient rapidement marquées. Et quel bonheur qu'on ne se soit pas contenté de la cantonner au rôle de vieille fille passée de fraîcheur ! Mr Bridges l'aime toujours, et même le médecin s'amuse à flirter un peu avec elle (même s'il n'entend pas aller plus loin).
Mais surtout, je suis extrêmement satisfaite du caractère de l'écrivaine ici. Discrète et respectueuse des bonnes manières, elle n'est jamais vulgaire mais elle a l'esprit délicieusement tourné : caustique, ironique, "witty", et même acerbe. Voilà enfin la Jane que je voulais voir, l'écrivaine à la part sombre derrière la jeune fille de bonne famille. J'adore sa clairvoyance et son côté impitoyable lorsqu'elle donne son opinion ou se moque. J'aurais adoré avoir une tante pareille
.
J'ai particulièrement aimé les efforts qui ont été faits pour respecter les relations de famille. J'adore la relation qu'a Jane avec Fanny, et celle qu'elle a avec Henry. De tous ses frères c'était probablement son préféré et je trouve que leur complicité se voit bien à l'écran. D'ailleurs, même s'il lui fait un reproche sur le fait qu'elle prenne son succès littéraire trop au sérieux, il n'empêche que c'est celui qui se préoccupe le plus de la faire publier et de l'aider.
En revanche je dois avouer que j'ai eu envie de baffer Fanny
. Autant au début elle m'a paru naïve mais adorable, autant quand elle commence à faire des reproches injustifiés (selon moi) à sa tante, j'ai eu envie de l'attraper par l'oreille et de l'envoyer dans sa chambre ! Elle lui demande
tout le temps des conseils, fait reposer son futur sur ses épaules à propos d'un mariage ou non avec Plumptree, et quand elle réalise elle-même qu'il est un peu trop cérémonieux et, osons le dire, ridicule, et que lui-même se rend compte de son opinion, elle ose faire porter cette responsabilité à Jane
?! Mais ma grande, si t'es assez âgée pour penser au mariage, et donc, fonder une famille, t'es assez grande pour prendre tes responsabilités
. Ta tante t'a pas obligée à te moquer de lui et t'étais bien contente de rire avec elle il me semble. En plus faut voir comme elle lui parle et comme elle l'agresse ! C'est sa tante, elle lui doit le respect, et lui jeter en pleine figure qu'elle n'est qu'une vieille fille (c'est ce qui ressort de son discours selon moi) c'est d'une violence verbale inouïe, sachant qu'à cette époque c'était quelque chose de vraiment négatif. Bref elle m'a mise en pétard, et ce n'est pas ce qu'on sait de son comportement dans la vie réelle bien plus tard qui me calme
. Oser dire qu'elle était "très en dessous du niveau requis par la bonne société et ses manières" et que c'est son propre père qui l'a sauvée "de la médiocrité et d'un manque de raffinement"...
Sinon j'ai trouvé la mère de Jane assez dure avec sa fille. Mais il me semble que ce que j'ai lu d'elle confirme qu'elle avait un caractère difficile en vieillissant. Elle ne reprochait pas à sa fille d'écrire mais elle était devenue assez égoïste je crois.
J'ai adoré que le film ait trouvé le moyen de placer de magnifiques répliques réelles et connues, et plus que tout, qu'il les ait si bien placées, de manière aussi naturelle. Que ce soit le passage du "morceau d'ivoire" sur lequel travaille Jane, le plan d'un roman (dans une scène délicieusement moqueuse
), ou encore lorsque Cassandra dit de sa sœur qu'elle était le soleil de ses jours. Ces mots sont extrêmement touchants, dans une scène qui est magnifique, et cet amour sororal n'a rien à envier à l'amour que Jane aurait pu trouver dans le mariage.
Sur un ton plus léger, j'ai adoré l'intégration de Mr Papillon au scénario. Sachant que cet homme a réellement existé, et que Jane plaisantait sur un hypothétique mariage entre eux, la scène où elle flirte outrageusement avec lui est particulièrement savoureuse
.
