Les Rougon-Macquart : Au bonheur des dames

La soirée commence par un cocktail, au rez-de-chaussée du magasin. C'est un vrai cocktail, puisqu'on a droit à jus de fruit ou spritz, et chips de légumes. On attend une demi-heure que tout le monde arrive, et puis le "Directeur" du Bon Marché nous accueille en tant que bons clients du magasin (je vous rassure, ce n'est pas mon cas ), et fait un discours pour évoquer l'histoire du magasin.

Soudain, les lumières se mettent à grésiller, on apprend qu'en 1852, le magasin était Au Bonheur des Dames sous la direction du couple Mouret (plus calqué sur le couple Boucicaut, que sur les romans de Zola), et que la malheureuse Caroline Mouret est morte assassinée pendant le bal du personnel, au milieu d'une valse de chopin. On nous présente les suspects. Certains sont issus du roman (Mouret, Denise, Henriette), d'autres sont inventés pour l'occasion (Gustave le couturier par exemple, Théodore l'oncle de Mouret...).

C'est un parti pris comme un autre, mais à part les très gros traits des personnages, l'intrigue n'a rien à voir avec le roman de Zola. C'est à la fois pour moi un regret (d'autant que l'histoire finale s'avère un peu tapageuse à mon avis), à la fois un soulagement : puisque le sujet principal est le magasin, autant évacuer directement la fidélité à l'intrigue du roman, ça m'évite personnellement toute prise de tête. De même, un ensemble de personnages secondaires portent le nom de personnages du roman mais sans forcément leur être fidèles (Inspecteur Jouve et Mme Aurélie par exemple, fidèles à eux-mêmes, mais Campion qui n'a rien à voir il me semble).


Nous sommes désormais en 1852, et sommes invités à monter au deuxième étage du magasin, et à revivre la dernière journée de Caroline. On porte des masques (des loups noirs, pour nous distinguer des comédiens), et on peut se promener librement dans les rayons, tant qu'on reste sur les chemins éclairés de lanternes, on peut suivre tel ou tel personnage à volonté, assister à telle ou telle scène, et de fil en aiguille, reconstituer (partiellement) ce qui s'est passé lors de cette dernière journée. Les spectateurs n'ont pas le droit de parler, ou de prendre des photos. On a juste à écouter, à se promener comme on veut. On peut juste admirer les décors si on le souhaite (certains aménagés pour le spectacle, les autres, eh bien, c'est juste le Bon Marché).

J'ai commencé par faire un petit tour, mais le début était compliqué, il y avait un peu trop de monde autour des confections, et donc je ne voyais pas trop bien ce qui s'y passait. Certaines scènes secondaires se jouaient un peu partout, et perturbaient un peu l'attention sur l'intrigue principale (je me suis retrouvée plusieurs fois devant une sorte de petit bistrot où des employés du Bonheur étaient en train de déjeuner). Puis Caroline Mouret a convoqué tout le monde sur la coursive, qui donne sur le puits central sous la verrière et nous a annoncé qu'Octave son mari allait devenir, avec elle, l'unique actionnaire du magasin. Pour fêter ça, Octave nous annonce un bal le soir et une augmentation de salaire.

C'est là que j'ai vécu un des moments les plus incroyables de ma soirée. Caroline nous explique qu'un écrivain journaliste s'intéresse au Bonheur des dames, et va venir interroger le personnel, et elle nous présente Emile Zola. Je ne sais comment, mais je me suis retrouvée, un peu par hasard, à l'endroit et l'instant exact où Zola rencontre Octave Mouret, comme si j'étais même dans leur cercle d'amis lors d'une soirée. Ils se sont faits une poignée de mains chaleureuse juste sous mes yeux, je pense que rien que cette scène m'a fait ma soirée.

Ensuite (j'étais avec ma belle-soeur), on a décidé de suivre Zola. Il est parti interviewer l'inspecteur Jouve, qui nous a emmenés dans son bureau. Ca faisait assez peur, et ça ne faisait pas spécialement avancer l'intrigue principale. J'ai continué un peu à suivre Zola après ça, mais quand il a commencé à poser des questions sur l'ascenseur à un ingénieur qui se trouvait là (Gustave Eiffel !), on l'a abandonné et on est parties ailleurs.


