Merci pour ce poème en prose que je ne connaissais pas, et pour ton commentaire.
Merci à toi pour ton retour, Rosalind.
Citation :
En poésie j'aime ressentir une impression, et je ne cherche pas trop à décortiquer et analyser.
Je te comprends tout à fait: c'est pareil pour moi.
Citation :
Pour moi René Char est un poète qui s'est engagé dans la Résistance, comme Desnos, Eluard et bien d'autres, et j'ai la sensation que ce poème y fait écho. Ressenti tout à fait personnel Smile
Chi lo sa? Et les Occupants déguisés en Ogres (de Barbarie)?
***
Après l'incommunicabilité des sentiments, l'insaisissabilité des êtres...
Je poursuis sur ma lancée en vous proposant un deuxième texte, extrait celui-ci de l'un des rares recueils de poèmes publiés par Henry de Montherlant (1895-1972), auteur et académicien français aujourd'hui plus connu pour ses nombreux romans et ses pièces de théâtre. Dans Encore un instant de bonheur. Poèmes, publié par Gallimard en 1954, dans la collection Nrf, l'écrivain explore essentiellement les thèmes de l'amour - et sans doute d'impossibles amours de jeunesse qui auront marqué sa vie au fer du désespoir -, de la perte et de l'insaisissabilité de l'être chéri, même au plus près de la possession de chair.
Henry de Montherlant, Encore un instant de bonheur, Collection Poésie/Gallimard, Gallimard, 1954.
Le poème en vers libres dont j'aimerais vous parler aujourd'hui s'intitule Toi avec ta douceur confuse. À l'instar de tous les poèmes du recueil, il fut rédigé avant 1934 et appartenait initialement à un ensemble plus vaste intitulé Almouradiel. Sous le coup des évènements politiques survenus en France au début de l'année 1934, Henry de Montherlant troqua le titre choisi pour celui que nous connaissons aujourd'hui: Encore un instant de bonheur.
Voici comment l'auteur explique ce changement de dernière minute:
Spoiler:
Henry de Montherlant a écrit:
Ce titre [Encore un instant de bonheur] fut choisi sous le coup des évènements politiques français de février 1934*, qui, vus d'Algérie, où j'étais alors, donnèrent à quelques personnes l'impression que la fête était finie. Et la fête finit, sans doute, quelquefois; seulement, elle recommence. Tous les évènements terribles qui se sont passés en Europe depuis 1934, n'ont pas empêché la fête de continuer, dans son ensemble. C'est une des grandeurs de l'homme qu'il fasse en sorte que toujours, par delà les pires épreuves, la fête continue. Chateaubriand n'a pas craint d'écrire, à une époque où une grande partie de l'Europe était à feu et à sang: "L'individualité humaine se mesure à la petitesse des grands événements." Et en effet, qu'est-ce que le destin des empires auprès du salut d'une seule âme, si l'on est chrétien; auprès de la sagesse d'une seule vie, si l'on est philosophe; auprès de l'inspiration d'un seul instant, si l'on est poète?
Henry de Montherlant, Préface à Encore un instant de bonheur, Gallimard/Poésie, 1954.
Et voici le poème choisi pour ce deuxième jour de la Quinzaine:
Spoiler:
Toi avec ta douceur confuse
Toi avec ta douceur confuse, et moi engourdi par la force,
nous avons dormi côte à côte comme deux serpents sous la même écorce;
mon âme a dormi avec toi et t'a aimée sans un mot.
Toi, si petite, toi l'amie de toutes les choses petites de la terre,
et moi qui, si j'étais dans la plus haute des plus hautes sphères,
m'y sentirais encore captif et voudrais monté plus haut,
nous avons été mêlés comme la rive et la rivière,
nous avons été mêlés comme le cygne et l'eau.
Et maintenant, d'autres que moi pourront boire à cette tête chère.
D'autres hommes feront, tels les vents constellés,
leurs souffles sur ton corps dormant comme une campagne tranquille.
D'autres hommes entreront en toi, avec leurs faces de damnés.
Je te garderai dans mes bras, et tu y seras éternellement immobile.
Henry de Montherlant, Toi avec ta douceur confuse in Encore un instant de bonheur, Gallimard, 1954.
J'aime ce poème parce que, dans une symbiose langagière que seule la poésie permet, il mêle à la joie fulgurante de l'amour et de la possession la conscience aiguë de la perte, irrémédiable, et de la solitude à venir. Il y a tout à la fois, dans ces quelques vers, l'affirmation d'un triomphe ("nous avons dormi côte à côte comme deux serpents sous la même écorce", "nous avons été mêlés comme la rive et la rivière" et "nous avons été mêlés comme le cygne et l'eau") et l'aveu d'un échec, pressenti au coeur même du bonheur le plus engourdissant ("et maintenant, d'autres que moi pourront boire à cette tête chère", d'autres hommes feront, tels les vents constellés, leurs souffles sur ton corps dormant comme une campagne tranquille" et "d'autres hommes entreront en toi, avec leurs faces de damnés").
Le plus déchirant est qu'à cette sourde angoisse de l'amoureux ne répond que l'indifférence, sourde, elle aussi, de l'être aimé, engourdi sous le reddition du temps, le passage des amants, la victoire de l'oubli ("d'autres hommes feront, tels les vents constellés, leurs souffles sur ton corps dormant comme une campagne tranquille" et "d'autres hommes entreront en toi, avec leurs faces de damnés").
À la fin, ne reste plus qu'une seule manière de garder à soi cet amour labile qui s'échappe, toutes veines rompues, vers la séparation, l'absence et la nuit: il faut le réduire à l'état de ces insectes que l'on épinglait cruellement sur une toile unie pour en tirer un plaisir aussi mort que pouvait l'être alors l'animal avili ("je te garderai dans mes bras, et tu y seras éternellement immobile").
L'amour la mort la poésie.
À vous lire.
*Henry de Montherlant fait référence à la Crise du 6 février 1934 qui, après une sanglante manifestation politique organisée par des groupes de Droite et des anciens combattants, provoqua la chute du cabinet Daladier.
Dernière édition par Dérinoé le Lun 31 Aoû 2015 - 23:25, édité 4 fois
Petit Faucon Confiance en soie
Nombre de messages : 12008 Age : 59 Date d'inscription : 26/12/2011
Ce poème de René Char me parait correspondre à la définition de la poésie, qui utilise les mots pour créer des assonances qui ouvrent des portes vers des significations inattendues ou improbables.
J'aime beaucoup cette découverte
J'édite mon message car je n'avais pas eu le temps de lire le poème de Montherlant quand j'ai posté ... Je ne saurais dire pourquoi, mais celui-ci me touche moins que celui de René Char, peut-être est-il trop précieux, trop policé, je ne sais pas ... Néanmoins je souscris à ton analyse savante, Dérinoé, en particulier sur la solitude sous-jacente à cette étreinte.
Léti Cat in a Magic Wood
Nombre de messages : 2015 Age : 42 Localisation : Sous le camphrier Date d'inscription : 09/10/2014
Le poème de René Char m'est complètement hermétique, mais ton explication ne l'est pas, et aide à comprendre que je ne comprends pas, mais que ce n'est pas si grave
Comme Petit Faucon, je suis moins touchée par celui de Montherlant. Je crois que c'est à cause de l'idée de possession de la femme un peu trop présente (le dernier vers, en particulier). Mais j'aime bien l'expression "douceur confuse" Et ton explication, Dérinoé, aide effectivement à la compréhension, comme pour le poème précédent. Merci beaucoup.
Nat2a Lady à la rescousse
Nombre de messages : 322 Age : 61 Localisation : Corse Date d'inscription : 19/08/2011
Deux découvertes pour moi aussi, donc merci Derinoé; Sans ton commentaire, je serais passée totalement à côté du poème de René char, d'où la nécessité de cette explication pour les non-initiés ! Contrairement aux autres, je suis beaucoup plus touchée par celui de Montherlant, j'aime le titre du recueil "Encore un instant de bonheur". Je trouve ce poème beau et triste de tout ce qu'il annonce , émouvant pour moi.
Juliette2a Tenant of Hamley Hall
Nombre de messages : 29122 Age : 27 Localisation : Entre l'Angleterre et la Thaïlande ! Date d'inscription : 06/03/2012
Merci pour très très bons commentaires sur René Char et Montherlant ! J'avoue que c'est une découverte pour moi, car, même si j'en ai entendu parler, je n'ai jamais eu l'occasion de lire ces deux auteurs, alors merci pour ces présentations De mon côté, j'ai beaucoup aimé les deux poèmes, avec une préférence pour celui de Montherlant, qui m'a plus touchée
Dérinoé Ready for a strike!
