Je viens donner, comme promis, un petit compte rendu de la pièce
Hollywood (en anglais
Moonlight and magnolias) que j'ai vue il y a deux semaines, si je me souviens bien.
Il s'agit d'une pièce écrite vers 2004 par un auteur irlandais Ron Hutchison, actuellement scénariste de séries aux Etats-Unis. Les acteurs étaient Samuel Le Bihan (Victor Fleming), Thierry Frémont (David O'Selznick) et Pierre Cassignard (Ben Hecht). Elle a été jouée sur Paris avec succès ces deux-trois dernières années, et maintenant ils sont en tournée en France.
Hollywood est extrêmement drôle, et même si elle est un peu irrévérencieuse envers l'oeuvre de Margaret
Mitchell, elle est quand même un bel hommage à GWTW. J'ai essayé ici de raconter toute la pièce (si vous ne voulez pas être spoilés, passez donc votre chemin !). Mais brièvement, je peux vous dire que c'est une excellente pièce, brillamment interprétée, et qui nous plonge radicalement dans l'ambiance de l'époque, et du film/roman. Il est sans doute préférable de connaître GWTW, mais je suppose que les néophytes peuvent aussi y trouver leur compte.
Comme vous le savez sans doute, le tournage de
Autant en emporte le Vent a été une très grosse galère. Déjà l'interprète de Scarlett a été très difficile à trouver (le tournage a commencé sans Vivien Leigh), les réalisateurs et scénaristes ont changé à plusieurs reprises... Tout un feuilleton !
La pièce que j'ai vue part d'un épisode en particulier : David O'Selznick (producteur) vient de renvoyer son sénariste (Sidney Howard), et son réalisateur (George Cukor, qui ne s'entendait pas avec Clark Gable et était plus fait pour un cinéma intimiste -avec ce réalisateur, et ce scénario, le film aurait sans doute duré plus de 6 heures
).
Selznick fait alors venir dans son bureau Ben Hecht (scénariste renommé) et Victor Fleming (alors en tournage sur le
Magicien d'Oz) et leur donne une semaine pour réécrire le scénario (une semaine seulement, parce qu'ayant mis toutes les équipes de tournage en stand by, ça lui coûte plusieurs millions de dollars par jour
). Remarquez que dans la réalité, il s'agissait juste d'améliorer le scénario, et ils avaient deux semaines (pour le côté spectaculaire de la pièce, ce sera juste 5 jours !).
La pièce commence par le lundi, et s'achève un vendredi matin. L'idée c'est que Ben Hecht sorte le nouveau scénario à la fin de la semaine. Le hic, c'est qu'il n'a pas lu le roman (David O'Selznick est stupéfait, et dit que Ben doit être le seul Américain à ne pas avoir lu le livre qui est le
Guerre et Paix américain). Fleming (un gros dur, assez macho et plutôt indélicat, ami de Clark Gable) et Selznick décident alors de lui raconter le livre du début à la fin : ils joueront chaque scène, pendant que Ben Hecht écrira le scénario. Selnick ne veut pas qu'ils mangent (ça risque de leur ralentir l'esprit) : il ferme donc la porte de son bureau à clé, et pendant 5 jours les trois hommes ne mangeront que des bananes et des cacahuètes !
Deux volets dans cette pièce :
*** d'une part la réecriture du scénario : les acteurs s'en donnent à coeur joie. Parmi les scènes qu'ils nous montrent, il y a la scène du départ (Scarlett qui parle de la guerre) assez vite fait, plus longuement la scène de Prissy et de l'accouchement de Mélanie, et enfin la scène de la mort de Mélanie et du départ de Rhett.
Dès le début les trois hommes sont un peu moqueurs (Fleming se moque d'Ashley, qu'il dit effeminé, et qui est joué
"par un acteur anglais ! " ), Hecht considère le livre comme de la sous-littérature et se demande comment on peut faire un film sur une femme
"esclavagiste-adultère-insupportable-assassin (pour le soldat yankee)"... (on peut, comme on l'a vu par la suite !)