Après, je ne me souviens plus de tout, tout se passe vite, et un peu dans tous les sens. Je sais que j'ai manqué des scènes fondamentales d'Octave (je pense à une en particulier, que j'aurais vue si j'avais à un instant T décidé de suivre le couturier), que j'ai eu un mal fou à trouver Denise (je ne l'ai trouvée qu'à la fin du spectacle en réalité, mais comme elle était assez petite, on la remarquait beaucoup moins que d'autres comédiens, quand je l'ai trouvée elle pleurait toute seule au rayon des confections ). J'ai pris une scène en route avec Henriette, que je n'ai pas totalement comprise. J'ai assisté à plusieurs scènes dans le bureau de Caroline, avec Octave notamment (j'étais tombée sur lui dans une allée, je l'avais donc aussitôt suivi). Je n'ai pas trop aimé les scènes de clientes bourgeoises qui gloussent (mais c'est conforme au roman).

Pendant que l'intrigue principale se déroule, on peut aussi s'amuser à suivre Zola qui interviewe tous les corps de métier du magasin. Je l'ai retrouvé à la fin au bistrot, en train d'interroger le barman qui venait de Lorraine. Je suis aussi tombée sur Offenbach qui essayait de séduire les vendeuses de Mme Aurélie. Il y avait aussi Mme Rockefeller, venue tout droit des Etats-Unis, avec une amie médium.

Petit regret donc, de tout ce que j'ai manqué. Je pense avoir vu une pièce très parcellaire, par rapport à d'autres spectateurs, et finalement, mis bout à bout, je n'ai pas forcément vu un spectacle passionnant. J'ai manqué des scènes importantes avec certains personnages (Octave, comme je l'ai dit, mais j'ai aussi trouvé la chambre de Denise sous les combles trop tard alors qu'il n'y avait plus personne ; ou encore j'ai manqué une partie de l'intrigue concernant l'oncle de Caroline - ma belle-sœur et moi nous étions séparées à ce moment-là, elle a appris beaucoup plus de choses de son côté). J'ai manqué des lieux, j'ai aperçu fléchée la "salle des envois" mais je n'ai pas pu aller la voir, et j'ai juste traversé une salle de réfectoire, avec plein de gâteaux, où j'ai finalement choisi de ne pas m'arrêter.


Les mouvements de la foule des spectateurs sont menés de manière assez édifiante. On est autonome et pourtant... ! Au départ, on nous affecte à un personnage, pour nous donner un point de départ "géographique" dans le magasin j'imagine, puis la foule se regroupe à l'annonce de Caroline, puis on est à nouveau envoyés loin dans les profondeurs des rayons (des scènes s'allument dans des coins très opposés, on suit les lanternes vers la lumière plus loin, ou alors on suit des personnages qui nous intéressent, les chemins de lanternes sont très jolis ), et enfin, doucement, on est attirés vers des scènes de plus en plus resserrées, et on arrive au fameux bal.

Au moment final du bal, j'ai dansé le french cancan avec ma belle-soeur, à côté d'Octave et Offenbach. On est à un stade de la soirée où on a beaucoup piétiné, on est un peu fatiguées, et on ferait n'importe quoi ! C'est précisément ça que j'ai trouvé habile en diable, et comme si on s'était un peu transformés en personnages du roman, "affolées perdant la tête", comme dirait Gérard Philipe dans Pot Bouille. Je retournerai au Bon Marché en plein jour, pour essayer de retrouver l'endroit exact où on a dansé...

Après le meurtre, la fête s'arrête, et la foule suit le cadavre de Caroline, j'étais juste à côté de Denise qui pleurait à ce moment là. Puis les comédiens descendent, alors que tous les spectateurs ont voté pour leur suspect, et sont regroupés autour du puits central. L'intrigue policière se dénoue.