Nombre de messages : 1084 Date d'inscription : 15/10/2011
Ce poème de René Char me parait correspondre à la définition de la poésie, qui utilise les mots pour créer des assonances qui ouvrent des portes vers des significations inattendues ou improbables.
Tout à fait.
Ce qui m'a de suite frappée, dans ce poème, c'est le caractère amusant dégagé par ces "significations inattendues et improbables" dont tu parles très joliment. Je me figure toujours un Monsieur, très digne et très sérieux, qui, vêtu d'un complet amidonné et d'une cravate très académique, déclamerait ce texte sur un ton pondéré et sentencieux, ce devant un parterre d'actionnaires suspendus à ses lèvres. Les tournures syntaxiques, les temps verbaux et une partie du vocabulaire offrent une structure toute administrative à ce court texte, quand son contenu, lui, évoque ces jardins de l'âme que l'on ne dévoile qu'aux êtres aimés. Le tout, loufoque, me fait sourire à chaque nouvelle lecture.
Citation :
J'aime beaucoup cette découverte I love you
Et j'en suis ravie.
Citation :
J'édite mon message car je n'avais pas eu le temps de lire le poème de Montherlant quand j'ai posté ...
Nos messages se sont en effet croisés.
Citation :
Je ne saurais dire pourquoi, mais celui-ci me touche moins que celui de René Char, peut-être est-il trop précieux, trop policé, je ne sais pas ...
Je comprends très bien. Les poèmes d'Henry Montherlant, si on les compare à ceux de Paul Eluard, René Char, Jules Supervielle, Pierre Reverdy et tant d'autres versificateurs du 20ième siècle, possèdent en effet un caractère solennel, parfois "empesé", qui peut tout à fait déplaire ou rebuter. Pour ma part, et comme dans sa prose du reste, je lui trouve une justesse et une précision de l'image absolument éblouissantes: presque nature morte avant l'heure, le tableau de ces deux jeunes vies étendues côtes à côte sous un ciel qui se voile se déroule devant moi avec l'évidence facile que confère une plume nette, élégante, naturellement élancée.
Je crains que la chose ne fasse que confirmer ta première impression mais, si tu le souhaites, tu peux écouter une version du poème lue par l'auteur lui-même en cliquant ici. L'enregistrement est relayé par Montherlant.be, magnifique site dédié à l'auteur par Henri de Meûs, un lecteur belge passionné par Henry de Montherlant.
Citation :
Néanmoins je souscris à ton analyse savante, Dérinoé, en particulier sur la solitude sous-jacente à cette étreinte.
Merci beaucoup, Petit Faucon, mais je crois que mon analyse est plus savon - gare aux chutes! - que savante: je couche mes sentiments sur le papier tels qu'ils éclosent à la surface des textes et je suis prête à admettre toutes les interprétations alternatives et toutes les lectures antagonistes, tant mes réflexions se bornent à de simples intuitions. J'essaie néanmoins de les rendre lisibles, puisque nous partageons ici nos impressions respectives. Mais, en lectrice de poésie, je tends à me délester de l'armature argumentative que nous portons lourdement lorsque nous débattons prose ou philosophie.
@ Léti:
Citation :
Merci, Dérinoé, pour ces deux découvertes Smile
Merci à toi pour ton retour, Léti.
Citation :
Le poème de René Char m'est complètement hermétique, mais ton explication ne l'est pas, et aide à comprendre que je ne comprends pas, mais que ce n'est pas si grave Razz
Ah! Ah! Ah! Ecoute, pour moi, il est tout aussi hermétique et, si je devais en apporter une interprétation précise, j'aurais grand peine à y déceler un sens cohérent et uni. Mais cela dit, la proposition de Rosalind - selon laquelle le poème parlerait à mots couverts de l'expérience vécue par René Char au sein de la Résistance - est assez convaincante et j'imagine que l'on pourrait développer cette lecture, mot à mot, segment par segment, en renvoyant le texte à certains épisodes de sa vie clandestine.
Citation :
Comme Petit Faucon, je suis moins touchée par celui de Montherlant. Je crois que c'est à cause de l'idée de possession de la femme un peu trop présente (le dernier vers, en particulier).
Je comprends tout à fait.
Je crois, mais c'est une hypothèse que je ne peux en aucun cas démontrer, que ce poème s'adresse à un garçon dont Henry de Montherlant tomba éperdument amoureux durant son adolescence et dont il dit, à la fin de sa vie, qu'il fut le seul être qu'il porta en lui sa vie durant. Ce garçon se nommait Philippe Giquel et il apparaît sous divers traits dans l'oeuvre de l'écrivain, notamment en aimé d'Alban de Bricoule, lui-même avatar de papier d'Henry de Montherlant. A son propos, l'auteur écrira à la fin de sa vie: "J'ai bu à un visage qui m'a désaltéré pour l'éternité."
Henry de Montherlant a raconté toute ou partie de leur histoire de jeunesse dans cette pièce, très belle et très tragique, qu'est la La Ville dont le Prince est un enfant (1951). L'histoire se déroule au sein d'un collège catholique: un jeune garçon, Serge Souplier (Philippe Gicquel) s'attire les sentiments concurrents de l'un de ses condisciples, André Servais (Henry de Montherlant) et d'un enseignant de l'établissement, l'Abbé de Pradts (l'Abbé de La Serre), ces deux derniers se livrant une guerre larvée pour s'accaparer l'amour de l'enfant.
Ci après, deux photographies représentant respectivement Henry de Montherlant et Philippe Giquel à l'époque de leur collège qui laissera une trace indélébile dans l'âme et dans l'oeuvre de l'écrivain:
Henry de Montherlant à l'âge de 15 ans, en 1910, photographie reproduite par Henri de Meûs sur Montherlant.be sous Philippe Giquel, le prince des airs, de Christian Lançon, consultable ici.
Philippe Giquel le jour de sa Communion solennelle, photographie tirée des archives privées de Marie-Christine Giquel, reproduite par Henri de Meûs sur Montherlant.be sous Philippe Giquel, le prince des airs, de Christian Lançon, consultable ici.
Pour moi, ce sont ces deux enfants que décrit Toi avec ta douceur confuse. Je ne sais pas pour quelles raisons Henry de Montherlant aurait déguisé un garçon - qui traverse par ailleurs l'ensemble de son oeuvre en différents oripaux - sous les traits d'un féminin anonyme mais je crois qu'un jeune auteur peut, par crainte, par pudeur ou par goût du masque, brouiller les pistes littéraires de ses passions les plus intimes.
Si vous voulez en savoir plus sur Philippe Giquel et sur les rapports, étranges, que les deux hommes entretinrent à l'âge adulte, vous pouvez consulter l'article, très fouillé, de Christian Lançon intitulé Philippe Giquel, le prince des airs publié ici par Henri de Meûs.
@ Juliette2a:
Citation :
Merci pour très très bons commentaires sur René Char et Montherlant ! cheers
Merci à toi de laisser un mot malgré les occupations de la rentrée.
Citation :
J'avoue que c'est une découverte pour moi, car, même si j'en ai entendu parler, je n'ai jamais eu l'occasion de lire ces deux auteurs, alors merci pour ces présentations Wink
Avec joie, et tant mieux. Je suis sûre que nous ferons tous de belles découvertes durant cette Quinzaine de la poésie.
Citation :
De mon côté, j'ai beaucoup aimé les deux poèmes, avec une préférence pour celui de Montherlant, qui m'a plus touchée I love you
C'est un poème qui, je crois, peut trouver sa place dans la vie et les sentiments de beaucoup de lecteurs, en effet.
Dérinoé Ready for a strike!
Nombre de messages : 1084 Date d'inscription : 15/10/2011
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mar 1 Sep 2015 - 12:34
Encore un double-post, Quinzaine de la poésie oblige! Mais, je le promets, je me ferai à l'avenir plus discrète et me contenterai de commenter les poèmes proposés par les autres participants.
Après l'incommunicabilité des sentiments et l'insaisissabilité des êtres, voici les mots plaqués à toute force sur le vivant...