. Au début, d'ailleurs, Hecht ne comprend rien :
"vous me dites qu'elle part à Atlanta, qu'elle revient d'Atlanta, qu'elle repart à Atlanta pour épouser Frank Kennedy... mais qui est Frank Kennedy ?" Bref, tout ceci donne lieu à des scènes franchement coquaces (notamment celle où Samuel Le Bihan joue l'accouchement de Mélanie, et celle où Hecht à la toute fin refuse de finir le film par les mots du livre
"Demain est un autre jour" parce qu'il trouve ça mièvre
).
***d'autre part, le contexte de l'époque. Il y a les relations entre les trois hommes par exemple (Hecht déteste Fleming), et puis des évocations du monde du cinéma de l'époque (de nombreux films sont mentionnés -
Pilote d'Essai, Intermezzo...-, O'Selznick est harcelé au téléphone par son beau père Louis B. Mayer, Viven Leigh passe aussi quelques petits coups de téléphone...), et surtout de la situation polique avant guerre (Hecht est juif, comme Selznick, et passe beaucoup de temps à rappeler que tout le monde les déteste, et que les gens seraient contents que le film se plante). Selnick insiste bien sur le fait que le film
Autant en emporte le vent raconte l'histoire de Scarlett, et ne doit pas comporter de dimension politique (Hecht par exemple veut rendre la gifle donnée à Prissy violente, et souhaite que Prissy puisse dénoncer sa condition d'esclave à ce moment là... la scène de la gifle est jouée de nombreuses fois, et Fleming essaye de voir comment la rendre réaliste, sans qu'on en déteste Scarlett pour autant, parce que Prissy est quand même une menteuse). Bref, la pièce est extrêmement intéressante sur ce plan là.
Ce que je vous dis là, c'est seulement le sujet de la pièce, parce que ce qui est le clou du spectacle, c'est le grand délire que la pièce devient au fur et à mesure que le temps passe. Si les discussions sont à peu près construites au départ, à la fin c'est du grand n'importe quoi (bananes et cacahuètes ne faisant pas bon ménage, Hecht ne peut plus bouger parce qu'il est constipé...
, Fleming finit par se prendre pour un singe... il faut dire que tout le monde manque de sommeil !), et pourtant,
Autant en emporte le vent reste au centre de la pièce. Tout repose dans le jeu des acteurs, particulièrement physique, et je dois dire que j'ai été très impressionnée (j'avais été déçue par
Cher Trésor, très loin du niveau de la Comédie française), mais là, je dois dire que c'était réellement impressionnant.
Si vous avez l'occasion d'aller voir cette pièce, il ne faut pas hésiter. On y voit vivre ces personnages, qui ont travaillé pour ce très grand film, et c'est comme si on y était. En plus c'est extrêmement drôle, décalé, original, mais intéressant, et d'autant plus percutant si vous connaissez l'histoire. Et puis, ironie du sort, aucun des protagoniste n'a confiance en GWTW à la fin : Fleming choisit d'être payé au forfait plutôt que sur les recettes, et et Hecht refuse d'être crédité au générique... S'ils avaient su quel grand film ça allait être !
Et puis le meilleur pour la fin, Selznick retourne son fauteuil, tourne le dos au public, et nous regardons tous les dernières scènes du film :
"Frankly my dear, I don't give a damn" (phrase qui leur a donné un peu de travail, et qui a fait hurlé Hecht :
"J'ai attendu cinq jours pour savoir s'ils finissaient ensemble, et c'est comme ça que ça finit !!! ", Hecht a d'ailleurs voulu écrire le retour de Rhett puis Scarlett et Rhett repartant ensemble sous le soleil couchant
). Viven Leigh (qu'elle était belle !) revient à Tara, et puis la musique du film retentit !
Je n'ai plus qu'une envie : revoir le film, et enfin découvrir le livre.