J'ai moi aussi beaucoup aimé le fait que Jane rencontre plusieurs de ses lecteurs, car il est vrai qu'elle a rencontré un certain succès lors de son vivant. Ça a permis de donner une scène émouvante et importante du film, celle avec Mme Bigeon. Bien que domestique, cette dernière était l'amie de Jane, ainsi que de Henry et de feu Eliza de Feuillide (d'ailleurs on la voit participer au repas donné après l'invitation de Jane par le prince régent, comme si elle était une invitée). Leur conversation au coin du feu m'a beaucoup plu, notamment parce qu'elle m'a donné l'impression d'une sorte de solidarité féminine sur les choses de l'amour, et de femmes très différentes les unes des autres. Et j'ai l'impression que Jane arrive toujours autant à toucher les cœurs, même 200 ans plus tard.
La scène des deux sœurs vers la fin m'a complètement remuée. Je l'ai trouvée d'une justesse et d'une délicatesse incroyables. Jane est affreusement malade mais ne dit rien de ses souffrances, et elle trouve encore le moyen d'écouter sa sœur et de la réconforter. J'ai adoré l'idée que Cassandra ait poussé sa sœur à repousser la demande en mariage qui lui avait été faite, et j'ai encore plus aimé le fait que Jane considère que tout compte fait ça a été une bonne chose ("I choose freedom"). D'ailleurs la scène permet d'aborder le thème des regrets qui est suggéré tout le long du film. Pour ma part, je ne pense pas que Jane ait vraiment regretté de ne pas s'être mariée. Elle n'aurait pas eu le temps d'écrire, elle aurait dû quitter sa sœur adorée, et aurait été usée par les grossesses successives (et encore aurait-il fallu qu'elle y survive). Mais mariée, elle aurait connu l'indépendance financière et peut-être même l'aisance, et elle aurait eu plus de considération dans la société. Le statut de femme mariée était tellement différent de celui de vieille fille qu'il est normal qu'elle se pose autant de question. Je ne sais plus où je l'ai lu, mais quelqu'un a dit qu'elle établissait un parallèle avec sa nièce qui se prépare à entrer dans la vie conjugale, tandis qu'elle-même réalise que ce choix-là lui est définitivement fermé. On ne peut pas lui en vouloir, au crépuscule de sa vie, de ressasser les différents choix qui l'ont amenée à cette situation finale.
Est-ce qu'elle a des regrets ? Pour moi elle en éprouve un peu, elle se demandera toujours quelle aurait été sa vie mariée (et peut-être l'idéalise-t-elle un peu, aussi), mais pour moi, Jane Austen est un modèle anglais : "never complain, never explain". Elle est assez sage, comme les personnages de ses romances, pour comprendre qu'elle n'aura rien d'autre, et pour se satisfaire de sa situation, et chercher à en tirer le meilleur parti.
D'ailleurs ça nous amène au sujet de la romance, qui est directement liée à d'hypothétiques regrets. J'ai beaucoup aimé le personnage de Hugh Bonneville (et j'adore cet acteur
) et celui du médecin, extrêmement charmant et séduisant (d'ailleurs c'est M.Wickham dans P&P&Z
). Mais même si je comprends l'utilité de leur rôle dans le scénario (le thème des regrets vis-à-vis de la vie sentimentale de Jane), j'avoue que personnellement je n'en suis pas friande. Mais je reconnais qu'ils donnent l'occasion de scènes prenantes (surtout Hugh
).
Sinon j'ai trouvé, comme d'autres, que le film manquait un peu d'un fil conducteur. Ce qui ne m'a pas empêchée de l'apprécier, mais ça reste un défaut à mes yeux. Je dirais qu'il faut plutôt prendre le film comme un ensemble de vignettes sur la fin de vie de Jane, rassemblées autour de 2 ou 3 thèmes majeurs.
Pour finir sur les quelques défauts du film, ce dernier reste un téléfilm, donc visuellement bien moins joli à voir qu'un film cinéma mais c'est logique.
Enfin, j'ai bien aimé la pudeur à montrer sa maladie (et encore qu'on en voit très peu), mais ni son agonie ni son enterrement.