Pour ce troisième jour, j'aimerais vous présenter un texte de la poétesse grecque Kikí Dimoulá (née en 1931) qui travailla pour la Banque de Grèce durant un quart de siècle, publiant des recueils en marge de son activité professionnelle. De son propre aveu, c'est à sa rencontre avec le poète Àthos Dimoulas (1921-1985) - qui deviendra ensuite son époux et dont elle aura deux enfants - qu'elle doit son initiation à la poésie et sa plongée dans le monde de l'écriture. Avec Je te salue Jamais (1988), elle commence à obtenir une certaine reconnaissance publique, recevant du reste pour ce recueil le Second Prix d'Etat 1989. Kikí Dimoulá fait partie depuis 2002 de l'Académie grecque et a publié à ce jour douze recueils de poèmes, tous en grec moderne.
Le recueil dont je tire le texte d'aujourd'hui s'intitule Le Peu du monde et a été publié en 1971, alors que l'auteur connaissait une succès encore très confidentiel. Il est disponible depuis 2010 dans la collection Nrf de Gallimard, dans une traduction française de Michel Volkovitch et publié tout ensemble avec le recueil Je te salue Jamais mentionné plus haut.
Kikí Dimoulá, Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais, Préface de Nikos Dimou, traduit du grec par Michel Volkovitch, Collection Poésie/Gallimard, Gallimard, 2010.
Les titres qui composent Le Peu du monde constituent des poèmes à eux tous seuls: Incident ailé, Choses nouées, Défaut dans le tissu, La Souffrance de la pluie ou encore Images qui font le silence. Celui que je vous propose ce matin ne dépare pas: il s'intitule La Pierre périphrase.
Spoiler:
La Pierre périphrase
Dis quelque chose, n'importe quoi. Mais ne reste pas là comme une absence en acier. Choisis ne serait-ce qu'un mot, qui te liera plus étroitement à l'indéfini. Dis: "en vain", "arbre", "nu". Dis: "on verra", "impondérable", "poids". Il y a tant de mots qui rêvent d'une vie brève, sans liens, avec ta voix.
Parle. Nous avons tant de mer devant nous. Là où nous finissons la mer commence. Dis quelque chose. Dis "vague", qui ne tient pas debout. Dis "barque" qui coule quand trop chargée d'intentions. Dis "instant", qui crie à l'aide car il se noie, ne le sauve pas, dis "rien entendu".
Parle. Les mots se détestent les uns les autres, ils se font concurrence: quand l'un d'entre eux t'enferme, un autre te libère. Tire un mort hors de la nuit au hasard. Une nuit entière au hasard. Ne dis pas "entière", dis "infime", qui te laisse fuir. Infime sensation tristesse entière qui m'appartient. Nuit entière.
Parle. Dis "étoile", qui s'éteint. Un mot ne réduit pas le silence. Dis "pierre", mot incassable. Comme ça, simplement pour mettre un titre à cette balade en bord de mer.
Kikí Dimoulá, La Pierre périphrase in Le Peu du monde, traduit du grec par Michel Volkovitch, Gallimard, 2010.
Ce que je trouve bouleversant, dans ce poème, c'est qu'il repose sur un aveu d'inutilité cruel et lucide sans pour autant mener l'auteur au défaitisme ou à l'inaction. Comme on le remarque dès le premier vers, tout le poème se construit sur une série d'invitations à la prise de parole, l'énonciatrice martelant avec force la nécessité de décrire ce qui nous enceint, au dehors comme au dedans de nous ("dis quelque chose, n'importe quoi", "choisis ne serait-ce qu'un mot" et, comme une prière ou un ressac, d'innombrables "dis" et parle" ponctuant l'ensemble du texte). Or il semble que, dans un même temps, les vertus de la parole ici décrite soient excessivement limitées, pour ne pas dire nulles: ce constat est du reste parfaitement résumé par l'un des derniers vers où, contredisant ses injonctions à la parole maintes fois réitérées, l'auteur admet qu'"un mot ne réduit pas le silence".
Tout le poème repose sur cette tension-là, aussi absurde et admirable que ces résistants qui, perdus pour perdus et une fois la sentence prononcée, s'en vont vers une fin certaine sur un dernier acte glorieux: la parole est inapte, mais il faut toutefois parler. Plus encore, et que l'on me pardonne ce verbe technique, quelque peu râpeux dans le présent contexte, il faut qualifier. Nommer, décrire, consigner.
Pour moi, chacune des quatre strophes aborde cette impuissance intrinsèque du langage par un biais différent. Dans la première strophe, l'auteur affirme, non sans ironie, qu'il faut parler quand bien même les mots, inaptes à appréhender la réalité de manière claire ou univoque, se borneraient à nous "lier plus étroitement à l'indéfini". Pour paraphraser ses vers, je dirais que, pour elle, mieux vaut dire le poids de l'impondérable - de l'innommable, de l'imprécis, du vague, de l'imprévu - que de se retrancher dans un silence d'acier.
Ensuite, et sur un ton qui pourrait s'apparenter à une profession de foi morale et politique, l'auteur enjoint à mettre des mots sur nos surdités délibérées face à celui "qui crie à l'aide car il se noie" et qu'en notre âme et conscience, nous décidons de ne pas sauver. Un peu comme si, refusant d'aborder de front la question de la résignation et de la lâcheté, elle se bornait à vouloir nous arracher la reconnaissance brutale de nos faiblesses et de nos indifférences les plus quotidiennes. Notez, du reste que, par les images de la barque et de la noyade, ce passage offre un écho étonnant à certaine tragique actualité.
Dans sa troisième strophe, retombant à mon sens ici dans le domaine de l'intime, le poème semble nous inviter à parler non plus contre nos confortables démissions mais, au contraire, pour la délivrance de sentiments "infimes", insaisissables, douloureux, nocturnes. Comme si, dans un mouvement d'entonnoir courant de la première et l'avant-dernière strophe, Kikí Dimoulá avait glissé des interrogations immenses de la métaphysiques aux petits enclos secrets de nos pensées intimes, en passant par notre rapport public à la morale et à autrui. En partance du cosmos pour l'âme humaine, avec escale sur la croûte terrestre.
Enfin, et comme ramassant l'ensemble des vers précédents, l'ultime passage semble, sinon dénouer, du moins assouplir la tension entre parole et inutilité, rappelant que, certains mots étant "incassables[s]", il vaut au fond toujours la peine "de mettre un titre" sur la vie.
Sur l'immense. Sur l'horreur. Sur l'indéchiffrable. Sur l'intérieur. Et "mettre un titre" sur la vie, n'est-ce pas une parfaite définition de la poésie?
À vous lire.
***
Sachant que je passerai la main dès demain à Léti puis, dans l'ordre, à Nat2a, Ysabelle, Petit Faucon et Rosalind, j'aimerais rappeler les quelques points suivants quant à l'organisation de nos échanges poétiques.
1) J'ai mis à jour le calendrier que vous pourrez retrouver en page 13 du présent topic, dans mon message du 20 août, sous le point I. 3. Voir ici.
Pour toute demande de modification du calendrier, n'hésitez pas à m'adresser un message privé.
2) Je rappelle que les participants inscrits sont libres de poster autant de poèmes qu'ils le veulent, au rythme et aux jours qui leur conviennent - un seul texte, plusieurs textes, un à la fois, tous en même temps, dès l'aurore, le dernier jour et cetera - et que les commentaires accompagnant le poème peuvent être quant à eux excessivement brefs ou excessivement longs, selon inclination toute personnelle. Liberté totale aux scripteurs en matière d'organisation ou de contenu des message.
3) Enfin, je souligne que tous les poèmes peuvent être évoqués ou discutés par les lecteurs intéressés à n'importe quel moment de la Quinzaine, y compris après le passage intercalaire de nouveaux textes et de nouveaux participants. Il serait complètement absurde qu'une personne ayant envie de réagir dans une semaine à un poème posté demain s'abstienne, et ce pour respecter à tout crin la structure de notre calendrier. Là aussi, liberté totale aux scripteurs. Si la chose ne s'entend pas naturellement, pensez juste à préciser de quel poème vous parlez exactement.
Me réjouis de vous lire. Feu(x)!
Dernière édition par Dérinoé le Mer 2 Sep 2015 - 21:42, édité 2 fois
Invité Invité
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mar 1 Sep 2015 - 18:21
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Dernière édition par TimesNewRoman le Mer 14 Oct 2015 - 16:31, édité 1 fois
Juliette2a Tenant of Hamley Hall
Nombre de messages : 29122 Age : 27 Localisation : Entre l'Angleterre et la Thaïlande ! Date d'inscription : 06/03/2012
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mar 1 Sep 2015 - 18:23
Merci pour cette découverte !
Le style de Kiki Dimoula est assez particulier, on voit qu'elle est plus "moderne" que les poètes classiques (Baudelaire, Rimbaud), mais j'ai tout de même apprécié son poème Elle a du talent !
Dérinoé Ready for a strike!
Nombre de messages : 1084 Date d'inscription : 15/10/2011
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mar 1 Sep 2015 - 22:53
@ Juliette2a:
Citation :
Merci pour cette découverte ! cheers
Merci à toi pour ton retour, Juliette2a.
Citation :
Le style de Kiki Dimoula est assez particulier, on voit qu'elle est plus "moderne" que les poètes classiques (Baudelaire, Rimbaud), mais j'ai tout de même apprécié son poème drunken Elle a du talent !
Oui, son vers libre est en effet très différent de celui des poètes que tu mentionnes. Il y a aussi, dans le ton, dans la voix, quelque chose de pressant et de personnel qui suggère presque une conversation entre amis.
@ TimesNewRoman:
Citation :
C'est définitivement ce dernier poème (sur les trois) que je préfère.
Merci pour ton retour, TimesNewRoman.
Citation :
J'en aime la structure en chute libre, la scansion haletante et la métrique erratique.
Et tu en offres une description parfaite.
Citation :
Question: pourquoi places-tu les textes sous spoilers?
Pour que chacun ait le plaisir de pouvoir déballer son bonbon.
Léti Cat in a Magic Wood
Nombre de messages : 2015 Age : 42 Localisation : Sous le camphrier Date d'inscription : 09/10/2014
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mer 2 Sep 2015 - 10:45
Moi aussi, c'est ce troisième poème que je préfère En particulier pour sa rythmique.
"Parle". C'est donc mon tour de m'exprimer pour cette quinzaine de la poésie (oui, je sais, transition pourrie. J'assume. Presque.)
Mes présentations vont être très différentes de celles de Dérinoé, mais je ne crois pas me tromper en disant que c'était aussi un peu le but de cette quinzaine.
Déjà, il faut commencer par dire que j'aime (beaucoup) lire de la poésie, et que pourtant, je ne le fais jamais. Sans doute parce que lire de la poésie me demande vraiment une disposition d'esprit particulière, et d'avoir du temps devant moi, alors qu'en général, je ne m'accorde que le temps de picorer en lecture (dans une file d'attente ou quelques pages avant de me coucher). Et même quand je prends le temps de le faire, j'avoue avoir tendance me lancer dans un énième roman de fantaisy plutôt qu'à la lecture de poèmes. C'est pourquoi je remercie particulièrement les participants du topic en général et Dérinoé en particulier, de donner l'occasion de toutes ces découvertes
Bref, passons aux choses sérieuses. Enfin, lyriques, plutôt. Même si le premier poète que je vais présenter ne l'est pas particulièrement, pas au sens courant du terme. Je propose de partager avec vous des poèmes, en général assez connus (mais qu'il est toujours sympa de relire-enfin, pour moi), mais qui ont chez moi une résonance particulière. Et on va commencer par un connu depuis l'enfance, un de ceux qu'on apprend souvent à l'école : il s'agit de M. Prévert. Pourquoi est-ce que j’ai aimé et aime lire Prévert ? C’est assez simple: il est accessible à tous âges, drôle la plupart du temps, cynique parfois, émouvant souvent. Et moi, j’aime les génies accessibles et qui ont une grande palette d’émotions.
Et en plus de tout le reste, il a fait Le Roi et l'Oiseau, avec (entre autres) ce petit passage :
Au mois de mai, La vie est une cerise La mort est un noyau L’amour, un cerisier
Je dois reconnaître que la mise en musique de plusieurs de ses poèmes est assez réussie. La plupart du temps par Kosma, si je ne me trompe pas ? J'aime celle de Barbara, en particulier.
Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là Et tu marchais souriante É panouie ravie ruisselante Sous la pluie Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest Et je t'ai croisée rue de Siam Tu souriais Et moi je souriais de même Rappelle-toi Barbara Toi que je ne connaissais pas Toi qui ne me connaissais pas Rappelle-toi Rappelle-toi quand même ce jour-là N'oublie pas Un homme sous un porche s'abritait Et il a crié ton nom Barbara Et tu as couru vers lui sous la pluie Ruisselante ravie épanouie Et tu t'es jetée dans ses bras Rappelle-toi cela Barbara Et ne m'en veux pas si je te tutoie Je dis tu à tous ceux que j'aime Même si je ne les ai vus qu'une seule fois Je dis tu à tous ceux qui s'aiment Même si je ne les connais pas Rappelle-toi Barbara N'oublie pas Cette pluie sage et heureuse Sur ton visage heureux Sur cette ville heureuse Cette pluie sur la mer Sur l'arsenal Sur le bateau d'Ouessant Oh Barbara Quelle connerie la guerre Qu'es-tu devenue maintenant Sous cette pluie de fer De feu d'acier de sang Et celui qui te serrait dans ses bras Amoureusement Est-il mort disparu ou bien encore vivant Oh Barbara Il pleut sans cesse sur Brest Comme il pleuvait avant Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé C'est une pluie de deuil terrible et désolée Ce n'est même plus l'orage De fer d'acier de sang Tout simplement des nuages Qui crèvent comme des chiens Des chiens qui disparaissent Au fil de l'eau sur Brest Et vont pourrir au loin Au loin très loin de Brest Dont il ne reste rien.
in Paroles, 1946
Pas besoin de longs commentaires, je pense.
Et un petit clin d’œil pour le coté comique, car sur un forum comme celui-ci, on aime jouer avec les mots et l'orthographe, en général :
Mea Culpa
C’est ma faute C’est ma faute C’est ma très grande faute d’orthographe Voilà comment j’écris Giraffe
(in Histoires, 1946)
Humour et sarcasme "doux". Simplicité et brièveté. Mais quand même dénoncer.
Invité Invité
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mer 2 Sep 2015 - 14:35
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Dernière édition par TimesNewRoman le Mer 14 Oct 2015 - 16:31, édité 1 fois
Petit Faucon Confiance en soie
Nombre de messages : 12008 Age : 59 Date d'inscription : 26/12/2011
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mer 2 Sep 2015 - 14:38
Merci à Dérinoé pour la découverte de cette poétesse grecque J'ai beaucoup aimé cette Pierre périphrase, et je note le nom du recueil En fait, c'est plutôt ce style de poésie que j'aime, un peu débridé et qui ressemble à un air de musique.
Quant à Prévert, j'adore ! Barbara est un très beau poème, et Joseph Kosma l'a bien mis en valeur. Je crois que musique et poésie sont intimement liées, et pour moi un beau poème doit chanter à l'oreille ... Merci Léti, de ce souffle rafraichissant !
Léti Cat in a Magic Wood
Nombre de messages : 2015 Age : 42 Localisation : Sous le camphrier Date d'inscription : 09/10/2014
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mer 2 Sep 2015 - 14:51
Merci TimesNewRoman Si tu as un jour l'occasion de regarder Le Roi et l'Oiseau, cela vaut vraiment la peine. En attendant, voici le lien de la page wiki, qui est très complète et intéressante.
Petit Faucon a écrit:
pour moi un beau poème doit chanter à l'oreille ...
Tout-à-fait d'accord avec toi Même si un coté "non chantant" peut être parfaitement voulu, assumé et signifiant.
Dérinoé Ready for a strike!
Nombre de messages : 1084 Date d'inscription : 15/10/2011
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mer 2 Sep 2015 - 17:57
@ Léti:
Citation :
Moi aussi, c'est ce troisième poème que je préfère Smile En particulier pour sa rythmique.
Il est vrai que Kiki Dimoula parvient à créer un rythme propre très original, qui rappelle un peu le mouvement toujours recommencé du ressac de la mer.
Citation :
Mes présentations vont être très différentes de celles de Dérinoé, mais je ne crois pas me tromper en disant que c'était aussi un peu le but de cette quinzaine.
Absolument. Et j'ai vraiment beaucoup aimé ta présentation qui nous introduit non seulement aux trois beaux textes de Jacques Prévert mais également au rapport que tu entretiens avec eux. Merci beaucoup pour ce commentaire personnel et plein d'allant qui donne vraiment envie de se plonger dans la poésie, sous-estimée il me semble, de Jacques Prévert.
Citation :
Déjà, il faut commencer par dire que j'aime (beaucoup) lire de la poésie, et que pourtant, je ne le fais jamais. Sans doute parce que lire de la poésie me demande vraiment une disposition d'esprit particulière, et d'avoir du temps devant moi, alors qu'en général, je ne m'accorde que le temps de picorer en lecture (dans une file d'attente ou quelques pages avant de me coucher). Et même quand je prends le temps de le faire, j'avoue avoir tendance me lancer dans un énième roman de fantaisy plutôt qu'à la lecture de poèmes.
Je comprends très bien ton sentiment et je pense que tu es loin d'être la seule à vivre ce rapport ambivalent à la poésie. Dans un emploi du temps chargé, avec ce qu'il véhicule d'obligations et de fatigue, il me paraît tout à fait normal de vouloir consacrer ses quelques moments de lecture à des textes suivis et prenants, permettant de s'évader en retrouvant des personnages incarnés et un univers haletant.
Je lis moi-même un peu de poésie chaque semaine, mais par petites touches seulement, selon l'inspiration du moment. Et puis parfois, rien ne passe, rien ne rentre, même avec un auteur très aimé. C'est mystérieux, la poésie. Pour moi, il est possible d'apprécier partiellement un roman ou une nouvelle, nonobstant certains défauts mal supportés. L'intrigue ou les personnages peuvent avoir conquis, sans que le style ou la construction de l'histoire soient au rendez-vous. Et inversement. Mais, pour la poésie, soit c'est coup de foudre, soit c'est néant. D'entre deux, guère.
Citation :
C'est pourquoi je remercie particulièrement les participants du topic en général et Dérinoé en particulier, de donner l'occasion de toutes ces découvertes Smile
Merci à toi, et à vous, de participer avec autant d'enthousiasme et de gentillesse à cette petite Quinzaine entre amis.
Citation :
Bref, passons aux choses sérieuses. Enfin, lyriques, plutôt. Même si le premier poète que je vais présenter ne l'est pas particulièrement, pas au sens courant du terme. Je propose de partager avec vous des poèmes, en général assez connus (mais qu'il est toujours sympa de relire-enfin, pour moi), mais qui ont chez moi une résonance particulière.
Pour moi, c'est une découverte complète: je ne connaissais aucun des poèmes que tu as postés. Et j'ai beaucoup, beaucoup aimé Barbara, toute en mélancolie elliptique, en joie de vivre froissée, en colère sur le fil.
Citation :
Je dois reconnaître que la mise en musique de plusieurs de ses poèmes est assez réussie. La plupart du temps par Kosma, si je ne me trompe pas ? J'aime celle de Barbara, en particulier.
Grâce à toi, j'ai également découvert la chanson, très réussie, et dont je me permets de reproduire ci-après deux versions, aussi différentes que poignantes : celle de Marcel Mouloudji (1961) et celle d'Yves Montand (1962).
Spoiler:
Marcel Mouloudji, Barbara in Amours... roses, grises, noires, 1961:
Poème: Jacques Prévert, 1946. Musique: Joseph Kosma, 1947. Interprétation: Marcel Mouloudji, 1961.
Spoiler:
Yves Montand, Barbara in Yves Montand chante Jacques Prévert, 1962:
Poème: Jacques Prévert, 1946. Musique: Joseph Kosma, 1947. Interprétation: Marcel Mouloudji, 1962.
Citation :
Humour et sarcasme "doux". Simplicité et brièveté. Mais quand même dénoncer.
Et c'est très joliment dit.
Citation :
Même si un coté "non chantant" peut être parfaitement voulu, assumé et signifiant.
Vrai.
@ Petit Faucon:
Citation :
Merci à Dérinoé pour la découverte de cette poétesse grecque Cool
Avec grand plaisir.
Citation :
J'ai beaucoup aimé cette Pierre périphrase, et je note le nom du recueil
J'espère que tu passeras à l'occasion nous donner ton sentiment, si tu acquières le volume d'une manière ou d'une autre.
Dernière édition par Dérinoé le Ven 4 Sep 2015 - 14:45, édité 4 fois
Juliette2a Tenant of Hamley Hall
Nombre de messages : 29122 Age : 27 Localisation : Entre l'Angleterre et la Thaïlande ! Date d'inscription : 06/03/2012
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mer 2 Sep 2015 - 18:26
Ah, Barbara, c'est tout simplement un poème magnifique, tellement émouvant ! Ta présentation de Jacques Prévert est parfaite, et je partage totalement ton point de vue sur ce merveilleux poète Lorsque je lis ses poèmes, j'ai l'impression de me retrouver au cœur de l'histoire qu'il raconte, ce que je ne ressens pas pour d'autres poètes (ou même auteurs), par exemple !
Nat2a Lady à la rescousse
Nombre de messages : 322 Age : 61 Localisation : Corse Date d'inscription : 19/08/2011
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Mer 2 Sep 2015 - 21:21
J'ai été conquise par Kiki Dimoula!A tel point que j'ai recopié et envoyé ce poème à une amie chère. L'image du ressac pour évoquer le rythme du texte m'a frappée également.Bref ce poème me "parle", c'est son but, non?
J'entretiens aussi une relation paradoxale avec la poésie, j'en lis peu, comme toi Léti, et quand je m'y remets, je me demande comment j'ai pu m'en passer. Donc merci Dérinoé pour cette pause poétique bienvenue. Prévert reste une valeur sûre avec des textes indémodables et accessibles, qu'on a envie de se réciter encore et encore. J'aime son ironie, son humour, sa tristesse aussi; merci Léti!
Léti Cat in a Magic Wood
Nombre de messages : 2015 Age : 42 Localisation : Sous le camphrier Date d'inscription : 09/10/2014
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Jeu 3 Sep 2015 - 10:03
Merci Dérinoé, Juliette2a, Nat2a
Dérinoé, je suis ravie si j'ai pu te permettre de connaître Barbara Pour la chanson, pour ma part, c'est dans la version des Frères Jacques que je la préfère
Spoiler:
Dérinoé a écrit:
Je lis moi-même un peu de poésie chaque semaine, mais par petites touches seulement, selon l'inspiration du moment. Et puis parfois, rien ne passe, rien ne rentre, même avec un auteur très aimé. C'est mystérieux, la poésie. Pour moi, il est possible d'apprécier partiellement un roman ou une nouvelle, nonobstant certains défauts mal supportés. L'intrigue ou les personnages peuvent avoir conquis, sans que le style ou la construction de l'histoire soient au rendez-vous. Et inversement. Mais, pour la poésie, soit c'est coup de foudre, soit c'est néant. D'entre deux, guère.
Je vais essayer de faire pareil, mais je ne sais pas trop comment commencer Relire ce fil depuis le départ sera un début. J'ai aussi d'autres pistes, mais je ne veux pas spoiler la suite de mes posts de la quinzaine
*************
La suite, donc. Après l’enfance, l’adolescence, avec cette fois, deux poèmes longs comme un jour sans pain. Il faut ce qu'il faut pour exprimer les maux innombrables de cet âge
Dans un des endroits où j’allais souvent en vacances, il y avait quelques BD. Quelques, ce qui fait qu’inlassablement et tous les ans, je lisais les mêmes. Il s’agissait des Théodore Poussin (pour mémoire ). Dans cette série bédéique, un des personnages, un bonhomme un peu sinistre toujours habillé en noir, répète sans cesse : « Amer savoir celui qu’on tire du voyage, Le monde, monotone et petit, Aujourd’hui, demain, toujours, nous fait voir notre image Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui. »
Cette phrase, tirée d’un poème « horriblement » long, que voici en spoiler, était devenue un peu un leitmotiv dans ma petite vie, alors même que je n’avais guère voyagé, à l’époque :p Je vous le laisse en entier, n’ayant pas le cœur à faire la moindre coupure.
Le voyage, Charles Beaudelaire:
Le Voyage, Charles Baudelaire I
Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes, L’univers est égal à son vaste appétit. Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes ! Aux yeux du souvenir que le monde est petit !
Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme, Le cœur gros de rancune et de désirs amers, Et nous allons, suivant le rythme de la lame, Berçant notre infini sur le fini des mers :
Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ; D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns, Astrologues noyés dans les yeux d’une femme, La Circé tyrannique aux dangereux parfums.
Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent D’espace et de lumière et de cieux embrasés ; La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent, Effacent lentement la marque des baisers.
Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons, De leur fatalité jamais ils ne s’écartent, Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !
Ceux-là, dont les désirs ont la forme des nues, Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon, De vastes voluptés, changeantes, inconnues, Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom !
II
Nous imitons, horreur ! la toupie et la boule Dans leur valse et leurs bonds;même dans nos sommeils La Curiosité nous tourmente et nous roule, Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.
Singulière fortune où le but se déplace, Et, n’étant nulle part, peut être n’importe où ! Où l’Homme, dont jamais l’espérance n’est lasse, Pour trouver le repos court toujours comme un fou !
Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ; Une voix retentit sur le pont : « Ouvre l’œil ! » Une voix de la hune, ardente et folle, crie : « Amour... gloire... bonheur ! » Enfer ! c’est un écueil !
Chaque îlot signalé par l’homme de vigie Est un Eldorado promis par le Destin ; L’Imagination qui dresse son orgie Ne trouve qu’un récif aux clartés du matin.
Ô le pauvre amoureux des pays chimériques ! Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer, Ce matelot ivrogne, inventeur d’Amériques Dont le mirage rend le gouffre plus amer ?
Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue, Rêve, le nez en l’air, de brillants paradis ; Son œil ensorcelé découvre une Capoue Partout où la chandelle illumine un taudis. III
Étonnants voyageurs ! quelles nobles histoires Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers ! Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires, Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.
Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile ! Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons, Passer sur nos esprits, tendus comme une toile, Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons.
Dites, qu’avez-vous vu ?
IV
« Nous avons vu des astres Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ; Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres, Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.
La gloire du soleil sur la mer violette, La gloire des cités dans le soleil couchant, Allumaient dans nos cœurs une ardeur inquiète De plonger dans un ciel au reflet alléchant.
Les plus riches cités, les plus beaux paysages, Jamais ne contenaient l’attrait mystérieux De ceux que le hasard fait avec les nuages. Et toujours le désir nous rendait soucieux !
- La jouissance ajoute au désir de la force. Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d’engrais, Cependant que grossit et durcit ton écorce, Tes branches veulent voir le soleil de plus près !
Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace Que le cyprès ? – Pourtant nous avons, avec soin, Cueilli quelques croquis pour votre album vorace, Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !
Nous avons salué des idoles à trompe ; Des trônes constellés de joyaux lumineux ; Des palais ouvragés dont la féerique pompe Serait pour vos banquiers un rêve ruineux ;
Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ; Des femmes dont les dents et les ongles sont teints, Et des jongleurs savants que le serpent caresse. »
V
Et puis, et puis encore ?
VI
« Ô cerveaux enfantins !
Pour ne pas oublier la chose capitale, Nous avons vu partout, et sans l’avoir cherché, Du haut jusques en bas de l’échelle fatale, Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché :
La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide, Sans rire s’adorant et s’aimant sans dégoût ; L’homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide, Esclave de l’esclave et ruisseau dans l’égout ;
Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ; La fête qu’assaisonne et parfume le sang ; Le poison du pouvoir énervant le despote, Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ;
Plusieurs religions semblables à la nôtre, Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté, Comme en un lit de plume un délicat se vautre, Dans les clous et le crin cherchant la volupté ;
L’Humanité bavarde, ivre de son génie, Et, folle maintenant comme elle était jadis, Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie : « Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis ! »
Et les moins sots, hardis amants de la Démence, Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin, Et se réfugiant dans l’opium immense ! – Tel est du globe entier l’éternel bulletin. »
VII
Amer savoir, celui qu’on tire du voyage ! Le monde, monotone et petit, aujourd’hui, Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image : Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !
Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ; Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste, Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,
Comme le Juif errant et comme les apôtres, À qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau, Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d’autres Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.
Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine, Nous pourrons espérer et crier : En avant ! De même qu’autrefois nous partions pour la Chine, Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,
Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres Avec le cœur joyeux d’un jeune passager. Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres, Qui chantent : « Par ici ! vous qui voulez manger
Le Lotus parfumé ! c’est ici qu’on vendange Les fruits miraculeux dont votre cœur a faim ; Venez vous enivrer de la douceur étrange De cette après-midi qui n’a jamais de fin ! »
À l’accent familier nous devinons le spectre ; Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous. « Pour rafraîchir ton cœur nage vers ton Électre ! » Dit celle dont jadis nous baisions les genoux. VIII
Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre ! Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons ! Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre, Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !
Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte ! Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau, Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !
On reste dans l'horriblement long, je le crains, avec ce bon vieux Musset. Que voulez-vous, l'adolescence est l’âge romantique par excellence, n’est-il pas ?
Nuit de décembre, Musset:
La nuit de décembre LE POÈTE
Du temps que j'étais écolier, Je restais un soir à veiller Dans notre salle solitaire. Devant ma table vint s'asseoir Un pauvre enfant vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère.
Son visage était triste et beau : A la lueur de mon flambeau, Dans mon livre ouvert il vint lire. Il pencha son front sur sa main, Et resta jusqu'au lendemain, Pensif, avec un doux sourire.
Comme j'allais avoir quinze ans Je marchais un jour, à pas lents, Dans un bois, sur une bruyère. Au pied d'un arbre vint s'asseoir Un jeune homme vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère.
Je lui demandai mon chemin ; Il tenait un luth d'une main, De l'autre un bouquet d'églantine. Il me fit un salut d'ami, Et, se détournant à demi, Me montra du doigt la colline.
A l'âge où l'on croit à l'amour, J'étais seul dans ma chambre un jour, Pleurant ma première misère. Au coin de mon feu vint s'asseoir Un étranger vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère.
Il était morne et soucieux ; D'une main il montrait les cieux, Et de l'autre il tenait un glaive. De ma peine il semblait souffrir, Mais il ne poussa qu'un soupir, Et s'évanouit comme un rêve.
A l'âge où l'on est libertin, Pour boire un toast en un festin, Un jour je soulevais mon verre. En face de moi vint s'asseoir Un convive vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère.
Il secouait sous son manteau Un haillon de pourpre en lambeau, Sur sa tête un myrte stérile. Son bras maigre cherchait le mien, Et mon verre, en touchant le sien, Se brisa dans ma main débile.
Un an après, il était nuit ; J'étais à genoux près du lit Où venait de mourir mon père. Au chevet du lit vint s'asseoir Un orphelin vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère.
Ses yeux étaient noyés de pleurs ; Comme les anges de douleurs, Il était couronné d'épine ; Son luth à terre était gisant, Sa pourpre de couleur de sang, Et son glaive dans sa poitrine.
Je m'en suis si bien souvenu, Que je l'ai toujours reconnu A tous les instants de ma vie. C'est une étrange vision, Et cependant, ange ou démon, J'ai vu partout cette ombre amie.
Lorsque plus tard, las de souffrir, Pour renaître ou pour en finir, J'ai voulu m'exiler de France ; Lorsqu'impatient de marcher, J'ai voulu partir, et chercher Les vestiges d'une espérance ;
A Pise, au pied de l'Apennin ; A Cologne, en face du Rhin ; A Nice, au penchant des vallées ; A Florence, au fond des palais ; A Brigues, dans les vieux chalets ; Au sein des Alpes désolées ;
A Gênes, sous les citronniers ; A Vevey, sous les verts pommiers ; Au Havre, devant l'Atlantique ; A Venise, à l'affreux Lido, Où vient sur l'herbe d'un tombeau Mourir la pâle Adriatique ;
Partout où, sous ces vastes cieux, J'ai lassé mon coeur et mes yeux, Saignant d'une éternelle plaie ; Partout où le boiteux Ennui, Traînant ma fatigue après lui, M'a promené sur une claie ;
Partout où, sans cesse altéré De la soif d'un monde ignoré, J'ai suivi l'ombre de mes songes ; Partout où, sans avoir vécu, J'ai revu ce que j'avais vu, La face humaine et ses mensonges ;
Partout où, le long des chemins, J'ai posé mon front dans mes mains, Et sangloté comme une femme ; Partout où j'ai, comme un mouton, Qui laisse sa laine au buisson, Senti se dénuder mon âme ;
Partout où j'ai voulu dormir, Partout où j'ai voulu mourir, Partout où j'ai touché la terre, Sur ma route est venu s'asseoir Un malheureux vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère.
Qui donc es-tu, toi que dans cette vie Je vois toujours sur mon chemin ? Je ne puis croire, à ta mélancolie, Que tu sois mon mauvais Destin. Ton doux sourire a trop de patience, Tes larmes ont trop de pitié. En te voyant, j'aime la Providence. Ta douleur même est soeur de ma souffrance ; Elle ressemble à l'Amitié.
Qui donc es-tu ? - Tu n'es pas mon bon ange, Jamais tu ne viens m'avertir. Tu vois mes maux (c'est une chose étrange !) Et tu me regardes souffrir. Depuis vingt ans tu marches dans ma voie, Et je ne saurais t'appeler. Qui donc es-tu, si c'est Dieu qui t'envoie ? Tu me souris sans partager ma joie, Tu me plains sans me consoler !
Ce soir encor je t'ai vu m'apparaître. C'était par une triste nuit. L'aile des vents battait à ma fenêtre ; J'étais seul, courbé sur mon lit. J'y regardais une place chérie, Tiède encor d'un baiser brûlant ; Et je songeais comme la femme oublie, Et je sentais un lambeau de ma vie Qui se déchirait lentement.
Je rassemblais des lettres de la veille, Des cheveux, des débris d'amour. Tout ce passé me criait à l'oreille Ses éternels serments d'un jour. Je contemplais ces reliques sacrées, Qui me faisaient trembler la main : Larmes du coeur par le coeur dévorées, Et que les yeux qui les avaient pleurées Ne reconnaîtront plus demain !
J'enveloppais dans un morceau de bure Ces ruines des jours heureux. Je me disais qu'ici-bas ce qui dure, C'est une mèche de cheveux. Comme un plongeur dans une mer profonde, Je me perdais dans tant d'oubli. De tous côtés j'y retournais la sonde, Et je pleurais, seul, loin des yeux du monde, Mon pauvre amour enseveli.
J'allais poser le sceau de cire noire Sur ce fragile et cher trésor. J'allais le rendre, et, n'y pouvant pas croire, En pleurant j'en doutais encor. Ah ! faible femme, orgueilleuse insensée, Malgré toi, tu t'en souviendras ! Pourquoi, grand Dieu ! mentir à sa pensée ? Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressée, Ces sanglots, si tu n'aimais pas ?
Oui, tu languis, tu souffres, et tu pleures ; Mais ta chimère est entre nous. Eh bien ! adieu ! Vous compterez les heures Qui me sépareront de vous. Partez, partez, et dans ce coeur de glace Emportez l'orgueil satisfait. Je sens encor le mien jeune et vivace, Et bien des maux pourront y trouver place Sur le mal que vous m'avez fait.
Partez, partez ! la Nature immortelle N'a pas tout voulu vous donner. Ah ! pauvre enfant, qui voulez être belle, Et ne savez pas pardonner ! Allez, allez, suivez la destinée ; Qui vous perd n'a pas tout perdu. Jetez au vent notre amour consumée ; - Eternel Dieu ! toi que j'ai tant aimée, Si tu pars, pourquoi m'aimes-tu ?
Mais tout à coup j'ai vu dans la nuit sombre Une forme glisser sans bruit. Sur mon rideau j'ai vu passer une ombre ; Elle vient s'asseoir sur mon lit. Qui donc es-tu, morne et pâle visage, Sombre portrait vêtu de noir ? Que me veux-tu, triste oiseau de passage ? Est-ce un vain rêve ? est-ce ma propre image Que j'aperçois dans ce miroir ?
Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse, Pèlerin que rien n'a lassé ? Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse Assis dans l'ombre où j'ai passé. Qui donc es-tu, visiteur solitaire, Hôte assidu de mes douleurs ? Qu'as-tu donc fait pour me suivre sur terre ? Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère, Qui n'apparais qu'au jour des pleurs ?
LA VISION
- Ami, notre père est le tien. Je ne suis ni l'ange gardien, Ni le mauvais destin des hommes. Ceux que j'aime, je ne sais pas De quel côté s'en vont leurs pas Sur ce peu de fange où nous sommes.
Je ne suis ni dieu ni démon, Et tu m'as nommé par mon nom Quand tu m'as appelé ton frère ; Où tu vas, j'y serai toujours, Jusques au dernier de tes jours, Où j'irai m'asseoir sur ta pierre.
Le ciel m'a confié ton coeur. Quand tu seras dans la douleur, Viens à moi sans inquiétude. Je te suivrai sur le chemin ; Mais je ne puis toucher ta main, Ami, je suis la Solitude.
Ce qui me touchait, dans ces poèmes ? Bien sûr, le côté romantique et maudit : la solitude, le rêve, le voyage, l’amertume, l’ennui. L’égocentrisme aussi, un peu. Les envolées lyriques, bien sûr.
Et la beauté de la langue et de la construction. Tout de même.
Petit Faucon Confiance en soie
Nombre de messages : 12008 Age : 59 Date d'inscription : 26/12/2011
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Jeu 3 Sep 2015 - 16:57
D'abord merci Léti, pour ton choix de Barbara par les frères Jacques, car c'est celui qu'on écoutait chez moi enfant (souvenirs ...)
Ensuite, merci pour Baudelaire, un de mes poètes préférés, qui est toujours juste et fulgurant ; Ce Voyage est très beau, il est dans le recueil des Fleurs du Mal, je pense ? Nombreux sont sans doute ceux qui ignorent ou ne se souviennent plus que le festival littéraire de Saint-Malo Etonnants voyageurs doit son nom à Baudelaire Ce poème est plein de références à la marine à voile, de nos jours les voyageurs sont bien différents
Et Musset me touche moins ; je ne me souviens pas d'avoir lu ce poème, qui est bien dans ces premières strophes, avec la silhouette lugubre du double vêtu de noir, mais un peu longuet sur la fin (je suis odieuse mais j'assume).
En tous cas, nous voyageons
Juliette2a Tenant of Hamley Hall
Nombre de messages : 29122 Age : 27 Localisation : Entre l'Angleterre et la Thaïlande ! Date d'inscription : 06/03/2012
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Jeu 3 Sep 2015 - 18:40
Merci pour ces deux nouveaux poèmes que j'aime beaucoup Je les connaissais déjà, le premier pour l'avoir étudié en première, et le second en me plongeant dans l’œuvre d'Alfred de Musset Ce sont deux grands poètes comme je les aime, et dont les textes m'émeuvent toujours
Dérinoé Ready for a strike!
Nombre de messages : 1084 Date d'inscription : 15/10/2011
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Ven 4 Sep 2015 - 9:32
@ Nat2a:
Citation :
J'ai été conquise par Kiki Dimoula!A tel point que j'ai recopié et envoyé ce poème à une amie chère. L'image du ressac pour évoquer le rythme du texte m'a frappée également.
Ce que tu écris me va droit au coeur, Nat2a, et je ne pourrais imaginer plus bel office pour, cette Quinzaine, que celui de courroie de transmission entre deux êtres.
Et pour le rythme, oui, il y a, dans cette manière de toujours revenir à la même injonction, en tête comme en milieu de strophe, quelque chose du mouvement des vagues qui s'entêtent, sans lasser, sur l'indifférence de la rive. "La mer toujours recommencée", écrit Paul Valéry dans un célèbre poème. "La parole toujours recommencée", elle aussi.
Citation :
Bref ce poème me "parle", c'est son but, non?
Ô combien!
Citation :
Donc merci Dérinoé pour cette pause poétique bienvenue.
Merci à toi, et à vous tous tous, sans qui l'échange n'aurait pu prendre vie.
L'idée est née de ce que, pour ma part, je tends à poster sur ce fil en ne proposant que très peu de commentaires propres, livrant bien souvent le poème de manière brute et nue. Or, je me suis souvent demandée si les passants comprenaient le texte comme moi-même je l'avais compris ou si, au contraire, leur interprétation était toute autre. J'avais envie d'échanger autour de la poésie, d'apprendre à connaître les goûts (et les dégoûts), la sensibilité, l'univers tout musical d'autres Lambtoniens.
Aujourd'hui, je suis ravie d'une part de découvrir toutes vos réactions aux textes proposés et, d'autre part, de me plonger dans des poèmes inconnus - ou presque - et très différents de ceux que je lis habituellement par moi-même.
Donc, à vous tous, mille fois merci.
@ Léti:
Citation :
Dérinoé, je suis ravie si j'ai pu te permettre de connaître Barbara sunny
Oui, un vrai coup de coeur. Hier, durant un déplacement en train, je l'ai écoutée à plusieurs reprises. Dans la version de Marcel Mouloudji qui, je crois, a pour l'instant ma préférence.
Citation :
Pour la chanson, pour ma part, c'est dans la version des Frères Jacques que je la préfère Smile
Merci beaucoup: je n'avais pas encore entendue cette version, qui est très réussie également.
Citation :
Je vais essayer de faire pareil, mais je ne sais pas trop comment commencer scratch Relire ce fil depuis le départ sera un début. J'ai aussi d'autres pistes, mais je ne veux pas spoiler la suite de mes posts de la quinzaine Razz
Je ne sais si c'est une idée qui pourrait t'intéresser mais, pour moi, la clef réside certainement dans le fait d'alterner, d'un jour à l'autre, des recueils éminemment différents, tans sur la forme que sur le fond. Dans le courant de la semaine et suivant l'humeur, l'évènement, la couleur du jour, je n'ai pas toujours envie de me plonger dans le même bain littéraire et musical. Je crois que si l'on excepte les livres imposés par des programmes d'études, je n'ai jamais lu un recueil de poèmes d'une seule traite.
J'espère que tu passeras à l'occasion nous rapporter l'évolution de tes habitudes de lecture poétique.
Citation :
Dans un des endroits où j’allais souvent en vacances, il y avait quelques BD. Quelques, ce qui fait qu’inlassablement et tous les ans, je lisais les mêmes. Il s’agissait des Théodore Poussin (pour mémoire Arrow). Dans cette série bédéique, un des personnages, un bonhomme un peu sinistre toujours habillé en noir, répète sans cesse : « Amer savoir celui qu’on tire du voyage, Le monde, monotone et petit, Aujourd’hui, demain, toujours, nous fait voir notre image Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui. »
Cette phrase, tirée d’un poème « horriblement » long, que voici en spoiler, était devenue un peu un leitmotiv dans ma petite vie, alors même que je n’avais guère voyagé, à l’époque :p
Ce que tu écris me touche beaucoup. Je crois qu'il n'est pas rare que certains pans de vie soient placés sous le signe d'un vers déposé par le hasard dans une poche du veston. Pour ma part, c'est une petite strophe de Paul Verlaine qui me poursuit depuis longtemps et dont il me semblait comprendre l'émotion avant même que d'en avoir saisi le sens le plus littéral.
Spoiler:
"Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là, Simple et tranquille. Cette paisible rumeur-là Vient de la ville."
Extrait de Paul Verlaine, Le ciel est par-dessus le toit in Sagesse, 1880.
Citation :
On reste dans l'horriblement long, je le crains, avec ce bon vieux Musset. Que voulez-vous, l'adolescence est l’âge romantique par excellence, n’est-il pas ?
Merci beaucoup pour ces trois nouveaux poèmes, très beaux et très différents de l'univers découvert hier grâce aux vers doux-amers de Jacques Prévert.
Pour ce qui est du Voyage de Charles Baudelaire, je pourrais reprendre les mots de Petit Faucon sans rien y changer : son vers est "juste et fulgurant" - et de surcroît d'une élégance coulée comme on en lit rarement dans la poésie en pieds.
Ce qui me frappe le plus, dans La Vision d'Alfred de Musset, c'est le fait qu'elle se présente presque sous la forme d'un récit ou d'une petite pièce de théâtre où, comme dans certains romans de Stefan Zweig, nous suivons un héros erratique dans l'attente, oppressante et diffuse, d'un drame écrit dans le ciel. Je trouve les deux strophes (13 et 14) où il égrène ses différentes destinations de voyage particulièrement bien menées, dans leur apparente mais fausse simplicité: elles m'évoquent certaines chansons de Barbara où le tourbillon, léger, emporte avec lui un chapelet fugace de sentiments.
Enfin, des trois poèmes que tu nous as proposés, c'est, je crois, La Vision, toujours d'Alfred de Musset, qui emporte ma préférence. Sa chute est à l'image du thème traité: dure, nue et implacable.
Léti Cat in a Magic Wood
Nombre de messages : 2015 Age : 42 Localisation : Sous le camphrier Date d'inscription : 09/10/2014
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Ven 4 Sep 2015 - 13:29
Merci pour vos retours, Petit Faucon, Juliette2a et Dérinoé !
Petit Faucon : Oui oui, j'aurai dû l'indiquer, mais "Le Voyage" fait bien partie du recueil des Fleurs du Mal (qui, soit dit en passant, est en soi un très beau titre). Musset "un peu longuet sur la fin" : Odieuse ? Bah, je ne sais pas...La poésie s'adresse à la sensibilité, et donc, nos réactions sont éminemment subjectives...Et par ailleurs, même les plus grands poètes peuvent avoir des défauts
Dérinoé :
Dérinoé a écrit:
Je ne sais si c'est une idée qui pourrait t'intéresser mais, pour moi, la clef réside certainement dans le fait d'alterner, d'un jour à l'autre, des recueils éminemment différents, tans sur la forme que sur le fond. Dans le courant de la semaine et suivant l'humeur, l'évènement, la couleur du jour, je n'ai pas toujours envie de me plonger dans le même bain littéraire et musical. Je crois que si l'on excepte les livres imposés par des programmes d'études, je n'ai jamais lu un recueil de poèmes d'une seule traite.
J'espère que tu passeras à l'occasion nous rapporter l'évolution de tes habitudes de lecture poétique.
Merci pour ces pistes ! Je verrai. Le problème est que j'ai très peu de recueils chez moi, et je me connais, je vais hésiter à acheter des livres que je ne suis même pas certaine de lire...Peut-être que je peux faire quelque chose avec la liseuse, toutefois (mais pour piocher un poème au hasard, c'est plus compliqué)
Merci en tous cas pour cet extrait de Verlaine, que je ne connaissais pas, et que je trouve très beau moi aussi Un peu d'apaisement fait du bien, surtout après les tourments baudelairiens
Absolument d'accord avec toi, pour le poème de Musset. c'est vrai qu'on dirait un peu une pièce de théâtre. Et j'ai bien aimé, moi aussi, l'énumération des destinations.
******************
Et me voici donc à ma dernière proposition pour cette quinzaine, avant de laisser la main à Nat2a.
Passons de l'adolescence à l'âge adulte, et, il faut le dire, un peu du jour à la nuit (ou plutôt l'inverse, d'ailleurs), au moins du point de vue de la forme poétique. Pour ce dernier jour, je voulais présenter une forme que, personnellement, je ne connais que depuis quelques années, et que j'ai appris à aimer. Il s'agit tout simplement du haïku . Comment ici, ne pas évoquer et remercier Selenh et son fameux fil Selenh's haïkus ?
Pour moi, le haïku peut se déguster un peu comme un bonbon : certains s'avalent rapidement, mais d'autres n'ont d'intérêt qu'à force de machônnements. Certains sont sucrés, d'autres acides, mais les meilleurs sont les deux à la fois. Et c'est fou tout ce qu'on peut exprimer en si peu de mots. Et j'aime le défilement des saisons, même s'il a parfois un coté un peu déprimant.
Ce qui est dommage, par contre, avec les haïkus japonais, c'est qu'on est très liés à la traduction, et je suis à peu près certaine qu'on y perd beaucoup. Mais c'est mieux que rien !
Voici les deux que je préfère : (désolée, je n'ai pas trouvé la version japonaise pour le premier)
La cueillir, quel dommage ! La laisser, quel dommage ! Ah, cette violette ! (Naojo, traduction, Roger Munier)
Tobu hotaru areto yuwan mo hitori kana
Voilà les lucioles voudrais-je dire à quelqu'un Mais je suis seul. (Tan Taïgi)
(j'ajoute, pour ceux qui veulent aller plus loin :
Dernière édition par Léti le Ven 4 Sep 2015 - 16:49, édité 1 fois
Petit Faucon Confiance en soie
Nombre de messages : 12008 Age : 59 Date d'inscription : 26/12/2011
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Ven 4 Sep 2015 - 13:39
Le haïku !!! enfin il arrive Léti, merci pour ces deux exemplaires magnifiques, et pour ta jolie présentation !
Selenh Méchante Femme Savante
Nombre de messages : 7066 Age : 65 Localisation : Aquitaine. Date d'inscription : 24/02/2010
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Ven 4 Sep 2015 - 17:50
Léti, je me joins à Petit Faucon bien sûr ! Aujourd'hui, à l'école, j'ai fait travailler mes sixièmes sur les haïkus justement. Voici mon préféré parmi mon corpus. Il est de Buson :
Ah ! quelle douleur - trouvant par terre le peigne de ma femme morte
Dernière édition par Selenh le Sam 5 Sep 2015 - 11:20, édité 1 fois
Juliette2a Tenant of Hamley Hall
Nombre de messages : 29122 Age : 27 Localisation : Entre l'Angleterre et la Thaïlande ! Date d'inscription : 06/03/2012
Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés... Ven 4 Sep 2015 - 18:29
Merci pour ce partage, Léti ! Le haïku n'est, à priori, pas ce que je préfère, mais je dois avouer que ceux que vous avez proposés avec Selenh sont magnifiques : en si peu de mots, tout est dit !
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Sujet: Re: Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés...
Poèmes, poésie : partageons nos poèmes préférés...